Il s’agit de respecter le droit fondamental à une vie privée et familiale. Toutefois, une atteinte à ce droit peut être admise, mais sous des conditions très strictes, tenant à l’état de santé du patient ou au comportement des visiteurs. En statuant à propos d’une interdiction de visite, la jurisprudence administrative vient de confirmer sa compétence pour des litiges relatifs à l’exécution du service public hospitalier, dès lors qu’il ne s’agit pas du bien-fondé de l’hospitalisation sans consentement. C’est précisément le cas du recours contre des décisions d’interdiction de visite à un patient hospitalisé en psychiatrie, opposées même verbalement aux visiteurs et (ou) au patient.
DROIT DE VISITE À L’HÔPITAL, UN ÉLÉMENT DU DROIT À UNE VIE PRIVÉE ET FAMILIALE
Le principe du droit aux visites
Selon la Convention européene des droits de l’homme
L’interdiction de visite à un patient peut constituer une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme(1). Ce texte, applicable par le juge interne, indique que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Il ne peut y avoir une ingérence de l’autorité publique dans l’exercice de ce droit que si elle est « prévue par la loi ». Toute restriction doit de plus constituer, en référence à une société démocratique, « une mesure […] nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Selon le Code civil
En droit interne, d’un point de vue général, le non-respect de la vie familiale est contraire aux dispositions de l’article 9 du Code civil(2), disposant que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Dans cette hypothèse, « les juges peuvent […] prescrire toutes mesures […] propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée »(2).
En droit pénal
La jurisprudence pénale(3) considère enfin la chambre d’un service du patient comme domicile privé, dans lequel l’intimité de la vie privée doit être protégée, ceci dans la limite des nécessités de service. Dans le prolongement de cette décision, on pourrait considérer que les visites ont également à voir avec l’intimité de la vie privée. Cette jurisprudence nous donne donc une indication importante, même si elle statue sur le fond d’une affaire donnée et ne constitue pas le droit applicable en général.
Recommandations
La Haute Autorité de santé (HAS) retient que « la notion de vie privée se caractérise aussi par le respect de […] son intimité familiale ou sentimentale »(4). Ainsi, selon la qualité du visiteur, l’atteinte au droit de visite de certains proches pourrait s’entendre comme un manquement au respect de la vie familiale, en contradiction avec les recommandations de bonne pratique.
Ni la loi, ni le règlement ne prévoient expressément un droit aux visites pour les patients hospitalisés. Cependant, ce droit est largement sous-entendu, notamment aux articles R. 1112-47 et R. 1112-48 du Code de la santé publique(5), qui énumèrent des règles de déroulement de ces visites. En revanche, sans énoncer de restriction pour les soins psychiatriques, la circulaire de 2006(6), relative à la Charte de la personne hospitalisée, énonce de façon explicite que « la personne hospitalisée peut recevoir dans sa chambre les visites de son choix en respectant l’intimité et le repos des autres personnes hospitalisées »(7).
L’interdiction du droit de visite par exception
Justification de l’interdiction de visite par le comportement du visiteur ou par la volonté du patient
Le juge administratif(8) de première instance a déjà considéré que le refus de visite, qui serait opposé à un membre de la famille d’une personne hospitalisée en soins psychiatriques, serait de nature à engager la responsabilité de l’hôpital. Toutefois, les visites peuvent être restreintes, dès lors qu’elles portent atteinte au bon fonctionnement du service public hospitalier. En effet, le directeur d’hôpital doit prendre toutes les dispositions nécessaires au respect de la vie privée du malade et ne pas permettre la visite des personnes jugées indésirables. Le Conseil d’État(9) considère à cette fin que, « dans un établissement public consacré aux aliénés, comme dans l’ensemble des établissements publics de santé, le directeur est l’autorité compétente pour assurer la police générale de l’établissement ».
Ce pouvoir de police administrative du chef d’établissement est conféré par l’article L. 6143-7 du Code de la santé publique(10) au directeur d’hôpital.
En l’espèce, il repose notamment sur les dispositions de l’article R. 1112-47 du Code de la santé publique(11) indiquant que « les visiteurs ne doivent pas troubler le repos des malades ni gêner le fonctionnement des services ». Le texte précise en complément que, si cette obligation n’est pas respectée, alors « l’expulsion du visiteur et l’interdiction de visite peuvent être décidées par le directeur ». Il s’agit donc de situations a priori étrangères au comportement du patient lui-même, mais qui vont toutefois le concerner dans la mesure où, en cas d’interdiction, il ne pourra pas bénéficier de certaines visites.
En outre, l’interdiction de visite peut intervenir à l’initiative du patient. Toujours selon l’article R. 1112-47 du Code de la santé publique(11), « les malades peuvent demander […] de ne pas permettre aux personnes qu’ils désignent d’avoir accès à eux ». Dans cette hypothèse, l’interdiction de visite est de plein droit pour le patient qui le demande et ne paraît pas contestable par un visiteur éventuel, quel que soit son lien avec le patient. Dans ce cas, il conviendra de s’en remettre à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique(12), disposant que « toute personne prise en charge […] a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ».
Justification médicale de l’interdiction de visite au vu de l’état du patient
En soins psychiatriques libres, l’article L. 3211-2 du Code de la santé publique(13) dispose qu’« une personne faisant l’objet de soins psychiatriques avec son consentement pour des troubles mentaux est dite en soins psychiatriques libres ». À ce titre, elle dispose « des mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades soignés pour une autre cause ». Il apparaît donc difficile a priori d’interdire des visites à un patient en soins psychiatriques libres. Toutefois, pour certaines pathologies, comme les conduites addictives par exemple, des visites au patient peuvent être contre-indiquées. Le processus de soins peut alors comporter une restriction aux visites de certaines personnes, à laquelle le patient devra consentir et se conformer. Dans le cas contraire, sa sortie définitive pourra être prononcée, y compris à titre disciplinaire. En effet, des comportements liés à l’usage ou au trafic de produits illicites peuvent également justifier le recours à l’article R. 1112-49 du Code de la santé publique(14), permettant au directeur, avec l’accord du médecin chef de service, de prononcer la sortie de l’intéressé.
La récente décision du Conseil constitutionnel(15), saisi à propos des dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement, rappelle la nécessaire conciliation à opérer entre les principes à valeur constitutionnelle que constituent le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public. Précisément, l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique(16) dispose que « lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques [sans consentement] […], les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ». Dans ce cas, l’interdiction de visite peut être nécessaire et reposer sur une décision médicale, au vu des troubles manifestés par le patient et du traitement requis. Mais ceci n’est possible que si cette interdiction est motivée et répond strictement aux critères cumulatifs requis.
Cette interdiction de visite devra être non seulement nécessaire, mais aussi individualisée et proportionnée, conformément aux principes dégagés par la jurisprudence Benjamin(17). En effet, le juge administratif va vérifier si la mesure de restriction ou d’interdiction est justifiée par rapport aux circonstances, mais aussi si elle est adaptée et proportionnée à la menace qui pèserait sur le bon ordre nécessaire à l’exécution du service public hospitalier.
Par ailleurs, en s’inspirant des principes juridiques (voir supra), la HAS(18) énonce des recommandations en complément. Elle indique que « certaines situations cliniques peuvent nécessiter, dans une visée de sécurité et/ou pour des motifs thérapeutiques, la mise en œuvre de mesures momentanées de limitation de liberté ».
Cependant, « toute décision de ce type doit faire l’objet d’un protocole précis, être motivée, décidée en concertation, expliquée à la personne concernée dans une perspective de recherche de consentement, réévaluée et portée au dossier ». Enfin et surtout, les recommandations précisent que « les restrictions de liberté font l’objet d’une prescription médicale écrite, réévaluée à périodicité définie ».
VOIES DE RECOURS CONTRE UNE INTERDICTION DU DROIT DE VISITE
L’interdiction de visite au patient hospitalisé
Une compétence du juge administratif
Dans une affaire récente, un père s’est vu interdire, par décision verbale du psychiatre, une visite à son fils majeur hospitalisé sans son consentement sur décision du représentant de l’État. Le Conseil d’État(19) a considéré à cette occasion que « la décision par laquelle un établissement public de santé refuse à un tiers le droit de rendre visite à une personne hospitalisée sans son consentement a le caractère d’une mesure prise pour l’exécution du service public hospitalier qui ne porte pas atteinte à la liberté individuelle ». La haute juridiction administrative conclut dès lors que « le juge administratif est compétent pour en connaître ».
Une décision qui fait grief susceptible de recours
Cette interdiction de visite aurait pu être considérée comme une mesure d’ordre intérieur, laissée à la discrétion de l’administration pour l’organisation du service, et ne pouvant pas faire l’objet d’un recours. Ce n’est pas le cas, même si cette mesure est prise pour l’exécution du service public hospitalier.
En effet, si cette décision ne porte pas atteinte à la liberté individuelle, au sens de l’article 66 de la Constitution, le Conseil d’État reconnaît toutefois implicitement qu’il s’agit d’une décision faisant grief, pouvant ainsi faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En effet, l’atteinte au droit à une vie familiale et à l’intimité de la vie privée constitue une violation d’un droit fondamental et justifie ainsi un recours devant le juge administratif, au titre du référé liberté, voire du référé suspension (voir infra).
Ces recours juridictionnels sont possibles, mais après s’être assuré que l’on se trouve effectivement confronté à une décision refusant tout droit de visite.
Les recours possibles contre la décision d’interdiction de visite et leur intérêt
Juge administratif ou juge judiciaire ?
Malgré l’adoption de la loi du 5 juillet 2011(20), le juge judiciaire est compétent seulement pour apprécier la nécessité d’une mesure d’hospitalisation contrainte, c’est-à-dire si la personne n’est pas arbitrairement détenue. En dehors des décisions d’hospitalisation sans consentement, c’est le juge administratif qui est seul à même de traiter les litiges relatifs aux droits des personnes hospitalisées en établissements psychiatriques publics ou équivalents. C’est déjà le cas, notamment pour le droit du patient d’émettre ou de recevoir des courriers(21), ou encore pour contester un règlement intérieur(22). Cette compétence du juge administratif se généralise désormais au gré des décisions successives, notamment pour les décisions relatives aux visites à des patients et à leur éventuelle interdiction.
Recours
Les recours peuvent être initiés par les visiteurs empêchés, ou bien par le patient privé de visite. Pour obtenir rapidement le droit de visite, face à un refus y compris verbal, la procédure de référé administratif est à privilégier, afin d’obtenir des mesures conservatoires provisoires et rapides. Il faut noter que c’est au demandeur, patient ou visiteur, d’apporter les éléments de fait et de droit sur lesquels reposent les recours. Cependant, l’établissement hospitalier devra à son tour justifier de sa décision motivée, comme étant nécessaire et proportionnée.
• En premier lieu, le référé-liberté, prévu par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative(23), dispose que le juge des référés « peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Le juge, « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence », doit « se [prononcer] dans un délai de quarante-huit heures ». Ce recours a une portée globale sur l’atteinte aux libertés en général, dès lors que les critères d’urgence et de gravité sont réunis. En l’occurrence, le recours sera fondé notamment sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme(1), permettant au juge de prendre toute mesure nécessaire, c’est-à-dire de suspendre ou bien d’annuler la décision d’interdiction de visite. Concrètement, le juge administratif peut formuler une injonction envers l’administration d’adopter un comportement déterminé, y compris sous astreinte. En l’espèce, il devra permettre les visites sans délai. En cas de rejet de sa demande, le demandeur pourra saisir le Conseil d’État dans un délai de quinze jours et ce dernier devra se prononcer dans un délai de quarante-huit heures après sa saisine.
• En second lieu, couplé à une requête en annulation, le référé suspension prévu par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative(24) peut trouver à s’appliquer à l’interdiction de visite. Selon ses termes, une décision administrative perçue comme abusive peut faire « l’objet d’une requête en annulation ou en réformation ». Dans ce cas, « le juge des référés, […] peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision ». Il faut toutefois que « l’urgence le justifie et qu’il [soit] fait état d’un moyen propre à créer […] un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Ce recours va porter sur l’acte précis qui viole une liberté, dès lors qu’elle n’a pas été entièrement exécutée. Ici encore, le critère d’urgence est retenu, mais il devra être associé à une présomption d’illégalité de la décision. Contrairement au référé liberté, la réponse est soumise seulement à une exigence de « bref délai », à savoir environ quinze jours. Un pourvoi en cassation est possible à la suite d’un rejet immédiat et sans débat du juge des référés. Le Conseil d’État doit alors se prononcer dans un délai maximal d’un mois. Après un référé suspension, le recours en vue d’annulation de la décision peut être assorti d’une recherche de la responsabilité indemnitaire de l’établissement ayant refusé illégalement le droit de visite. Les personnes ayant subi un préjudice consécutif à cette décision, insuffisamment motivée en fait et en droit, sont les visiteurs et/ou le patient lui-même. Sans prétendre à l’exhaustivité en matière de réparation, les visiteurs et le patient peuvent notamment invoquer un préjudice moral lié à l’impossibilité de rendre visite ou de recevoir une visite. Des préjudices matériels résultant de ce refus pourront être aussi invoqués par les visiteurs, comme les frais de déplacement en vue d’une visite finalement interdite.
NOTES
(1) Convention européenne des droits de l’homme, consultable (article 8 en page 10) via le lien raccourci bit.ly/T4PtDX
(2) Code civil, article 9 consultable via le lien raccourci http://bit.ly/1m7USbP
(3) Cours administrative de Paris, Chambre correctionnelle, 17 mars 1986, Affaire Chantal Nobel.
(4) Conférence de consensus. “Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité”, Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. 24 et 25 novembre 2004. À consulter via le lien raccourci bit.ly/1WWN5v5
(5) Articles R. 1112-47 et R. 1112-48 du Code de la santé publique à consulter via le lien raccourci http://bit.ly/1TwrsBS
(6) Circulaire DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A 2006-90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée. À consulter via le lien raccourci bit.ly/1SwwQ7k
(7) Charte de la personne hospitalisée consultable viale lien raccourci bit.ly/23Dh0Nl
(8) Tribunal administratif de Versailles, 12 mars 1998, M. Seidel c/ Centre hospitalier de Perray-Vaucluse.
(9) Conseil d’État, 17 novembre 1997, n° 168606, CHS de Rennes. Publié au Recueil Lebon.
(10) À consulter via le lien raccourci bit.ly/20hUAC5
(11) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1TwrsBS
(12) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1JTwNRA
(13) À consulter via le lien raccourci bit.ly/20hUN8g
(14) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1SwxLEO
(15) Décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie. À consulter via le lien raccourci bit.ly/20Bmzcz
(16) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1VBuun1
(17) Conseil d’État, 19 mai 1933, Benjamin, n° 1741317520. Publié au Recueil Lebon.
(18) Respect des libertés individuelles et gestion des mesures de restriction de liberté, Critère (10.e) du manuel de certification HAS – version 2014.
(19) CE, 26 juin 2015, n° 381648.
(20) À consulter via le lien raccourci http://bit.ly/20hXx5x
(21) Conseil d’État, 6 avril 2007, Bernardet, n° 280494.
(22) Cour d’appel administrative de Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11BX01790.
(23) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1PLlSFV
(24) À consulter via le lien raccourci bit.ly/1QSsnMc