Planter, entretenir, veiller au temps et au passage des saisons… Tels sont certains des impératifs nécessaires aux jardins thérapeutiques. Une manière de se réapproprier la vie, comme le souligne Emmanuel Mieusset, cadre à l’unité psychiatrique Picasso du centre hospitalier d’Annecy.
Emmanuel Mieusset : Il y avait déjà une activité à médiation autour du jardin thérapeutique au sein du service que j’ai rejoint en tant que cadre à l’unité psychiatrique Picasso du centre hospitalier d’Annecy, en 2012. Dès mon arrivée, les infirmiers qui s’en occupaient m’ont proposé un projet : faire intervenir l’émission Silence, ça pousse ! (France 5) pour réaménager le jardin dans le patio de l’unité avec des moyens plus conséquents. Le fait de bénéficier d’un regard extérieur pour mettre en valeur l’espace, de valoriser le travail et l’investissement des patients inclus dans l’atelier a été un élément essentiel au projet.
Emmanuel Mieusset : Un jardin thérapeutique sert à accompagner les patients dans leur stabilisation, à calmer leurs angoisses, à repousser l’isolement qu’ils connaissent du fait de leur pathologie, à garder un lien avec l’environnement naturel. Des études scientifiques prouvent que ces activités peuvent améliorer l’état des patients, la qualité de leur sommeil, et même parfois permettre de réduire certains traitements médicamenteux. Il s’agit également de créer un endroit reposant et accueillant pour l’ensemble des patients qui souhaitent s’isoler, même pour ceux qui ne travaillent pas dans le jardin. Pour ceux qui y travaillent, les notions de planification et d’imagination des résultats prévus sont essentielles. Évidemment, l’hiver est une saison un peu moins active ! On entretient et on prépare pour le printemps ; on veille également à ce qu’il n’y ait pas trop de dégradations.
Emmanuel Mieusset : Tout d’abord, nous avons demandé l’autorisation à nos responsables hiérarchiques avant d’envoyer la demande à l’émission. Le dossier de candidature a été accepté par la production. Il a fallu demander aux patients liés au projet de signer un document pour céder leur droit à l’image, ce qui n’a posé de problème pour personne. Puis l’équipe de l’émission est venue en juillet 2014, à la veille du tournage, pendant un jour, pour tout organiser. Les patients concernés étaient présents lors de cette rencontre. On leur a demandé ce qu’ils souhaitaient pour ce petit jardin de 150 m2. Ils ont parlé de couleurs, d’odeurs et de leur envie d’un abri de jardin. Tout a été pris en compte par l’équipe. Ils ont été d’une humanité exceptionnelle ! À aucun moment je n’ai senti d’appréhension. Toutes les remarques et comportements des patients ont été acceptés comme venant de n’importe qui. Il n’y avait pas de frontières. Tout était très naturel, d’humain à humain.
Emmanuel Mieusset : Oui. Une très, très longue journée. Tous ensemble, nous avons participé aux plantations et à la création de l’abri de jardin. Chez les patients, nous avons senti une énorme fierté au vu du résultat obtenu. Depuis, le groupe jardin continue à faire vivre notre patio. Certaines plantes n’ont pas survécu et nous les avons remplacées par d’autres. Mais nous avons gardé cette idée des patients : des plantes odorantes et colorées. Au printemps, ça sent très bon ! L’émission est passée à la télévision en septembre ou octobre suivant. Nous l’avons regardée avec les patients.
Emmanuel Mieusset : L’activité est portée par les infirmiers. Deux infirmiers, en fonction des nécessités de la prise en charge et des disponibilités du personnel. Ils conduisent l’activité sur la journée avec un groupe de patients de deux à six personnes une fois par semaine. Un peu moins souvent l’hiver. Nous avons trois infirmiers référents. Ils ont un vrai intérêt pour la nature depuis le début. Cela a rendu notre environnement beaucoup plus riche.
Emmanuel Mieusset : Un moment m’a particulièrement touché. Pendant le tournage de l’émission, il avait été décidé de créer un petit chemin à travers le jardin, pour que les gens puissent le traverser sans abîmer les plantations. Au début, on pensait le faire avec des courbes. Là, une patiente a dit : « Il ne faut pas faire comme ça ! Ici, on est en psychiatrie, il faut aller tout droit, au plus simple. » Du coup, on a fait un chemin tout droit [rires].
Emmanuel Mieusset : Une ambiance très joyeuse, mais cela a été épuisant. Un très gros travail ! Des membres de la direction sont même venus nous aider. La directrice de la communication, notre chef de pôle, la cadre supérieure du pôle, chacun a presque sa propre plante affiliée… Et ils les surveillent avec attention.
Emmanuel Mieusset : Après chaque activité, l’équipe soignante remplit les dossiers de soins à propos de la médiation autour du jardin. Ce qui s’est bien passé, ce qui s’est mal passé et ce qu’il sera nécessaire de réajuster la fois suivante. À chaque fois, des objectifs sont définis clairement. La détente et la satisfaction des patients en sont des éléments essentiels. Mais aussi la capacité à suivre l’activité, à réfléchir sur ses différentes étapes, le suivi, une attention constante ou non… Parfois, si la personne se montre complètement épuisée lors d’une séance, on évalue de nouveau son attitude lors de la séance suivante. D’autres sont, au début, incapables de proposer quoi que ce soit, et on voit leur degré d’autonomie et d’initiative se développer peu à peu. C’est l’une des vertus du jardin thérapeutique. Un autre élément essentiel apporté est d’apprendre à se mettre en adéquation avec la réalité de la nature et des projets.
Emmanuel Mieusset : Tout type de patients psychiatriques. On est sur une prise en charge sectorisée et la durée d’hospitalisation peut énormément varier. Concernant le sujet du jardin, cela signifie que les patients ne le suivent pas de saison en saison. Le fil rouge, c’est l’équipe infirmière. Certains patients participent à l’activité une seule fois, et d’autres plusieurs fois. Mais le jardin reste un lieu de vie pour tous. C’est aussi là qu’ils sortent fumer. L’été, c’est une terrasse avec des tables et des chaises. Du coup, l’activité du groupe jardin, c’est aussi de nettoyer, d’entretenir et de réparer cet espace collectif.
Emmanuel Mieusset : Après mon bac, je voulais travailler dans le domaine de la santé mais ne pas faire de trop longues études. Ma grand-mère, qui avait été aide-soignante, s’occupait aussi de la bibliothèque de l’hôpital. Elle m’y amenait parfois. Et c’est grâce à elle que j’ai eu l’idée de postuler sur un emploi d’été comme agent de service hospitalier dans la maison de retraite de l’hôpital. J’ai adoré le contact avec les personnes âgées et leur plaisir de rencontrer des jeunes.
Emmanuel Mieusset : À l’époque, les hommes faisaient encore leur service militaire. J’ai été incorporé à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Une super-expérience, mais assez difficile quand on n’a pas de bouteille. Des expériences parfois très violentes. On n’a ni les réflexes ni l’assurance professionnelle pour tout assumer à ce stade. Je dois beaucoup à l’esprit de corps et de solidarité des équipes de pompiers qui ont été très compréhensives lors de mes premières interventions.
Emmanuel Mieusset : Je suis parti à la Martinique avec ma compagne qui avait une possibilité d’y poursuivre ses études. Là, j’ai trouvé un poste d’infirmier vacataire au centre hospitalier du Carbet dans un service de rééducation lourde pour patients paralysés. J’y ai appris la vie [rires]. Le rythme des contrats de travail y était très irrégulier. J’ai donc découvert la précarité, la mienne, la nôtre. Mais j’ai aussi découvert la solidarité. Notre propriétaire, qui avait entendu parler de nos difficultés, nous a même rendu notre loyer d’un mois… Nous y sommes restés deux ans. Professionnellement, j’y ai gagné une idée de la relation aux patients sur un long terme. Là-bas, il y a malheureusement beaucoup d’accidents de la voie publique. C’était un peu la suite des soins d’urgence que je faisais avec les pompiers. Et en équipe, que du bonheur ! La vie est plus forte que tout. Un patient tétraplégique à qui je demandais comment il allait m’a simplement répondu : « Mwen la ka tchimbé, la vi a bel. » (« Ça va, je tiens la barre face aux difficultés, la vie est belle. ») Une vraie leçon de vie !
Emmanuel Mieusset : J’étais très attiré par les soins d’urgence et le Samu, mais il m’a semblé qu’il me manquait une vraie assise théorique. J’avais l’impression d’agir de manière un peu mécanique, sans vraiment comprendre les tenants et les aboutissants de la prise en charge du patient. Du coup, j’ai décidé de continuer à me former en suivant le cursus d’infirmier anesthésiste. J’ai trouvé les formateurs formidables. C’était exactement ce que j’attendais, mais j’avoue avoir eu un peu de mal à me réadapter au mode de fonctionnement métropolitain [rires].
Emmanuel Mieusset : Mon épouse travaillait sa thèse là-bas. J’ai obtenu un poste au Samu 972 du centre hospitalier universitaire de la Meynard à Fort-de-France et nous avons retrouvé notre petit village sous les pitons du Carbet. Au moment de mon arrivée, le chef de service venait de faire passer le projet de la mise en place d’infirmiers anesthésistes au sein des équipes. J’ai été le premier, c’est historique [rires]. Nous avons passé sept ans là-bas. J’y ai découvert des millions de choses, des activités très variées, notamment les secours en milieu périlleux. C’était vraiment passionnant !
Emmanuel Mieusset : J’avais 37 ans. C’était important pour mon fils aîné de se rapprocher de la famille élargie. Du coup, je me suis posé des tas de questions sur mon avenir professionnel. Ce que j’avais vécu de tellement excitant à la Martinique n’avait pas, à mes yeux, d’équivalent sur le continent. Je me suis donc donné le temps de réfléchir en prenant une année de congé parental pour m’occuper de mon petit de 2 ans. J’avais peur de la routine et l’enseignement m’attirait. C’est la rencontre avec le directeur de l’Ifsi d’Annecy qui m’a persuadé de m’engager dans le processus pour devenir cadre.
Emmanuel Mieusset : À la sortie de l’école des cadres, quand on m’a demandé quel type de poste me plairait, j’ai demandé la psychiatrie ou la gériatrie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je voulais renouer avec une dynamique de prise en soins de patients sur un long terme. Travailler avec les patients et leurs familles. C’était une vraie envie et ça l’est toujours. J’occupe le poste de cadre de l’unité Picasso depuis 2012. C’est une dimension du soin que je voulais retrouver. Le soin de la relation, l’accompagnement au quotidien. Pour découvrir l’univers de la psychiatrie, j’ai été remarquablement accompagné par les équipes soignantes. Mes compétences d’encadrant en ont été renforcées.
Emmanuel Mieusset : Une vraie qualité de travail en collaboration. Ici, le respect de la parole de l’autre, patient comme soignant, n’est pas un mythe. Notre activité jardin est d’ailleurs un élément important de cette dynamique.