Une équipe très investie et des associations présentes - Objectif Soins & Management n° 244 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 244 du 01/03/2016

 

Anne Luquet & Katia Suppa

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Entre un personnel extrêmement engagé et l’intervention d’associations, l’animation et la joie font bien partie du quotidien de ce service d’onco-hématologie pédiatrique de La Timone, à Marseille. Interview d’Anne Luquet, cadre de santé de l’hôpital de jour en hémato-oncologie pédiatrique, et de Katia Suppa, faisant fonction de cadre de santé en hospitalisation hémato-oncologie pédiatrique à La Timone.

Objectif Soins & Management : Depuis quand travaillez-vous dans ce secteur ?

Anne Luquet : J’exerce dans ce service depuis quatre ans et demi, après avoir été dans des services très différents. J’y suis arrivée un peu par hasard, mais je trouve cela très enrichissant. En partie grâce au fait que nous mettions en place de nombreux projets avec des associations et au personnel particulièrement motivé. Ce sont tous des volontaires. Ici, les soignants sont très proches des patients. Ils les suivent longtemps et les connaissent bien, ainsi que leurs familles. Tout le monde est très investi.

Katia Suppa : J’ai toujours travaillé dans ce domaine, passant par tous les secteurs d’oncologie et d’hématologie pédiatrique. C’était un vrai choix dès le départ. Tout me plaît ! Les soins techniques avant de faire fonction de cadre, le relationnel, l’accompagnement, la dimension éducative du soin, etc. En effet, tout le personnel est très investi. Autrefois, tous n’étaient pas volontaires et le turn-over était important. Ce n’est plus le cas. Désormais, le personnel est fidélisé, ce qui permet de mettre en place de nombreux projets qui sont parfois longs à accomplir.

OS&M : Quels types de projets organisez-vous avec les associations ?

Anne Luquet : Il y a, par exemple, l’organisation de voyages pour les enfants ou la réalisation de certains de leurs rêves : aller à Disneyland, voir un match de l’Olympique de Marseille ou apprendre à jouer de la guitare, parmi les plus simples. Certains sont partis faire un voyage au Canada en bateau, d’autres ont séjourné à la montagne. Des membres du personnel prennent régulièrement sur leurs congés ou leurs jours de repos pour les accompagner si la logistique mise en place par l’association en question le nécessite.

OS&M : Le mot “pluridisciplinarité” prend-il un sens particulier, chez vous ?

Katia Suppa : Nous partageons nos émotions et notre vécu de soignants. C’est essentiel !

Anne Luquet : Les enfants sont pris en charge dans leur globalité. C’est un vrai travail d’équipe. Nous avons des relations suivies avec l’Éducation nationale, dans la mesure où on leur fait l’école à l’hôpital. Ils peuvent même y passer leurs examens. Chaque année, c’est une vraie émotion au moment des diplômes. Mais les relations entre l’hôpital et la ville ne s’arrêtent pas là. Nous sommes également en contact avec un réseau d’infirmières libérales pour les soins à domicile.

OS&M : Dans quelles situations voyez-vous les enfants en hôpital de jour ?

Anne Luquet : Ce sont ceux dont le traitement ou l’état de santé sont compatibles avec la vie au domicile. Ils viennent plusieurs fois par semaine pour leurs chimiothérapies, des traitements aux immunoglobulines ou des transfusions. Dans les cas où le traitement engendre de très nombreux effets secondaires ou lorsqu’on assiste à une altération de l’état général, l’hospitalisation s’impose. Le service est juste au-dessus du nôtre. Du coup, il y a de nombreux échanges entre soignants. Ils prennent des nouvelles de leurs petits patients qui, eux-mêmes, peuvent aussi descendre à la salle de jeu du service. Tout a été conçu pour que ces échanges existent.

OS&M : Quelles sont les activités proposées par la compagnie “Après la pluie” et comment en est-elle arrivée à travailler avec vous ?

Anne Luquet : La fondatrice (lire l’encadré) connaissait le service. Elle a pris contact avec le réseau qui gère les relations entre l’hôpital et la ville pour soumettre son projet autour de la lecture et de la rédaction de textes. Ce sont des professionnelles du spectacle, comédiennes et metteuses en scène, qui viennent bénévolement plusieurs fois par semaine. Des conteuses lisent des histoires aux enfants et leur proposent de créer leurs propres textes selon un thème défini chaque année. Il y a eu Rêves de princesses, Contes sur la mer, Les animaux en vadrouille, entre autres. Le dernier, Au cœur de nos rêves. Chaque thème a donné lieu à la mise en musique des textes et à la création d’un CD.

Katia Suppa : C’est une association très présente et très discrète à la fois, ce qui n’est pas évident. Ses membres améliorent vraiment le quotidien des enfants et de leurs familles. Toujours à l’écoute des demandes des soignants et respectant le rythme de vie du service, avec joie et bonne humeur. Grâce à elles, les patients redeviennent des enfants comme les autres.

OS&M : Que deviennent ces textes ou ces chansons par la suite ?

Anne Luquet : Tout est réuni dans un livre publié par Après la pluie. En fin d’année, un spectacle est organisé par l’association, auquel sont invités tous les enfants ainsi que leurs parents. À cette occasion, le livre et, cette année, le CD sont distribués gratuitement à tout le monde, y compris au personnel. Chaque texte est signé du prénom de celui qui l’a créé. Durant ce spectacle, joué par les comédiennes et créé à partir des textes des enfants, certains d’entre eux participent. C’est toujours un spectacle très émouvant, conçu par des personnes de qualité.

OS&M : Concrètement, comment se passent leurs interventions au quotidien ?

Anne Luquet : C’est l’éducateur de jeunes enfants du service qui les accueille à leur arrivée. Il leur communique la liste des enfants intéressés ou en état de participer aux activités proposées. Elles interviennent ensuite dans la salle de jeux et parfois dans les chambres, lorsque les patients ne se déplacent pas. Cela les occupe bien pendant leurs chimiothérapies. Ils pensent à autre chose.

Katia Suppa : Chez nous aussi, c’est l’éducatrice de jeunes enfants qui les accueille. Mais lorsqu’un gros projet, comme un spectacle, se profile, elles viennent nous consulter pour organiser la planification. En ce qui concerne la création de textes, certains enfants écrivent seuls et d’autres travaillent régulièrement avec les comédiennes. Ce qui est frappant dans ces écrits, c’est qu’on y détecte des états d’esprit très différents. Ils sont parfois tristes mais une certaine gaité persiste la plupart du temps.

OS&M : Les enfants développent-ils des liens d’amitié ?

Anne Luquet : Oui ! La plupart du temps, ils sont dans les couloirs ou en salle de jeux. Nous assistons régulièrement à d’homériques concours de trottinette dans les couloirs (rires). La majorité des parents parlent beaucoup entre eux. Ils ont à leur disposition une salle de repos très bien équipée où ils peuvent discuter, se reposer, se préparer à manger et même laver du linge. Certains parents, cependant, évitent ces moments d’échanges.

OS&M : Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontées dans votre pratique ?

Katia Suppa : Sans hésitation, le passage en soins palliatifs et les décès. Les enfants parlent très peu de la mort, ou de manière déguisée. Ils inventent alors des mondes imaginaires. Avant 6 ou 7 ans, ils ne l’évoquent que lorsqu’ils ont entendu des adultes en parler. Mais j’ai été témoin du contraire, lorsqu’un petit de 4?ans a confié sa maman à sa marraine : « Je vais mourir. Tu t’occuperas d’elle. » C’est très exceptionnel. Quant aux ados, on sait qu’ils savent. Certains veulent verbaliser et d’autres s’y refusent. Ceux-ci font énormément de cauchemars qui contiennent ce qu’ils n’ont pas pu dire. Certains trouvent un soignant dans l’équipe à qui parler de ces sujets. Un référent, en quelque sorte, avec qui des liens profonds se sont instaurés.

Anne Luquet : Nous bénéficions maintenant de l’aide d’une équipe de soins palliatifs composée d’une infirmière et d’une auxiliaire de puériculture. Un décès arrive rarement du jour au lendemain. L’enfant et la famille sont très entourés durant la période de fin de vie. Mais certains patients peuvent rester en soins palliatifs pendant des années. D’autres en sortent, la période critique passée. On utilise d’ailleurs de plus en plus souvent l’expression “soins complexes” plutôt que soins palliatifs.

OS&M : Lorsqu’un décès survient dans le service, comment les enfants réagissent-ils ?

Katia Suppa : Nous prenons un soin extrême à les protéger de la mort des autres. L’enfant décédé est emmené hors du service dans la plus grande discrétion. Les parents sont souvent au courant (ils parlent entre eux) mais nous n’en parlons pas aux enfants. Il nous arrive de mentir par omission si les enfants n’avaient pas de liens en dehors du service. Dans le cas contraire, nous faisons appel aux psychologues qui travaillent au quotidien avec nous. Ensemble, nous nous concertons avec la famille afin de décider de ce qu’il y a à dire. Ce sont toujours des décisions pluridisciplinaires en présence des parents. Les psychologues connaissent bien les familles et les enfants. Si on arrive à la décision de ne parler de rien, c’est que l’enfant ne veut pas savoir. On respecte ce silence. C’est extrêmement délicat et on y va sur la pointe des pieds. En revanche, face à des questions directes, il n’est pas question de leur mentir.

OS&M : Vous arrive-t-il de constater qu’un des soignants présente un risque de craquer ?

Anne Luquet : Parfois, lors de l’annonce de rechute ou d’un décès. Une fois par semaine se tient une réunion avec les psychologues sur la base du volontariat. On y évoque essentiellement l’état des enfants mais chacun est libre d’exprimer ses émotions. Cela permet d’ouvrir la soupape. La psychologue de la médecine du travail est également à la disposition des personnels qui se sentent déstabilisés. Les psychologues du service, qui sont majoritairement là pour les enfants et leurs familles, peuvent aussi répondre à certaines questions.

Katia Suppa : Accompagner les équipes fait aussi partie de notre rôle de cadre. On organise un groupe de parole à chaque décès et au moins une fois par mois. Les soignants peuvent y évoquer des moments difficiles vécus avec des familles, par exemple. C’est aussi sur la base du volontariat mais ils viennent nombreux. Lorsqu’on sent un soignant en difficulté, il est de notre rôle d’organiser un entretien individuel. Cela arrive généralement quand des liens affectifs qui dépassent l’exercice professionnel se sont développés avec un patient. Mon expérience dans les différentes unités me permet d’avoir un certain recul face à ces situations. Parfois, la détresse est telle que la seule chose à faire est de les encourager à changer de service si elle dure sur du long terme.

Anne Luquet : Il faut tout de même préciser que le nombre de décès chez l’enfant est largement inférieur à celui chez les adultes. Notre quotidien est plus souvent marqué par la joie, les rires et les projets d’avenir que par la tristesse.

La compagnie Après la pluie

Cathy Darietto a créé l’association fin 2006 afin d’améliorer la qualité de vie des enfants atteints de cancer et de leurs familles après avoir été confrontée à la maladie via un membre de sa famille. Composée de six comédiennes professionnelles, la compagnie Après la pluie intervient au sein du service d’hémato-oncologie de la Timone enfants deux à trois fois par semaine. « Nous leur lisons des histoires et nous leur proposons de devenir des petits auteurs », explique la fondatrice. Pour la première année, l’association a fait appel à des compositeurs et à des musiciens afin de mettre en musique les dernières créations littéraires des enfants, sur le thème “Rêver en poèmes et en chansons”. Chansons et poèmes récités sur de la musique respectant l’univers de chaque histoire, composent cette œuvre à laquelle a même participé l’actrice Ariane Ascaride. Édité en décembre dernier, le livret-CD Au cœur de nos rêves est en vente sur le site cie.apreslapluie.free.fr ou directement par téléphone. Des ventes qui permettront à Christine, Céline, Agnès, Claire, Cécile et Cathy de continuer à ensoleiller la vie des petits patients.