Le cadre de santé est au cœur de l’ensemble des changements structurels et socio-économiques. En effet, les lois, plans et projets se succèdent, entraînant des évolutions majeures dans la structuration de l’hôpital et dans le travail des différents acteurs. La crise financière hospitalière génère un contexte de travail contraint avec une logique de gestion très marquée, des restructurations et une diminution des effectifs. Comment l’accompagner face à cet environnement mouvant ?
Le travail et les missions du cadre de santé évoluent. Ainsi, l’analyse des pratiques professionnelles (APP) permet de se questionner, de donner ou redonner du sens, et également de développer des compétences. Depuis plusieurs années, le milieu hospitalier traverse de multiples changements et mutations. Le Plan hôpital 2007 a structuré l’hôpital par pôles, et la loi du 21 juillet 2009 relative à l’hôpital, aux patients, à la santé et aux territoires a poursuivi l’évolution de l’organisation hospitalière.
Aujourd’hui, le Groupe hospitalier, en lien avec la direction des soins et la direction qualité, détermine les axes prioritaires et les transmet auprès de l’exécutif du pôle qui définit une stratégie.
Le cadre de santé est à l’interface entre les équipes et l’institution. Grâce à cette position, la connaissance des agents et du service, il va mettre en œuvre la politique de santé du Groupe hospitalier en déclinant objectifs et plans d’actions spécifiques pour le service dont il est responsable. Ainsi, ses missions ont évolué, et par conséquent ses activités et les compétences requises. Le travail du cadre est aussi une mise en liens, des ajustements entre les différents interlocuteurs. Paule Bourret
Selon P. Bourret, « la réussite de la prise en charge d’un malade, même si elle résulte pour une part de cette activité de mise en cohérence assurée par le cadre, ne sera pas forcément imputée à ce type de travail »
Parallèlement, le cadre de santé accompagne l’équipe dans le développement de ses compétences pour toujours tendre vers la meilleure qualité de soins possible pour les patients. Le quotidien du cadre de santé est donc marqué par la gestion des risques et également l’efficience vers laquelle il tend dans tous les domaines. De fait, il est parfois soumis à certaines demandes contradictoires de sa hiérarchie et de l’équipe, qui peuvent se traduire par des tensions. Face à ces situations, il apparaît nécessaire d’adopter une posture réflexive pour se distancier et objectiver les faits.
La réflexivité se définit comme étant relative « à la réflexion (…), propre à la réflexion, au retour de la pensée, de la conscience sur elle-même (…), réflexion se prenant elle-même pour objet ; propriété consistant à pouvoir réfléchir sur soi-même »
Philippe Perrenoud l’a définie comme « une suite d’opérations intellectuelles, dont les états mentaux ne sont que le point de départ, un état temporaire ou le point d’arrivée… comme une “pratique intellectuelle” »
Cette pratique réflexive ne peut se faire qu’en mobilisant différents savoirs, dont trois types sont décrits par Perrenoud : « L’expérience personnelle, la culture professionnelle et la recherche. »
Il est important de noter que la posture réflexive n’est pas de l’analyse des pratiques professionnelles. L’analyse des pratiques professionnelles invite à adopter cette posture pour ne pas se limiter à une simple analyse de situation en groupe de pairs et ainsi à investir un co-travail. La posture réflexive est un processus individuel, solitaire, dans lequel nous sommes nous-mêmes l’objet de notre réflexion. Alors que, dans l’analyse des pratiques professionnelles, le processus est à la fois individuel et collectif. Parallèlement, certains professionnels questionnent et critiquent cette posture réflexive. Pierre Campia
Pierre Campia évoque la nécessité d’une ouverture de la réflexion et des échanges avec autrui et l’extérieur : « Devant l’impérieuse nécessité d’être toujours en autoréférence, il devient essentiel, nous semble-t-il, de restaurer un dialogue avec notre environnement immédiat, avec les autres, et non exclusivement avec soi et sa pratique… pour aller vers une réflexivité critique qui nous mobilise à parler de soi certes, mais aussi du métier, du collectif au sein duquel nous déployons cette activité, du rapport que nous entretenons avec les autres partenaires de la santé… »
L’analyse des pratiques professionnelles se définit comme la « décomposition d’une chose en ses éléments, d’un tout en ses parties », « un des procédés généraux de la pensée, qui consiste à décomposer un tout en ses éléments »
L’expérience de l’analyse des pratiques professionnelles s’effectue dans un cadre défini et contenu par un animateur. Nous pouvons citer comme principales règles de fonctionnement : la confidentialité, la bienveillance, l’authenticité, l’écoute, le travail sur les faits, la liberté du porteur de cas.
• La confidentialité. Il est demandé aux membres du groupe de garder le secret sur l’ensemble des éléments échangés pendant les séances et de ne pas aborder leur contenu en dehors du groupe d’analyse des pratiques professionnelles afin de permettre la création d’une relation de confiance et de garantir un fonctionnement pérenne du groupe.
• La bienveillance et le non-jugement. Ils sont indispensables afin de permettre l’authenticité des récits et des interventions de chacun. Ils favorisent également la confiance.
• L’authenticité. Elle invite les membres du groupe à décrire et rendre des événements au plus proche de la réalité et de ce qu’ils ressentent sans modifier la situation.
• L’écoute. Chaque participant investit une écoute active et porte une attention à autrui.
• Le travail sur les faits et l’implication des participants. Le travail engagé tend vers l’objectivation des faits même si des liens sont effectués avec des émotions et des ressentis. L’avancement du travail est corrélé avec l’investissement des participants, notamment dans la phase de questionnement et d’analyse.
• La liberté du porteur de cas. Claudine Blanchard-Laville
Parce qu’il y a débat, confrontation d’idées et analyse collective d’une situation de travail, le cadre de santé peut se situer au regard de cette dernière. Les émotions, les enjeux, les objectifs… et le sens de la situation de travail sont explorés autant que possible. De fait, la position du cadre de santé est mise en lumière au regard des différents aspects. Ainsi, comme l’identité professionnelle, le positionnement se construit peu à peu, ce qui est favorisé par une posture réflexive et l’analyse des pratiques professionnelles. Cela permet une meilleure compréhension de sa fonction, donc une mise au travail dans le quotidien plus efficace. Il est enfin possible de se protéger et de moins souffrir des injonctions paradoxales vécues par le cadre de santé en unité de soins.
Parallèlement, l’analyse des pratiques professionnelles permet le développement de compétences. La compétence est une construction, c’est un processus qui n’est ni statique, ni figé dans le temps. Elle ne s’acquiert pas, elle se développe. Pour Richard Wittorski
Pour conclure, l’analyse des pratiques professionnelles confronte les questionnements, les réflexions et les analyses de chaque professionnel, ce qui offre la possibilité de cheminements multiples au service du positionnement du cadre de santé et de ses actions futures. Nous nous interrogeons donc sur l’intérêt et même la nécessité d’un cadre de santé rattaché à un centre de formation continue et expert en analyse des pratiques professionnelles pour accompagner ses pairs dans le secteur hospitalier.
(1) Bourret, Paule. Les cadres de santé à l’hôpital. Un travail de lien invisible. Paris : Seli Arslan, 2006. 284 pages.
(2) Clot, Yves. Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris : La Découverte, mai 2010. 188 pages.
(4) Perrenoud, Philippe. “Adosser la pratique réflexive aux sciences sociales, condition de la professionnalisation”. Éducation permanente, mars 2004, n° 160, p. 35-60.
(5) Wittorski, Richard. “De la fabrication des compétences”. Éducation permanente, n° 135, février 1998, p. 57-67.
(6) Campia, Pierre. “Des praticiens réflexifs ? Oui, mais critiques”. Perspective soignante, avril 2011, n° 40, p. 35-41.
(9) Barus-Michel J., Enriquez E., Levy A. Vocabulaire de psychologie. Paris. Éditions Erès.
(10) Blanchard-Laville, Claudine. “L’analyse clinique des pratiques professionnelles : un espace de transitionnalité”. Éducation permanente, avril 2004, n° 161, p. 16-30.
(11) Wittorski, Richard. “Le développement des compétences individuelles, partagées et collectives”. Soins Cadres, février 2002, n° 41, p. 38-42.
• Barus-Michel, Jacqueline, Enriquez Eugène, Lévy, André. Vocabulaire de psychosociologie. Paris : Erès, novembre 2006 • Bourgeon, Dominique. Du soin à l’encadrement : trajectoires de vie et motivations professionnelles. Éditions Lamarre, octobre 2010. • Dubar, Claude. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles. Éditions Armand Colin, octobre 1992. • Zarifian, Philippe. Le modèle de la compétence. Trajectoire historique, enjeux actuels et propositions. 2e éd. Éditions Liaisons, 2004. ARTICLES • Chami, Jean, Fablet, Dominique. Professionnels de santé et analyse des pratiques, L’Harmattan, 2011. • Coyer, Guilbert. “Le sens du soin”. Soins Cadres, août 2013, n° 87, p. 30-32. • Desserprit, Gilles. “Brève histoire de la formation des cadres de santé”. EMC-Savoirs et soins infirmiers, mai 2014, volume 9, n° 2, p.1-6.•. DOCUMENTS • “Référentiel de compétences du cadre responsable d’unité de soins”, Institut de formation des cadres de santé, Assistance publique des hôpitaux de Paris, juillet 2010 • Conférence de Bourret, Paule. “Encadrer, c’est assurer un travail de lien invisible. Les cadres de santé dans la fonction publique hospitalière”. 14es journée d’étude du GDR Cadres, décembre 2007, p.6 consulté le 20/04/2015.