L’article 49 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2016 introduit un nouveau modèle de financement des activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) qui entrera en vigueur au 1er janvier 2017.
Contrairement aux activités de soins de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) financées depuis 2008 à la tarification à l’activité, les activités de SSR continuaient à être financées sous forme de dotation globale de financement dans le secteur public et sous forme de prix de journée dans le secteur privé. Le projet de loi introduit donc un nouveau modèle de financement, identique pour les secteurs public et privé, des activités de SSR qui se situe entre la tarification à l’activité et la dotation globale de financement, sous la forme d’une “dotation modulée à l’activité”.
Pour mémoire, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 prévoyait que les établissements de santé ex-sous dotation globale (publics et participant au service public hospitalier) soient financés à 100 % à l’activité pour leurs activités de soins de MCO, à l’instar des établissements de santé ex-objectif quantifié national (privés). Mise en place en 2004, la montée en charge de la tarification à l’activité dans le secteur public devait être progressive de 2004 à 2012, avec un pourcentage croissant de la part du budget des hôpitaux publics financé à l’activité : 10 % en 2004, 25 % en 2005, 35 % en 2006, 50 % en 2007. Mais donc, au bout de cinq ans, dès le 1er janvier 2008, les activités de soins MCO étaient financées entièrement à l’activité, avec néanmoins un coefficient de transition jusqu’en 2012.
À sa mise en place en 2004, nombreux ont été les acteurs de santé qui ont exprimé des craintes face à ce nouveau mode de financement basé désormais sur l’activité réelle des hôpitaux, et non plus sur la reconduction d’un budget fixé a priori sur des bases historiques. La tarification à l’activité avait mis fin à vingt années de budget global dans les hôpitaux publics. Et depuis, les critiques n’ont pas manqué et n’ont pas cessé. Des aménagements ont d’ailleurs vu le jour ces dernières années : instauration d’un financement spécifique pour les activités isolées en 2014, pour les améliorations en matière de qualité et de sécurité des soins en 2015, pour les centres hospitaliers de proximité en 2016.
Ainsi, onze ans après la mise en œuvre de la tarification à l’activité pour les activités de MCO, la réforme du mode de financement des activités de SSR tente-t-elle donc de réconcilier enfin tarification à l’activité et dotation globale ?
Le budget global avait été instauré dans les établissements de santé publics et assimilés en 1983 et calculé sur la base budgétaire historique de chaque établissement, c’est-à-dire la base des coûts remboursés par le prix de journée. La reconduction d’année en année de ce budget global, certes augmenté d’un taux d’évolution des dépenses nationales, avait conduit à une déconnection totale du budget au véritable coût des prises en charge, et à des inégalités budgétaires flagrantes entre les hôpitaux et entre les régions.
C’est pour ces raisons essentiellement d’iniquité dans l’allocation des ressources ne correspondant plus aux besoins de la population que le législateur a introduit en 2004 la tarification à l’activité dans les établissements de santé publics et privés. Ce nouveau mode de financement, appelé par ailleurs “tarification à la pathologie”, s’appuie sur les données d’activité des établissements de santé traduites dans le PMSI (Programme médicalisé des systèmes d’information) ; à chaque groupe homogène de séjour (GHS) correspond un “algorithme” de prise en charge auquel est associé un coût moyen déterminé au niveau national. C’est sur la base de ces coûts calculés au niveau national (échelle nationale de coûts) que sont déterminés les tarifs pour chaque GHS (lire l’encadré p.34).
Dès lors, la mise en place de la tarification à l’activité permet de lever certains effets de sélection adverse ou de risque moral (lire l’encadré p.35) sans toutefois en contrecarrer d’autres.
À la différence du budget global, la tarification à l’activité apporte une information sur le produit hospitalier (case-mix), ce qui permet d’éliminer l’effet de sélection adverse par la médicalisation du système d’allocation budgétaire. La tarification à l’activité permet de déterminer ex ante le budget de l’établissement qui correspond à l’activité réelle de l’établissement et d’ajuster son budget à la hausse ou à la baisse, selon qu’il soit sous ou sur doté.
En revanche, la tarification à l’activité ne permet pas de lever l’effet de sélection adverse des pathologies les moins “rentables” par rapport aux pathologies “lucratives”. De même, la tarification à l’activité ne permet pas d’objectiver la qualité du bien produit, le PMSI étant avant tout un outil médico-économique et non épidémiologique.
Si la tarification à l’activité permet de contrecarrer l’effet de surproduction, en revanche, elle n’élimine pas le risque de sous-consommation des soins et de fractionnement des venues à l’hôpital.
Ainsi le financement de l’hôpital par groupes homogènes de malades (GHM) permet aux pouvoirs publics (les Agences régionales de santé) de se réapproprier l’information sur les coûts détenus par l’hôpital et sur le produit hospitalier : l’effet de sélection adverse est donc contrecarré. Il permet aussi de faire face à l’effet de risque moral en empêchant l’hôpital de maximiser son budget discrétionnaire. Mais le financement par GHM a aussi des effets incitatifs négatifs qui sont les effets pervers de la révélation de l’information sur les coûts :
• l’hôpital sera tenté de sélectionner les GHM les plus rentables (risque de sélection adverse) ;
• l’établissement peut être tenté de multiplier le nombre d’entrées par GHM et de diminuer les soins prodigués (risque moral de fractionnement des venues à l’hôpital).
Aux États-Unis, les GHM sont utilisés comme mode de financement des hôpitaux. Mais l’impact sur l’effet de risque moral est moins grand qu’avec le budget global. Les deux modes de financement doivent donc être utilisés simultanément car ils se complètent :
• le budget global pour contrer l’effet de risque moral (pouvoir régulateur) ;
• le financement par GHM pour contrer l’effet de sélection adverse (garantie de la qualité des soins).
Pour concilier les deux modes de financement, l’idée est de répartir des enveloppes régionales (budget global par région) en fonction de l’activité des hôpitaux (financement par GHM). Le système de financement choisi en France, s’il cherche à concilier les deux modes de financement, diffère quelque peu dans la mesure où préexistent des activités financées intégralement à l’activité et des activités rémunérées sur la base d’un forfait global (les fameuses Missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les Migac).
Le changement du mode de financement dans les établissements de santé, et notamment publics, a constitué une véritable révolution culturelle dans les esprits des gestionnaires et des professionnels soignants. Nous sommes passés d’une logique budgétaire fondée sur un niveau de dépenses fixé a priori que l’on s’attache à respecter plus ou moins en demandant des moyens supplémentaires de dépenses à la tutelle, à une logique financière fondée sur un niveau de recettes à produire pour faire face à ses dépenses de production. Dès lors, la mise en place et la réussite de cette réforme devaient reposer sur un certain nombre de conditions qui devaient être simultanément remplies.
En premier lieu, il était important que les deux secteurs hospitaliers, publics et privés, soient financés de la même manière, pour ne pas créer de concurrence “déloyale” entre les deux secteurs. Le passage à 100 % à la tarification à l’activité dans le secteur public à compter du 1er janvier 2008 contribuait à cette condition, en étant toutefois amoindri du fait de l’introduction de coefficients de transition jusqu’en 2012.
En deuxième lieu, la réforme devait porter ses fruits très rapidement en matière de répartition plus équitable des ressources entre les établissements de santé, au risque de ne faire que des mécontents de la réforme. Or, dans la réalité, force est de constater que le mécanisme de montée en charge progressive de la tarification à l’activité sur huit ans, qui pouvait se justifier d’un point de vue social et politique, a entraîné un effet de rejet de la réforme, les établissements antérieurement sous dotés ne voyant pas immédiatement les bénéfices de la réforme et les établissements sur dotés prenant de facto “leur temps” pour se réorganiser et conservant leurs moyens. Onze ans plus tard, chacun s’accorde à dire que le financement à l’activité a permis enfin d’introduire un financement équitable entre les établissements, une péréquation des moyens juste jamais réalisée avant.
Ensuite, une condition essentielle reposait sur la capacité des établissements de santé à s’organiser pour optimiser leur système d’information au profit d’une meilleure connaissance médico-économique de leur activité et d’une meilleure gestion et facturation des recettes. Les établissements devaient être en mesure de connaître précisément leurs coûts de fonctionnement par pathologie et de facturer le plus rapidement possible leurs activités pour ne pas perdre leurs recettes. Or, là encore, force a été de constater que bon nombre d’établissements publics n’étaient pas encore en mesure de faire face à cette nouvelle logique de recettes, malgré les progrès accomplis, contrairement aux établissements de santé privés. Le budget global avait “tué” en quelque sorte la logique de la facturation de sa production pour garantir ses moyens de subsistance. Si, en 2015, la plupart des établissements sont désormais aguerris à cette logique de recettes, il n’en reste pas moins que les réflexes ne sont pas forcément encore acquis partout, comme peuvent en témoigner les nombreux contrats de performance signés encore.
Afin de ne pas décréditer la réforme, il revenait aux pouvoirs publics de veiller à ce que les tarifs par GHS correspondent réellement aux coûts de production moyens de ces GHS, fondement même de la tarification à la pathologie. En aucun cas les tarifs ne devaient être réajustés en fonction de l’évolution des dépenses de santé au niveau national, ce qui reviendrait à déconnecter les tarifs des coûts de production, et donc remettrait en cause le mode de financement. Ce ne sont pas les tarifs qui doivent évoluer à la baisse pour contenir les dépenses hospitalières, mais la répartition des ressources entre les établissements en appliquant réellement les effets de la réforme, à savoir retirer les ressources des établissements sur dotés pour les réaffecter aux établissements sous dotés. Or le contexte contraint chaque année de l’évolution de l’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) et la diminution successive des tarifs ont rendu aujourd’hui les tarifs quelque peu déconnectés de la réalité des coûts.
Enfin, le rôle de l’Agence régionale de santé devait évoluer d’un rôle de tutelle à celui de régulateur de l’offre de soins, en veillant à ce que l’ensemble des pathologies soit pris en charge dans des conditions de qualité et de sécurité des soins optimales, tout en contrôlant la bonne utilisation des ressources issues de l’activité produite des établissements.
La réforme du mode de financement des activités de SSR repose sur une dotation modulée à l’activité, qui repose sur un équilibre entre une dotation socle (sorte de dotation globale qui garantit un niveau socle de ressources aux établissements quelle que soit l’activité, permettant donc de couvrir les charges fixes) et un financement en fonction des séjours produits (tarification prenant en compte les prises en charges réalisées par les établissements). À ce stade, les éléments de calcul connus seraient les suivants.
Déterminée pour l’année N et allouée mensuellement à l’établissement, la dotation socle serait calculée en fonction de l’activité constatée les années antérieures et valorisée sur une quote part des tarifs de l’année N. Le financement au séjour quant à lui serait fondé sur l’activité réelle de l’année N et valorisé sur la base d’une fraction des tarifs de l’année N, complémentaire à la dotation socle.
Des financements ad hoc seraient également alloués aux établissements pour prendre en compte les coûts spécifiques des plateaux techniques spécialisés comme la balnéothérapie (sous forme de forfait annuel contractualisé), les molécules onéreuses pour les traitements innovants, des Migac (comme par exemple le financement de la scolarisation des enfants pendant leur séjour en SSR, la réinsertion professionnelle après leur séjour, la recherche ou bien encore les internes).
Le nouveau mode de financement se ferait en cinq ans afin de lisser les effets pour les établissements, et notamment permettre aux établissements sur dotés de s’adapter.
Le nouveau mode de financement prévu pour les activités de SSR tente donc bien de concilier les avantages de la dotation globale (dotation socle qui permet de couvrir les charges fixes indépendamment des aléas de l’activité) et de la tarification à l’activité (valorisation de l’activité de soins produite par les établissements). Reste néanmoins à savoir comment sera calculée l’échelle de coût du SSR. Et pourquoi ne pas appliquer cette dotation modulée à l’activité pour les activités de soins MCO ?
→ L’objectif du PMSI introduit en France en 1982 était de fournir un outil de classification des séjours hospitaliers, basé sur le modèle américain des Diagnosis Related Groups (DRG), baptisés GHM en France.
→ Le but est d’expliquer la variabilité des coûts infra et inter hospitaliers afin d’évaluer les performances relatives des différents établissements. On teste simultanément plusieurs variables ayant des influences sur les coûts hospitaliers pour aboutir à un nombre gérable de GHM.
→ À un GHM correspond un modèle statistique de prise en charge des malades qui se présente de la manière suivante :
→ On fait l’hypothèse que la durée de séjour est fortement corrélée au coût du séjour. Les GHM sont homogènes par rapport aux ressources qu’ils utilisent. On calcule un coût moyen par GHM et les groupes sont homogènes eu égard à la dispersion des coûts autour de la moyenne (GHS).
→ Plus les GHM sont nombreux, plus l’homogénéité est bonne, mais plus le système est compliqué.
→ Un malentendu entre les médecins et les gestionnaires peut exister. Il repose sur le concept d’homogénéité des groupes. Pour les médecins, les malades d’un même GHM doivent être homogènes cliniquement, c’est-à-dire avoir les mêmes pathologies. Pour les gestionnaires, les malades d’un même GHM doivent être homogènes économiquement, c’est-à-dire représenter le même coût. Or les GHM par coûts sont différents des GHM par pathologies.
La théorie de l’agence analyse les relations entre deux entités en ciblant les asymétries d’information entre les deux et les conséquences qu’elles engendrent sur la relation entre les deux individus, appelée relation d’agence, et les comportements stratégiques de chacun, qualifiés soit de sélection adverse, soit de risque moral. La sélection adverse intervient lorsque l’asymétrie d’information porte sur les caractéristiques du bien échangé entre les deux individus ; le risque moral apparaît, l’asymétrie d’information porte sur l’action ou l’effort produit par les individus eux-mêmes dans la relation d’agence.
Appliquée à la relation d’agence entre l’hôpital et la tutelle (l’ARS), la théorie de l’agence fait apparaître trois effets de sélection adverse et trois effets de risque moral, plus ou moins présents selon le mode de financement de l’hôpital, qu’il relève du budget global ou de la tarification à la pathologie :
– les effets de sélection adverse : un dû à la non-définition du produit hospitalier (la tutelle méconnaît les caractéristiques du bien produit par l’hôpital qu’elle finance cependant), un risque de préférence des pathologies rentables aux pathologies coûteuses par l’établissement de santé au détriment des besoins de la population, un risque de qualité insuffisante du bien produit ;
– les effets de risque moral : un de surproduction (l’hôpital, s’il est financé sans compter, a intérêt à maximiser son activité pour obtenir un budget le plus conséquent possible), un de sous-consommation si l’hôpital est financé forfaitairement (il a intérêt à minimiser ses dépenses), un de fractionnement des venues à l’hôpital pour multiplier les séjours et donc son budget.