Objectif Soins n° 246 du 01/05/2016

 

Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Monnaie courante aux États-Unis où elles connaissent une médiatisation retentissante, les actions de groupe débarquent en droit français et viennent titiller le monde de la santé. Explications…

Si le nom d’Erin Brockovich a donné lieu à un film éponyme, c’est qu’il représente un cas très médiatisé d’action de groupe à l’américaine, ou class action outre-Atlantique. Ces actions de groupe sont des actions judiciaires collectives de victimes de dommages sous la bannière d’une association. Elles sont fortement médiatisées aux États-Unis, elles donnent parfois lieu à des indemnisations record outre-Atlantique.

DES CLASS ACTION ULTRA MÉDIATISÉS AUX ÉTATS-UNIS

Dans le cas d’Erin Brockovich, tout se passe au début des années 1990, lorsqu’une société de production énergétique, Pacific Gas and Electric Company, se voit contrainte de verser à des centaines de victimes la somme colossale de 333 millions de dollars pour avoir caché une pollution au chrome hexavalent.

Depuis, les procès en action de groupe aux États-Unis sont légions, avec parfois des indemnisations records comme dans le procès contre les cigarettiers.

UNE TIMIDE ARRIVÉE EN FRANCE

Depuis le vote de la loi Hamon sur la consommation (lire l’encadré p.41), l’action de groupe est désormais arrivée sur le territoire français.

Une indemnisation sur préjudice subi

Avec une nuance de taille : il n’existe pas, en droit français, de dommages et intérêts punitifs, comme cela peut être le cas aux États-Unis où les sommes versées aux usagers sont indexées sur les bénéfices que fait l’industriel pendant la période où le produit incriminé est commercialisé. On se retrouve donc avec des sommes totalement affolantes comme lors des très médiatiques procès contre la cigarette. Une chose qui n’arrivera pas en France puisque l’indemnisation des victimes se fera sur la seule évaluation du préjudice subi.

Des complications à prévoir

Reste que cette dimension de préjudice est particulière dans le monde de la santé, ce que ne manque pas de rappeler Marie-Annick Lambert, administratrice du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) : « Chaque cas est unique car chaque patient réagit différemment à un médicament et le préjudice subi n’est pas forcément identique. Si l’on prend le cas des prothèses PIP, on peut très bien imaginer différentes catégories de patientes selon les préjudices observés. » En ce sens, la procédure d’action de groupe transposée au monde de la santé risque d’être plus compliquée à mettre en place que son application sur le papier.

COMMENT CELA SE DÉROULERA-T-IL ?

Une procédure bien encadrée ?

Dans les faits, seules les associations reconnues par le ministère de la Santé pourront mener des actions de groupe devant la juridiction judiciaire ou administrative (en fonction du défendeur, hôpital, clinique, laboratoire, etc.) afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par les usagers placés dans une situation similaire et ayant pour cause commune un manquement d’un « producteur, fournisseur ou prestataire » utilisant « des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme ». La procédure se déroulera de manière bien encadrée : « L’action de groupe s’engagera auprès de la juridiction compétente à partir de plusieurs dossiers individuels, à la fois sur la responsabilité et la recevabilité de l’action. Seront ensuite déterminés le montant des préjudices, les conditions de rattachement au groupe ainsi que les mesures de publicité et les délais pendant lesquels les usagers de santé peuvent rejoindre le groupe », expliquait Maître Charles-Henri Caron, avocat, aux dernières universités d’été de l’Agence nationale d’appui à la performance, Anap (août 2015). Une publicité qui consiste à médiatiser la mise en œuvre de l’action de groupe pour sensibiliser toute personne potentiellement concernée par celle-ci. Un moyen de rassembler tous les demandeurs et de donner plus de poids à l’action, qui, même si elle ne donne pas lieu à une indemnisation punitive, peut faire beaucoup de mal en termes de publicité : « C’est donc un risque important pour les professionnels de santé, les laboratoires ou les hôpitaux », estime Marie-Annick Lambert.

Des simplifications envisagées

Néanmoins, certains garde-fous ont été mis en place, avec notamment une phase de médiation qui peut aboutir à une indemnisation à l’amiable avant qu’une véritable action judiciaire ne soit lancée, rappelle Marie-Annick Lambert.

Une façon de simplifier les démarches pour les usagers qui doivent souvent faire face à la lourdeur des actions judiciaires : « C’est très souvent le pot de terre contre le pot de fer », remarque Yvaine Caille, de l’association de patients Renaloo (université d’été de l’Anap), qui attend beaucoup de ces actions de groupe. « Les patients sont malmenés face au coût, les actions de groupe permettront de mutualiser les moyens, ils doivent aussi constituer des dossiers ; en action de groupe, on peut espérer que les choses seront simplifiées. » Même chose pour l’expertise médicale, dont elle espère qu’elle sera indépendante, rappelant les conflits d’intérêt qui lient experts et laboratoires, ces derniers se trouvant assez souvent en position de force pour faire traîner les procès.

LES ATTENDUS ET RETOMBÉES

Reste à savoir comment ces actions de groupe seront menées concrètement. Il n’existe pas encore de jurisprudence sur la dimension consumériste, le nombre de cas instruit n’étant pas très élevé depuis la promulgation de la loi Hamon et le recul n’est pas suffisant. Du côté de la santé, les actions de groupe arriveront progressivement, les textes définitifs devant être publiés au plus tard en juillet (lire l’encadré ci-dessus).

Les professionels partagés

Ces actions de groupe permettront-elles plus de performance du système de santé ? Certains, comme Marie-Annick Lambert, l’espèrent, l’introduction de la notion de publicité pouvant faire du tort aux défendeurs, ils pourraient être plus prudents. Pas si sûr, estiment d’autres associations de patients présentes à l’université d’été de l’Anap, qui jugent que « tant que les indemnités seront aussi faibles au regard des bénéfices engrangés par les laboratoires, cela n’aura aucune incidence ». D’autant que d’autres dispositifs d’indemnisation existent déjà. « En quoi cette procédure diffère-t-elle de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux ? », s’interrogent les usagers et professionnels de santé. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux a été mis en place à la suite de la loi du 4 mars 2002 sur le droit des patients. Il a pour mission d’organiser le dispositif d’indemnisation – amiable, rapide et gratuit – des victimes d’accidents médicaux. Grâce à lui, une victime d’un accident médical grave peut être indemnisée lorsqu’il y a eu une faute par l’assurance du professionnel ou de l’établissement de santé, mais également lorsqu’il n’y a pas eu de faute et que l’accident médical est estimé anormal (solidarité nationale). Les dommages concernés sont ceux liés à un accident médical ou des dommages imputables à une activité de recherche biomédicale, une affection iatrogène, une infection nosocomiale…

Quelles sont les attentes ?

Pour certaines associations, la procédure d’actions de groupe s’apparente au travail que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux mène déjà, même pour ce qui est de la médiation et indemnisation à l’amiable. Pour d’autres, l’action de groupe est un leurre car, en matière de santé, chaque dossier patient est unique et individuel, une action collective est donc un non-sens, d’autant que, même si un juge établit la responsabilité d’un laboratoire ou d’une entreprise dans un préjudice, il faudra que chaque patient prouve que c’est bien le médicament en question qui est responsable de son état. Enfin, il y a ceux qui attendent avec espoir ces actions de groupe, espérant pouvoir remettre sur le devant de la scène la voix des patients.

Il reste tout de même une problématique que ces actions de groupe ne résolvent pas : le fait qu’elles visent à réparer un préjudice, mais pas à le prévenir. Le travail de fond sur la gestion des risques n’est pas prêt de s’éteindre !

3 questions à…

MARIE-ANNICK LAMBERT*

1 On parle en France d’action de groupe et aux USA de class action. Outre la différence lexicale évidente, existe-t-il une différence entre ce qui est entrepris là-bas et ce qui le sera chez nous ?

Oui, et c’est pour cela que j’insiste sur le terme d’action de groupe. Le terme de class action fait référence à une action en droit de la consommation qui se veut hostile avec l’instauration de dommages et intérêts punitifs. Une notion qui n’existe pas en droit français. L’action de groupe en France ne concerne qu’un objectif exclusif, celui d’une réparation intégrale du préjudice subi sans notion de punition.

2 Cette notion d’action de groupe renforcera-t-elle le droit des patients initié avec la loi du 4 mars 2002 ?

Il n’y a pas de renfort spécifique du droit des patients, mais cela va leur donner du poids face au fabricant. Il y a la dimension collective qui permet d’appuyer la demande, mais aussi la dimension publicitaire qui donnera plus de poids à la demande des usagers. On le voit avec le Mediator, les gens qui se sont constitués partie civile ont eu connaissance du procès qui allait s’engager contre le laboratoire Servier via la médiatisation et donc la publicité qui en a été faite.

3 Est-ce que ces actions de groupe sont adaptées au monde de la santé dans lequel, finalement, chaque cas est individuel… En action de groupe, on entre en effet dans une action collective, la réparation sera-t-elle du même type ?

Effectivement, c’est un peu particulier pour le monde de la santé, puisque si l’on parle, par exemple, des effets délétères d’un médicament chez un patient et des effets sur un autre, ils ne seront pas forcément les mêmes. Or l’action de groupe se réfère à une action collective. Les cas seront expertisés individuellement à la hauteur du préjudice subi, ce qui risque de prendre du temps et de ralentir l’indemnisation.

* Administratrice du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

Parcours législatif

C’est la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (dite loi Hamon) qui a introduit l’action de groupe en droit français : elle est entrée en vigueur au 1er octobre de la même année dans le domaine de la consommation après publication du décret d’application. Il fut envisagé dans un premier temps de l’étendre au monde de la santé, mais cette mise en œuvre fut abandonnée jusqu’à ce que la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (dite loi de santé) ne l’introduise dans le droit français via l’article 184 (inscription aux articles L1143-1 à 22 du Code de la santé publique), lequel entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2016.