Infections nosocomiales : le cuivre, un métal très précieux pour l’hôpital ? - Objectif Soins & Management n° 244 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 244 du 01/03/2016

 

Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Et si le cuivre était la solution pour lutter contre la propagation des certaines bactéries responsables d’infections nosocomiales ? Si quelques établissements s’y sont essayés, pour le moment, il n’existe pas de preuves suffisantes pour que les autorités sanitaires le recommandent à grande échelle.

Les propriétés bactéricides du cuivre sont connues depuis l’Égypte ancienne de manière empirique et, dès l’Antiquité, Hippocrate l’utilisait pour soigner les ulcères aux jambes. Aujourd’hui, c’est dans le champ hospitalier que ses propriétés bactéricides tentent de s’imposer. Des études scientifiques plus récentes réalisées in vitro confirment ce pouvoir antibactérien sans en expliquer clairement le mécanisme (lire l’encadré p.40). Pour autant, quelques établissements de santé ont franchi le pas, en remplaçant le plastique ou le métal des mains courantes et des poignées de porte par du cuivre ou un alliage le contenant. Un pari audacieux pour faire baisser le taux d’infections.

LE CHOIX DU CUIVRE, UN PARI SUR L’AVENIR ?

À la clinique Arago de Paris, spécialisée en chirurgie orthopédique, le choix du cuivre s’est fait lors du déménagement de la clinique sur un nouveau site. Avec un objectif : minimiser l’impact des infections bactériennes (lire l’encadré page ci-contre). Mais la percée dans les établissements de santé reste encore timide : « Il n’y a pas d’invasion massive du cuivre dans les établissements de soins », avoue Olivier Tissot, directeur des programmes pour la France de l’Institut européen du cuivre. La faute au prix du cuivre ? Pas principalement, même s’il est vrai qu’équiper un établissement représente un coût à amortir. Mais la raison n’est pas à chercher en termes financiers.

Vide réglementaire autour du cuivre

C’est surtout du côté des autorités sanitaires qu’il faut regarder : « Il n’existe aucune norme ou base technique sur les propriétés bactéricides des matériaux et donc du cuivre, explique Olivier Tissot. On est bloqué. Aux États-Unis, on a évalué l’efficacité antibactérienne des matériaux ; en France, on s’attache à étudier seulement l’efficacité des produits de bionettoyage. » Un comble quand on connaît le risque avec le biofilm bactérien sur les surfaces planes et sur son importance dans la propagation des bactéries en milieu hospitalier.

Manque de preuves directes pour les autorités sanitaires

Du côté des autorités sanitaires, le cuivre n’a pas bonne presse : « Il y a aujourd’hui un consensus auprès des hygiénistes pour dire que la diffusion large du cuivre n’est pas LA réponse au risque de transmission des micro-organismes et des infections nosocomiales », estime Bruno Grandbastien, infectiologue au CHRU de Lille (Nord) et membre de la Société française d’hygiène hospitalière (SFHH).

Le cuivre passé au peigne fin

Pourrait-il avoir une place dans l’arsenal des mesures de prévention ? C’est toute la question évoquée dans l’avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) du 25 mars 2015(1). Dans ce document, le HCSP fait le point sur les propriétés du cuivre et reconnaît la toxicité du cuivre in vitro sur de nombreux pathogènes. Mais, pour lui, les études menées en milieu de soins présentent des limites méthodologiques qui empêchent de nouer définitivement le lien entre le cuivre et ses bénéfices dans la lutte contre les infrections nosocomiales.

Faisceau de preuves indirectes

Pourtant, l’efficacité du cuivre sur les surfaces et ses effets bactéricides ne se dément pas : une expérimentation menée en 2011 à l’Université de Southampton (Grande-Bretagne) avec l’Institut européen du cuivre a montré que plus de 99 % des bactéries meurent sur une surface de cuivre au bout de deux heures alors que les pathogènes persistent sur une surface comme l’acier inoxydable. Les travaux publiés du Dr Keevil, qui a mené cette étude, prouvent en outre que le cuivre empêche le transfert des gènes entre bactéries, ceux-là même qui peuvent être à l’origine des résistances microbiennes tant redoutées à l’hôpital.

Reste qu’aucune étude complète sur le terrain en France ne permet aujourd’hui de vérifier un lien direct entre diminution du risque nosocomial et cuivre. Au CHU d’Amiens (Somme), une étude conduite et publiée en 2012(2) dans deux services pédiatriques (néonatalité et réanimation pédiatrique) a permis de montrer l’efficacité d’un alliage de cuivre par rapport à l’inox sur la charge bactérienne des poignées de porte. Au CH de Rambouillet (Yvelines), une étude a mesuré l’impact de surface sèche en cuivre ou en alliage de cuivre sur la transmission croisée de bactéries multirésistantes (BMR) en service de réanimation, en concluant que le cuivre semblait avoir un effet délétère sur l’acquisition de certaines BMR mais l’étude s’appuie sur un faible effectif expérimental qu’il conviendrait d’étoffer.

À L’ÉTRANGER

Outre-Atlantique, une étude menée dans le service de réanimation de trois hôpitaux militaires a montré que le cuivre avait permis de réduire de 40 à 70 % le taux d’infections nosocomiales (étude du Dr Michael Schmidt(3)). À Birmingham, les résultats obtenus à l’hôpital de Selly Oak démontrent une réduction de 90 à 100 % des germes pathogènes comparativement avec des surfaces en matériaux conventionnels(4).

PERSPECTIVES

Des essais en cours

En France, un vide reste à combler. Certains établissements seraient en phase d’évaluation – notamment cinq Ehpad en Champagne-Ardenne – ce qui devrait répondre aux recommandations du HCSP. Ce dernier souhaite une mesure de l’incidence des infections associées aux soins en lien avec le cuivre en abordant les conséquences environnementales à long terme et les aspects médico-économiques. Et selon cette autorité, seuls des essais multicentriques menés indépendamment des fabricants liés au cuivre avec des méthodologies cliniques et microbiologiques standardisées pourraient permettre de conclure.

Le cuivre, pas une fin en soi

Du côté des établissements ayant fait le choix du cuivre, ce métal n’est pas une fin en soi : « Il vient en complément des mesures d’hygiène de base, ne dispense pas du lavage des mains et ne s’y substitue pas », assure Auriane Bessa, directrice des soins à la clinique Arago (Paris) (lire l’encadré page précédente). Un argument que ne démentent pas les associations de patients qui voient dans le cuivre un allié dont il serait dommage de se passer, rappelant que les infections nosocomiales font chaque année en France plus de victimes que les accidents de la route. Reste le coût des équipements en cuivre qui demeure élevé, « mais en regard de la santé de nos concitoyens, cela vaut le coup de se pencher sérieusement sur la question », assurent les défenseurs de ce métal qui pourrait devenir un allié précieux dans la lutte contre les infections nosocomiales.

NOTES

(1) Avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) du 25 mars 2015 consultable ici : http://tinyurl.com/gwsju6z.

(2) Étude de l’effet antimicrobien du laiton AB+® : pour une maîtrise des biocontaminations des équipes hospitaliers, A. Ruelle, M. Sion, C. Damiani, A. Totet, C. Segard, A. Leke, M. Biendo, F. Telliez, V. Bach, H. Khorsi-Cauet, Hygiènes, juin 2014, Vol. XXII, n° 2.

(3) Via le lien raccourci bit.ly/1M2DPPz

(4) Via le lien raccourci 1.usa.gov/21gPPUy

3 QUESTIONS À… AURIANE BESSA

Auriane Bessa Directrice des soins à la clinique Arago de Paris, établissement spécialisé en chirurgie orthopédique

1 Depuis quand le cuivre a-t-il remplacé le plastique dans l’établissement ?

La clinique a déménagé dans de nouveaux locaux en janvier 2015, et c’est depuis cette date que les poignées de portes et les mains courantes en cuivre ont fait leur apparition. Nous sommes un établissement spécialisé en pose de prothèses, hanches, genoux, et il est évident que l’infection est un phénomène redouté. C’est le Lien (association de défense des patients, NDLR) qui a attiré notre attention sur le potentiel antibactérien du cuivre. Et les études mentionnant l’effet bactéricide ont fait le reste.

2 Avec quels résultats ?

Même si nous n’avons pas encore fait d’étude directe sur l’effet du cuivre sur le taux d’infections nosocomiales, nous sommes à un taux d’infections très bas, de l’ordre de 1 %. Nous souhaitons analyser tout cela avec le Comité de lutte contre les infections nosocomiales pour avoir une idée plus précise et chiffrée.

3 L’arrivée du cuivre a-t-elle changé le comportement des soignants ?

Pas vraiment : les équipes soignantes sont parfaitement formées sur la transmission des bactéries et l’hygiène des mains. Cela ne change donc pas leur comportement sur ce point. Pour les soignants, le cuivre fait partie intégrante de la clinique, il passe inaperçu ou presque. Donc ajouter du cuivre n’a pas changé les pratiques de base qui restent les mêmes. En revanche,le cuivre constitue une barrière supplémentaire pour les visiteurs qui viennent en visite et qui pourraient être des vecteurs d’infections.

L’effet du cuivre

Le spectre d’action du cuivre sur les agents pathogènes est large. Bactéries ou virus (H1N1 et virus de la gastro-entérite), rien ou presque ne lui résiste, y compris de redoutables pathogènes qui font le nid des bactériorésistances à l’hôpital : Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM), entérocoques résistants à la vancomycine (ERV) ou encore Clostridium difficile sont tous impactés par l’effet germicide du cuivre. Le mécanisme de toxicité du cuivre, bien que méconnu, repose sur la destruction de la paroi des bactéries Gram négatif, l’arrêt de la respiration cellulaire chez les cocci Gram positif et la destruction de l’ADN/ARN bactérien.