Objectif Soins n° 238 du 01/09/2015

 

Droit

Gilles Devers  

En règle générale, la responsabilité des établissements ou des professionnels de santé n’est engagée que si est apportée la preuve d’une faute par le patient. En matière d’infections nosocomiales, cette preuve est très difficile à apporter et la loi a créé un régime d’exception : une responsabilité sans faute, sur la simple preuve du lien de causalité. La loi fait peser sur l’établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes.

En matière d’infections nosocomiales, la disposition de référence est le I de l’article L. 1142-1 du Code de santé publique : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère. »

Pour l’établissement, la seule défense est de prouver l’existence d’une cause étrangère. Toutefois, s’agissant de la présomption, la jurisprudence précise que seule une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale.

Notion d’infection nosocomiale

Conseil d’Etat, 15 avril 2015, n° 367276

Les faits

Un patient a subi le 25 janvier 2002 une intervention chirurgicale dans un établissement public, consistant en la pose d’une prothèse totale de la hanche gauche.

A la suite de cette opération, il a ressenti des douleurs importantes dans la hanche, qui se sont révélées imputables à la présence d’un foyer infectieux, nécessitant cinq autres interventions chirurgicales et le remplacement de la prothèse. Le diagnostic de cette infection a été posé peu après l’intervention pratiquée le 25 janvier 2002, au vu de signes biologiques d’inflammation persistante, s’accompagnant de douleurs importantes, constatés le 5 puis le 22 février 2002.

L’analyse

Il n’était pas établi que le patient aurait été porteur d’un foyer infectieux avant l’intervention.

Ainsi, l’infection contractée était survenue au cours ou au décours de la prise en charge de l’intéressé et elle était soit présente, soit en incubation au début de celle-ci. De telle sorte, cette infection présentait un caractère nosocomial et, en l’absence de preuve d’une cause étrangère, elle engageait la responsabilité de l’établissement.

Preuve par faisceau d’indices

Conseil d’État, 11 février 2015, n° 368990

Les faits

Un patient a subi le 19 avril 2000 une opération destinée à mettre en place une prothèse intermédiaire de la hanche. Les suites opératoires ont été normales, mais il a éprouvé des douleurs persistantes qui ont conduit à réaliser le 13 octobre 2000 une scintigraphie osseuse qui a révélé une probable infection de la hanche. Des prélèvements effectués le 7 décembre 2000 ont mis en évidence une infection par un streptocoque B. Cette infection a nécessité plusieurs périodes d’hospitalisation ainsi que trois reprises chirurgicales.

L’analyse

Le patient n’était porteur d’aucune infection avant l’intervention chirurgicale du 19 juin 2000. Il avait subi en salle d’opération une dépilation comportant un risque d’infection. L’utilisation de Bétadine afin d’assurer l’asepsie de la peau n’était pas établie. Les premières douleurs avaient été éprouvées dans un délai correspondant à celui le plus souvent constaté pour les infections sur prothèse causées par un streptocoque?B. Ce faisceau d’éléments permet d’affirmer que le germe at été introduit dans l’organisme du patient lors de l’intervention du 19 juin 2000. La simple possibilité que l’infection ait présenté un caractère endogène suffit à engager de la responsabilité du service public hospitalier.

Infection survenue au cours des soins

CAA Douai, 23 juin 2015, n° 13DA00429

Les faits

Une enfant, âgée de 9 ans, a été admise dans un établissement public le 15 mai 2006 pour y subir une ablation de verrues sur les deux mains. L’enfant a été vue en consultation post-opératoire les 18, 24 et 31 mai 2006 sans que ces examens ne mettent en évidence une rupture tendineuse ou une infection caractérisée. En revanche, une complication infectieuse s’est déclarée au cours de la période du 31 mai au 5 juin 2006. Cette infection est survenue à la suite d’actes de soins sur les zones opératoires, notamment sur le 3e doigt gauche, après une électrocoagulation de la verrue à la base de l’ongle qui a entraîné une diffusion secondaire de l’infection au niveau du tendon, occasionnant une rupture de celui-ci, une ouverture articulaire puis une inflammation de cette articulation.

L’analyse

Le centre hospitalier n’apporte pas la preuve que cette infection aurait une cause étrangère aux actes de soins, et sa responsabilité est engagée à raison de l’infection nosocomiale contractée.

Cause extérieure ou facteur d’aggravation ?

CAA de Marseille, 4 juin 2015, n° 13MA01527

Les faits

Une enfant, âgée de 13 ans, souffrant d’une scoliose sévère, a bénéficié le 18 novembre 2008 d’une arthrodèse vertébrale dans le service de chirurgie orthopédique de l’hôpital d’enfants d’un CHU. Elle en est sortie le 26 novembre 2008. En raison de fortes douleurs et de fièvre, elle a été réhospitalisée dans ce service le 4 décembre 2008, pour être opérée le lendemain d’un hématome au niveau de la cicatrice et des prélèvements bactériologiques ont été réalisés. Elle est sortie de l’hôpital le 16, avec un traitement antibiotique. Le 22 décembre, ce service l’a informée que la culture du prélèvement per-opératoire avait mis en évidence un staphylocoque doré. En raison de douleurs, elle a été à nouveau opérée le 26 avril 2010 dans ce service pour ablation partielle du matériel d’arthrodèse vertébrale.

L’analyse

L’établissement soutenait que la jeune patiente souffrait à son admission d’un eczéma généralisé, qui serait favorable, avec le grattage par la patiente des vésicules, à la dissémination d’un staphylocoque et qui a justifié un traitement à base de corticoïdes à appliquer sur tout le corps pendant près d’un mois, ce traitement étant susceptible d’entraîner une immunodépression. En fait, les germes étaient localisés sur le site opératoire, et l’infection doit être considérée comme nosocomiale, car acquise en milieu hospitalier lors de sa première opération du 18 novembre 2008. Ce sont les soins dispensés au centre hospitalier qui ont permis la dissémination des germes dans l’organisme, et l’élément apporté par l’établissement ne prouve pas une cause extérieure. Dès lors, il est établi que l’enfant avait contracté une infection nosocomiale.

L’infection nosocomiale a entraîné la perte d’une chance d’éviter les complications décrites. L’enfant présentait un bon état général et cette infection a joué un rôle favorisant dans l’apparition de ces complications ; aussi, la perte de chance doit être fixée à 80 % du préjudice.

Information sur le risque infectieux

CA Paris, pôle 2 - chambre 2, 6 mars 2015, n° 10/10627

Les faits

Le 3 août 2003, la passagère du véhicule conduit par sa fille a été victime d’un accident de la circulation, le véhicule ayant heurté une glissière de sécurité. Elle a gardé des séquelles, notamment à l’épaule droite. En raison de la persistance des douleurs et de l’inefficacité du traitement orthopédique par immobilisation du membre, un chirurgien orthopédiste, le 31 octobre 2003, a posé le diagnostic de luxation acromio-claviculaire et procédé à une ligamentoplastie coraco-claviculaire avec mise en place d’un ligament synthétique le 5 novembre 2003.

Elle a été à nouveau hospitalisée en février 2004 à la suite d’une inflammation de sa cicatrice puis opérée le 12 octobre 2004 et le 7 octobre 2005 par un autre praticien, pour finalement retirer le ligament synthétique.

L’analyse

L’expertise a mis en lumière une infection du site opératoire par staphylocoque à coagulase négative à partir de la flore cutanée résiduelle, ce germe se développant sur le matériel étranger, en l’espèce le ligament synthétique, soit lors du séjour à la clinique, soit lors l’intervention du 5 novembre 2003. La qualification d’infection nosocomiale n’est pas contestable. De telle sorte, est retenue la responsabilité de plein droit de l’établissement de soins.

La patiente reproche au chirurgien de ne pas l’avoir informée du risque d’infection nosocomiale et soutient qu’informée d’un tel risque, elle aurait refusé l’intervention et privilégié un traitement externe qui demeurait possible.

Force est de constater que le chirurgien ne démontre pas avoir rempli le devoir d’information qui lui incombe, et la faute est établie. Mais la patiente, qui était demanderesse à l’intervention compte tenu de l’échec patent des autres alternatives comme l’ont noté les experts, n’aurait pas renoncé à celle-ci, même dûment informée du risque d’infection nosocomiale inhérent à toute intervention de ce type. En conséquence, elle doit être déboutée de l’ensemble de ses demandes à l’encontre du chirurgien.

Cause extérieure,mais faute dans le traitement de l’infection

CAA Douai, 14 avril 2015, n° 13DA01910

Les faits

Une femme, enceinte de son cinquième enfant, a dû subir, en urgence, une césarienne le 25 octobre 2009. Son enfant est décédé quatre jours plus tard, du fait d’un choc septique engendré par la présence d’une infection à germe Enterobacter Aerogenes.

Les résultats des prélèvements vaginaux réalisés sur la parturiente le 30 septembre 2009 ont mis en évidence la présence du germe précité sur la mère. Des prélèvements réalisés sur l’enfant après sa naissance ainsi qu’un examen bactériologique de ses urines, dont les résultats seront connus respectivement le 28 octobre 2009 à 16 h 15 et le 31 octobre 2009 à 10 h 09, ont révélé que le nouveau-né était également porteur de ce germe à la suite d’une infection materno-fœtale.

L’analyse

La cause extérieure est ainsi prouvée, et il ne s’agit pas d’une infection nosocomiale

Ce n’est que dans la matinée du 1er novembre 2009, au vu d’une dégradation clinique du nouveau-né dans un contexte de choc septique sévère, que sera mis en œuvre le début d’un traitement antibiotique alors que le recours à une antibiothérapie s’avérait nécessaire au plus tard dès le 31 octobre 2009 au matin. Dès lors, le retard dans la prise en charge thérapeutique est constitutif d’une faute médicale de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Laennec de Creil.

Il n’est pas pour autant établi avec certitude qu’un traitement plus précoce de l’infection dont était atteint le nouveau-né, qui présentait également des épisodes de bradycardie ainsi qu’une détresse respiratoire en relation avec une maladie des membranes hyalines liée à sa prématurité, aurait permis une évolution favorable de son état de santé. Dans ces conditions, la perte de chance d’éviter le décès de l’enfant doit être fixée à 80 %.