L’interculturalité est devenue une composante essentielle de l’activité soignante. Ceci pour deux raisons : la première concerne le contexte sociétal où la mondialisation des échanges a confirmé et amplifié, notamment en France, les phénomènes d’échanges entre cultures de pays différents ; la seconde est intiment liée à la diversification des professions de santé coopérant ou collaborant au sein d’équipes pluridisciplinaires.
L’interculturalité touche aussi bien les interactions culturelles entre professionnels de santé, que celles entre soignants et demandeurs de soins ou santé. Développer une compétence interculturelle dans les pratiques infirmières est devenue une exigence accrue. Soignants et soignés sont donc le plus souvent un reflet d’une mosaïque culturelle. « Dans la société multiculturelle d’aujourd’hui, la compétence interculturelle est devenue un composant critique du portefeuille de compétences d’éducateur de santé. Cette compétence est exigée pour comprendre notre culture et des cultures différentes […] pour développer et mettre en œuvre les programmes qui correspondent aux besoins de publics
Près d’un million de personnes en France ont une profession paramédicale, et le secteur regroupe une quinzaine de métiers phares. Le milieu sanitaire constitue donc un melting pot de cultures professionnelles. Le terme même de “soin” est porteur d’une connotation interculturelle. Nadot en 1990
Chaque professionnel de santé est porteur d’une culture polymorphe (cf. figure p.29). Cette culture est issue de sa propre construction identitaire, développée à partir des valeurs de son groupe social (parents, familles, proches…), puis influencée par son environnement (médias, voyages…), et modifiée par la construction identitaire professionnelle en lien avec le milieu de formation et celui du travail. L’hôpital constitue un « huis clos structuré autour de la logique médicale »
La fonction de représentation consiste à jouer un certain rôle, attendu socialement, devant le ou les autres. En s’affichant extérieurement comme cadre de santé ou infirmier (ère) face à un patient, ou un membre de l’équipe soignante, “l’acteur” ne répond pas seulement à une fonction mais adhère à un rôle, une “face”
Toutes ces situations où les différences de classes sociales professionnelles ou ethnoculturelles sont marquées, constituent des zones sensibles de confrontation interculturelles
En regard de la diversification des points de vue et des identités culturels, que ce soit face aux patients ou aux différentes corporations soignantes en présence, il semble légitime de souligner l’intérêt de prendre en considération la reconnaissance et le développement d’une compétence interculturelle.
Flye Sainte-Marie
La compétence interculturelle est donc intimement liée au rôle propre infirmier, car c’est bien l’analyse qui confère à la situation de soins un caractère interculturel
Flye Sainte-Marie définit la nature de la compétence interculturelle à partir de deux grandes dimensions : les compétences sociales et relationnelles de base et les capacités cognitives (cf. figure p.30).
Pour la première dimension, l’auteure parle d’un « comportement social équilibré » qui implique une capacité à entrer en relation et à alimenter cette relation, une faculté à saisir la pensée de l’autre et partager ses émotions (empathie), une capacité à interagir avec l’autre (coopération) et enfin une capacité d’influence sur l’autre sans contrainte (assertivité). Cette dernière caractéristique n’est pas sans rappeler la dimension éthique liée à la notion de consentement éclairé institué par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
La seconde grande dimension de la compétence interculturelle, c’est-à-dire les capacités cognitives, fait écho à une faculté de raisonnement mental dans l’optique d’orienter l’action, dimension qui rappelle le jugement clinique infirmier. Parmi ces capacités cognitives se retrouvent la capacité d’analyse, de mise en relation des faits, de mobilité mentale (variété des stratégies et solutions déployées, transformations, mise en jeu des représentations, passage d’un fonctionnement mental à un autre), de comparaison, de décentration et de relativisation.
Tout humain est porteur d’une identité culturelle construite socialement. En fait, la compétence interculturelle s’initie dès la petite enfance et se poursuit tout au long de la vie par l’éducation que chacun reçoit. « L’éducation est par excellence un moyen de transmission des valeurs culturelles nationales et universelles et doit permettre d’assimiler les connaissances scientifiques et techniques sans porter atteinte aux capacités et aux valeurs des peuples. »
Au Canada, un programme de formation initiale infirmière à l’interculturalité (Social Cultural Competency for Success SCCS, program) a fait l’objet d’une étude de type expérimental. Les résultats ont souligné que les étudiants en soins infirmiers ayant bénéficié du programme (groupe expérimental) géraient sans difficulté et avec efficience les interactions verbales interculturelles. A contrario, les étudiants en soins infirmiers n’ayant pas participé au programme (groupe témoin) montraient une tendance à adopter des stratégies d’évitement face à des situations interculturelles.
Une autre recherche de type qualitatif a été menée en Suède auprès d’infirmières chargées d’actions de promotion de la santé envers un public d’immigrants. La conclusion de cette étude met en exergue la nécessité que les infirmières développent plus avant des compétences en communication interculturelle et préconise que « ces compétences devraient donc être incluses dans la formation des infirmières ».
Il serait donc légitime de trouver en France une formation à la compétence interculturelle au niveau de la formation professionnelle tout au long de la vie (FPTLV) et depuis l’avènement de la loi HPST du 21 juillet 2009, dans le cadre du programme de Développement professionnel continu (DPC). Le DPC constitue une obligation commune pour les professionnels de santé, et surtout une opportunité de mener de front une activité professionnelle et des sessions de formations courtes centrées sur l’analyse des pratiques professionnelles. Car, comme l’a bien montré le programme de recherche européen Intercultural education of nurses and health professionals in Europe
L’analyse des pratiques professionnelles est un moyen de formation et de professionnalisation reposant sur les savoirs expérientiels. Elle est adaptée aux professions où l’inventivité et l’aspect relationnel est prégnant. « L’analyse des pratiques est présentée comme une modalité de formation particulièrement intéressante quand une partie importante du travail ne peut être prescrite, quand le praticien est dans l’obligation de construire en permanence des réponses adaptées à des situations toujours singulières. »
Le cadre de santé, membre à part entière de l’équipe soignante et interface de la pluridisciplinarité convoquée dans les soins, est de fait interpellé par cet environnement interculturel.
Par exemple, dans sa fonction de cadre de proximité, l’auteur a eu l’occasion de recevoir une famille d’origine espagnole afin de les accompagner dans leur prise de décision concernant le placement institutionnel ou le retour à domicile de leur père. Sa posture s’est située dans l’accueil de cette culture hispanique (empathie) où il est inconcevable de ne pas garder ses aïeux au domicile jusqu’à la fin de vie. Ses interlocuteurs, d’abord fermés, se sont peu à peu sentis reconnus et en confiance. De là, il a été possible d’échanger sur les aspects pathologiques, ergothérapeutiques, psychologiques et sociaux à prendre en compte (coopération) pour que le retour à domicile soit une réussite et pas une contrainte (assertivité). Cette entrevue s’est prolongée par une seconde rencontre élargie à l’ensemble des corporations interagissant avec le patient.
Le cadre de santé n’est humblement que l’un des maillons d’un travail d’équipe. Mais le rôle du cadre de santé ne se borne pas seulement à accroître sa compétence interculturelle. Il a aussi un rôle fondamental à jouer pour organiser les conditions nécessaires afin que les personnels développent cette compétence interculturelle.
Pour ce faire, le cadre de santé ne doit pas seulement être un manager au sens où le management a une emprise sur la fonction pédagogique et clinique du cadre
Cette dynamique le contraint souvent à opérer des choix entre le temps procédural que lui impose l’institution et le temps de proximité à son équipe que lui rappelle son éthique professionnel. C’est là, dans l’art de se ménager des marges de manœuvre ou de prendre le risque de jouer la carte de la créativité de ses collaborateurs, que le cadre de santé va déployer son ingéniosité.
C’est aujourd’hui un défi de prôner le développement professionnel des compétences dans un environnement où la pression de la rationalisation des coûts pousse sans cesse à fonctionner à iso-moyens ! Quid des congés formations dans un contexte d’absentéisme chronique comme c’est le cas dans certains établissements ?
Pour le cadre de santé, il faut donc une vision stratégique en tablant à la fois sur les perspectives de formation continue et en saisissant toutes les opportunités de formation in vivo, c’est-à-dire en exploitant les expériences de soins interculturelles lors des transmissions inter-équipes, lors des “staffs” ou dans les moments informels comme les pauses ou temps de repas…
Nous aurons tenté d’exposer que la culture ne s’impose pas mais se construit dans l’interaction sociale. Ainsi, notamment dans le cadre de l’activité professionnelle, la culture ne correspond pas à des modèles comportementaux attendus, mais davantage à une co-construction entre professionnels de soins ou/et entre professionnels de soins et demandeurs de soins ou de santé. Il est fort signifiant de terminer nos propos en rappelant l’étymologie du mot “culture”. Celui-ci vient du latin colo, colere, qui signifie “cultiver”, “soigner” la terre
Culture et soin sont donc des termes indissociables, voire consubstantiels, car porteurs d’une même identité !
Avec l’avènement d’une société de plus en plus cosmopolite et d’un rôle infirmier qui se trouve de plus en plus élargi – par exemple dans le secteur extrahospitalier de la santé communautaire – la compétence interculturelle apparaît comme une réponse adaptée pour contribuer à optimiser la communication entre les membres des équipes soignantes et les personnes, familles, groupes ou communautés en demande de santé dans un paysage sanitaire de diversité culturelle.
Une compétence interculturelle dont le cadre de santé peut devenir un médiateur et un catalyseur de développement auprès des équipes soignantes.
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La situation française est assez singulière en Europe puisque l’Hexagone est le seul pays de l’Union européenne où les descendants d’immigrés sont plus nombreux que les immigrés. En effet, selon les statistiques de l’Insee, « en 2008, 3,7 millions d’étrangers et 5,3 millions d’immigrés ont été recensés en France […]. Au total, on peut donc estimer à environ 6,7 millions de personnes le nombre de descendants directs d’immigrés nés en France »
(1) Insee. (2012). Fiches techniques. Population immigrée. Immigrés et descendants d’immigrés en France, édition 2012. Via le lien raccourci bit.ly/1omjPPd
(2) Vega, A. (2001). Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier. Bruxelles : De Boeck Université.
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Le concept d’interculturalité se définit comme un processus de rencontre entre cultures. Le préfixe “inter” signifie une réciprocité. Il renforce la notion de rencontre avec celle d’interaction. Le Conseil de l’Europe énonce que l’interculturalité « se caractérise par des relations réciproques et la capacité des entités à bâtir des projets communs, assumer des responsabilités partagées et forger des identités communes »
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(2) Muller, B.K. (1999). Interkulturelles Lernen und Multikulturalität. Hildesheim : Institut für Sozialpädagogik der Universität Hildesheim.
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