La nécessité d’améliorer la prise en charge des patients chroniques a fait émerger de nouveaux métiers infirmiers. Pourtant promises à un nouvel avenir professionnel, les infirmières de pratique avancée (IPA) diplômées patinent depuis plusieurs années, faute d’un cadre légal et par conséquent de cadre d’emploi. La future loi de santé pourrait donner corps à ce rôle infirmier mais la prudence reste de mise.
Ni “cadre spécialisé”, ni “super infirmière” et encore moins “petit médecin”, comme on les surnomme parfois, les infirmières de pratique avancée ont beaucoup de mal à trouver leurs marques dans l’organisation des soins en France, alors que, dans les pays anglo-saxons, elles ont acquis leurs lettres de noblesse et leur autonomie depuis plus de cinquante ans… Pourtant, la nécessaire évolution de la profession infirmière est régulièrement mise en avant dans les rapports sur les professions de santé. Citons, par exemple, en 2011, le rapport Hénart-Berland-Cadet portant sur les métiers de niveau intermédiaire
« On ne veut pas remplacer les médecins. Ce qu’on veut, c’est du renforcement. On veut une profession infirmière qui va monter en compétences et qui, selon le principe de subsidiarité, va accomplir des tâches qui ne peuvent être assurées par le niveau juste en dessous. La pratique avancée est une nouvelle opportunité de carrière pour les infirmières. Elle l’est aussi pour les médecins qui pourront se recentrer sur les tâches médicales plus importantes. Elle l’est enfin pour les patients qui auront à leurs côtés des soignants totalement dédiés et à l’écoute de leur besoins et demandes. Le rôle de l’IPA est, effet, de faciliter et de fluidifier la prise en charge des patients et de sécuriser les pratiques infirmières », détaille Florence Ambrosino, IPA et co-animatrice du Réseau de pratique avancée en soins infirmiers (GIC-Repasi)
« Je me demande si on a vraiment envie qu’une expertise infirmière se développe et d’une montée en charge de leurs compétences », s’interroge Fabien Linsolas. Et d’insister amèrement : « La profession infirmière a été créée pour accomplir des tâches d’exécutantes et je suis ne pas convaincu que ça change ni même qu’existe une volonté pour cela. » IPA, titulaire d’un master en cancérologie en 2011, l’infirmier peine depuis à trouver un poste à la mesure de ses nouvelles compétences. Depuis quelques mois, il travaille à mi-temps au sein d’un service d’oncologie à l’hôpital de La Timone (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille), où il assure le suivi de patients bénéficiant d’une thérapie orale et où il a également une activité de recherche. Par ailleurs, il est régulièrement sollicité pour donner des cours, en première année de master. Mais pour joindre les deux bouts, l’infirmier consacre une partie de son temps à l’exercice libéral. « La plupart des IPA que je connais ne vont pas bien, conclut-il, et sont en difficulté de positionnement dans leur service. » « Quand on suit ce type de formation, on n’est plus le même infirmier. Il n’est donc pas toujours évident de revenir dans une unité de soins », constate Abdel-Aziz Moudjed, infirmier urgentiste et au Smur du centre hospitalier régional universitaire de Nancy (Meurthe-et-Moselle). À partir de 2009, dans la foulée de la mise en place de l’universitarisation de la formation initiale, alors que l’infirmier s’interroge sur sa légitimité à tuteurer les futurs stagiaires, les établissements sont amenés à mettre en place des chemins clinique. Abdel-Aziz Moudjed, mû par son désir d’évoluer dans son poste tout en conservant une pratique infirmière, il décide en 2011 de s’engager dans un master 2, option “parcours de soins complexes”. Diplôme qu’il obtient en 2013.
Depuis… rien. Abdel-Aziz Moudjed a repris son poste aux urgences. « J’ai la sensation que les établissements veulent faire des choses mais ils sont bloqués car rien n’encadre notre diplôme, nos missions et notre positionnement. Bref, ils ne savent pas dans quelle case nous mettre. Et comme nous manquons de visibilité, nous ne sommes pas intégrés dans les projets ou réflexions dans lesquels pourtant nous aurions tout notre place et où nous pourrions sans doute apporter notre expertise et nos compétences », observe-t-il. En avril dernier, l’infirmier a présenté, avec une autre de ses collègues IPA, un projet de création d’un staff infirmier aux urgences de CHRU. La démarche a été jugée « très intéressante » par la direction du l’établissement et la direction des soins mais, pour l’heure, aucune suite n’y a été donnée. De ses nouvelles compétences, Abdel-Aziz Moudjed n’utilise à regret que celles acquises en première année et qui portent exclusivement sur le diagnostic clinique infirmier. Quand il évoque son avenir, l’infirmier songe à l’école des cadres de santé, un poste qui lui permettrait « de mettre des choses en place dans l’esprit d’une pratique avancée », mais qui l’éloignerait des soins, et il avoue ne pas y être encore prêt. Autre piste, retourner sur les bancs de l’université « à condition que soit enfin créé un doctorat de soins infirmiers », précise-t-il. Le départ pour l’étranger est aussi une option. Des profils comme le sien peuvent plus facilement trouver des débouchés outre-Atlantique mais aussi plus près de chez nous, par exemple en Suisse. Bref, on a eu beau chercher, il est bien difficile d’identifier une infirmière de pratique avancée qui aurait réellement ce rôle au sein d’un établissement. Infirmière coordinatrice à l’institut Paoli-Calmette à Marseille, Katrine Evans s’en rapprocherait sans doute le plus – elle occupait déjà cette fonction transversale, rattachée directement à la direction des soins, avant l’obtention de son master en parcours de soins complexes. Référente cancer du sein de l’établissement, elle assure des consultations d’annonce infirmière, des soins directs aux patientes et organise leur parcours en intra- et extra-hospitalier. Par ailleurs, elle est intervenante dans le master santé à l’université Aix-Marseille et à l’Essec à Paris. « Le profil de mon poste n’a pas changé mais la formation m’a donnée davantage de confiance en mon jugement clinique. Elle m’a également permis d’apprendre à construire des outils pour élaborer un projet, acquérir une méthodologie de travail et enfin travailler dans le respect de la preuve scientifique. Bref, cette formation fut extrêmement positive », indique-t-elle. Ce qui lui manque aujourd’hui ? Comme ses collègues IPA, une reconnaissance statutaire ! Car si son travail de coordinatrice est valorisé, son niveau de formation, lui, ne l’est pas. Elle admet d’ailleurs que le contexte est assez délicat puisque seulement deux coordinatrices sont “mastérisées” sur les quatre qui occupent cette fonction. « L’institution n’y est pour rien car elle a la volonté de développer de nouvelles compétences infirmières, mais, aujourd’hui, elle ne peut pas le faire », regrette-t-elle.
Enseignant-chercheur, ancien directeur adjoint du Département des sciences infirmières à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et paramédicales, Christophe Debout
En résumé, pour introduire le nouveau rôle dédié aux IPA, il serait nécessaire que la législation définisse clairement leur périmètre d’action, qu’une formation qualifiante, de niveau master, délivre les compétences dont ces professionnels ont besoin – « sans oublier l’expertise infirmière », insiste Christophe Debout –, que soit mis en place un mode de régulation de façon à protéger les diplômés, qu’un modèle économique permette de rémunérer ces professionnels eu égard à leur mission et à leur niveau de compétence et, enfin, que le système de santé et les usagers de santé soient préparés à l’accueil de ces nouvelles fonctions. Seulement voilà, force est de constater qu’à part les deux masters déjà cités, aucun des autres éléments n’existe pour l’instant. Dans ce contexte, l’article?30 de la future loi de santé, dont les débats ont repris fin septembre au Sénat et qui vise à créer un exercice de pratique avancée pour les professions paramédicales et notamment pour les infirmières, pourra-t-il changer la donne ? « Oui, répond Florence Ambrosino. Ensuite, il faut voir le contenu des décrets d’applications. Pour l’instant, le projet de loi pose comme prérequis un diplôme universitaire, mais il ne précise pas lequel ! » Or un certain nombre de porteurs de projets universitaires qui souhaitaient développer des programmes de masters dédiés à la formation de paramédicaux pour couvrir des domaines spécifiques n’ont finalement pas été habilités par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ces facultés qui avaient beaucoup travaillé et investi sur ces dossiers ont donc transformé leur offre initiale en diplômes universitaires
(1) Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire - Professionnels d’aujourd’hui et nouveaux métiers : des pistes pour avancer – février 2011.
(2) Colloque organisé le 24 juin 2015 au Palais du Luxembourg. Les actes de cette rencontre seront publiés dans les prochaines semaines – www.ordre-infirmiers.fr.
(3) Réactivé sous l’égide de Anfiide, et co-animé par quatre infirmières de pratique avancée, le groupement le GIC-Repasi promeut le rôle des infirmières de pratique avancée. En savoir plus : www.anfiide-gic-repasi.com.
(4) Aix-Marseille : formations.univ-amu.fr - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines : www.etu.uvsq.fr
(5) Infirmier, professeur habilité à diriger des recherche, Christophe Debout est aujourd’hui directeur de l’Institut de soins infirmiers supérieurs.
(6) Quelques exemples : DU Management et pratiques avancées infirmières et paramédicales – École de management, université de Toulouse. Infirmier de pratique avancée en psychiatrie et santé mentale – université Paris/Diderot. DU Pratiques avancées en soins infirmiers pédiatriques – université Paris/Descartes.