La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé introduit une nouvelle notion : la communauté professionnelle territoriale de santé. Constituer une telle communauté n’est pas une obligation mais relève de l’initiative des professionnels de santé situés sur un même territoire.
Les professionnels de santé peuvent décider de se regrouper pour élaborer un projet de santé sur leur territoire, transmis à l’Agence régionale de santé (ARS) qui peut contractualiser ce projet dans le cadre d’un contrat territorial de santé avec des moyens à la clef dans le cadre du fonds d’intervention régional. Néanmoins, à défaut de constitution, l’ARS prend les initiatives nécessaires pour constituer ces communautés. Alors, les communautés professionnelles territoriales de santé, contrat, contrainte ou convention ?
Le mot communauté est dérivé du mot “communal”, c’est-à-dire ce qui est commun, comme les valeurs, la solidarité. De manière générale, on définit une communauté comme un groupe de personnes vivant ensemble pour le bien commun et le bien de chacun. C’est également un ensemble de personnes qui possèdent et utilisent un patrimoine en commun.
Contrairement aux entreprises dont la constitution repose sur un contrat, la communauté, elle, repose sur une convention volontairement formée par ses membres. On note qu’un groupe d’individus forme une communauté et non une équipe (versus équipe de soins primaires) lorsque :
• les membres ont rejoint une communauté car ils partagent des points d’intérêt communs : ils peuvent se connaître ou non et l’adhésion peut être ouverte ou fermée ;
• la durée d’une communauté est indéterminée : les communautés ne visent pas à mener un projet à son terme, mais elles peuvent servir à proposer des changements ;
• les membres d’une communauté sont plutôt considérés comme égaux en droits, bien que quelqu’un ou un organisme doive créer la communauté ;
• les membres rejoignent une communauté parce qu’ils ont une attente de ce groupe d’individus : chaque membre décide généralement comment, quand et en quoi il contribuera. Mais ceux qui s’investissent le plus dans la communauté y auront une position plus élevée.
Autrement dit, à la différence des équipes de soins primaires, la communauté professionnelle territoriale de santé est un ensemble de professionnels de santé d’un même territoire qui décident de partager en commun un projet de santé, sur la base d’une simple convention, celle du partage de valeurs concourant à la mise en œuvre des parcours de santé de la population de leur territoire.
Les développements théoriques empruntés aux paradigmes standard élargi et non standard (lire l’encadré page ci-contre) permettent de distinguer trois dispositifs à l’origine de la coordination : la contrainte qui exclut tout accord de volonté, le contrat vu comme le produit d’un tel accord, et la convention envisagée comme un objet sur lequel il est possible de s’accorder.
Appelée aussi règle hétéronome, la contrainte dicte aux agents leur conduite, indépendamment de leur volonté. Elle leur dénie, pour une action considérée, la faculté de se déterminer à agir d’une façon ou d’une autre, exclut tout acte de volonté, ne résulte pas d’un accord entre acteurs. Elle est, au contraire, édictée unilatéralement, imposée de l’extérieur et caractérisée par l’exogénéité des obligations qu’elle crée. Les acteurs ne décident pas du contenu de la règle contraignante et doivent impérativement s’y conformer. L’intentionnalité des agents est nulle tant dans la création que dans le respect de la règle.
Il constitue un arrangement interindividuel organisant des interractions entre deux agents. Ces interractions font l’objet d’une libre négociation entre les parties et se réalisent sur la base d’un accord adopté par consentement partagé. Le contrat se définit donc comme le fruit d’un accord de volontés. En outre, les relations prévues par le dispositif contractuel supposent l’existence d’engagements réciproques : les agents s’engagent les uns envers les autres à céder ou à s’approprier, à faire ou à ne pas faire quelque chose. À l’instar de la contrainte, le contrat est source d’obligations. Or celles-ci présentent un caractère endogène. Elles sont ce que les agents choisissent de s’imposer par entente mutuelle. En conséquence, les clauses du contrat ne s’appliquent qu’à ceux qui les ont intentionnellement élaborées. Les acteurs déterminent de leur propre chef le contenu de la règle contractuelle et s’engagent librement à la respecter. Leur intentionnalité est infinie pour la création, comme pour le respect de la règle.
Elle a en commun avec la contrainte d’être extérieure aux acteurs, mais elle ne se réduit pas à un dispositif contraignant. Elle est librement acceptée par les agents et se rapproche alors d’un dispositif contractuel. La convention n’est pourtant pas un contrat pour deux raisons : tout d’abord, la convention ne suppose pas d’intention subjective et ne découle d’aucune négociation ; elle n’est pas le produit direct d’un accord de volontés mais un objet, construit socialement, sur lequel il est possible de s’accorder. D’autre part, la convention présente une régularité reconnue à un niveau collectif. Elle donne la solution d’un problème répétitif et ne constitue pas une solution correspondant à une situation particulière. Le dispositif conventionnel, à la différence des précédents, ne contient pas d’obligation. Chacun est libre d’adhérer ou non à la convention et peut décider, à tout moment, de ne plus s’y conformer. Le contenu de la règle conventionnelle échappe à la volonté des acteurs qui ont la possibilité de l’adopter ou non. Le degré d’intentionnalité est intermédiaire entre les degrés d’intentionnalité nul de la contrainte et infini du contrat.
La communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) selon la loi n’est pas une contrainte, une obligation. C’est une simple possibilité offerte aux professionnels de santé de se constituer ou non en une communauté, sans contrat les unissant ; seulement une règle conventionnelle qui est d’élaborer et de mettre en œuvre en ensemble un projet de santé pour les habitants de leur territoire. Autrement, la CPTS doit naître d’un accord de volontés entre les acteurs de santé, sans réelle obligation, si ce n’est le projet de santé, mais qui, finalement, est le bien partagé en commune par la communauté.
Néanmoins, la loi introduit comme mécanisme incitatif le contrat territorial de santé, qui s’apparente comme un moyen à la main de la puissance publique (ARS) d’inciter financièrement les professionnels de santé à se regrouper en communautés ; puisque le bien commun, le projet de santé, peut quant à lui faire l’objet d’un contrat avec en contrepartie des moyens financiers alloués aux professionnels de la communauté pour mener à bien leur projet de santé. On passe dès lors d’un pure mode conventionnel à un mode contractuel.
Et enfin, arme ultime, l’ARS peut contraindre les professionnels de santé à se constituer en communauté s’ils ne le font pas d’eux-mêmes. Autrement dit, la loi prévoit qu’en cas de non-intentionnalité, les professionnels seront contraints à se regrouper. Mais, dès lors, quelle efficacité d’une telle contrainte ? D’autant que les moyens coercitifs ne sont pas définis : l’ARS peut prendre toute initiative nécessaire, mais sans avoir à les définir clairement définies ni à les préciser. Ne risque-t-on pas finalement, en utilisant une telle arme, de dissuader tout professionnel de faire ces communautés, et in fine de ne toujours pas garantir les soins de premier recours sur un territoire donné, objectif de ces communautés ?
La notion de communauté professionnelle territoriale de santé illustre parfaitement les hésitations des pouvoirs publics entre la contrainte, le contrat et la convention envers le secteur libéral de la santé et les acteurs des soins de premier recours, au premier rang desquels les médecins généralistes. La loi porte à la fois la volonté de faire confiance aux professionnels de santé, tout en les incitant financièrement via des contrats, et en brandissant une arme dissuasive, celle de la contrainte. Mais cette posture envers les professionnels de santé libéraux est-elle encore audible ? La contrainte affichée comme menace en est-elle vraiment une ? Car n’est-ce pas les professionnels de santé eux-mêmes qui détiennent finalement la solution et que seul le mode conventionnel peut donc être envisagé dans un système de santé où la liberté de choix du malade et la liberté d’installation du médecin ne sont pas remises en cause ?
→ « Une équipe de soins primaires est un ensemble de professionnels de santé constitué autour de médecins généralistes de premier recours, choisissant d’assurer leurs activités de soins de premier recours sur la base d’un projet de santé qu’ils élaborent. Elle peut prendre la forme d’un centre de santé ou d’une maison de santé. L’équipe de soins primaires contribue à la structuration des parcours de santé. Son projet de santé a pour objet, par une meilleure coordination des acteurs, la prévention, l’amélioration et la protection de l’état de santé de la population, ainsi que la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. »
– « Afin d’assurer une meilleure coordination de leur action et ainsi concourir à la structuration des parcours de santé et à la réalisation des objectifs du projet régional de santé mentionné, des professionnels de santé peuvent décider de se constituer en communauté professionnelle territoriale de santé. La communauté professionnelle territoriale de santé est composée de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours et d’acteurs médico-sociaux et sociaux concourant à la réalisation des objectifs du projet régional de santé. Les membres de la communauté professionnelle territoriale de santé formalisent, à cet effet, un projet de santé, qu’ils transmettent à l’Agencerégionale de santé. Le projet de santé précise en particulier le territoire d’action de la communauté professionnelle territoriale de santé. À défaut d’initiative des professionnels, l’Agence régionale de santé prend, en concertation avec les unions régionales des professionnels de santé et les représentants des centres de santé, les initiatives nécessaires à la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé. »
– « Pour répondre aux besoins identifiés dans le cadre des diagnostics territoriaux et sur la base des projets de santé des équipes de soins primaires et des communautés professionnelles territoriales de santé, l’Agence régionale de santé peut conclure des contrats territoriaux de santé. Le contrat territorial de santé définit l’action assurée par ses signataires, leurs missions et leurs engagements, les moyens qu’ils y consacrent et les modalités de financement, de suivi et d’évaluation. À cet effet, le directeur général de l’Agence régionale de santé peut attribuer des crédits du fonds d’intervention régional. Le contrat territorial de santé est publié sur le site Internet de l’Agence régionale de santé afin de permettre aux établissements de santé publics et privés, aux structures médico-sociales, aux professions libérales de la santé et aux représentants d’associations d’usagers agréées de prendre connaissance des actions et des moyens financiers du projet. Les équipes de soins primaires et les acteurs des communautés professionnelles territoriales de santé peuvent bénéficier des fonctions des plates-formes territoriales d’appui à la coordination des parcours de santé complexes. »
– « Les regroupements de professionnels qui, avant la publication de la loi, répondaient à la définition des pôles de santé deviennent, sauf opposition de leur part, des communautés professionnelles territoriales de santé. »
→ STANDARD
Le paradigme standard regroupe les théories économiques qui supposent une rationalité substantielle fondée sur le calcul individuel et sur une coordination des décisions individuelles par le marché.
→ STANDARD ÉLARGI
Le paradigme standard élargi conserve l’hypothèse de rationalité substantielle pour aborder la coordination interne à l’organisation (elle se réalise grâce à des règles-contrats et à des règles-contraintes), en plus de la coordination marchande.
→ NON STANDARD
Le paradigme non standard postule une rationalité de type procédural qui suppose un processus d’apprentissage dans la prise de décision et s’intéresse à la coordination non marchande des décisions, dans laquelle des règles-conventions assurent la coopération entre les individus.