Objectif Soins n° 238 du 01/09/2015

 

Recherche Formation

Pascal Hess  

La vision que nous avons sur la pédagogie a changé. Aujourd’hui, l’important se situe dans le champ de ce que les étudiants apprennent. Changement de paradigme qui impose aux cadres formateurs de construire des dispositifs de formation adaptés. Ils devront placer l’apprenant au centre de ces dispositifs et permettre le développement de son autonomie, de sa motivation, de sa réflexivité et son désir d’apprendre, tout en identifant sa manière d’apprendre : donner aux étudiants le goût d’apprendre.

« La créativité touche toutes les professions, même là où on ne l’attend pas forcément. Mais cette créativité ordinaire est souvent ignorée et cachée. »(1) Ainsi, le formateur se doit d’être en mesure d’aider et de favoriser les processus créatifs, dans le processus d’apprentissage des étudiants. Les situations rencontrées par l’étudiant ne sont pas figées à l’avance et nécessitent une réflexion à chaque fois renouvelée. L’approche créative permet dans la recherche et la mise en place de solutions d’accroître la performance(2) et la qualité dans les travaux en groupes restreints(3) ainsi que dans les soins prodigués au patient au quotidien. Rendre accessible à l’apprentissage les savoirs se réalise en dispensant des cours magistraux, en proposant des travaux de groupe plaçant ainsi les étudiants comme “apprenants actifs” ou en renforçant la motivation nécessaire à toute démarche d’apprentissage, et également en donnant aux étudiants le goût d’apprendre.

CONCEPT DE CRÉATIVITÉ

« Toute organisation a pour but de programmer, de coordonner et de standardiser les activités de travail, et sa mise en œuvre consiste donc en une réduction des incertitudes du processus de production. À l’inverse, l’innovation a pour but de transformer les relations entre les différents éléments du processus de production. Sa réalisation repose sur une capacité de réaction, de créativité. »(4) Le concept de créativité peut être mobilisé au quotidien dans de nombreuses professions ou activités. Il est certes difficile à évaluer car la créativité ne s’enseigne pas, elle résulte de la mobilisation combinée de tous les savoirs qu’une personne met au service de l’acte créatif, lui permettant ainsi d’innover dans un domaine ou un autre. Nous nous rapprochons ainsi de la définition de la compétence. L’acte créatif serait-il au final une compétence en lui-même ou un attribut d’un certain niveau de compétence ?

La créativité est une pédagogie du risque et de l’incertitude. Cette prise de risque pour le formateur et pour l’étudiant amène ceux-ci à s’ouvrir au jamais vu, à l’inconnu. C’est une pédagogie qui s’invente et se réinvente et qui aurait, à travers la déstabilisation cognitive qu’elle entraîne, la capacité de produire du savoir nouveau. Former les étudiants en intégrant le concept de créativité devient alors essentiel. S’engager dans ce type de processus créatif implique de pénétrer une zone d’incertitude, à prendre des risques et ainsi à devoir accepter le fait que l’on puisse se tromper.

« Nous sommes passés d’une ère industrielle à une époque de créativité. Notre société est présentement confrontée à des défis de taille qui nécessitent des solutions inédites. D’ailleurs les employeurs recherchent les candidats les plus créatifs… dans ce contexte, il est primordial d’aider nos étudiants à comprendre ce qu’est la créativité et à la mettre en œuvre efficacement. »(5) Parler de créativité dans la profession d’infirmier, face à ce personnel qui évolue dans des milieux de soins hypertechnicisés, peut sembler anachronique. Pourtant, il y a tous ces moments où le personnel soignant se demande ce qu’il pourrait faire au-delà de la thérapeutique courante pour venir en aide et apporter soutien et soulagement aux personnes soignées(6).

CRÉATIVITÉ ET ENSEIGNEMENT

Définitions

La créativité est un processus permettant à un individu la production de quelque chose de nouveau dans un contexte donné, porteur de sens pour lui-même ou à visée d’autrui. Elle peut être un moyen de communication entre les individus. Fruit d’un processus intellectuel, elle est génératrice d’échanges et participe à la mobilisation, à la production et au transfert de savoirs.

Suzanne Fileteau(5) définit la créativité comme étant la combinaison d’une personne, d’un processus, d’un produit, qui s’exerce selon une période de temps déterminée dans une place, c’est-à-dire un environnement dans lequel l’individu créatif évolue. D’après ce même auteur, un produit créatif comporte les caractéristiques suivantes : nouveauté, originalité, utile ou fonctionnel et adapté au contexte. Il avance que l’exercice de la créativité suppose une interaction entre les habiletés cognitives (intelligence, expertise, mémoire, métacognition), affectives (émotions, sentiments, sensibilité), conatives (motivations intrinsèque et extrinsèque) et sensorielles (vue, ouïe, odorat, toucher, goût) de l’individu, et que cette interaction fait en sorte qu’il développe une personnalité plus créative que celle d’un autre. Selon Rouquette(7), « chaque personne présente un profil particulier sur ces différents facteurs ». Il peut ainsi s’opérer dans le processus créatif une compensation entre ces différentes habiletés.

Le concept de créativité, difficile à définir, est souvent présenté comme un processus, un produit ou comme un ensemble de trait et de personnalité. Lubar(8) propose la définition consensuelle suivante : « La créativité est la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée au contexte dans lequel elle se manifeste. Cette production peut être, par exemple, une idée, une composition musicale, une histoire ou encore un message publicitaire. Par définition, une production nouvelle est originale et imprévue : elle se distingue de ce que le sujet ou d’autres personnes ont déjà réalisé. Elle peut être différente à différents niveaux. D’autre part, une production créative ne peut être simplement une réponse nouvelle. Elle doit également être adaptée, soit qu’elle doit satisfaire à différentes contraintes liées aux situations spécifiques des personnes. »(8)

Selon Maslow(9), tout individu possède un potentiel créatif dès la naissance. Il est possible de stimuler cette créativité. Permettre à un individu de faire preuve de créativité et ainsi réaliser son potentiel est un fort vecteur motivationnel(9). Guilford(10) suggère que la créativité requiert un certain nombre de capacités intellectuelles (facilité pour l’identification des problèmes), de capacité d’analyse, d’évaluation, de synthèse et de flexibilité de la pensée(10).

Le sujet créatif met en avant des idées ou des associations permettant d’apporter des réponses originales à un problème donné en montrant ses capacités à reconnaître et analyser ce dernier en distinguant ses différentes données et composantes.

Didier Anzieu(11) définit la créativité comme « un ensemble de prédispositions de caractère (notion d’aptitude) qui peuvent se cultiver (thème de la pédagogie) et se trouve sinon chez tous du moins chez beaucoup », et la création comme étant « l’invention ou la composition d’une œuvre répondant à deux critères : apporter du nouveau et en voir la valeur reconnue par un public »(11). Il permet ainsi de distinguer ces deux concepts l’un de l’autre en plaçant la créativité au sens d’aptitude (imaginaire) et la création au sens de production.

L’intelligence collective

Les objectifs et les contenus d’enseignement sont régis par un référentiel dans lequel l’innnovation, la créativité pourraient trouver leur place. Mais certains freins peuvent aussi se dresser, « l’innovation est fréquemment vécue comme une perturbation de l’ordre social »(7). Et pourtant, le développement de la créativité dans les instituts de formation en soins infirmiers permet aux étudiants d’imaginer, face à un problème posé, une multitude de solutions. Pour cela, il est nécessaire d’associer la motivation des étudiants à un environnement qui soit propice à l’innovation et à la création. Cette créativité met en jeu l’imagination et la réflexion des étudiants. C’est un élément central de nombreuses dynamiques (individuelle, collective, théorique, pratique) qui participe à travers le conflit sociocognitif à la prise de décision. Elle aide également à l’harmonisation des groupes de travail, dans le sens où, par la division du travail, par la répartition des rôles et de la nécessité de surmonter les tensions et les contradictions, elle crée une cohérence intergénérationnelle (jeune étudiante, ancien professionnel aide-soignant) propice à l’apprentissage. « La connaissance cesse de se reproduire et de se conforter pour se contredire et se dépasser. »(7) Les étudiants, en confrontant leurs connaissances, leurs points de vue, leurs références et leurs représentations, en prenant en compte et en négociant les divergences qui apparaissent au sein du groupe, s’enrichissent mutuellement et entrent à travers l’élaboration de ce produit créatif dans une dynamique propice à l’apprentissage. La mobilisation de cette intelligence collective favorise l’acte créatif.

Développer ses capacités créatives

La combinaison des enseignements dispensés en Ifsi, des connaissances, des expériences antérieures et des temps au cours desquels l’étudiant peut être amené à créer, participe au développement des ses capacités créatives. Valoriser ces démarches et les travaux des étudiants contribue à l’émergence d’idées nouvelles et de processus créatif, source d’innovation. Innover de façon créative valorise et motive les étudiants et est source d’apprentissage. La créativité peut alors être considérée comme un outil de la compétence, un attribut non conjonctif de ce concept. En même temps, l’étudiant mobilise ses compétences dans le processus créatif. La créativité permet ainsi le développement de la compétence qui sera elle-même une ressource mobilisée dans le processus créatif.

Identifier et évaluer la créativité

Il n’est pas facile de mesurer, d’évaluer le potentiel créatif d’un apprenant. Il est nécessaire d’identifier, d’une part, comment ce dernier organise ses idées et, d’autre part, comment il arrive en utilisant des méthodes nouvelles et innovantes à les partager pour impacter son environnement. C’est tout cela qui participe à l’évaluation de ce processus créatif. Ces capacités d’innovation et de création existent en chacun de nous, mais la créativité n’est pas qu’individuelle, elle est aussi issue des interactions sociales, du partage des domaines de connaissances et de compétences. Cette mutualisation de connaissances, d’idées, de facteurs motivationnels apporte une valeur ajoutée indéniable au processus créatif et participe au processus “apprendre”, à l’intelligence collective. Le concept de créativité relève d’une méthode pédagogique active permettant un engagement personnel et motivationnel des étudiants qui mettent en pratique et développent leurs connaissances à travers leur propre activité tout en augmentant leur degré d’autonomie. Cette méthode favorise le travail co-élaboratif et cognitif entre pairs. La créativité nécessite intelligence, motivation et confiance en soi, l’étudiant doit ainsi accepter de partir de là où il est et ne pas avoir peur de se laisser surprendre. Cette pédagogie non directive est centrée sur l’étudiant, le formateur étant organisateur de l’activité, accompagnateur et facilitateur. Les étudiants, en se positionnant dans leurs échanges d’idées et de points de vue, favorisent cette co-création dans leur confrontation au problème. Le produit de ces interactions vise à atteindre l’objectif pédagogique posé par le formateur qui aura ainsi favorisé le processus d’apprentissage et le développement des compétences.

CONCLUSION

« La créativité est une innovation dans la mesure où elle permet de connecter des choses qui n’étaient pas jusque là connectées entre elles. L’éducation doit donc encourager les élèves à faire des connections qui ne sont pas habituelles dans les savoirs existants. »(12) L’innovation est une compétence attendue par les formateurs. Ils vont favoriser, à travers le développement et la mise en place de nouvelles méthodes, l’apprentissage créatif source de renforcement des savoirs et de l’articulation entre ces derniers. La réforme engagée depuis 2009, faisant passer la formation infirmière d’une logique de qualification à une logique de compétence, peut servir de levier de changement pour répondre aux besoins à venir. Pour cela, l’ingénierie créative mérite d’être développée dans les programmes de formation en soins infirmiers.

Les évaluations traditionnelles portent généralement sur les acquisitions cognitives des étudiants et ne prennent que très peu en compte les résultats en termes de socialisation (identification du processus qui a permis la réflexion collective et le développement de la critique constructive dans l’objectif d’une prise de décision commune) qui pourraient ne produire leurs effets qu’ultérieurement.

Il serait intéressant d’analyser les répercussions liées à l’utilisation de méthodes pédagogiques créatives sur l’apprentissage et le développement de compétences des étudiants au sein des Ifsi, et à moyen terme sur les compétences professionnelles des infirmières dans leur environnement de travail (niveau micro). De même, identifier si l’intégration de ces méthodes pédagogiques créatives a une influence sur le choix d’école fait par les futurs étudiants en soins infirmiers (niveau méso) pourrait être (dans un contexte concurrentiel fort) un puissant facteur qui permettrait d’impliquer davantage les formateurs dans ce type d’approche pédagogique.

NOTES

(1) Weinberg, Achille. 2010. Travail : la créativité cachée. Sciences Humaines. 2010.

(2) On entend par performance la pertinence de la démarche au regard des objectifs et des moyens mis en place, de l’efficacité en mettant en parallèle le résultat et les objectifs initialement fixés.

(3) Dans les groupes restreints, la mobilisation de la créativité est à la fois individuelle et collective.

(4) Dedieu, Elisabeth. 2000. La créativité dans la réalité professionnelle… Le désir de créer et le plaisir de faire. Recherche en soins infirmiers. Mars 2000.

(5) Filteau, Suzanne. 2012. La créativité sous toutes ses coutures. Pédagogie collégiale. 2012.

(6) Phaneuf, Margot. La créativité au service de l’infirmière. infiressources. [En ligne] [Citation : Septembre 2012.] Hyperlink www.infiressources.ca.

(7) Rouquette, Michel-Louis. 2007. La créativité. Paris : Presses Universitaires de France, 2007.

(8) Gintz, Claire-Ange. 2012. Créativité in Formarier Monique, Jovic Ljiljana. Les concepts en sciences infirmières. Lyon : Mallet Conseil, 2012.

(9) Pervin, Lauwrence et John, Olivier. 2004. La personnalité. De la théorie à la recherche. s.l. : De Boeck, 2004. p. 181.

(10) Borst, Grégoire, Dubois, Amandine et Lubart, Todd. Structures et mécanismes cérébraux sous tendant la créativité : une revue de la littérature. [En ligne] [Citation : Lundi Mars2013.] Lien raccourci : petitlien.fr/8f59.

(11) Aznar, Guy. 2006. Le processus créateur. [En ligne] 2006. [Citation : Mars 2013.] Lien raccourci : petitlien.fr/8f5a

(12) Rey, Olivier et Feyfant, Annie. Vers une éducation plus innovante et créative. [En ligne] [Citation : novembre 2012.] Lien raccourci : petitlien.fr/8f5b.