Représentation des pratiques en hygiène et réflexivité - Objectif Soins & Management n° 245 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 245 du 01/04/2016

 

Formation

Christelle Hamon*   Christine Gineyt**  

Toute formation prépare à « des rôles sociaux et à des adaptations à tout changement social »(1). Pour les étudiants en soins infirmiers, cet apprentissagese déroule en situation de soins et en Ifsi. Pour les aider, le cadre formateur s’intéresse à leur développement personnel. Au-delà de l’instruction, il initie un travail de réflexivité sur les pratiques en hygiène.

L’évolution des représentations des étudiants du métier infirmier est intimement liée au bouleversement des appartenances sociales, des espaces d’identification, des repères intellectuels générés par la formation. Ces altérations, pourvoyeuses de changement et de construction identitaire, impliquent de prendre en compte et d’articuler trois logiques : didactique, psychologique et socioprofessionnelle. La socialisation, imposée par le stage, se poursuit à l’Ifsi, lieu d’apprentissage construit, favorable aux débat sur les normes et à un processus de professionnalisation. Débattre des normes prescrites n’est pas évident. En effet, celles-ci peuvent être directement confrontées à celles enregistrées dans sa propre histoire. Explicitement traitées, elles peuvent déboucher « sur des arrangements révélateurs »(2), de nouveaux codes de lecture. L’exercice d’analyse sur les représentations de l’hygiène qu’ont les étudiants exige un travail d’accompagnement des cadres formateurs.

INTENTIONS PÉDAGOGIQUES DES FORMATEURS

Le travail des formateurs vise à mettre en évidence les représentations de l’hygiène des étudiants dès leur entrée en formation. Pour mettre à jour leur évolution, les actes de soins des étudiants sont retraités, rendant ainsi visibles les intentionnalités pressenties. Les formateurs :

• accompagnent leurs constructions de pratiques en matière d’hygiène,

• font apparaître l’impact de la conceptualisation sur leurs futures actions,

• montrent comment un savoir scientifique au sein d’une pratique peut expliquer les causes de l’apparition de la maladie.

La transformation de la culture en objet d’apprentissage demande de mettre en lumière la manière dont les représentations se mettent en place. Dans cette perspective, l’ajustement des conditions d’apprentissage facilite les échanges entre les étudiants pour construire des pratiques communes dans une identité soignante, permet de coder plus rapidement les informations provenant des milieux cliniques, d’élaborer des connaissances et de définir les savoirs en hygiène en vue d’adopter des comportements favorables à la santé.

UN SYSTÈME DIDACTIQUE

Pour favoriser les transformations des représentations et restructurer les savoirs des étudiants, deux temps didactiques sont organisés à l’Ifsi.

S’exprimer

Dès l’entrée en formation, les étudiants doivent exprimer, en groupe classe et sous forme d’un brainstorming, leurs représentations de l’hygiène. Dans ce cadre, le formateur sollicite la parole de chacun. Il note au tableau les mots dits qui sont photographiés avec un smartphone afin de les garder en mémoire. Ils seront revisionnés à l’issue du semestre. L’ensemble des connaissances exprimées par les étudiants sont à cet instant des savoirs profanes. Ils se sont construits au travers de leur histoire, leur culture. Les savoirs savants appris en formation vont venir s’agréger à ces derniers. Ce premier mouvement d’apprentissage se poursuit dans une alternance intégrative avec une étape supplémentaire pouvant constituer les prémices de modifications importantes.

Analyse des pratiques

Le deuxième temps de travail s’envisage à la fin du semestre 1 en engageant les étudiants à effectuer des analyses de pratiques (AP) en lien avec les activités de soins réalisées en stage. Des photos projetées sur écran en salle de classe montrent des infirmiers confrontés à une situation les contraignant à respecter certaines règles d’hygiène. Il s’agit ici de saisir une posture, un instant unique interpelant une “situation d’hygiène” pour aider à construire ce concept. Ces images permettent de suspendre l’action le temps de réfléchir aux actes décrits pris pour acquis, de prendre conscience de ce qui doit être fait ou pas. Elles stimulent la sensibilité et les représentations de chacun par identification à l’image. Selon Zavalloni(3), « l’environnement intérieur opératoire » est constitué d’images, de jugements, de concepts concernant le rapport soi-autrui et le monde social. Les représentations s’articulent aux « stimuli internes (images, souvenirs…) ou externes (perceptions de l’environnement). Le contenu de cet environnement se révèlerait sous l’action de stimulations externes »(3). Les images utilisées lors de cette séquence, intégrées à « l’environnement intérieur opératoire » des étudiants peuvent participer aux changements de leurs représentations. Incorporés dans cette structure médiatrice, les étudiants, porteurs d’une mémoire riche d’expériences en stage chargées d’affects, seront guidés dans leur processus cognitif impliqué dans la construction du sens de leur expérience.

Interactions

Ces espaces didactiques aménagés vont permettre aux étudiants d’interagir sur les différentes pratiques en hygiène. Ils ont reçu à ce moment de la formation des cours théoriques centrés sur l’hygiène et l’infectiologie UE 2.10, visualisé des DVD élaborés par la faculté de médecine, expérimenté un stage de cinq semaines, rédigé des AP à l’issue du premier stage en lien avec la compétence 3, “accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens”.

PLUS-VALUE DU FORMATEUR

Attentes

En stage, les étudiants ont-ils su transposer la théorie à la pratique ? « Si je dis désinfection, décontamination, ou propreté, hygiène, qu’est-ce que cela vous suggère ? » « Vous dites que désinfecter, c’est décontaminer, et que l’hygiène, c’est la propreté. Qu’est-ce que ces termes évoquent pour vous ? » C’est au cours des AP impliquant les étudiants que les savoirs, les normes, les pratiques sociales et professionnelles en hygiène se réfléchissent (voir tableau page suivante). Une explicitation(4) de l’activité réalisée est attendue par les formateurs. Elle permet de travailler à la lucidité des actions, de questionner leurs connaissances implicites dans l’action, leurs « schèmes de pensée, les allant de soi »(5). Les altérations induites par les formateurs en groupe classe participent à la transformation des représentations de l’hygiène.

Double posture dans l’AP

Posture de guidage

Après la description de l’activité réalisée, il est essentiel de commencer par guider l’étudiant pour l’aider à repérer « l’organisation invariante de l’activité »(6). Cela va permettre dans un même temps de « poser un premier diagnostic de la situation et de prélever l’information pertinente pour réaliser une activité adaptée au contexte de travail et à la situation donnée »(7). Les étudiants de première année ont tendance à relier uniquement la théorie apprise en Ifsi avec l’activité décrite, sans toujours prendre en compte le contexte. Après une régularisation des savoirs, une mise en lien avec les unités d’enseignement, les protocoles, les invariants, le formateur demande aux étudiants d’associer le contexte dans lequel se déroule la situation de soins pour réaliser une analyse pertinente de leur activité. L’image projetée à l’écran en lien avec l’activité décrite vient appuyer la bonne ou mauvaise pratique. La présence des formateurs est nécessaire pour réguler les points de vue distincts, mais aussi pour accompagner une prise de recul à l’aide d’une conceptualisation de l’action.

Posture d’accompagnement

Si, pour interpréter la situation, ils utilisent leur carte mentale en s’appuyant sur les invariants, face à une situation de soins, la réponse ne va pas toujours de soi. Très rapidement, les étudiants se retrouvent face à un déficit de protocole. Le formateur les invite alors à se questionner et « s’efface pour laisser l’apprenant chercher »(8). Il initie la pratique réflexive(9) en incitant l’étudiant à rechercher des concepts et des théories dans diverses disciplines pour “comprendre, agir, transférer”. Cette mise en évidence d’éclairages théoriques permet de se représenter un ensemble de concepts liés à la pratique, mais aussi de comprendre les différents liens qui les unissent. Un processus de dépersonnalisation du savoir est effectué pour tendre vers une transposition possible à des nouvelles situations. La prise en compte des invariants et des aléas participent à un “agir professionnel”. Il est fondamental que le formateur les accompagne pour les amener à prendre de la hauteur. Ainsi, face aux aléas propres à une situation et au contexte de soins décrits, les étudiants s’approprient des codes de lecture. Confrontés à la complexité de la compétence, ils comprennent qu’ils devront apprendre à s’adapter au patient en respectant les règles de bonnes pratiques.

CONCLUSION

Les praxis révélées attestent d’un élan vital à apprendre. Les énigmes repérées, les connaissances verbalisées « se concrétisent et s’adaptent »(10) aux savoirs scientifiques, procéduraux, purement pratiques. Ces adaptations offrent « une visibilité et des enjeux sociaux dans des pratiques »(11) en hygiène. Les étudiants prennent conscience que la transformation des schèmes de perception, de pensée ne change pas ipso facto les manières de faire. Cela se fait par strates d’actions successives. Cependant, ils ont une conception des microbes de sens commun qui n’a qu’une réalité pathogène : ils sont vecteurs de maladies. On ne peut exclure les obstacles didactiques liés à l’enseignement. Il est alors légitime de penser qu’une approche linéaire du savoir délivré uniquement par la faculté pourrait mettre en porte-à-faux une approche holistique du soin infirmier.

NOTES

(1) Jodelet D. “Place de l’expérience vécue dansle processus de formation des représentations sociales”. In : Hass V. Les savoirs du quotidien. Transmissions, Appropriations, Représentations. Les Presses universitaires de Rennes, 2006, p.235-255.

(2) Schwartz Y. “Théories de l’action ou rencontres de l’activité ?”, Raisons éducatives, “Théories de l’action et éducation”, lisible p.89 via ce lien raccourci bit.ly/1UVYQUb

(3) Zavalloni M. “E-motional memory and the identity system: Its interplay with representations of the social world”. In: Deaux K. et Philogène G. Representations of the Social. Oxford: Blackwel, 2001 p.285-304.

(4) Vermersch P. L’Entretien d’explicitation. Paris : ESF, 1994.

(5) Piaget J. Biologie et connaissance. Paris : Gallimard, Coll. Idées, 1973 p.23-24.

(6) Vergnaud G. “La théorie des champs conceptuels”. Recherches en Didactique des Mathématiques n° 23, p.23-136, 1990.

(7) Pastre P., Rabardel P. Apprendre par la simulation : de l’analyse du travail aux apprentissages professionnels. Toulouse : Octarès, 2005.

(8) De Vecchi G. Un projet : enseigner par situations-problèmes. Paris : Delagrave, 2007.

(9) Schön, D. (1983) The Reflective Practitioner. New York, Basic Books, 1983 (traduction : Le Praticien réflexif. Montréal, Éditions logiques, 1994.

(10) Abric JC. Pratiques sociales et représentations. Paris : PUF, 1994.

(11) Abric JC. “A theoretical and experimental approach to the study of social representations in a situation of interaction”. In: Farr R., Moscovici S. Social Representations, Cambridge : University Press, 1984, p.169-183.