Les risques terroristes et l’hôpital | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 239 du 01/10/2015

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

L’hôpital, par sa mission de soins, est en première ligne lorsqu’il s’agit de porter secours aux victimes du terrorisme. Mais il est également soumis à des règles pour se protéger des menaces extérieures.

La réalité a dépassé la fiction et l’actualité de ces derniers mois a montré que la France était vulnérable face au risque terroriste. Toujours en première ligne, l’hôpital accueille, prend en charge et soigne les victimes, selon un protocole bien établi lorsqu’un flux inhabituel de personnes se présente aux urgences. Il doit à la fois répondre aux conséquences d’éventuels attentats terroristes et s’en protéger lui-même. Toute la difficulté réside dans le fait que les hôpitaux ne sont pas des lieux clos et qu’ils accueillent en continu du public : leur protection ne doit pas se faire au détriment de l’accueil des patients.

PLAN BLANC

Pour faire face à un afflux soudain de victimes (dans le cas d’un attentat), le plan blanc, obligatoire dans tous les établissements de santé depuis 2004, se matérialise par la mise en place d’une cellule de crise pour répondre de la meilleure manière à la situation. Par exemple, en organisant la coordination avec le Samu et les services d’urgence qui assurent la prise en charge primaire des patients et leur orientation ensuite. Le plan blanc s’assure également du rappel de tous les personnels médicaux, paramédicaux et autres hospitaliers – toutes les compétences nécessaires étant utiles. Dans certains cas, des compétences spécifiques peuvent être demandées et les établissements peuvent disposer d’une liste de personnels référents. Le plan blanc gère aussi la disponibilité des lits d’hospitalisation et d’accueil. Enfin, il coordonne le transport et les transferts de patients : lors d’un accident avec risque de contamination (biologique ou nucléaire), il faut s’assurer qu’aucun patient ne peut échapper à une prise en charge, au risque d’élargir la contamination. Enfin, le plan blanc s’attèle aussi à gérer l’urgence médico-psychologique pour le soutien des familles. D’un point de vue logistique, le plan blanc prévoit l’adaptation des moyens de l’établissement : stocks, équipement des locaux, chambres mortuaires pour faciliter l’organisation, mais aussi télécommunications, conditions d’accès et de stationnement, dispositifs de surveillance et de gardiennage pour également mettre en sécurité l’hôpital.

LE RISQUE NRBC

« Le terrorisme aujourd’hui est une guerre sans frontière, sans ennemi déclaré et d’autant plus redoutable qu’elle peut recourir à des armes telles que les agents nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou explosifs (risques NRBC-E) », résume le ministère de la Santé dans une note spécifique pour expliquer les nouvelles formes de terrorisme. « Même si, sur notre territoire, de tels risques n’ont jamais émergé, la catastrophe du gaz sarin perpétrée dans le métro de Tokyo il y a vingt ans reste dans les mémoires et a ouvert un questionnement sur ces risques nouveaux. D’autant qu’au moment de l’explosion de l’usine AZF [qui a coûté la vie à plus d’une trentaine de personnes et blessés 2 500 autres, NDLR], personne n’a su dans l’immédiat si c’était un acte malveillant ou un accident », explique le Dr Roch Joly, urgentiste au Samu de Lille (Nord) et praticien hospitalier en médecine de catastrophe. Si un tel cas devait se présenter, les directives sont claires : les autorités sanitaires travaillent de concert avec la Défense et la Sécurité nationale avec le plan éponyme qui fournit au Premier ministre et au ministère de l’Intérieur (et autres ministères impactés) des outils d’aide à la décision pour la gestion de la menace. En fonction de la menace, la prise en charge est organisée selon un dispositif spécifique et c’est le Samu qui effectue la prise en charge médicale et la régulation, parfois sur site, avec des unités mobiles d’intervention ou dans des sites dédiés (lire l’encadré ci-dessus).

DES ÉTABLISSEMENTS RÉFÉRENTS

Chaque zone de défense et de sécurité (Nord, Sud, Ouest, Est, Sud-Est et Sud-Ouest, Paris) dispose d’un établissement dit “de référence” pour le risque NRBC : chaque établissement dispose de moyens lui permettant « d’apporter une assistance technique, voire de conseiller les autres établissements de santé, de porter un diagnostic et/ou d’assurer la prise en charge thérapeutique, de former et d’entraîner les professionnels de santé », comme l’explique le ministère de la Santé dans son guide du plan blanc (édition 2006). Ces établissements doivent disposer des services suivants : aide médicale urgente, accueil des urgences, service de maladies infectieuses doté de chambres d’isolement à pression négative, réanimation dotée de chambres d’isolement, pédiatrie dotée de chambres d’isolement à pression négative, médecine nucléaire et laboratoire de niveau L3 et enfin une aire pour hélicoptère. En France, neuf établissements de métropole (+ 3 dans les DOM) sont établissements de référence : AP-HP, AP-HM, Hospices civils de Lyon, CHRU Lille (lire l’encadré), CHR de Nancy et Strasbourg, CHU de Bordeaux, CHU de Rennes, CHU de Rouen ainsi que le Centre hospitalier départemental Félix-Guyon de Saint-Denis-de-la-Réunion, le CHU de Fort-de-France et le Centre hospitalier André-Rosemon de Cayenne. La prise en charge pour les risques chimique, radiologique et nucléaire est quasiment identique dans la mise en place de procédure : le risque biologique est plus spécifique et mobilise également d’autres établissements, comme l’Eprus (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) qui peut être amené à fournir des masques ou encore des vaccins. Pour faire face à une attaque de ce genre, le modèle utilisé est celui de la variole : très contagieuse, cette maladie a été éradiquée de la surface du globe, mais, depuis les attentats du 11 septembre 2001, le spectre d’une attaque biologique inquiète certains spécialistes. C’est sur le modèle de prise en charge de la variole que le risque biologique a été mesuré : il comporte notamment un dispositif de vaccination de la population à grande échelle. Reste que, pour les spécialistes, une attaque terroriste de ce genre nécessite plus de moyens logistiques, humains et de compétences.

LE DISPOSITIF ORSAN

Jusqu’en 2013, le dispositif de réponse aux situations exceptionnelles s’appuyait principalement sur les plans blancs mis en place dans les établissements de santé. Le dispositif Orsan (pour Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) a été mis en place pour que les trois secteurs sanitaires – ambulatoire, hospitalier et médico-social – soient coordonnés de la meilleure manière et apportent un bénéfice maximal aux personnes prises en charge. Il a vocation à être mis en œuvre de manière exceptionnelle, et principalement au niveau régional. Il comporte cinq volets selon les situations susceptibles d’impacter le système de santé, notamment Orsan Amavi (lors de l’accueil massif de victimes non contaminées), Orsan Bio (pour la prise en charge d’un risque biologique connu ou émergent), Orsan Epi-Vac en cas d’épidémie ou pandémie avec organisation d’une campagne massive de vaccination et Orsan NRC, pour la prise en charge d’un risque nucléaire, radiologique ou chimique (le dernier Orsan ayant trait à l’aléa climatique). Concrètement, ce plan Orsan – qui chapeaute les plans blancs hospitaliers – réorganise l’ambulatoire, l’hospitalier et le médico-social pour réaffecter les ressources en fonction des priorités du moment. Il permet aussi, au niveau local, le renfort de moyens humains et matériels (rappel du personnel hospitalier, renforcement de la permanence des soins ambulatoires, ouverture de lits supplémentaires). Dans le cas où ces renforts sont insuffisants, la réserve sanitaire de l’Eprus peut venir supplémenter les établissements : il s’agit de professionnels de santé remplaçants, retraités, non exerçants et étudiants.

Une unité de décontamination à Lille

→ C’est un bâtiment installé à deux pas du Samu lillois, estampillé “unité de décontamination médicale”. À l’intérieur, des salles immaculées agencées selon un protocole précis de progression du patient. On y arrive d’ailleurs par deux entrées spécifiques, l’une pour les patients valides et l’autre pour les non-valides. Mais l’endroit est encore vierge de toute activité. « J’espère qu’on n’aura jamais à s’en servir, même si on est prêt ! » : l’aveu est du Dr Roch Joly, médecin urgentiste responsable de cette unité de décontamination, qui nous fait la visite. Des sas pour accueillir de potentielles victimes de contamination : accident chimique ou nucléaire, tout est prévu pour prendre en charge les victimes et les décontaminer, à raison d’une soixantaine par heure pour les valides, une quinzaine pour ceux qui ne le sont pas. Car la région abrite encore la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Gravelines, près de Dunkerque. Et qu’on ne souhaite pas introduire de contamination à l’hôpital.

Des plans sanitaires spécifiques

Face aux risques de nature différente, des plans sanitaires spécifiques ont été mis en place.

• Ainsi, un plan Variole, qui précise les modalités de la vaccination antivariolique collective, est en sommeil, prêt à être déclenché si le virus refait surface.

• Pour faire face au risque d’épandage d’agents infectieux, un plan Fluoroquinolones (Biotox) est prêt à répondre à cette menace : ce dispositif prévoit notamment une distribution rapide et de masse à une population potentiellement touchée par un agent infectieux, le choix de cet antibiotique à large spectre permettant de couvrir un maximum d’agents.

• En cas d’accident nucléaire (accidentel ou maveillant), le plan Iode organise la distribution préventive de comprimés d’iodeaux populations habitant dans un rayon proche des installations touchées.

• Le plan Eau potable renforce la chloration de l’eau de consommation en cas de détection d’une contamination organique.

• Enfin, le plan Air définitdes dispositions spécifiques de préventionet de protection à mettre en œuvre dans certains établissements recevant du public et dont l’air pourrait être contaminé par des agents chimiques ou biologiques.