Formation
Toute formation prépare à « des rôles sociaux et à des adaptations à tout changement social »
L’évolution des représentations des étudiants du métier infirmier est intimement liée au bouleversement des appartenances sociales, des espaces d’identification, des repères intellectuels générés par la formation. Ces altérations, pourvoyeuses de changement et de construction identitaire, impliquent de prendre en compte et d’articuler trois logiques : didactique, psychologique et socioprofessionnelle. La socialisation, imposée par le stage, se poursuit à l’Ifsi, lieu d’apprentissage construit, favorable aux débat sur les normes et à un processus de professionnalisation. Débattre des normes prescrites n’est pas évident. En effet, celles-ci peuvent être directement confrontées à celles enregistrées dans sa propre histoire. Explicitement traitées, elles peuvent déboucher « sur des arrangements révélateurs »
Le travail des formateurs vise à mettre en évidence les représentations de l’hygiène des étudiants dès leur entrée en formation. Pour mettre à jour leur évolution, les actes de soins des étudiants sont retraités, rendant ainsi visibles les intentionnalités pressenties. Les formateurs :
• accompagnent leurs constructions de pratiques en matière d’hygiène,
• font apparaître l’impact de la conceptualisation sur leurs futures actions,
• montrent comment un savoir scientifique au sein d’une pratique peut expliquer les causes de l’apparition de la maladie.
La transformation de la culture en objet d’apprentissage demande de mettre en lumière la manière dont les représentations se mettent en place. Dans cette perspective, l’ajustement des conditions d’apprentissage facilite les échanges entre les étudiants pour construire des pratiques communes dans une identité soignante, permet de coder plus rapidement les informations provenant des milieux cliniques, d’élaborer des connaissances et de définir les savoirs en hygiène en vue d’adopter des comportements favorables à la santé.
Pour favoriser les transformations des représentations et restructurer les savoirs des étudiants, deux temps didactiques sont organisés à l’Ifsi.
Dès l’entrée en formation, les étudiants doivent exprimer, en groupe classe et sous forme d’un brainstorming, leurs représentations de l’hygiène. Dans ce cadre, le formateur sollicite la parole de chacun. Il note au tableau les mots dits qui sont photographiés avec un smartphone afin de les garder en mémoire. Ils seront revisionnés à l’issue du semestre. L’ensemble des connaissances exprimées par les étudiants sont à cet instant des savoirs profanes. Ils se sont construits au travers de leur histoire, leur culture. Les savoirs savants appris en formation vont venir s’agréger à ces derniers. Ce premier mouvement d’apprentissage se poursuit dans une alternance intégrative avec une étape supplémentaire pouvant constituer les prémices de modifications importantes.
Le deuxième temps de travail s’envisage à la fin du semestre 1 en engageant les étudiants à effectuer des analyses de pratiques (AP) en lien avec les activités de soins réalisées en stage. Des photos projetées sur écran en salle de classe montrent des infirmiers confrontés à une situation les contraignant à respecter certaines règles d’hygiène. Il s’agit ici de saisir une posture, un instant unique interpelant une “situation d’hygiène” pour aider à construire ce concept. Ces images permettent de suspendre l’action le temps de réfléchir aux actes décrits pris pour acquis, de prendre conscience de ce qui doit être fait ou pas. Elles stimulent la sensibilité et les représentations de chacun par identification à l’image. Selon Zavalloni
Ces espaces didactiques aménagés vont permettre aux étudiants d’interagir sur les différentes pratiques en hygiène. Ils ont reçu à ce moment de la formation des cours théoriques centrés sur l’hygiène et l’infectiologie UE 2.10, visualisé des DVD élaborés par la faculté de médecine, expérimenté un stage de cinq semaines, rédigé des AP à l’issue du premier stage en lien avec la compétence 3, “accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens”.
En stage, les étudiants ont-ils su transposer la théorie à la pratique ? « Si je dis désinfection, décontamination, ou propreté, hygiène, qu’est-ce que cela vous suggère ? » « Vous dites que désinfecter, c’est décontaminer, et que l’hygiène, c’est la propreté. Qu’est-ce que ces termes évoquent pour vous ? » C’est au cours des AP impliquant les étudiants que les savoirs, les normes, les pratiques sociales et professionnelles en hygiène se réfléchissent (voir tableau page suivante). Une explicitation
Après la description de l’activité réalisée, il est essentiel de commencer par guider l’étudiant pour l’aider à repérer « l’organisation invariante de l’activité »
Si, pour interpréter la situation, ils utilisent leur carte mentale en s’appuyant sur les invariants, face à une situation de soins, la réponse ne va pas toujours de soi. Très rapidement, les étudiants se retrouvent face à un déficit de protocole. Le formateur les invite alors à se questionner et « s’efface pour laisser l’apprenant chercher »
Les praxis révélées attestent d’un élan vital à apprendre. Les énigmes repérées, les connaissances verbalisées « se concrétisent et s’adaptent »
(1) Jodelet D. “Place de l’expérience vécue dansle processus de formation des représentations sociales”. In : Hass V. Les savoirs du quotidien. Transmissions, Appropriations, Représentations. Les Presses universitaires de Rennes, 2006, p.235-255.
(2) Schwartz Y. “Théories de l’action ou rencontres de l’activité ?”, Raisons éducatives, “Théories de l’action et éducation”, lisible p.89 via ce lien raccourci bit.ly/1UVYQUb
(3) Zavalloni M. “E-motional memory and the identity system: Its interplay with representations of the social world”. In: Deaux K. et Philogène G. Representations of the Social. Oxford: Blackwel, 2001 p.285-304.
(4) Vermersch P. L’Entretien d’explicitation. Paris : ESF, 1994.
(5) Piaget J. Biologie et connaissance. Paris : Gallimard, Coll. Idées, 1973 p.23-24.
(6) Vergnaud G. “La théorie des champs conceptuels”. Recherches en Didactique des Mathématiques n° 23, p.23-136, 1990.
(7) Pastre P., Rabardel P. Apprendre par la simulation : de l’analyse du travail aux apprentissages professionnels. Toulouse : Octarès, 2005.
(8) De Vecchi G. Un projet : enseigner par situations-problèmes. Paris : Delagrave, 2007.
(9) Schön, D. (1983) The Reflective Practitioner. New York, Basic Books, 1983 (traduction : Le Praticien réflexif. Montréal, Éditions logiques, 1994.
(10) Abric JC. Pratiques sociales et représentations. Paris : PUF, 1994.
(11) Abric JC. “A theoretical and experimental approach to the study of social representations in a situation of interaction”. In: Farr R., Moscovici S. Social Representations, Cambridge : University Press, 1984, p.169-183.