Simulation clinique et apprentissagedes soins infirmiers - Objectif Soins & Management n° 242 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 242 du 01/01/2016

 

Promotion de la santé

Pascale Loriot*   Michèle Auberger**   Arnaud Barras***  

Le référentiel de formation des infirmiers de 2009 est un véritable bouleversement dans sa construction au niveau de l’ingénierie de formation. En effet, il se déploie pour la première fois à partir des référentiels métiers, activités et compétences professionnelles.

En juin 2013, après un bilan institutionnel sur l’évaluation des pratiques pédagogiques, la nécessité d’une réorganisation s’est imposée. La relecture collective du référentiel infirmier de formation a permis de penser le décloisonnement de l’organisation existante par promotion au profit d’une approche transversale par compétences. La répartition des responsabilités des formateurs autour des compétences répond au principal objectif de créer un maillage cohérent favorisant la vision globale de toutes les unités d’enseignement. Cette restructuration a généré des pratiques collaboratives et développé les compétences collectives de l’équipe pédagogique.

LE RAISONNEMENT CLINIQUE, FONDEMENT DU PROJET PÉDAGOGIQUE

Dans cette dynamique de changement, la posture des formateurs de l’Ifsi a été réinterrogée. Le choix collégial d’appartenance au courant pédagogique du socioconstructivisme s’est renforcé. Dès lors, la décision a été prise d’adopter comme modèle le concept de raisonnement clinique défini par Thérèse Psiuk et Arlette Marchal(1).

Le concept de raisonnement clinique est essentiel pour le développement de la performance clinique des professionnels de santé. « Il se construit à partir des données issues de l’observation et de l’écoute de la personne soignée en suivant une méthode hypothéticodéductive. »(2) L’utilisation du modèle clinique trifocal permet de structurer et d’organiser la démarche clinique en intégrant la dimension humaine dans chacun des trois domaines des jugements cliniques. Le premier domaine clinique étudie la symptomatologie de la personne soignée ; le second permet de décliner les risques ou complications ; dans le troisième domaine s’expriment les réactions humaines physiques et psychologiques réelles. Les trois attributs de ce concept portent sur la pertinence des connaissances en sciences médicales et humaines, sur l’utilisation de la méthode hypothético-déductive et sur l’élaboration des jugements cliniques. L’ensemble est fondé sur une relation d’aide de qualité de type counseling(3). Au cœur de ce changement de paradigme, nous avons établi une charte en faveur de la pédagogie de la réussite et développé des pratiques innovantes et diversifiées. « Il est impossible de séparer méthode et contenu car il existe une interaction entre le contenu et la manière d’apprendre et nous devons donner à percevoir l’utilité de ce que l’on apprend. »(4)

L’arrêté du 31 juillet 2009 modifié, relatif au diplôme d’État d’infirmier, structure la formation autour de l’étude de situations permettant de travailler les trois paliers d’apprentissage : comprendre, agir et transférer. C’est d’abord aux stages que nous pensons comme lieu privilégié quand il s’agit de travailler le troisième palier d’apprentissage. Cependant, l’appropriation des nouvelles techniques pédagogiques offre l’opportunité de développer aussi à l’institut les compétences professionnelles en situation.

LA SIMULATION, OUTIL DE PROFESSIONNALISATION

Ainsi, la simulation en santé dans l’apprentissage des soins infirmiers a pris tout son sens dans le dispositif pédagogique au service de l’acquisition progressive des compétences attendues. Ce dispositif positionne les formateurs de l’Ifsi, à l’instar des tuteurs de stage, comme acteurs complémentaires de l’alternance intégrative. Le cheminement de la réflexion collective a été conforté par l’arrêté du 26 septembre 2014 modifiant celui du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier. Il a été complété par l’instruction ministérielle du 24 décembre 2014(5) relative aux stages en formation infirmière, qui inscrit la simulation en santé comme méthode incontournable dans les modalités pédagogiques. « La simulation en santé est une méthode pédagogique active et innovante, basée sur l’apprentissage expérientiel et la pratique réflexive. »(6)

DÉPLOYER LA SIMULATION EN SANTÉ

Selon Jeffries et Gaba(7), « la simulation est une technique active d’enseignement et d’apprentissage qui fait appel à des moyens audio-vidéos, des simulateurs de tâche partielle, des simulateurs de niveau de fidélité variable mais aussi des patients standardisés joués par des acteurs afin de mettre en valeur une situation clinique réelle ». Ces expériences guidées répliquent un nombre important d’aspects de la réalité dans un contexte d’interprofessionnalité. L’objectif est de permettre aux apprenants d’acquérir et de démontrer des procédures, des habiletés pratiques, une pensée critique ainsi que des processus de prise de décision dans un exercice professionnel partagé. En formation initiale, la simulation se développe au regard de facteurs contextuels tels que les demandes sociétales pour la qualité et la sécurité des soins. À cela s’ajoutent le manque de diversité des lieux de stage, un environnement technologique en constante évolution et les responsabilités croissantes des infirmiers dans un milieu de travail complexe. En outre, la simulation répond à la considération éthique qui exige un minimum de compétences de la part de l’étudiant pour pratiquer un soin. L’apprentissage est construit à partir de situations de travail tant techniques que relationnelles. La simulation permet à chaque étudiant d’être confronté à des situations cliniques en lien avec les connaissances étudiées dans un contexte sécurisé qui reproduit un environnement réel. L’utilisation des simulateurs procéduraux est inscrite dans la culture et l’histoire de l’institut. Depuis 2012, le renforcement des ateliers de pratiques a été initié grâce à un matériel pédagogique performant : bras de ponction artérielle, buste pour pose de chambre implantable percutanée (CIP), simulateur de vieillissement, mannequin de basse fidélité… L’implantation de la simulation haute fidélité vient en prolongement des pratiques simulées procédurales.

LE LABORATOIRE DE SIMULATION, UN PROJET INSTITUTIONNEL

Le projet d’aménagement du centre d’enseignement de simulation à l’Ifsi est conforme aux recommandations de la Haute Autorité de santé préconisées par le Pr Jean-Claude Granry et Dr Marie-Christine Moll (rapport janvier 2012)(8). Ce projet est soutenu par la région. Il a pour objectifs de :

• créer un programme de formation basé sur l’apprentissage expérientiel et la pratique réflexive en situation simulée ;

• entraîner et confronter l’étudiant à développer des habiletés gestuelles et comportementales dans les situations complexes emblématiques de l’exercice professionnel infirmier ;

• développer l’implication et la performance individuelle et collective par un apprentissage au plus près des situations reproduisant des conditions réelles de travail.

Le déploiement du projet s’est articulé selon quatre axes : la pédagogie, la formation des formateurs, la logistique et le financement. Pour construire le projet pédagogique d’enseignement par simulation, nous avons sélectionné les situations cliniques emblématiques dans chaque semestre. Ces séquences d’enseignement par simulation sont dispensées au sein des unités d’intégration et dans certaines unités d’enseignement telles que les U.E 4.2 (soins relationnels) et 4.3 (soins d’urgences). De cette cartographie des situations, nous avons écrit les scénarios en suivant la méthodologie requise, à savoir la détermination des objectifs d’apprentissage du raisonnement clinique et des objectifs de Crisis Ressource Management (CRM). Ce terme emprunté à la simulation aéronautique désigne les habiletés de prise de décision, de cognition, de communication, de collaboration, d’anticipation à rechercher systématiquement chez les apprenants. Le succès de la mise en œuvre expérimentale de séances de simulation avec des acteurs ou un simulateur haute fidélité a entraîné la généralisation de cette pratique pour tous les semestres dès la rentrée 2014. Un formateur de l’Ifsi a obtenu son diplôme universitaire d’instructeur en simulation depuis 2013. Comme le précise le Pr Granry dans son rapport : « Cette formation est aujourd’hui absolument indispensable. Cette compétence n’est pas innée. L’expérience clinique seule n’est pas suffisante pour se déclarer formateur. »(8) L’expertise du formateur consiste à mettre en œuvre les bonnes pratiques de la formation par simulation. Les principaux critères qualifiants sont l’écriture du scénario, un briefing de présentation, l’exercice simulé filmé suivi d’un débriefing structuré et encadré puis de l’évaluation de la séance : « Les leaders doivent être formés à l’art et la science du débriefing. »(8) Le plan de formation à trois ans prévoit des formations courtes en simulation pour l’ensemble de l’équipe pédagogique. Pour être en conformité avec le déroulement d’une séance de simulation, il a suffi de réaménager trois espaces distincts dans les locaux existants. Le premier est dédié à l’action simulée dans un environnement réaliste de soins, équipé de matériel audio-vidéo. Le second permet le pilotage à distance du simulateur ou des patients standardisés et l’interaction avec les apprenants acteurs. Le troisième est la salle de débriefing. Elle permet, pour les étudiants observateurs, de visionner la séance de simulation en simultané et par ailleurs de réaliser le débriefing collectif. Le dossier de demande de financement étayé par un projet pédagogique finalisé a reçu le soutien du Conseil régional de Bourgogne. L’Ifsi est désormais doté d’un mannequin de simulation clinique haute fidélité.

CONCLUSION

La simulation en santé en formation initiale infirmière est un levier pour l’apprentissage du raisonnement clinique partagé.

Après avoir affirmé sa posture de formateur, l’équipe pédagogique s’est réorganisée dans une logique de compétence. Le choix du modèle conceptuel a été fondamental pour créer le lien entre savoirs et savoir agir. Le savoir agir en stage et le savoir agir à l’Ifsi ont trouvé leur complémentarité grâce au déploiement de la simulation clinique haute fidélité. À l’exemple du premier semestre de formation, tous les semestres ont été structurés sur le même modèle.

L’implication des formateurs et l’adhésion totale des étudiants font de cette démarche pédagogique un réel outil de professionnalisation. Il reste à favoriser le partenariat avec les professionnels de soins de proximité pour introduire la formalisation en pluridisciplinarité des plans de soins types et chemins cliniques qui sont de véritables outils centrés sur le parcours du patient. « Si nous respectons tous le même sens de la démarche clinique en partant du patient, nous allons obligatoirement évoluer vers une démarche interdisciplinaire qui sera une valeur ajoutée pour la qualité des soins. »(9)

NOTES

(1) Arlette Marchal, Thérèse Psiuk. La Démarche clinique de l’infirmière. Éditions Seli Arslan, 2002-2010, Paris.

(2) Thérèse Psiuk. L’Apprentissage du raisonnement clinique. Éditions De Boeck, Bruxelles, 2012.

(3) Thérèse Psiuk (2006). “La démarche clinique, évolution de la singularité vers l’interdisciplinarité”. in: Recherche en soins infirmiers. 2006, n° 84, p. 18-19.

(4) Projet pédagogique, 2015-2016, Ifsi du Chalonnais.

(5) Instruction N° DGOS/RHA1/2014/369 du 24/12/2014 relative aux stages en formation infirmière.

(6) Arrêté du 31 juillet 2009 modifié par l’arrêté du 26 septembre 2014 relatif au diplôme d’État d’infirmier.

(7) A Framework for desining, implementing and evaluating simulations used as teaching strategies in nursing. Nursing education perspectives, 26 (2), 96-103. Gaba, D. (2004). The future vision of simulation in healthcare. Quality and Safety in Health Care, 13 (suppl 1), i2-i10.

(8) Jean-Claude Granry et Marie- Christine Moll. Rapport de mission, “État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé”. HAS, janvier 2012 (lien raccourci : bit.ly/1l3EtWb).

(9) Thérèse Psiuk (2006). “La démarche clinique, évolution de la singularité vers l’interdisciplinarité”. in: Recherche en soins infirmiers. 2006, n° 84, p. 17.

Exemple de construction d’un semestre

Pour construire l’unité d’intégration du semestre 1 qui intègre les savoirs et la posture professionnelle, l’architecture du semestre se décline en paliers d’apprentissage. Tous les enseignements ont pour finalité de comprendre, d’agiret de transférer les connaissances en pratique simulée. C’est pourquoi le scénario est déterminé en début de semestre. Cette année, la situation emblématique choisie est celle d’un patient de 82 ans, opéré pour une prothèse totale de hanche à la suite d’une fracture accidentelle. Le contexte de prise en charge se situe dans un service de chirurgie au retour du bloc opératoire. Le patient présente des signes cliniques d’hémorragie paramétrés sur le simulateur mannequin. Il est équipé d’un drain de Redon, d’un pansement, d’une perfusion sur une voie périphérique et d’une pompe PCA. Pour le réalisme, l’environnement d’une chambre hospitalière est reproduit. Deux étudiants sont mis en situation de stage et doivent réaliser l’installation du patient avec un change complet et la surveillance post-opératoire.

Les objectifs pédagogiques visent la mise en œuvre de :

• la démarche hypothético-déductive du raisonnement clinique, afin d’évaluer la situation et établir le diagnostic dans le domaine infirmier de suspicion d’une hémorragie en post-opératoire ;

• la gestion de la situation dans les domaines de la communication (collaboration, alerte, transmissions) et de l’organisation des soins (hiérarchisation des priorités, ergonomie, bonnes pratiques).

Le maillage des enseignements du semestre prépare à l’atteinte de ces objectifs pédagogiques. Le socle de connaissances apporté par les enseignements en sciences humaines, biologiques et médicales est combiné avec les enseignements en sciences et techniques infirmières. Pour exemple, dans le cadre du processus traumatique, les formateurs ont choisi d’étudier, en raison de sa prévalence, un groupe homogène de patients (GHP) : les patients âgés de plus de 60 ans présentant une fracture fermée du membre inférieur. Le GHP est examiné par les étudiants à partir du modèle clinique tri-focal. Il en résulte un plan de soins type qui permet d’orienter le jugement clinique pour la prise de décision des interventions de soins. À partir du GHP, les étudiants remobilisent les opérations mentales du raisonnement clinique qu’ils transfèrent dans des situations de soins personnalisées. En parallèle, les connaissances acquises en hygiène, soins de confort et de bien-être/ergonomie et pharmacologie sont mises en pratique lors d’ateliers de simulation procédurale.