Un enfant atteint d’une maladie invalidante peut-il suivre un cursus scolaire ? C’est la question, décisive pour la vie de l’enfant, qui inquiète bien des parents. Le Code de l’éducation, qui a prévu des solutions, pose la problématique des actes de soins pratiqués par le personnel enseignant. Alors, est-ce légal ? Et quid de la responsabilité ?
La nécessité d’offrir un cadre adapté permettant aux enfants atteints d’une pathologie est posée par le premier article du Code l’éducation (article L. 111-1) qui affirme que l’éducation est « conçue et organisée en fonction des élèves et des étudiants ». Plus opératoire, l’article L. 351-1 prévoit la possibilité de « dispositifs adaptés, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves ». Deux procédés sont prévus pour répondre aux besoins particuliers des élèves.
Les articles D. 351-5 à D. 351-7 du Code de l’éducation ont instauré le “projet personnalisé de scolarisation” qui définit et coordonne les modalités de déroulement de la scolarité, dans toutes les composantes liées au handicap, avec l’implication de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. La scolarisation peut se faire pour le primaire dans les classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) et pour le secondaire dans les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS). Ces structures disposent d’une organisation interne adaptée. En alternative, est prévu le “projet d’accueil individualisé”, un mécanisme plus léger, explicité par l’article D. 351-9 du Code de l’éducation et la circulaire MENE0300417C n° 2003-135 du 8 septembre 2003. Des dispositions analogues ont été adoptées pour les structures d’accueil des jeunes enfants : crèche, halte-garderie, jardin d’enfants (décret n° 2000-762 du 1er août 2000). Pour les centres de vacances et les centres de loisirs sans hébergement, un régime plus souple a été adopté (décret n°2002-885 du 3?mai 2002 et recommandations figurant au chapitre?4 de la circulaire du 8?septembre 2003). Le projet d’accueil individualisé (PAI) est un enjeu essentiel car il permet la scolarisation selon le mode commun… Ce qui pose la question de l’implication des personnels des établissements scolaires dans une prise en charge médicale. Un problème sérieux, mais qui trouve des solutions.
Le PAI est une initiative du médecin traitant mise au point par le chef d’établissement à partir des besoins thérapeutiques de l’enfant. Le médecin prescripteur adresse au médecin de la collectivité, avec l’autorisation des parents :
• l’ordonnance qui indique avec précision le médicament qu’il convient d’administrer : nom, doses et horaires ;
• les demandes d’aménagements spécifiques à apporter dans le cadre de la collectivité ;
• la prescription ou non d’un régime alimentaire.
En fonction de ces informations, le médecin scolaire, après concertation avec l’infirmière scolaire et l’équipe éducative, détermine les aménagements devant être mis en place.
La circulaire ne fait ici que le service minimum, indiquant que le PAI est organisé « dans le respect des compétences de chacun et compte tenu des besoins thérapeutiques de l’enfant ».
Le cas échant, un protocole d’urgence est joint au PAI. À ce titre, c’est au médecin prescripteur, en liaison avec le médecin de la structure d’accueil, de décider si la prise d’un médicament, même en cas d’urgence, nécessite exclusivement l’intervention d’un auxiliaire médical ou d’un médecin (Circulaire du ministère de l’Emploi et de la Solidarité DGS-DAS du 4 juin 1999 relative à la distribution de médicaments). S’agissant des maladies qui évoluent par crises ou par accès, le médecin prescripteur doit établir un protocole d’intervention décrivant les signes d’appel, les symptômes visibles, les mesures à prendre pour assurer la mise en sécurité de l’enfant ou l’adolescent, les médecins à joindre et les permanences téléphoniques accessibles ainsi que les éléments d’information à fournir aux services d’urgence pour une compréhension efficace du problème. La circulaire rappelle le jeu des services d’appel d’urgence du service d’aide médicale urgente (Samu), et le rôle du médecin régulateur qui, sans délai, aide à évaluer la gravité de la situation, donne son avis et des conseils pour prendre les mesures d’urgence et, selon le cas, dépêche une équipe médicale hospitalière avec véhicule de réanimation ou envoie une ambulance pour le transport vers un centre hospitalier.
Sur le plan pratique, la circulaire donne les explications suivantes, qui sont objectivement assez faibles : « Dans tous les cas, il est recommandé de disposer :
– d’une ligne téléphonique permettant de contacter le Samu. L’absence de dispositions permettant d’alerter rapidement les secours serait en effet susceptible, lorsqu’elle aurait pour conséquence de retarder l’arrivée des secours et de porter ainsi un préjudice à la victime, d’être retenue comme élément constitutif des incriminations de mise en danger de la vie d’autrui ou de non-assistance à personne en danger ;
– d’une trousse d’urgence contenant les médicaments spécifiques aux élèves atteints de troubles de la santé évoluant sur une longue période. Cette trousse devra rester hors de portée des élèves et il appartiendra au membre de la communauté éducative concerné qui en assurera la garde, de veiller à prendre toute précaution en son pouvoir pour éviter que des élèves puissent y avoir accès. Par ailleurs, ce personnel devra veiller, au cas où il est absent, à ce que la trousse reste accessible en cas d’urgence aux autres membres de la communauté éducative. » Force est de constater que la circulaire répond mal à son objet, à savoir expliquer l’état du droit sur cette question sensible, et ce flou juridique, qui peut créer des réflexes d’évitement au sein des personnels de santé, n’est pas justifié, car les solutions sont nettes et certaines.
Si une infirmière est présente dans l’établissement lorsque l’enfant a besoin de soins urgents, c’est à elle d’intervenir. Hélas, on ne compte que 7 500 infirmières en milieu scolaire, et nombre d’établissements ne bénéficient pas de cette présence. L’infirmière d’établissement, placée sous l’autorité hiérarchique du chef d’établissement, qui est la référente santé, accueille tout élève qui la sollicite pour quelque motif que ce soit, y compris d’ordre relationnel ou psychologique, dès lors qu’il y a une incidence sur sa santé ou sa scolarité (Circulaire n° 2001-012 du 12 janvier 2001).
En l’absence des infirmières et des médecins, les soins et les urgences sont assurés par les personnels titulaires, soit de l’attestation de formation aux premiers secours (AFPS), soit du certificat de sauvetage secourisme du travail (SST)… Sans oublier pour chacun de porter secours à toute personne en danger. On en vient ici à la question la plus délicate, à savoir l’administration de médicaments par les enseignants.
La première question est celle de la légalité. Dans la mesure où un enseignant ne dispose pas, de par sa fonction, de la capacité à administrer des médicaments, peut-il être sanctionné pour exercice illégal de la profession infirmière lorsqu’il pratique ponctuellement cet acte, dans le cadre d’un PAI ? La réponse est clairement non, car l’infraction d’exercice illégal de la profession d’infirmier suppose une condition d’habitude. C’est un acte de dépannage, qui répond à des situations d’urgence. De plus, attention à ne pas inverser l’ordre des choses : ce qui est premier, qui préexiste, c’est la maladie, et l’action humaine vise à limiter les effets d’une crise, avec une réussite reconnue qui permet de concilier l’intimité de la vie privée et scolaire de l’élève. Enfin, l’enseignant agit en appliquant ce qui est recommandé et en consensus avec le prescripteur, le médecin scolaire, les parents, l’enfant, le directeur d’établissement et les autorités hiérarchiques. De telle sorte, aucune illégalité ne peut être opposée à un enseignant amené ponctuellement à administrer un médicament à un enfant relevant d’un PAI, dans l’urgence de la crise, selon les consignes reçues et dans la consensus de tous les intervenants.
La seconde question est celle de la responsabilité. Pour toute problématique de responsabilité juridique, la pierre angulaire est la faute. La faute n’est pas un manquement à l’excellence, mais le comportement imprudent ou négligent d’une personne. La mise en œuvre du traitement ne laisse pas de place pour la “faute” dès lors que les consignes de base, qui sont simples, ont été respectées. Pour prouver la faute de l’enseignant, il faudrait démontrer sa négligence ou son inattention… démonstration qui serait particulièrement difficile à opposer à un non-professionnel de la santé, agissant dans un cadre bien défini par l’autorité hiérarchique. S’agissant de la surveillance, ce qui est demandé est un contrôle visuel des signes évidents de vigilance, contrôle forcément très sommaire car un professionnel n’a de compte à rendre en termes de responsabilité qu’au regard de ses compétences. Il est clair que les enseignants n’ont, de par leur formation, aucune compétence professionnelle en matière médicale. Aussi, leur éventuelle faute ne pourrait être analysée qu’au regard du droit commun, c’est-à-dire littéralement du bon père de famille « moyennement prudent et diligent ». La survenance d’effets secondaires ne révèle en elle-même aucune faute de la personne ayant administré le produit, car c’est juste un effet de la prise, qui joue sur la causalité. C’est un résultat mécanique de l’administration du produit, et il existe un régime spécifique de responsabilité du fait des produits qui exonère l’utilisateur, donc l’enseignant. Aussi, la crainte souvent évoquée d’une responsabilité de l’enseignant ayant administré le produit du fait de la survenance des effets secondaires est hors de propos. Au pénal, et dans de telles situations, il serait requis de prouver l’existence d’une faute caractérisée, soit une faute d’un certain degré et de la conscience du danger, ce qui serait assez difficile pour un non-professionnel du soin. À partir du moment où l’enseignant respecte les consignes données et le PAI, on ne voit pas l’espace pour l’engagement de sa responsabilité, pour un geste qui reste essentiellement altruiste et de sauvegarde. En revanche, le risque de poursuites serait important pour l’agent qui refuserait de mettre en œuvre ces consignes. Les poursuites pour non-assistance en danger sont rares, car il faut justifier de l’intention coupable, délicate à prouver.
Au final, la lecture juridique encourage ces actes, qui sont pour les acteurs des prises de risques très limitées.
Clairement, un enseignant qui administre le médicament en suivant avec une attention normale la procédure préconisée ne commet pas de faute. Il restera une petite inquiétude, légitime, mais la satisfaction de voir des enfants atteints de maladies invalidantes suivre le cursus scolaire vaut bien ce petit tracas…
→ Décret n° 85-924 du 30 août 1985 (art. 57).
→ Circulaire n° 86-144 du 20 mars 1986, précisant les modalités d’organisation de la médecine de soins dans les établissements scolaires.
→ Note de service DGER/SET/GEFIC/N90 n° 2031 du 19 avril 1990 relative aux modalités d’organisation de la médecine de soins dans les établissements publics d’enseignement agricole.
→ Protocole national du 6 janvier 2000 précisant l’organisation des soins et des urgences dans les écoles et les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE).
→ Note de service DGER/SDACE/C2001-2016 du 6 décembre 2001 relative à l’organisation du service, missions et obligations de service et congés des infirmiers (ières) exerçant dans les établissements de l’enseignement technique agricole.
→ Circulaire DHOS/P 2 n° 2005-225 du 12 mai 2005 relative aux conditions d’exercice des professions de santé et aux sanctions pénales applicables pour l’exercice illégal et l’usurpation de titre.
L’infraction d’exercice illégal de la profession infirmière est défini par l’article L. 4314-4 du Code de la santé publique, et puni d’une peine de 3 750 € d’amende. En cas de récidive, 5 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.