Objectif Soins n° 238 du 01/09/2015

 

Promotion de la santé

Laurent Four  

Du robot “compagnon personnel de soin” qui réaffirme nos valeurs aux peluches de soin connectées en passantpar les objets qui mesurent déjà (et à quel prix) nos données de santé, la réflexion soignante autour du quantified self ne fait que commencer. Au point que même les plus grands studios américains commencent à raconter son histoire.

En février dernier, les Studios Disney presentaient en France Les Nouveaux Héros (Big Hero 6 en version originale), un film d’animation.

Ici, Hiro Hamada, jeune génie de la robotique, retrouve dans les affaires de son grand frère Tadashi, récemment décédé, un robot “assistant médical personnalisé” dénommé Baymax. Pour se désactiver, il a besoin d’entendre de la part de son patient la phrase : « Je suis satisfait de mes soins. »

L’occasion est assez rare de pouvoir se pencher sur un personnage d’animation, censé porter les valeurs et les caractéristiques de la profession, qui plus est au sein d’un robot.

Si l’on se détache quelques instants de la figure anthropomorphique que nous proposent les équipes de Disney et celles de Marvel(1) pour s’attarder sur la fonction réelle de Baymax, on peut considérer qu’il est à la fois un infirmier robotique, un outil de soin et qu’il est la version figurée de tous les objets de quantified self (lire l’encadré p. 46).

L’INFIRMIER ROBOTIQUE CROQUÉ

Baymax(2), « protagoniste tout en rondeur et en empathie - dont la vocation est de soulager douleurs et souffrances », « soigne et prend soin des autres ». C’est sa fonction. L’appellation officielle de ce robot en partie gonflable est “compagnon personnel de soins”.

Il est d’ailleurs amusant de relever que Tadashi a choisi pour Baymax une forme rebondie et qu’il a « opté pour une matière douce, un truc plutôt rassurant ». Pour son jeune frère, ce “compagnon” ressemble à « une énorme guimauve ambulante ». Le mythe de l’infirmière en prend un sacré coup ! Devant l’émerveillement de son jeune frère, Tadashi confirme que la programmation de Baymax contient plus de 10 000 procédures médicales à l’intérieur d’un processeur de couleur verte au nom de son inventeur, Tadashi Hamada. Un processeur garant de la bonne marche du robot, autant sur le plan technique que sur le plan moral.

L’essentiel d’un infirmier robotique serait donc une somme de compétences médicales (on comprendra ici le choix des auteurs de ne pas parler de “paramédicales”, la distinction pour le grand public étant difficile à faire). Ces procédures ne peuvent fonctionner sans une supervision éthique, dans le sens de la poursuite, dans une relation avec le patient, de la finalité d’une action de soin. Que cette dimension soit au cœur de la représentation que s’en font des spécialistes de la caractérisation de personnages comme les Studios Disney est assez valorisante.

C’est d’ailleurs l’une des leçons que le jeune Hiro retiendra dans ce film d’animation. Lorsqu’il échange le processeur programmé par son frère, Baymax se transforme en arme de vengeance incontrôlable.

Il faut toute la dextérité du personnage de Honey Lemon pour remettre la carte dans la trappe, quitte à laisser échapper le méchant de l’histoire. Baymax dit alors : « Mon protocole de soin a été alteré. Je regrette toute la souffrance que j’ai pu causer. »

LE ROBOT, OUTIL DE SOIN

Dans notre réalité, certains patients sont déjà satisfaits de leurs soins prodigués par de vrais robots à l’intelligence artificielle dédiée au soin.

Au Japon

Robear est un robot à tête d’ours présenté dans les colonnes du journal La Tribune(3). Ce robot a été conçu pour soulager les aides-soignants au Japon. Il soulève avec beaucoup de soin les personnes dépendantes.

Ce robot devra attendre de passer tous les tests d’aptitude avant d’être mis en place dans les hôpitaux nippons.

De nombreux autres robots offrent des possibilités troublantes. C’est le cas de Nao, un petit robot de 58 cm pour 5,4 kg developpé par une start-up française pour un géant des télécoms japonais.

En France

D’après un article publié sur le site de Le Monde(4), l’interaction de Nao avec des enfants autistes « impressionne » Estelle Malher, présidente de la délégation d’Autistes Sans Frontières de Vendée qui a mis en place son expérimentation dans un centre ouvert, à Saint-Vincent-sur-Jard. Lors de la visite de la journaliste, le robot avait non seulement captivé l’attention d’un petit garçon atteint d’un syndrome d’Asperger, mais l’équipe avait également pu constater de rééls progrès dans la logorrhée habituelle de l’enfant.

Pour Estelle Mahler, cet outil pédagogique ne peut remplacer un éducateur, mais les possibilités qu’il offre en matière d’interaction avec les enfants sont indéniables. Sa forme humanoïde et la qualité de son intelligence artificielle y sont pour beaucoup, dépassant largement les possibilités des tablettes tactiles.

Aux Pays-Bas

Ici, Nao a bénéficié de la solution logicielle de Zora Robotics - QBMT(5) pour intégrer le petit robot dans un service pédiatrique de réhabilitation comme celui de l’hôpital universitaire de Gand, en Belgique. Dans ce centre hospitalier universitaire, Nao est capable de montrer aux enfants les mouvements à effectuer. Dans les maisons de retraite, il sert d’animateur, comme le détaille la plaquette de présentation.

L’EXEMPLE DE PARO

La peluche Paro(6) est un robot socio-pédagogique en forme de bébé phoque capable de simuler des émotions.

Il est principalement destiné à interagir positivement avec les personnes âgées (lire l’encadré sur la page ci-contre). Paro est maintenant aussi utilisé au centre hospitalier universitaire de Nîmes, à l’Ehpad Beauvoisin, afin de soulager des patients atteints de troubles du comportement ou de la communication.

Un réel intérêt

Plusieurs études pilotes ont été conduites sur des échantillons réduits pour en valider l’intérêt. Une des premières, « explorer l’effet des robots de compagnie sur l’expression émotionnelle chez les personnes âgées atteintes de démence : un pilote essai controlé randomisé »(7), avait été menée par Moyel W., Cooke M. et al. du Centre de l’innovation des pratiques en santé de Queensland en Australie.

Une étude croisée randomisée a été menée dans un établissement de long séjour auprès d’un échantillon de dix-huit personnes âgées atteintes de démence(8) réparties en deux groupes.

L’un, utilisateur de Paro, l’autre, en groupe de contrôle. Cette étude avait permis de démontrer, au travers des résultats de plusieurs échelles, qu’une amélioration significative de l’humeur et une baisse de l’anxiété avaient été observées chez les résidents qui avaient interagi avec la peluche.

Parmi les outils d’évaluation choisis, figuraient l’échelle Quality of life-AD(9) qui mesure la qualité de vie chez les patients Alzheimer, des échelles d’anxiété, d’apathie et de dépression, ainsi qu’une évaluation de l’humeur. Un article de recherche(10) écrit en France conjointement par des psychologues du pôle gériatrie de l’hôpital Broca de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et par des ingénieurs de l’université Paris-Descartes montre aussi tout l’intérêt de Paro.

L’ouvrage Robots émotionnels pour les personnes souffrant de maladie d’Alzheimer en institution(11) s’est attardé sur les « indications, les limites et les aspects éthiques » dans l’utilisation de ces nouveaux robots compagnons « au sein d’une prise en charge globale des personnes atteintes d’une démence ».

Cette revue de littérature met en évidence l’intérêt de l’utilisation de Paro dans une prise en charge multimodale de la démence, qui prend en compte par la même interaction les dimensions à la fois cognitives, psychologiques et sociales. Les auteurs concèdent que nous n’en sommes qu’au début de la recherche et qu’il faudrait étendre l’échantillon et la durée des interventions pour recueillir davantage de données sur le sujet.

Questionner l’éthique

Sur le plan éthique, les chercheurs se sont basés sur les travaux de Sharkey et Sharkey(12) pour questionner la possible « infantilisation des personnes souffrant de troubles cognitifs ». Par ailleurs, il est primordial que la personne présentant ces troubles ait conscience de son interaction avec une machine, fut-elle dotée d’une intelligence artificielle extrêmement développée(13).

L’OBJET CONNECTÉ DE SOIN

Du robot/peluche outil de soin à l’objet connecté, il n’y a qu’un pas.

Entre recherche, données et soins

Et ce pas a été franchi depuis quelques années avec l’arrivée de la montre connectée et de ses applications santé, censées d’une part nous rendre encore plus acteurs de notre santé par ces outils d’automesure et d’autre part de nous faire participer activement à la recherche.

HealthKit (Apple), par exemple, permettra à chacun de suivre pas à pas l’évolution de son rythme cardiaque, de rentrer ses mesures de glycémies capillaires et de compléter un profil complet de ses pathologies et ses symptômes pour s’autosurveiller. Pas sûr que nous ne devenions pas addicts de l’automesure et de la médiatisation de celle-ci.

Limites

De plus, les utilisateurs de HealthKit pourraient bientôt autoriser des hôpitaux à participer à des études sur leur pathologie via des applications développées sur la plateforme ResearchKit.

Une somme de données de santé très sensibles qui attirent ainsi toutes les convoitises. Affaire à suivre. Éducation thérapeutique, surveillance de maladies chroniques, perte de poids, rythme cardiaque…

Les objets connectés intègrent nos quotidiens, laissant aux concepteurs une potentielle mainmise sur des données privées desquelles ils pourraient tirer un profit. Une menace au cœur des réflexions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui a consacré au quantified self son deuxième Cahiers IP(14) (Innovation et prospective).

RÉFLEXIONS

Dans sa dualité d’objet connecté capable d’analyser des fonctions vitales et de robot infirmier pouvant prodiguer des soins, le personnage de Baymax préfigure peut-être à sa manière toute la réflexion que nous devrons avoir autour de la santé connectée, en relisant éventuellement la thèse que Caroline Zorn-Macrez consacre aux Données de santé et secret partagé dans laquelle elle milite pour le « droit constitutionnel de la personne à la protection de ses données de santé partagées » et défend l’idée d’une « prérogative individuelle rendant acteur le titulaire de ce “droit à” (…) l’éducation thérapeutique (allant) dans le sens de faire du citoyen un “homo numericus”, libre et éclairé, protecteur de ses propres données »(15).

NOTES

(1) Baymax a débuté ses aventures dans un comics de l’univers Marvel en 1999. Source : fr.wikipedia.org/wiki/Big_Hero_6

(2) Source Disney via ce lien raccourci petitlien.fr/87jr

(3) Boulay J. “Robear, la future mascotte des hôpitaux japonais ” La Tribune (24 février 2015), article disponible via ce lien raccourci : petitlien.fr/87nr, consulté le 15 mars 2015.

(4) Krémer P. “Le visage humain des robots”, Le Monde (6 décembre 2014), article disponible via ce lien raccourci : petitlien.fr/87nt, consulté le 15 mars 2015.

(5) Source : www.zorarobot.be/?lg=fr

(6) Paro a son propre site disponible sur : www.phoque-paro.fr

(7) Moyle W., Cooke M. et al. “Exploring the effect of companion robots on emotional expression in older adults with dementia : a pilot randomized controlled trial” (mai 2013), disponible via ce lien raccourci petitlien.fr/87nu, consulté le 6 avril 2015.

(8) Rivière J.-P. Vidal.fr (22 août 2013). Article disponible disponible via ce lien raccourci petitlien.fr/87nv, consulté le 15 mars 2015.

(9) Logsdon R., “Quality of life-AD Measure University of Washington” (1996) disponible via ce lien raccourci petitlien.fr/87nw, consulté le 6 avril 2015.

(10) Source : www.phoque-paro.fr/phoque-paro-2/etudes-cliniques/

(11) Wu Y-H, et al. “Robots émotionnels pour les personnes souffrant de maladie d’Alzheimer en institution”. Neurol psychiatr geriatr (2014), via ce lien raccourci : petitlien.fr/87nx

(12) Sharkey A, Sharkey N. “Granny and the robots: ethical issues in robot care for the elderly”. Ethics Inf Technol 2012;14:27-40.

(13) Sparrow R, Sparrow L. “In the hands of machines ? The future of aged care”. Minds Mach 2006;16:141-61.

(14) Quantified self : la Cnil publie le résultat de ses travaux (12 juin 2014), disponible via ce lien raccourci : petitlien.fr/87ny, consulté le 6 avril 2015.

(15) Zorn-Macrez C., Données de santé et secret partagé, Collection “Sante, qualité de vie, handicap”, Presses universitaires de Nancy, (2010) n° 544 et 545 - p. 437 et 439.

PARO, L’ÉTUDE PILOTE MENÉE À L’INSTITUT CURIE À PARIS

Une étude pilote, menée en 2014, la nuit, dans le domaine de l’oncogériatrie à l’Institut Curie, a consisté à évaluer la présentation à des patients âgés du robot thérapeutique émotionnel Paro, un phoque en peluche doté d’électronique permettant d’interagir avec eux pour réduire leur anxiété. Les résultats prometteurs ont débouché sur l’achat d’un robot financé par la Ligue de lutte contre le cancer.

• QUELS SONT LES BÉNÉFICES TIRER DE CET OUTIL INNOVANT ?

- En premier lieu, il est une opportunité pour l’amélioration de la qualité des soins proposés aux patients. Il permet de limiter le recours aux médicaments psychotropes, d’améliorer le vécu de l’hospitalisation et de faciliter la communication avec les soignants.

- Pour les infirmiers (ières), Il permet un gain d’efficacité en optimisant la gestion du temps - problème récurrent dans l’organisation des prises en charge - et en les secondant auprès des malades. En suscitant des émotions positives comme la curiosité, la tendresse, il apaise les angoisses, l’agressivité et diminue les appels répétitifs. Il aide aussi à établir une meilleure relation soignant/soigné.

- Il a également permis de fédérer l’équipe soignante autour d’un projet qui valorise son autonomie et son esprit d’initiative et l’implique avec motivation dans la recherche en soins. Son utilisation a aussi renouvelé la réflexion soignante sur la spécificité des soins aux personnes âgées.

• UNE NOUVELLE PRATIQUE ENCADRÉE

Au final, si Paro n’est pas une solution miracle à tous les problèmes du soignant, il est quand même un outil de plus à sa disposition et une aide à ne pas négliger pour l’amélioration des prises en charge. Mais il ne s’agit pas avec cette robothérapie de remplacer l’infirmier ou l’aide-soignant auprès du patient et, dans cette optique, il est aussi nécessaire d’accompagner cette nouvelle pratique d’une réflexion éthique. C’est ce que promeut l’équipe d’encadrement.

Laurence Vercruysse, cadre de santé, département de nuit, Institut Curie

QU’EST-CE QUE LE QUANTIFIED SELF ?

« Le quantified self ou le “soi quantifié” renvoie à un ensemble de pratiques variées qui ont toutes pour point commun de mesurer et de comparer avec d’autres personnes des variables relatives à son mode de vie : nutrition, activités physiques, poids, sommeil… »

Définition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), 28 mai 2014. Source sur le site via ce lien raccourci : petitlien.fr/87np