Selon quelles modalités faut-il accompagner l’initiation à la méthodologie de recherche en soins ? Cette interrogation anime les professionnels du soin et les formateurs qui ont en charge l’accompagnement d’étudiants dans la réalisation de travaux d’initiation à la recherche. Ici, la nécessité de se conformer à des ambitions qui seraient celles d’une production scientifique interpelle l’attachement à une culture professionnelle soignante plaçant l’humain au centre de leurs préoccupations.
Une oscillation à la fois méthodologique et identitaire se consolide dans la résurgence inattendue d’une controverse qui marqua l’histoire des sciences : entre positivisme et herméneutique, entre démarche explicative et démarche compréhensive, entre volonté d’objectiver le monde social et volonté de laisser l’homme exprimer pleinement le sens de ses actions. Mais, si elle demeure crispée sur cette polarisation, l’initiation à la recherche peine à s’enclencher. Afin d’inscrire le fil de l’initiation dans un dialogue vertueux entre ces deux approches, il convient d’explorer la valeur scientifique de la subjectivité. Ainsi, à travers l’odyssée de l’apprenti chercheur, l’historicité et le développement de la pensée scientifique sont interpellés.
Un essai de définition s’impose. À cet effet, il est nécessaire de parcourir les soubassements étymologiques et épistémologiques de la recherche scientifique : entre mythe et raison.
Selon le Dictionnaire historique de la langue française
Chez Circé, on s’oublie comme dans une recherche où l’on n’en finit pas d’examiner, de scruter les diverses façon de répondre à une question. Remarquons encore que Circé prévint Ulysse des dangers des sirènes. Pour le chercheur, cela résonne comme une précaution à faire œuvre de discernement et à ne pas céder trop vite à l’appel des évidences enchanteresses. Ces dernières conduisent souvent vers de mortifères impasses. L’étymologie du mot “recherche” plonge ses racines dans l’antiquité hellénique. C’est une invitation à retracer le chemin conduisant du Muthos au Logos. Ce dernier désigne étymologiquement le discours, le langage, et s’entend philosophiquement comme étant la raison organisatrice de l’univers. Sous un même terme, les Grecs désignaient la parole et la pensée.
Le mythe (Muthos) conte une histoire et s’oppose au régime discursif du Logos, c’est-à-dire celui du raisonnement logique. Initialement, dans la Grèce antique, ces deux discours tendaient à être analogues et indifférenciés. Platon les distinguera clairement et affirmera la primauté du Logos. Le mythe sollicite avant tout une forme d’adhésion. Celle-ci est facilitée par une forte esthétique narrative. C’est un récit merveilleux chargé de symboles qui s’adresse pour partie à la foi et qui a une fonction identificatoire
Dans une certaine mesure, le discours mythique s’est réfugié dans la littérature et il demeure un moyen de symboliser, de représenter des expériences qui se soustraient à l’analyse rationnelle et scientifique. L’origine de la recherche repose sur cette distinction entre Muthos et Logos, entre mythe et rationalité. Pour autant, l’étymologie de la recherche s’enracine dans le mythe et il y a de la tragédie en elle… quelque chose d’une narration souterraine invitant à douter d’une rationalité objective trop manifeste. Il y a un mythe fondateur qui narre l’importance de continuer à rechercher… ce que chercher veut dire.
Quelle méthodologie scientifique emprunter pour la recherche en soins ? Afin de répondre à cette question, il convient d’expliciter préalablement les trois modèles représentatifs de la démarche d’investigation scientifique. Les sciences formelles, les sciences de la nature et les sciences herméneutiques.
Les sciences formelles mathématiques sont hypothético-déductives. Le mathématicien se donne un système de définitions, d’axiomes, à partir desquels il construit des hypothèses. À la suite de cet énoncé théorique, il déduit une série de conséquences. Le mathématicien développe un raisonnement logique en lien avec des conventions qu’il a lui-même posé. Il s’appuie sur les enchaînements logiques de sa propre pensée au sein d’un monde mathématique indépendant. Les sciences de la nature (biologie, physique, chimie, astronomie…) s’engagent dans une exploration de la matière. Elles sont souvent désignées comme sciences d’observation et portent sur des faits. Dans les sciences expérimentales, le savant soumet son hypothèse au verdict de l’expérience empirique.
Léon Brunschvicg résume ainsi l’empirisme : « Laisser faire l’expérience se déposer elle-même dans notre esprit, la nature s’inscrire elle-même dans la science. »
Les sciences humaines et sociales se distinguent des sciences de la nature par leur champ d’étude et s’opposent sur la méthode employée. Pour les sciences humaines et sociales, l’objet est celui de l’humain et, par extension, de l’environnement humain en tant que produit et/ou déterminant causal. Les sciences humaines et sociales ont pour principal objet d’étude l’homme et les cultures humaines inscrites dans une perspective historique et mobilisées selon des dynamiques individuelles et collectives, elles-mêmes à l’origine de créations spécifiques. Ces disciplines s’attachent aussi à envisager ce qui résulte de la pensée de l’homme. Celle-ci est un objet de recherche qui tend à être considéré de diverses manières : dans sa construction (comment se construit la pensée ?), dans les modes de raisonnements spécifiques qu’elle implique (qu’est-ce qui distingue une pensée d’une autre ?), dans les comportements qui en découlent (quels sont les effets d’une pensée ?). Une pensée est immatérielle mais elle s’inscrit dans une perspective liée à la réalité biologique, historique, environnementale. La réalité d’une recherche est contingente de celle de l’objet qu’elle explore, du prélèvement qu’elle en effectue, des outils de recueil et modalités de mesure qu’elle emploie pour y parvenir.
Les sciences humaines et sociales sont inscrites dans une perspective qualifiée d’herméneutique en référence à la divinité grecque Hermès, commissionnaire des dieux, guide des hommes au cours de leurs épopées héroïques, créateur des poids et mesures et initiateur de l’alphabet. La démarche herméneutique engage un processus d’interprétation à partir de mesures subjectives, c’est-à-dire qui dépendent largement du point de vue que le chercheur adopte par rapport au phénomène considéré. Les sciences humaines et sociales confèrent une place prépondérante à la subjectivité comme modalité d’accès au réel. Dans un souci de rigueur méthodologique, il s’agira d’évaluer, de comparer les effets des méthodes sur les résultats comme autant de filtres impactant la perception du réel et les déductions formulées à son propos.
Concernant la recherche en soins, la méthodologie qui borne ce projet s’écarte du positivisme propre aux sciences formelles. Il n’est point question d’une recherche démonstrative d’axiomes ou de théorèmes. En revanche, le modèle empirico-formel sera approprié dans le cadre de la recherche clinique et plus largement de l’approche scientifique des techniques de soin. Cependant, si l’objet de la recherche nécessite de comprendre le vécu, les expériences de santé des personnes, la méthodologie requise s’apparente alors davantage à la recherche en sciences sociales. Elle s’approprie une approche herméneutique des phénomènes humains considérés puisqu’elle vise à les interpréter. La recherche en soins est constituée de divers champs qui s’inscrivent principalement dans deux approches méthodologiques distinctes : le modèle empirico-formel et la démarche herméneutique des sciences sociales. Mais comment mobiliser les sciences humaines et sociales dans l’accompagnement de l’initiation à la recherche en soins ?
Les sciences humaines et sociales s’intéressent à l’homme et à son contexte social. Ceux-ci peuvent être indépendamment envisagés comme objets de recherche. Mais une autre optique invite à considérer comme objets les rapports d’inter-influence entre l’homme et son contexte d’étude. Cette ambition repose globalement sur une compréhension plus fine des comportements et attitudes humaines dans un contexte donné mais dont les caractéristiques mouvantes, mobiles sont relevées. La recherche en soin gagne à s’approprier ces considérations méthodologiques. En effet, elle-même repose sur la considération d’un faisceau de causalités. Cela signifie qu’il y a existence de multiples relations, réalités qui ne s’excluent pas mais coexistent sans forcément converger. Cette approche compréhensive s’appuie sur une certitude exclusive, celle de ne jamais être finie, scellée une bonne fois pour toute. Le sens n’est en soi jamais complètement épuisé ; ce sont nos moyens intellectuels, temporels, logistiques qui le sont.
Une recherche en soins infirmiers se fonde sur des savoirs disciplinaires issus d’une recherche bibliographique. La démarche peut être déductive en engageant le chercheur à mettre une théorie à l’épreuve ou à éprouver, discuter une théorie intermédiaire ; la démarche peut être inductive, il s’agit alors de laisser émerger les questions du terrain.
Dans le cadre de l’initiation, il est fréquemment proposé à l’étudiant d’amorcer son travail de recherche à partir d’observations issues de sa propre expérience en stage. De ces constats empiriques se dégage un problème à élucider. C’est la recherche de ce problème, la problématisation qui permet de découvrir la question de recherche sur un mode inductif. L’hypothèse n’est pas systématique. La question de recherche s’élabore alors patiemment en ouvrant les questions profanes à la lumière de références théoriques. La posture de chercheur crée les conditions d’émergences de nouvelles connaissances et permet d’accueillir des découvertes imprévisibles. Celles-ci adviennent dans un contexte formalisé par un cadre méthodologique rigoureux ne s’abandonnant pas intégralement à la contrainte du hasard, mais pourtant capable de laisser surgir l’inattendu.
Le processus de problématisation scientifique ne se laisse pas nécessairement contraindre dans un entonnoir pédagogique consistant à aller du général pour découvrir le singulier. C’est plus complexe. Cette métaphore essentielle des milieux enseignants s’adapte fort bien au modèle de recherche empirico-formel hérité des sciences de la nature. Elle convient un peu moins aux modèles de recherche hérités des sciences sociales. Ou alors il faut admettre que l’entonnoir se retourne parfois, s’élargisse, se bouche pour construire un canal afférent plus en amont. Ici, la découverte échappe fréquemment, au moins en partie, à l’exercice de maîtrise par la méthode. La réflexion se déploie en un réseau de pensées invitant ponctuellement à la sidération, parfois au découragement, mais qui toujours convie à circuler entre volonté de maîtrise et nécessité du lâcher prise. Mais comment donner une forme intelligible et plastique au subtil processus de la recherche ?
Dans une recherche, on tamise des morceaux de réel. Avec mille précautions, mais nul tamis n’est exportable à l’infini. Il n’y a pas de réflexe conditionné qui conduise à opérer le bon choix au bon moment. La métaphore serait celle d’un mouvement en accordéon, poreux par endroits et acceptant les déviations que le sens propose. Dans une recherche herméneutique, le sens apparaît en fonction d’une dynamique dont le contrôle échappe en partie au chercheur. Il est requis que le chercheur accepte de se tromper par rapport à ce qu’il croit savoir de l’objet de recherche. C’est la rupture épistémologique. Par ailleurs, les critères de scientificité d’une démarche de recherche nécessitent d’être explicités et partagés par une communauté de chercheurs. Or ces critères diffèrent fondamentalement entre sciences empirico-formelles et sciences herméneutiques.
Les phénomènes humains qui émergent dans l’expérience du soin engagent la sensibilité du sujet qui les analyse. Mais comment ne pas être piégé par ses sens tout en produisant une connaissance qui ne saurait exister sans cette captation sensorielle ? Comment puiser dans des expériences subjectives la possibilité d’une généralisation correspondant aux critères de l’objectivité mais qui ne saurait exister par elle-même en dehors de toute subjectivité ?
Le lien entre subjectivité et objectivité s’est affirmé comme un souci constant dans le développement de la pensée humaine et dans la structuration du raisonnement scientifique. Un bref recours à l’intervention philosophique permet de l’éclairer. Ainsi, pour Descartes, les sens sont trompeurs et ne peuvent autoriser l’accès à la compréhension des phénomènes
Initialement, la connaissance scientifique résulte de la rencontre de deux facteurs : le sujet chercheur et l’objet de sa recherche. Or un objet de recherche est toujours identifié comme objet d’étude à partir d’un sujet lui-même objet de culture… En conséquence, la réalité tend à être saisie au travers d’un cadre de représentations. La science est un cadre parmi d’autres. Le processus de recherche se déploie dans un milieu caractérisé par la circularité causale et par la présence active du chercheur. Mais la reconnaissance de la subjectivité du chercheur se distingue d’une introspection psychologique associant découverte du monde et recherche sur soi. C’est pourquoi appréhender la scientificité de la posture herméneutique requiert une définition du travail réflexif du chercheur.
D’un point de vue positiviste, les caractéristiques retenues pour valider le caractère scientifique d’une recherche sont : la logique, la vérifiabilité, la reproductibilité et la réfutabilité. Cette dernière, définie par le philosophe des sciences Karl Popper, est la capacité d’une proposition à subir des tests qui pourraient l’infirmer, la falsifier, c’est-à-dire la rendre fausse
A contrario, le relativisme conduit chaque discipline et chaque méthodologie au sein d’une discipline à déterminer par elle-même des critères de scientificité. Cela limite la portée normative de leurs conclusions. C’est entre réductionnisme et relativisme que se trace le chemin de l’initiation à la recherche. Ici, la notion de réflexivité prend toute son importance. Formalisée par David Bloor, elle peut se définir comme étant l’aptitude du chercheur à rendre conscients les effets de son implication dans la production résultante de sa recherche
Ce processus permet au chercheur d’objectiver le poids des déterminations sociales, environnementales sur ses choix, ses décisions. Il convient de souligner que la réflexivité est inhérente à la recherche qualitative, elle nécessite de « comprendre comment les valeurs d’un chercheur en particulier influencent la conduite (de sa recherche) et les conclusions de celles-ci »
Le chercheur est à la fois opérateur et outil de la démarche scientifique. Au critère de réflexivité viennent s’ajouter : la significativité contextuelle qui caractérise le sens retenu dans une situation donnée tout en ouvrant la possibilité d’un transfert dans des situations ayant des caractéristiques contextuellement comparables ; la cohérence de la construction continue qui engage une confrontation systématique entre les déductions formulées, les interprétations et les études de références ayant permis la construction du questionnement initial ; et enfin la résistance. Celle-ci vient en contrepoint de la falsification proposée par Karl Popper et découle de la démarche du scientifique qui recherche la situation résistant au modèle qu’il a élaboré. Ce cas négatif évite la fixité de la pensée en ébranlant les cadres représentatifs du chercheur. L’ensemble de ces précautions propose de limiter les risques liés à la surinterprétation ; le doute scientifique ressurgit, s’impose et incrémente la production de connaissances. Ces principes argumentent l’emploi de la subjectivité comme modalité de découverte scientifique. Structurants, ils méritent d’être exploités dans le cadre de l’initiation à la recherche en soins.
La recherche en soins invite à considérer sous un jour nouveau des phénomènes humains souvent empreints de souffrance. L’objectif est de mobiliser la pensée soignante par une entreprise de distanciation progressive en vue de formuler des réajustements, des propositions d’actions professionnelles. L’initiation à la recherche en soin s’engage donc de facto dans un univers saisissant d’affectivité et de désirs parfois contradictoires. Tôt ou tard, l’apprenti chercheur revient sur son parcours, sur le processus d’exploration qu’il a suivi. De façon un peu narrative et spéculative, il mesure sa progression, ce qui lui permet encore d’avancer. Mais une position d’interrogation circonvolutoire et autocentrée offre un leurre pour fondement méthodologique et rend l’apprenti chercheur captif d’enchantements circéens. Accompagner une initiation à la recherche en soins consiste en partie à guider un sujet dans la découverte de sa subjectivité comme vecteur de connaissance scientifique. Mobiliser des critères de scientificité aidant à jalonner cet ouvrage constitue alors un soutien pour l’apprenti chercheur et son guide. En lien avec ces aspects méthodologiques, il est utile de souligner que la conscience réflexive s’organise toujours depuis un point de vue spécifique essentiellement composé de trois variables distinctes mais interagies :
• l’ensemble des expériences antérieures du chercheur. Elles modélisent pour partie sa sensibilité vis-à-vis d’un champ particulier d’investigation intellectuelle. Ces expériences influencent aussi la sélection que le chercheur effectue dans le grand nombre de façons possibles d’appréhender un objet de recherche ;
• l’influence de l’environnement exploré dans le cadre de la recherche, notamment suivant les canaux de l’affectivité, sur le raisonnement de l’apprenti chercheur et donc sur les choix qu’il opère tout au long du processus de découverte ;
• l’asymétrie déductive qui caractérise la position du chercheur par rapport à son objet de recherche. Son influence dans la production de résultats ne peut pas être complètement neutralisée.
Il s’agit donc principalement d’étudier l’impact des facteurs contextuels dans la distribution réflexive et dans les opérations mentales réalisées. Mais il ne faut pas négliger la réalité des représentations internes du sujet et leur impact sur l’interprétation. Un rapprochement avec la « cognition située et distribuée » est peut-être envisageable.
Ce paradigme au carrefour de l’anthropologie
(1) Rey A., Tomi M., Horde T., Tanet C. Le dictionnaire historique de la langue française. Le Robert ; 2012.
(2) Hamilton E. La mythologie. Marabout ; 1997 ; 272-274.
(3) Vernant J.-P. Mythe et pensée chez les Grecs : Études de psychologie historique. La Découverte ; 2005.
(4) Nietzche F. Le gai savoir. 1re édition 1882. Flammarion ; 2007.
(5) Brunschvicg L. L’expérience humaine et la causalité physique. 1re édition 1949. Presses universitaires françaises ; 1949 ; 63-65.
(6) Bernard C. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. 1re édition 1805. Champs Classiques. Flammarion ; 2013 ; 60-61.
(7) Bachelard G. Le nouvel esprit scientifique. 1re édition 1934. Presses universitaires françaises ; 2013.
(8) Kant E. Critique de la raison pure. 1re édition 1905. Flammarion ; 2006 ; 204-206.
(9) Descartes R. Méditations métaphysiques. 1re édition 1641. GF. Flammarion ; 1979 ; 107-110.
(10) Popper K. La connaissance objective. 1re édition 1978. Champs Essais. Flammarion. 2009.
(11) Bloor D. Sociologie de la logique ou les Limites de l’épistémologie. 1re édition 1976. Pandore ; 1983.
(12) Bourdieu P. Réponses : Pour une anthropologie réflexive. Seuil ; 1992.
(13) Maxwell J. A. La modélisation de la recherche qualitative. Éditions universitaires ; 1999, 165.
(14) Soulet M.-H. “Interpréter sous contrainte ou le chercheur face à ses données”. Recherches qualitatives. Hors-série. Les qualités essentielles du chercheur qualitatif. Mars 2012, 29-39. www.recherche-qualitative.qc.ca. Publication consultée le 22 juillet 2014.
(15) Hutchins E. Cognition in the wild, Bradford books ; 1996.
(16) Clark A. Being There : Putting Brain, Body, and World Together Again, Bradford Book ; 1998.
(17) Clark A. Supersizing the Mind : Embodiment, Action, and Cognitive Extension, Oxford University Press ; 2010.
Le référentiel de formation en soins infirmiers porte l’accent sur la nécessité d’accompagner l’étudiant vers l’autonomie, la responsabilité et la réflexivité. Le travail de fin d’étude contribue à l’acquisition des compétences 7 et 8 par le biais de la validation des UE.3.4 et 5.6 en semestre 6. Il s’agira pour l’étudiant de réaliser un travail écrit reposant sur la problématisation singulière d’une situation professionnelle à travers : l’exploitation de données empiriques, théoriques et leur analyse par un effort de mise en relation. Ici, la notion de réflexivité est directement interpellée puisqu’elle caractérise la capacité d’un praticien à prendre sa pratique comme objet de théorisation.
Ces exigences se voient traduites dans un cadre institutionnel pédagogique propre à chaque Ifsi. Il offre des repères stables aux étudiants et aux directeurs de recherche qui accompagnent les étudiants. Mais cette stabilité s’enrichit de la possibilité de repenser les cadres structuraux de la recherche sans les inféoder à une représentation unique. Or nous remarquons qu’il est souvent difficile de sortir des schémas hypothético-déductifs et de la notion de progression exclusivement individuelle dans le cadre de l’initiation à la recherche.
Pourtant diverses approches sont envisageables : dans les choix d’outils, dans les options théoriques, dans les dispositifs ingénieriques. La méthodologie proposée dans le cadre de l’initiation à la recherche est un moyen au service de la réflexivité, de son ancrage dans le réel et de son essor. Ainsi elle gagne à s’autoriser une migration vers de nouveaux cadres épistémologiques préhensibles, plastiques, voire exotiques… C’est pourquoi une interrogation s’impose : « Comment garantir la stabilité d’un système de soutien à la pensée praticienne et favoriser conjointement le développement d’une certaine mobilité réflexive ? »
Proposer un soutien méthodologique, dispenser quelques conseils sans se montrer trop directif, être garant du respect des échéances, rassurer l’apprenant sur sa progression, offrir sa culture scientifique personnelle pour éclairer les questionnements qui animent l’étudiant… : voilà une énumération de principes bien connus et pratiqués par les formateurs lors de l’initiation à la recherche en Ifsi. C’est souvent l’accompagnement dans l’écriture qui est le plus délicat. Voici quelques propositions moins ordinaires :
→ guider un étudiant dans sa rencontre avec la page blanche : Cela nécessite que le formateur soit lui-même au clair avec le complexe syntaxique…, et qu’il ait réussi à surmonter un peu ses appréhensions. Il ne s’engage pas en ayant pour seul étayage le souvenir (éventuellement traumatogène) de ses propres travaux ;
→ aider l’étudiant à découvrir l’incidence de son changement de posture (de praticien apprenant vers apprenti praticien chercheur) sur sa façon de considérer la réalité pratique : en commençant par nous approprier la notion de “parallaxe”. Elle désigne notamment le passage vers une vision en relief à partir de deux images planes du même objet. De même, il faut deux points de vue distincts pour percevoir la spatialité d’un volume dans son ensemble ;
→ soutenir le cheminement de la pensée d’un étudiant vers la réflexion, ce moment où l’objet de recherche s’éclaire différemment : en invitant d’abord l’étudiant à profiter de la déflexion de sa pensée. C’est-à-dire lorsqu’elle ne s’oriente pas vers ce qu’il avait initialement souhaité. Ce phénomène a priori erratique est déroutant pour l’étudiant… mais peut aussi témoigner d’une distanciation pertinente vis-à-vis de sa perception originelle du champ d’étude.