Objectif Soins n° 245 du 01/04/2016

 

Promotion de la santé

Carine Chausson  

L’avancée de la recherche dans le domaine du VIH et l’efficacité des traitements anti-rétroviraux ont permis d’augmenter notablement l’espérance de vie des patients porteurs du virus. Au moment où les premiers patients VIH deviennent des personnes âgées, plusieurs problématiques liées à leur prise en charge émergent.

Depuis l’apparition des premiers traitements anti-rétroviraux au début des années 1990, les progrès réalisés en termes de prise en charge des patients porteurs du VIH leur permettent désormais d’approcher une espérance de vie semblable aux personnes non contaminées.

UN PROBLÈME DE SANTÉ PUBLIQUE

Le développement de la trithérapie et les études sur un possible vaccin nous conduisent à repenser le VIH non plus comme le virus décimant des populations entières dans les années 1980, mais comme une maladie chronique avec laquelle les patients apprennent à vivre et à vieillir, sous couvert de la prise d’un traitement journalier et d’une surveillance médicale régulière. Depuis 2010, cette problématique du vieillissement des personnes vivant avec le VIH fait l’objet d’études. Elle a été l’une des préoccupations du Plan national de lutte contre le VIH/sida et les infections sexuellement transmissibles entre 2010 et 2014. Ce dernier a inscrit dans ses propositions d’actions la volonté de « mieux assurer la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, vieillissantes et/ou en perte d’autonomie »(1). Est-ce que vieillir avec le VIH équivaut à vieillir avec d’autres types de maladies chroniques ? La prise en charge de droit commun prévue pour les personnes âgées en perte d’autonomie est-elle adaptée à aux personnes porteuses du VIH ?

TROIS CATÉGORIES DISTINCTES

Pour le Docteur Nicolas Noël, chef de clinique en médecine interne au Centre hospitalier universitaire du Kremlin-Bicêtre (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) et chercheur sur le VIH, vieillir avec le VIH est une problématique en soit : « On sait aujourd’hui que le virus a un effet majorant sur le vieillissement des personnes infectées. » Selon le Docteur Noël, il existe trois catégories de personnes vieillissantes avec le VIH, dépendantes de l’évolution de la prise en charge du virus :

• celles qui ont été contaminées au début de la maladie, mais qui ont eu un traitement tardif ;

• celles qui ont été contaminées au début de la maladie et qui ont reçu un traitement immédiat car elles n’avaient pas développé de maladies opportunistes ;

• et la génération d’aujourd’hui des 25/45 ans qui vont vieillir, nos futures personnes âgées dépendantes et atteintes du VIH.

Une contamination tôt, avec un traitement tardif

Au début des années 2000, il était recommandé d’attendre un taux bas de lymphocytes T CD4, reflétant leur système immunitaire, pour commencer le traitement. « Ce sont des personnes qui ont été contaminées tôt, et avec un accès tardif aux traitements. Elles ont alors développé des infections opportunistes liées au virus et leur causant de potentielles séquelles neurologiques importantes. Certaines personnes ont de fait vieilli plus rapidement et sont devenues dépendantes. Aujourd’hui, elles sont dans des structures d’accueil spécialisées pour prendre en charge leurs séquelles neurologiques. Ces structures devront probablement être développées dans les années à venir même si, à l’heure qu’il est, fort heureusement, la proportion de ces patients reste très faible et les structures d’accueil suffisantes », indique le Docteur Noël.

Une contamination tôt, sans infections opportunistes

Avec l’évolution des recommandations sur l’accès au traitement, de plus en plus tôt, et dorénavant dès la découverte de l’infection, deux autres catégories de patients vieillissant avec le VIH sont apparues, dont ceux actuellement âgés, traités tôt et n’ayant donc pas développé d’infections opportunistes. Le Docteur Noël les qualifie de « personnes âgées comme les autres. Ce sont des gens de 80 ans ou plus, avec quelques comorbidités associées, mais qui finalement ne sont pas très nombreux, et pour qui l’on va plutôt développer des aides à domicile avec des portages de repas par exemple, pour pallier un déclin neurocognitif extrêmement lent lié à la pathologie ». Toutefois, si ces personnes vieillissantes avec le VIH, bien connues du Docteur Noël et de ses pairs, sont considérées « comme les autres », certaines problématiques sur leur accès à des établissements de soins spécialisés semblent perdurer.

Les futures personnes âgées qui grandissent et vieillissent avec le VIH

Enfin, la dernière catégorie mentionnée par le Docteur Noël concerne la grande majorité des patients atteints par le VIH aujourd’hui : les 25/45 ans. Ils vont vieillir avec le VIH et la prise des traitements anti-rétroviraux, pour lesquels on ne connaît pas encore l’impact ni d’une telle durée d’infection par le virus, ni de la lourdeur des traitements. « Nous savons déjà que, dans le cadre de l’infection chronique par le VIH, le système immunitaire des patients est toujours en activité… trop en activité. Cela a pour conséquence une inflammation chronique qui fait vieillir plus vite les tissus. Ces dommages tissulaires ont des répercussions sur le plan cardiovasculaire, avec un vieillissement prématuré entraînant un risque accentué d’accident vasculaire cérébral ou d’infarctus ; mais également sur le plan neurologique, avec une diminution des capacités cognitives. Cette sur-activation majore aussi le risque de survenue de certains cancers tels que les lymphomes. L’évaluation actuelle porte sur l’effet à long terme du virus chez ces patients traités tôt. Ils vont vieillir, mais que va-t-il se passer ? Vieilliront-ils plus vite que des personnes non infectées ? L’étude est encore en cours et des pôles de recherche se créent. Nous n’aurons le recul nécessaire que dans une dizaine d’années, et cela deviendra peut être l’un des problèmes de santé publique importants dans dix ou vingt ans », précise le Docteur Noël.

QUELLES CONDITIONS DE VIE ?

Déjà en 2010, le rapport sur la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH, sous la direction du Professeur Yeni(2), mettait en évidence la difficulté de la catégorie 2 (les personnes qui ont été contaminées tôt mais n’ont pas développé de maladies opportunistes, âgées aujourd’hui de 80 ans ou plus) à être acceptée en institution, en soulevant à cela plusieurs hypothèses : « L’accueil des personnes vivant avec le VIH dans les établissements d’hébergement serait restreint du fait d’une méconnaissance de l’infection à VIH dans ces structures, avec un manque de qualification du personnel requis, et d’un refus de certains établissements de prendre en charge des résidents avec un traitement onéreux. »(2) Le dernier rapport de 2013(3), sous la direction du Docteur Morlat et sous l’égide du Conseil national du sida et de l’Agence nationale de recherche sur le sida, recommande cette fois clairement aux pouvoirs publics « d’améliorer et de renforcer l’accès à l’offre d’hébergement et d’aides à domicile adaptée aux caractéristiques des personnes infectées par le VIH : appartements de coordination thérapeutique, centres d’hébergement et d’insertion sociale, hébergements adaptés aux personnes VIH vieillissantes (soins de suite, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes…) ».

Pour cette commission d’experts qui s’est penchée sur « les conditions de vie pour un succès thérapeutique » : « L’amélioration de l’espérance de vie des patients atteints du VIH pose les problématiques d’une maladie chronique. Il en découle une nécessité de l’adaptation du suivi et du parcours de soins de ces personnes avec, en particulier, un meilleur partage de prise en charge entre l’hôpital et la médecine libérale. »

LES BALBUTIEMENTS D’UNE PRISE EN CHARGE

Cette préoccupation du bien-vieillir avec le VIH, fortement relayée depuis par les associations de lutte contre le sida, sous-entend bien que la prise en charge de ces personnes vieillissantes avec le VIH est encore largement insuffisante à l’heure actuelle. Les pistes de réflexion se poursuivent avec, en priorité, la diffusion d’informations sur le VIH et la formation d’un personnel soignant compétent, pour le soustraire à toute sorte de stigmatisation qui pourrait influencer un refus de prise en charge en institution.

NOTES

(1) Plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014, consultable sur le site du ministère des Affaires sociales et de la Santé, via le lien raccourci bit.ly/1UWtSvk

(2) Rapport 2010 sur la “Prise en charge des personnes infectées par le VIH” sous la direction du Pr Patrick Yeni, consultable sur le site du ministère des Affaires sociales et de la Santé via le lien raccourci bit.ly/1VakEKw

(3) “Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH”, recommandations du groupe d’experts, rapport 2013, sous la direction du Dr Morlat et sous l’égide du Conseil national du sida et de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales, commission “conditions de vie pour un succès thérapeutique”, consultable via le lien raccourci bit.ly/1Rs3TcE

Cinq questions à Corinne Le Croller, cadre de santé du pôle médecine interne, immunologie, maladies infectieuses, endocrinologie (I3E) au CHU du Kremlin-Bicêtre, en charge de l’unité de soins et de réhabilitation depuis huit mois

Dans votre unité, quels types de patients prenez-vous principalement en charge ?

→ Il ne s’agit quasiment que de patients atteints du VIH avec diverses séquelles neurologiques liées aux complications du virus et des infections opportunistes associées. Certains vont souffrir de troubles mnésiques et cognitifs, d’autres de troubles moteurs avec des hémiplégies, ou de troubles du comportement avec agressivité. Nous avons aussi des patients avec plusieurs de ces troubles associés qui nécessitent une prise en charge lourde et complexe. Certains d’entre eux récupèrent.

Quel est le parcours de soin de ces patients ?

→ Le but de l’unité est d’effectuer la meilleure rééducation possible face aux troubles neurologiques du patient. La plupart des patients nous sont adressés par des structures de médecine infectieuse de différents hôpitaux. Lors du transfert d’un patient entre ces structures et notre unité, il y a un engagement initial de reprise par les hôpitaux référents. Sinon, cela pourrait bloquer longtemps des lits de notre unité et retarder l’accès à la rééducation pour d’autres patients. Dans le meilleur des cas, si le patient retrouve un niveau d’autonomie suffisant, il peut être envisagé un retour à domicile avec des aides ou même une hospitalisation à domicile très encadrée. Nous effectuons un véritable travail multiprofessionnel avec les assistantes sociales, les infirmières, les aides-soignantes, les psychologues, la diététicienne, l’ergothérapeute. Cette dernière les accompagne à domicile pour voir l’aménagement de leur maison et envisager la possibilité d’un retour. Les familles sont alors reçues par le médecin de notre service. Parfois avec la problématique du secret professionnel qui peut, aussi, conditionner le retour à domicile.

Certains patients peuvent-ils être orientés vers des Ehpad ou des maisons de repos ?

→ Pas à ma connaissance. S’il devait y avoir des transferts en Ehpad, ce ne serait pas dans des Ehpad traditionnels dans tous les cas : il y a la problématique du traitement. À la fois de son coût, mais également de l’éducation thérapeutique du patient. La plupart de nos patients ne sont pas observants et se retrouvent dans cette situation après une rupture de traitement. Il est donc primordial qu’il y ait un suivi spécifique à la problématique du VIH avec une éducation thérapeutique du patient. Ils relèvent vraiment de la médecine infectieuse et au mieux d’une hospitalisation à domicile.

Votre unité requiert-elle une formation particulière pour les soignants ?

→ Initialement, les membres de notre équipe ont le même diplôme d’État que leurs collègues. Mais, pendant leur intégration au sein de l’unité, ils reçoivent une formation à l’éducation thérapeutique. Dans le cadre de notre recrutement, nous allons aussi privilégier certaines valeurs, comme la patience. Si nous voulons une rééducation efficace, ce sont des patients avec qui il faut prendre le temps. Il n’y a pas beaucoup de gestes techniques, mais ces patients sont très dépendants et nécessitent énormément de soins relationnels. Il faut prendre le temps de les observer et de développer une relation de confiance. Il y a un profil pour ce genre d’unité, une posture à avoir. Nous suivons et nous encadrons les nouveaux soignants qui arrivent.

→ Selon vous, y a-t-il assez de place en en unité de soins et de réhabilitation ?

→ Nous avons dix-sept lits en tout, avec juste quelques chambres seules. Ces unités sont vraiment spécifiques et nécessitent beaucoup d’équipement. Tous nos patients ou presque sont totalement dépendants pour effectuer les gestes de la vie quotidienne. C’est une unité très lourde en termes de soins et d’équilibre pour l’équipe. Le médecin neurologue responsable de notre unité doit lister les critères d’acceptation, le principal étant que le patient soit VIH avec une possibilité de rééducation. Il est alors vu par le médecin, l’assistante sociale et moi-même. Parfois, nous refusons des patients ou nous les réorientons. A contrario, il nous arrive parfois de prendre des patients très dépendants, chez qui il n’y a pas de rééducation possible. Mais la demande reste presque toujours supérieure à l’offre.