Bien plus que les aspects liés aux spécialités et aux techniques d’un domaine professionnel, la professionnalisation s’envisage comme un processus de développement cognitif. Elle amène l’individu à l’amélioration constante de ses habiletés, qualités, compétences liées à sa fonction professionnelle. Quel rôle joue le cadre dans l’intégration des nouveaux arrivants ? Quels sont ses outils pour garantir l’efficience de son service ?
La professionnalisation légitime le caractère de transformation qui s’opère avec l’intégration de nouveaux savoirs utiles. Le travail s’exerçant alors de façon épanouie, légitime et responsable. Néanmoins, développer un savoir-être adapté pour un savoir-faire maximisé n’est ni un conditionnement, ni la naïve application de méthodes généralistes.
Depuis plusieurs années, la professionnalisation, comme sujet d’études et de réflexions, a « le vent en poupe »
Les concepts de type socle de connaissances, compétences préalables, et articulation entre la théorie et la pratique sont utiles pour favoriser l’inscription professionnelle. Ces concepts continuent à l’heure actuelle d’être davantage explicités par les sciences de l’éducation. Ainsi, ils peuvent se relier aux études complémentaires relatives aux sciences humaines et permettre de mieux définir et appréhender les théories relatives à l’organisation et au management. Ces éléments constitutifs de la compétence et de la construction professionnelle peuvent conduire à une théorisation.
Faire converger, relier et articuler la grande diversité des enseignements permet de proposer un schéma d’opérationnalisation pour les praticiens du terrain. On peut alors envisager aisément les défis que représente la professionnalisation dans le contexte actuel du monde du travail, que ce soit d’un point de vue humain, économique ou culturel. On peut également comprendre en quoi l’étude du concept de professionnalisation doit s’accompagner d’une étude des modalités afin de pérenniser les éléments facilitant la meilleure incorporation possible au domaine professionnel. C’est à ce prix que l’implantation au monde de l’entreprise deviendra efficace et possible.
Chaque année, de nouveaux professionnels rejoignent les organisations de soins. Nous constatons alors concrètement les difficultés et enjeux que représente la professionnalisation. Pour que celle-ci se réalise de façon optimale, il est avant tout question d’accompagnement.
Les équipes de proximité sont en première ligne pour “co-construire” ce développement professionnel. Les plus expérimentés désirent que « tout se passe pour le mieux », à la fois pour les nouveaux collègues que pour le bon fonctionnement du service. Ce type d’accompagnement, bénéfique à une intégration apaisée, n’en demeure pas moins insuffisant.
Pour continuer le processus de professionnalisation, le cadre, relais entre le nouvel agent, la hiérarchie et l’organisation, a donc un rôle essentiel à jouer.
Un point essentiel pour le développement utile à une professionnalisation de qualité est d’évaluer les connaissances de l’arrivant pour ensuite les opérationnaliser. Les nouveaux apports se complètent avec les dispositifs de formations internes. Les évaluations régulières permettent de compléter le socle de connaissances et de compétences utiles à un savoir-faire optimisé. Accroître et ajuster les connaissances nécessaires aux missions confiées doit s’accompagner d’instants propices à la reprise des pratiques. De ce retour d’expériences émerge une double boucle d’apprentissage autour des compétences développées. C’est là le rôle de supervision et d’expertise du manager de proximité. Il participe à la transmission des savoirs en guidant le sujet en construction et en favorisant les mises en situation professionnelle. Garant du bon fonctionnement du service et des outils pédagogiques à disposition pour l’arrivant, le cadre s’impose en tant que collaborateur premier du processus. Il devient le conseiller stratégique de développement du nouveau professionnel en action.
Ces pairs qui accueillent, encouragent, forment et guident contribuent à faire en sorte que les nouveaux professionnels s’inscrivent dans un approfondissement de savoirs et de compétences.
C’est la condition indispensable à un développement professionnel de qualité. Il pourra se maintenir et évoluer vers plus de performance et d’efficience.
Relais avec les agents de terrain, le cadre de proximité joue encore un rôle majeur. Par son attention constante, son soutien et ses postures, il facilite l’intégration du nouvel arrivé dans l’équipe. Il contribue ainsi à optimiser la dynamique d’équipe pour améliorer l’inscription et le développement professionnel de tous. Le manager met « du soin dans les soins »
Pour contribuer à une professionnalisation de qualité, les points préalablement abordés sont essentiels. Néanmoins, ils doivent être croisés avec l’expertise du terrain pour plus d’efficacité (cf. encadré “En pratique” page suivante). Dans certaines situations, une intention de bienveillance pour échanger, voire relativiser, autour des attendus. Il est ici question d’adaptation dans la conduite du projet de professionnalisation de l’agent pour concilier les temps d’intégration et d’apprentissage avec les attendus du service. Dans d’autres situations, il faudra savoir faire la part des choses entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas pour l’agent et la situation abordée. Et aussi savoir mettre de la souplesse dans les attendus du processus de professionnalisation. L’évaluation objective et les temps de reprise privilégiés sont indispensables au bon fonctionnement du processus.
Les objectifs sont multiples : évaluation des capacités du nouvel agent, adaptation, intégration, acquisition de nouveaux savoirs, affirmation… Ils revêtent des aspects politiques, organisationnels et culturels. Ils sont personnalisés au regard du contexte et permettent au nouvel agent de développer ses savoirs et compétences, de façon sereine et adaptée.
Cet affinage quotidien permet d’introduire la notion de développement durable. Au fil du temps, l’arrivant se voit confier des missions, en fonction de ses aptitudes et de ses savoirs. De cette manière, le manager perpétue le processus.
La qualité de l’accompagnement passe par cette notion de prise en compte de l’humain dans un respect mutuel. L’accompagnement, la transmission des savoirs et compétences, le temps nécessaire à une réelle élaboration des savoirs sont des indicateurs d’engagement et d’accompagnement. L’approche se doit donc d’être soutenue et attentive pour nourrir profondément et durablement le développement professionnel. Elle fait alors autant appel aux valeurs humanistes telles que respect de la différence, acceptation de l’autre dans son ensemble ou encore écoute et compréhension bienveillantes qu’à des indicateurs liés à l’efficience du travail.
Le manager de proximité doit sans cesse avoir ce souci du développement durable. Non pas pour éviter du nomadisme professionnel au sein de ses équipes, mais simplement pour donner une indication de progression sereine dans la professionnalisation. Plus globalement, avoir le souci du développement durable donne une indication de bienfaisance et de respect pour qu’à leur tour les agents instillent leurs pratiques au quotidien.
Néanmoins, le processus de professionnalisation comporte certains attendus. Le cadre doit également veiller à ce que l’on pourrait nommer “exigences” et qui sont en fait des éléments permettant la qualité de la professionnalisation.
Partons d’un exemple, même si ceux-ci pourront mettre en avant, pour certains, les représentations personnelles du concept de professionnalisation. En quoi travailler la professionnalisation est primordial dans le devenir de l’agent ? Chaque nouveau professionnel devrait construire et développer son propre réseau (collègues, personnes ressources, tuteurs…) pour permettre l’insertion et la ressource. Cela fait bien évidemment appel à ses initiatives de créativité, de communication et à son sens de l’adaptation. En début de parcours professionnel, on devrait insister sur cette notion de réseau en expliquant aux nouveaux agents en quoi il permettra de faciliter son inscription et ses interventions dans le quotidien des soins. Ainsi, le cadre oriente, propose et met en lien pour permettre au nouvel arrivé d’évoluer de façon plus fluide et d’être de plus en plus autonome. Continuer d’acquérir de nouveaux savoirs théoriques et pratiques est tout aussi important. Les moyens sont ici multiples et peuvent se réaliser tant d’un point de vue personnel que d’un point de vue institutionnel. Pour autant, ce développement mérite d’être accompagné et soutenu, avec les moyens et ressources nécessaires. Ici, le cadre informe, transmet et continue de mettre en lien pour permettre aux agents de construire et d’étoffer leurs savoirs professionnels.
Les enjeux se placent également autour de la mise à jour et de l’adaptation aux évolutions.
Les notions de performance et d’efficience seront également introduites. Ainsi, le processus de professionnalisation s’enrichira forcément. Il est primordial de continuer de réfléchir, ne pas appliquer “scolairement” les procédures mais rechercher la justesse et la subtilité. Ainsi, les prises en charge ne pourront être que de meilleure qualité. Ici, le cadre fait part de ses interrogations ou évaluations de la situation. Il reprend ou supervise pour permettre à l’agent d’être dans un processus constant de réflexions et d’éthique lié aux soins prodigués.
Être rigoureusement attentif à la situation devient une maxime.
Tout d’abord, le manager de santé et son équipe doivent exercer leurs attentions tant au travers d’évaluations et de reprises de situations qu’au travers de l’effort constant. Ainsi, ils contribuent à conserver une atmosphère apaisée et bienveillante. Puis c’est au nouveau professionnel d’être attentif dans ses pratiques et dans son évolution. L’attention de l’un nourrira l’attention de l’autre. Le cadre de santé veillera à corréler ses propos et actions en gardant à l’esprit l’idée d’un processus de professionnalisation du sujet bien mené, et ce, en toutes circonstances.
Nous sommes tous ou avons tous été un nouvel arrivant. Et dans cet état de nouvel arrivant, nous avons apprécié, pour l’avoir expérimenté, l’utilité qu’avait l’accompagnement. En aidant ses collègues par les transmissions de ses savoirs, de son expérience, le cadre continue de mieux définir ce qui constitue les éléments essentiels à une opérationnalisation de qualité. Outre les explications supplémentaires liées à l’organisation, l’accompagnement vers la professionnalisation de nouveaux collègues s’exprime au travers de la notion de conseil. Si ces préceptes sont relatifs, ils ont le mérite de contribuer à une forme de bienfaisance vis-à-vis des personnes qui débutent. Ces conseils sont à la fois généraux mais peuvent s’adapter en fonction du contexte particulier de la situation. Ainsi, au travers de la guidance, s’opère un véritable travail de transmission qui a son importance dans les processus d’opérationnalisation et de professionnalisation du nouvel arrivé.
C’est en promouvant cette intelligence du singulier que le manager de proximité joue son rôle dans le quotidien, dans sa pratique. Que ce soit en renforçant le développement et l’implication des nouveaux agents ou en instillant une atmosphère de travail, réflexive et propice au bien-être et à la qualité, le cadre de santé est ce pivot central qui assure aux équipes la voie pour continuer leur développement de façon apaisée et durable. La professionnalisation est l’un des nombreux domaines au travers desquels le cadre de santé exerce ses fonctions. Chaque agent continuera et spécifiera en fonction de son parcours son processus de professionnalisation et d’opérationnalisation.
Arriver sur le marché du travail ou arriver dans un nouveau service témoigne de besoins en formations et de nécessité de montée en compétences. C’est par ces biais que le responsable d’équipe assure ses missions en adaptant ses méthodes, outils et postures pour améliorer bien plus que la qualité de la professionnalisation : la qualité du service rendu.
• Richard Wittorski. Professionnalisation et développement professionnel. Éditions de l’Harmatan.• Richard Wittorski. Formation, travail et professionnalisation. Éditions de l’Harmatan.• Walter Hesbeen. Cadre de santé, un métier au cœur des soins. Éditions Masson.• Maryvonne Sorel. La professionnalisation en actes et en questions. Éditions de l’Harmatan.
En quoi un ajustement de ces méthodes peut permettre un meilleur développement de l’opérationnalisation ?
Yannick Moszyk travaille dans un pôle de pédopsychiatrie. Régulièrement, il accueille de nouveaux soignants dans les différentes équipes qu’il encadre. Il doit s’assurer de leur bonne adaptation aux spécificités de l’unité. Ces nouveaux arrivés présentent tous un besoin de professionnalisation. En tant que cadre de santé, Yannick Moszyk privilégie la rencontre humaine avec le nouvel agent en insistant sur l’écoute. Cet entretien se déroule sous forme d’une discussion. Il permet d’individualiser l’accompagnement à travers les échanges professionnels et le niveau d’adaptabilité de l’arrivant. Cette première rencontre fournit des points de repères pour présenter et intégrer le nouvel arrivant au reste de l’équipe. Il n’existe pas de méthode unique mais il y a beaucoup d’avantages à ajuster les objectifs à la situation et à la personne. Individualiser la réponse, c’est modifier les outils et les méthodes pour les adapter à chacun. Pour certains, il y a nécessité à construire un parcours dans l’unité en proposant un planning qui permet au nouveau soignant de se confronter à un maximum de situations apprenantes et de rencontrer des professionnels. Arriver dans une unité avec des codes et des habitudes propres nécessite des échanges pour faire rapidement connaissance avec le reste de l’équipe pluridisciplinaire. Pour d’autres, il est préférable d’ajuster la posture du cadre pour leur permettre d’exprimer leurs ressentis, se questionner et développer l’estime de soi afin d’intégrer sereinement le monde du travail. Enfin, pour un parcours d’intégration complet, il est essentiel de désigner des personnes ressources. Un tuteur pourra proposer des temps de reprises plus conséquents.
Accompagner la professionnalisation est en soi un élément primordial. Le cadre de proximité est avant tout celui qui met du soin dans les soins.
Nous avons pu vérifier cette mission au travers du concept de professionnalisation ; il s’agit ici d’un soin apporté qui s’adresse à de multiples interlocuteurs :
→ un soin qui s’adresse à l’humain et lui porte une attention, non pas seulement pour qu’il soit meilleur, c’est-à-dire encore plus professionnel, mais aussi parce qu’il mérite d’être estimé en tant qu’humain, et pas seulement pour son travail ;
→ un soin qui s’adresse aux équipes pour contribuer à en améliorer la dynamique et le fonctionnement et pour qu’à leur tour elles en imprègnent leurs propres pratiques et améliorent la qualité des soins apportées aux patients ;
→ un soin qui s’adresse à l’institution en contribuant à optimiser les processus nécessaires à des activités coordonnées et mieux gérées et donc d’éviter des coûts financiers liés aux risques psycho-sociaux ou au manque d’efficacité professionnelle.