Objectif Soins n° 246 du 01/05/2016

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Elle s’était promis de ne jamais travailler en pédiatrie. Pourtant, elle y a passé 17 ans avec bonheur. C’est presque par hasard que Sylvie Denis, cadre aux urgences adultes et Smur au CH d’Orsay (GH Nord Essonne), devenue cadre en chirurgie orthopédique, s’est passionnée pour la prise en charge des escarres. Elle n’en oublie pas pour autant la globalité de la personne qu’elle soigne et donnera une conférence au prochain Salon Infirmier.

Objectif Soins & Management : Comment cette idée de vous intéresser aux plaies complexes et escarres vous est-elle venue ?

Sylvie Denis : En sortant de l’école des cadres, j’ai pris un poste en chirurgie orthopédique. Assez vite, j’ai ouvert les placards de pansements du service et j’ai demandé aux soignants s’ils savaient exactement comment les utiliser. Devant leur perplexité, je me suis interrogée et ai décidé de m’impliquer dans ce domaine pour les patients et pour les soignants.

OS&M : Ce sont les escarres, en particulier, qui vous ont fait réagir ?

Sylvie Denis : Oui. Après des années en pédiatrie, je n’en avais jamais vues. En chirurgie orthopédique, nous avions beaucoup de pansements élaborés dans nos stocks, mais les infirmières ne savaient pas s’en servir correctement. Elles n’étaient pas formées. Ma nature très curieuse m’a engagée à creuser la question. Dans un premier temps, j’ai fait venir les laboratoires pour qu’ils expliquent comment utiliser leurs produits. L’avantage, c’est que c’était gratuit. Puis, passionnée par le sujet, je me suis mise à fréquenter assidûment les congrès spécifiques aux plaies et cicatrisations. Tout ce que j’y ai appris, je l’ai partagé avec les équipes infirmières et les chirurgiens, ce qui m’a permis de rester proche du soin au patient. C’était important pour moi.

OS&M : Les pansements modernes, c’est une science qui évolue très vite…

Sylvie Denis : En effet ! Quel que soit le domaine, en tant que soignant, on a le devoir de se former sans cesse. Si on ne le fait pas, c’est mettre en danger nos patients. Lorsque j’étais jeune infirmière, on m’a appris à prévenir les escarres avec des glaçons et un sèche-cheveux. À l’heure actuelle, on sait que cette méthode, qui partait d’une certaine logique, a été absolument délétère. Si les gens n’avaient pas déjà des escarres, cela risquait bien de les provoquer.

OS&M : Autrefois, on n’avait donc pas compris la genèse de l’escarre ?

Sylvie Denis : Je ne sais pas mais, maintenant, on sait que l’état de la peau est la vitrine de l’état de santé du patient. La constitution d’une escarre peut se faire extrêmement rapidement. Voire en quelques heures. Nous sommes de plus en plus avant-gardistes en affirmant qu’une simple rougeur cutanée peut parfois être le signe d’une véritable altération de l’état général en devenir. C’est un sujet d’avenir, un sujet passionnant et à suivre de près. Cela dit, il faut absolument abolir ce sentiment de culpabilité et d’échec que peuvent ressentir les soignants lors de l’apparition d’une escarre ! Comme je l’ai dit précédemment, celle-ci peut se constituer en quelques heures.

OS&M : Déculpabiliser face à la survenue d’escarres est donc l’un de vos messages  ?

Sylvie Denis : Oui. Parfois, la survenue d’une escarre est inéluctable. Le patient utilise toutes ses ressources pour lutter contre sa pathologie. Il faut dépister le risque escarres très vite et mettre tous les moyens de prévention nécessaires en place. La surveillance de l’état cutané tout au long de l’hospitalisation est essentielle ! Il faut savoir, avant tout, que si la pathologie n’est pas traitée correctement, l’escarre ne cicatrisera pas. Quelle que soit la technique utilisée.

OS&M : Quelles sont les incompréhensions majeures face aux pansements modernes et aux plaies complexes ?

Sylvie Denis : On cicatrise en milieu humide. La plus grande qualité des pansements modernes est de permettre de gérer l’hygrométrie de la plaie. Sur une plaie qui exsude beaucoup, on va poser un pansement drainant et absorbant du type alginate, hydrofibre… S’il n’y a pas d’exsudation, on choisira, au contraire, un pansement qui maintient un niveau d’humidité nécessaire. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le pansement ne fait pas tout. L’efficacité du traitement est liée à l’association du bon pansement au bon moment. Pour cela, les soignants doivent connaître les propriétés des pansements et maintenir leurs connaissances à jour. C’est le gage d’un accompagnement efficient pour la cicatrisation de la plaie.

OS&M : Tout n’est pas escarre, dites-vous… Quoi vérifier ?

Sylvie Denis : Il y a parfois des problèmes de diagnostic qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses. Vous pouvez passer des heures à essayer de soigner une plaie du talon qui est mal diagnostiquée. Toute plaie n’est pas une escarre ! Il peut s’agir d’une plaie ayant pour origine une artériopathie. Il est toujours important de s’interroger devant la plaie : antécédents du patient, pathologie… Palper les pouls pédieux avant une détersion de plaie de talon devrait être un automatisme, la mesure de l’index de pression systolique, voire la pratique d’un echo-doppler artério-veineux donnent des indications essentielles nécessaires avant d’intervenir localement. En fonction des résultats de ces examens, la prise en charge sera différente et pourra parfois nécessiter un avis chirurgical.

OS&M : En 2007, vous avez donc suivi un DU de plaies et cicatrisations. Pourquoi ? Et quels bénéfices pour votre établissement ?

Sylvie Denis : J’avais déjà accumulé un bon nombre de connaissances sur le sujet grâce aux nombreux colloques auxquels j’avais assistés et à l’expérience sur le terrain, mais je voulais bénéficier d’une autre forme de connaissance plus théorique, “légitimante”. D’ailleurs, j’ai pu réinvestir ma formation au sein du service et de l’établissement. En association avec un médecin gériatre, le Dr Béatrice Tanguy, nous avons mis en place un groupe “plaies et cicatrisations” au sein de l’établissement. Notre travail a commencé par réaliser un état des lieux basé sur une enquête de prévalence impliquant tous les patients hospitalisé (sauf la pédiatrie et la maternité).

OS&M : Avez-vous été satisfaite des résultats ?

Sylvie Denis : Les résultats étaient loin d’être fantastiques, mais je comptais dessus pour faire évoluer les choses. Nous nous y attendions et cela a changé depuis. À l’époque, nous étions à 14,4 % de prévalence escarre, pour une moyenne de 9,9 % en France. Ces résultats ont constitué pour nous un véritable levier pour s’engager avec l’établissement pour la mise en place d’actions.

OS&M : Quels moyens avez-vous pu utiliser pour que les choses changent ?

Sylvie Denis : D’abord, nous avons obtenu un partenariat avec un prestataire locataire de matelas à air, afin que les infirmières puissent commander directement en cas de besoin et très rapidement, sans avoir à passer par tout le circuit administratif. Cela n’a l’air de rien, mais quand on a intégré cette information essentielle que l’escarre se forme en quelques heures et peut empirer très vite, c’est absolument essentiel, même si ce n’est pas la seule mesure à mettre en place. J’ai par la suite intégré le groupe de travail Resah (Réseau acheteurs hospitaliers), un groupement de marché permettant d’obtenir du matériel médical à un coût moindre qui offre la possiblité à l’établissement d’obtenir des locations de matelas à air à des prix avoisinant les 4 euros par jour au lieu de 15 euros. C’est un progrès énorme, d’autant que, grâce à ce contrat, nous avons en permanence des Stand By, c’est-à-dire des matelas à air disponibles en permanence en unité d’hospitalisation de courte durée, en réanimation et en court séjour gériatrique. Dès que l’un des matelas est utilisé, un autre est livré automatiquement, de manière à ce qu’il n’y ait jamais d’attente dès que le besoin est identifié pour un risque d’escarre avéré ou que le patient arrive avec une escarre déjà constituée.

OS&M : Vous dites que les infirmières manquaient de formation. Comment avez-vous pu évaluer leurs connaissances dans le domaine des escarres et des pansements complexes ?

Sylvie Denis : Nous avons distribué à toutes les infirmières de l’établissement un questionnaire portant sur leurs connaissances concernant le dépistage, la prévention et le traitement des escarres. Au vu des lacunes constatées, il a été décidé de proposer à des binômes soignants (infirmière et aide-soignante) de devenir des référents plaies et cicatrisations dans chaque service, sur la base du volontariat. Nous avons alors organisé une réunion mensuelle avec eux, de manière à les former sur le sujet. Depuis, nous nous réunissons chaque mois pour former, partager les connaissances, évoquer les difficultés, travailler sur des protocoles de prise en charge, les mettre en place, les évaluer. Au bout de deux ans, le chiffre de 14,4 % de prévalence escarres est tombé à 11 %, ce qui nous rapproche de la moyenne nationale. En si peu de temps, on peut dire que la dynamique mise en place a porté ses fruits, même si nous restons conscients des progrès qui restent à faire et de l’investissement permanent nécessaire.

OS&M : Au quotidien, quel est le rôle de vos référents, infirmières et aides-soignants ?

Sylvie Denis : Ils sont chargés de l’information des équipes et de l’intervention sur les plaies. Ce sont d’excellents relais sur le terrain. Depuis la mise en place de cette organisation, je me rends moins souvent au sein des services pour donner mon avis sur une plaie. Sauf dans des cas particulièrement complexes, évidemment : j’en profite alors pour faire de la formation au lit du malade. Notre devise actuelle est “il vaut mieux prévenir que guérir”. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un dépistage obligatoire du risque d’escarre de tous nos patients dans les 24 heures qui suivent leur hospitalisation. Basé sur l’échelle de Braden(1), cette évaluation permet de mettre très rapidement en œuvre les moyens et les actions adaptés pour les patients à risque.

OS&M : Le traitement des plaies complexes est très technique. On voit la plaie, mais voit-on vraiment la personne globale ?

Sylvie Denis : C’est justement au cœur du problème. Comme je le disais précédemment, la peau est le reflet de l’état général de la personne. Mais ce n’est pas tout. Nous devons durant les pansements être très attentifs à la question de la douleur. Lorsque j’arrive dans le service sur demande des infirmières pour des plaies complexes, je me présente plutôt aux patients comme une infirmière experte. Il arrive que je leur propose de voir une photo de leur escarre s’ils le souhaitent, afin qu’ils comprennent mieux ce que nous faisons et quel est l’objectif du soin. Certains le souhaitent et d’autres non. Tout est admissible et compréhensible. Nous devons nous adapter à tous les patients en fonction de leur sensibilité.

OS&M : Avez-vous senti des freins dans votre action contre les escarres ?

Sylvie Denis : Non. Au contraire, l’adhésion s’est faite naturellement. Aussi bien au sein des équipes qu’à la direction des soins, ce qui est essentiel. Notre action fait pleinement partie du projet de soins infirmiers. Les cadres des différents services réalisent chaque mois des audits vérifiant la traçabilité du risque escarre dans les dossiers des patients. Même si je ne suis pas détachée transversalement sur la mission des plaies et cicatrisations, j’assure cette mission en plus de mon poste de cadre car je suis passionnée par le sujet et la dynamique ne doit pas se relâcher. C’est une bataille permanente.

OS&M : Au prochain Salon Infirmier, vous allez parler de la campagne “Sauve ma peau”(2) lancée par l’Agence régionale de santé en lien avec la prévention et le soin des escarres. Comment avez-vous été associée au projet ?

Sylvie Denis : En 2013, j’ai participé à un groupe de travail mené par l’Agence régionale de santé de l’Île-de-France dont l’objectif était, entre autres, de déterminer cinq bonnes pratiques à mettre en place dans le domaine des escarres. Ces dernières sont : piloter en multi-professionnel, évaluer et réévaluer le risque, adapter la prévention au risque, traiter vite dès le stade 1, former et éduquer. Durant cette étude, pendant un an, j’ai été détachée de mon établissement à 20 % de mon temps de travail. Mon rôle était de relire les différents protocoles des prises en charge des escarres fournis par les établissements et de les envoyer aux experts pour validation. Tous ces protocoles sont disponibles sur la bibliographique du site de l’Agence régionale de santé.

OS&M : À quoi ça sert ?

Sylvie Denis : L’idée est simple : permettre aux établissements qui ne bénéficient pas de protocoles escarres, ni de fiches de pansements, de s’emparer des idées produites par d’autres et validées par l’Agence régionale de santé. Par ailleurs, j’ai pu mettre en place une formation pour les soignants de mon établissement. Cette formation est basée sur un cas concret à partir d’une lettre de réclamation envoyée par la mère d’un garçon de 25 ans, polyhandicapé, qui avait développé une escarre au cours de son séjour à l’hôpital. Cette situation appelle une réflexion individuelle à partir des connaissances de chacun. On commence comme ça, sur des exemples, et l’après-midi est dédié aux ateliers pansements.

OS&M : La vie est pleine de surprises. Auriez-vous pensé vous intéresser aux escarres lorsque vous avez décidé de devenir infirmière ?

Sylvie Denis : La vie est pleine de surprises, comme vous dites. Et pour des raisons personnelles, j’ai compris qu’il fallait en savourer chaque seconde. Mon pire stage à l’École d’infirmières a été en pédiatrie. Je m’étais promis de ne jamais y travailler et c’est pourtant dans ce service que j’ai passé des années magnifiques à prendre soin des enfants. Les escarres, je n’y avais jamais pensé jusqu’au moment où j’ai découvert cette problématique et que je m’y suis intéressée. Mais ce sont les personnes qui me passionnent avant tout.

(1) Échelle de Braden via le lien raccourci bit.ly/1SRciHl.

(2) Via le lien raccourci bit.ly/1SThQh6