Objectif Soins n° 238 du 01/09/2015

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Laisser les patients se rendre au bloc opératoire debout, en dehors d’un brancard, est une pratique presque surréaliste pour certains établissements. L’Institut mutualiste Montsouris l’a pourtant mise en place, pour améliorer la qualité des soins et réduire plusieurs contraintes.

Oubliez l’image classique du patient arrivant au bloc opératoire sur un brancard. Imaginez plutôt un futur opéré se rendant en salle d’opération sur ses deux jambes, s’installant lui-même sur la table devant l’équipe soignante. Surréaliste, n’est-ce pas ? C’est pourtant vers ce modèle que quelques centres hospitaliers ont basculé optant ainsi pour ce que l’on appelle la “technique du patient debout”. Oubliés les patients allongés, avec pour seule perspective les plafonds et lumières peu rassurantes menant au bloc, oubliées aussi les blouses ouvertes sur l’arrière qui mettaient mal à l’aise les patients en dévoilant une partie de leur intimité. À l’Institut mutualiste Monsouris (IMM), désormais, certains patients se rendent à pied, debout, au bloc opératoire : cela concerne environ 30 % des patients qui viennent pour y subir une opération, en ambulatoire. « C’est le cas pour les patients venus pour une intervention de chirurgie digestive ou gynécologique, mais cela exclut les patients soignés en ophtalmologie ou ceux subissant une endoscopie », détaille le Dr Olivier Untereiner, anesthésiste-réanimateur à l’IMM. Autrefois allongé et nu sous une blouse d’hôpital, le patient quitte désormais sa chambre vêtu de vêtements jetables, tenue complète - pantalon, blouse, charlotte et chaussons recouverts de sur-chaussures. S’il est valide et peut marcher, il se rend lui-même au bloc, guidé par le brancardier qui voit ainsi son travail simplifié. Si besoin, il est aussi là pour aider le patient : « L’idée est née du fait que les patients arrivent dans leur chambre d’hôpital debout, pourquoi ne pas compléter la démarche jusqu’au bloc ? », justifie le Dr Untereiner qui dit s’être inspiré d’autres modèles (lire l’encadré page ci-contre).

AUTONOMIE ET DIGNITÉ PRÉSERVÉES

Initiée en mars 2014, la démarche a commencé à être effective en octobre 2014 et sera déployé très prochainement à l’ensemble du bloc opératoire (automne 2015). Depuis qu’elle est en place, elle a été très bien accueillie par les patients, puisque 98 % d’entre eux, interrogés dans le cadre d’une enquête de satisfaction, ont déclaré trouver ce nouveau mode de transfert « tout à fait adapté » ou « plutôt adapté » et se déclarent très satisfaits : « Cette démarche permet de préserver l’autonomie et la dignité des patients, ils sont habillés, ne se baladent pas les fesses à l’air au sein de l’hôpital et ils restent debout le plus longtemps possible, résume le Dr Untereiner. Cela a pour effet de diminuer le stress lié à l’intervention, ce qui permet de gagner en qualité des soins. » Car, du fait de cette démarche, les patients ne sont plus prémédiqués avant une intervention : non seulement les patients sont plus sereins lorsqu’ils se rendent au bloc debout, de manière autonome, mais cela se ressent aussi chez les soignants. De toutes manières, aucune étude scientifique n’a montré le bien-fondé de la prémédication avant intervention, cette pratique se faisant surtout pour apaiser le patient avant son entrée au bloc, à une époque où les anesthésiants étaient différents ; désormais, c’est l’itinéraire debout qui fait office d’apaisement !

DÉMARCHE DE CHANGEMENT

Mais on ne change pas une organisation bien huilée avec patients conduits au bloc par brancard du jour au lendemain : si un problème de brancardage a fait germer l’idée du patient debout dans l’esprit de l’anesthésiste, c’est surtout sa réalisation en dehors des murs de l’hôpital qui a abouti à une réflexion plus large sur la question. Il a fallu changer les mentalités. Clairement, lorsque le patient est allongé, le relationnel n’est pas le même qu’avec un patient debout, et le personnel le ressent. La prise en charge est plus humanisée, on n’opère plus un foie ou une vésicule, on opère la vésicule d’un patient clairement identifié. « Il existe une espèce de pouvoir du soignant face à un patient allongé dans un brancard qui n’existe plus lorsque le patient arrive debout face aux soignants », témoigne le Dr Untereiner. D’ailleurs, l’idée n’a pas forcément été bien accueillie côté soignant au départ mais a fini par faire son chemin : dorénavant, le chirurgien qui opère est en face-à-face avec son patient avant la réalisation de l’acte, côte à côte dans une situation beaucoup moins anxiolytique pour le patient.

ORGANISATION

Pour la mise en place, une routine s’est installée en deux ou trois mois pour les équipes soignantes qui ont été sensibilisées par des réunions d’informations où tout le personnel a été intégré dans le processus. Le travail de chacun est ainsi facilité : moins de contraintes pour le brancardier, gain de temps pour l’équipe soignante qui peut enchaîner plus rapidement entre les interventions et accueil amélioré pour le patient, chacun y gagne.

Prochaine étape, la généralisation au bloc central, où les équipes soignantes vont devoir gérer plus de patients à l’heure (car le bloc est plus grand) et un va-et-vient plus important : les chirurgies digestives, urologiques cardiaques et gynécologiques du bloc central concernent en effet deux étages de l’établissement. Mais pour le Dr Untereiner, le plus dur était de trouver le moteur de la démarche : désormais, la machine est bien huilée ! Une organisation qui va faire des émules.

Des précurseurs modèles

L’IMM n’est pas le seul établissement de santé à avoir testé la technique du patient autonome pour l’entrée au bloc opératoire. Le Dr Untereiner explique s’être inspiré de structures l’ayant déjà testé avec succès, comme c’est le cas au Centre anticancer Léon-Bérard (Lyon), mais aussi dans le service de chirurgie digestive de l’hôpital Herriot (Lyon) ou encore au Centre anticancer Paoli-Calmettes (Marseille) qui ont initié la démarche depuis 2011. À Montsouris, sept mois de réunions et de travaux ont été nécessaires pour mettre en place cette nouvelle façon de travailler, transposée à l’ensemble du bloc opératoire central dès l’automne.

Enjeux qualité

Si les questions d’hygiène ont vite été réglées, c’est au niveau qualitéque se dessine, en filigrane, les apports de la démarche du patient debout. Dans la lignée du fast-track ou récupération rapide des patients après chirurgie (RRAC), le fait de laisser le patient debout le plus longtemps possible apporte également une récupération plus rapide de celui-ci. Par exemple, plus de prémédication (jugée inutile) donc un réveil d’autant plus rapide après l’opération, une confiance accrue du patient, moinsde stress et de douleurs post-opératoires.

Une démarche qui réduit donc le temps de passage du patient dans l’hôpital, les démarches invasives quand c’est possibleet donc les risques, notamment nosocomiaux. Selon un rapport* de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la RRAC, plus l’organisation des soins est centrée sur le patient et que celui-ci joue un rôle actif dans sa prise en charge, meilleure est la récupération. Néanmoins, son information et son adhésion sont indispensables au succès du protocole, tout comme dans la démarche du patient debout. Et la HAS d’ajouter que « la pratique d’un programme de réhabilitation rapide est multidisciplinaire et nécessite donc des efforts combinés de l’ensemble des équipes médicales ainsi qu’un environnement administratif et organisationnel favorables », le tout en étant protocolisé et coordonné par un référent. Une étude menée à l’hôpital Cochin en 2013 en chirurgie viscérale a montré que la chirurgie fast-track, qui se fonde sur une relation étroite entre le patient et son chirurgien, avait diminué la durée d’hospitalisation de plus de trois jours ! Un bénéfice non négligeable à prendre en considération en termes de santé publique et d’économie.

* Voir le rapport de la HAS, via ce lien raccourci bit.ly/1O2Zl8g