La mise en place du dossier patient individualisé et informatisé (DP2I) se généralise dans les établissements de santé. L’évolution des pratiques soignantes en matière de transmissions se trouve étroitement liée au développement des nouveaux systèmes d’information et de communication. Le cadre de santé accompagne ses équipes non pas vers une seule et meilleure utilisation des nouveaux outils de transmissions, mais vers une démarche réflexive pérenne de qualité.
Le développement des nouveaux systèmes d’information et de communication est autant utile à l’optimisation de la qualité globale des prises en charge qu’à l’optimisation de la gestion de l’activité et de ses ressources.
La démarche réflexive pérenne et de qualité que le cadre doit déployer requiert de nombreux changements dans les habitudes de travail des agents et peut poser problème dans le cadre de leurs pratiques professionnelles. Dans le cadre du plan hôpital numérique de 2007, le passage du support papier à un support informatisé a été préparé par l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap).
Même si les établissements de santé se sont basés sur ces travaux pour anticiper et optimiser les changements, il n’en demeure pas moins que ces derniers ont bien souvent engendré chez les agents des effets négatifs, comme une certaine résistance et de l’incompréhension.
Nous pouvons ainsi constater chez les agents, inquiets quant à la sécurité des données numérisées et dématérialisées, une persistance des interrogations à propos des nouveaux usages à adopter, et ce, malgré les formations d’utilisation au logiciel préalablement dispensées. Dans certaines disciplines comme la psychiatrie, nous avons même pu constater un retour aux pratiques anciennes, basées sur la transmission orale, au détriment des principes nouveaux, reposant sur la transmission écrite et informatisée.
Les établissements de santé ont ainsi d’énormes difficultés à faire évoluer de façon concrète le dossier patient unifié, et à faire émerger de nouvelles postures professionnelles quant aux transmissions, malgré une formation soutenue et diversifiée.
Pour déjouer ces problèmes, le cadre de santé a un rôle à jouer dans son interface entre les directions fonctionnelles de son établissement et ses équipes de proximité.
Dans les établissements de santé, la conduite du changement, lors de la mise en place du dossier patient informatisé, se réalise en considérant comme indispensable le triptyque communication/formation/participation des agents.
La communication peut prendre des formes diversifiées telles que publication sur les journaux internes ou sur l’Intranet de l’hôpital, organisation de journées d’informations, ou encore édition de documents sur les règles d’usages du dossier patient informatisé.
La formation permet quant à elle d’initier les différents acteurs à l’utilisation du logiciel informatique, ainsi qu’à son guide d’utilisation usité dans l’établissement, afin que les acteurs s’y réfèrent en cas de besoin.
La participation des acteurs permet une reprise à un plus large niveau pour accompagner le collectif vers ce changement des pratiques de travail. Cela peut par exemple prendre la forme de groupes de réflexions sur les transmissions ciblées, ou encore sur l’optimisation de l’ergonomie du logiciel.
Malgré ce dispositif, il peut encore subsister certaines résistances chez les acteurs de soins. L’expertise du cadre de santé permet alors de les accompagner individuellement avec une argumentation et des actions adaptées. Elle donne ainsi du sens à cette nouvelle pratique professionnelle et réduit les mauvais usages et représentations erronées.
Cet accompagnement au changement fait état d’une véritable démarche réflexive chez les agents dont le cadre de santé a la responsabilité. Bien plus qu’augmenter et parfaire leur utilisation du logiciel, le changement engendre chez eux un développement des savoirs qui s’inscrit dans une logique d’amélioration de la qualité des soins prodigués. Par la reprise de situations et la poursuite d’actions incluant pédagogie et suivis, le cadre de santé peut amener les équipes à développer le raisonnement clinique en soins, ou encore faire comprendre l’intérêt de la synthèse clinique et valoriser cet outil de soin dans la prise en charge du patient.
Cet accompagnement peut permettre, en plus, de mieux diffuser la méthode des transmissions ciblées, support de la démarche clinique, de mieux utiliser le vocabulaire professionnel, ou encore de mieux mesurer la complémentarité et l’articulation entre transmissions écrites et transmissions orales. L’adhésion à un nouveau support n’est alors pour le manager de proximité qu’un prétexte à l’amélioration des pratiques.
Le cadre de santé considère le dossier patient informatisé comme étant un outil qui permet de développer une méthodologie commune dans les prises en soin et de favoriser le développement d’une collaboration entre les différents acteurs de soins.
Plus qu’une simple reconnaissance de la singularité de chacun des acteurs de soin dans sa fonction et sa personne, cet accompagnement au changement est un soin mis dans les soins, non seulement pour que les agents deviennent plus professionnels et collaboratifs, mais aussi pour que les situations de soins soient tout autant retranscrites qu’auparavant et que les indicateurs de suivis qualitatifs et quantitatifs de l’utilisation du logiciel s’améliorent.
Au-delà, le cadre de santé inscrit sa démarche dans le temps, en faisant en sorte que les nouveaux savoirs soient transposés, de façon effective et durable, dans les nouvelles pratiques de transmission. Il peut solliciter la collaboration de différents services de l’hôpital comme le service qualité ou le service informatique, pour optimiser son accompagnement au changement de ses agents.
Il ne s’agit pas seulement d’enclencher une émulation, mais de faire comprendre aux équipes l’intérêt des changements dans leur fonctionnement pour l’amélioration de la qualité des soins.
Le passage des supports écrits professionnels vers le dossier patient unique, individualisé et informatisé est certes bien avancé. Il n’en demeure pas moins en perpétuelle évolution. Le cadre de santé est la personne ressource qui s’assure de la conformité des usages et des procédures, en proposant, dans le quotidien des soins, des actions diversifiées alliant pédagogie, créativité, reprise et suivi, pour faire en sorte que les pratiques professionnelles des agents se teintent d’une action soutenue autour du respect de la qualité et de la sécurité des soins.
Dans certaines situations, il devra s’assurer que les écrits des agents répondent toujours au respect d’un certain nombre de principes juridiques et éthiques, comme le respect de la dignité et de l’intégrité de la personne et celui de la vie privée et de la confidentialité des informations, au moyen de sa fonction de contrôle et d’évaluation. Dans d’autres situations, il devra susciter partages d’informations et convergences des représentations par sa fonction d’animation d’équipe.
Institutionnellement, le cadre de santé est donc cet élément essentiel qui permet d’inscrire de façon qualitative et pérenne l’évolution des écrits professionnels dans les processus de soins. Il permet aux établissements de pouvoir fonctionner dans le respect des changements initiés par les instances en faisant lien, par ses postures et ses compétences, entre recommandations et obligations, conduites de changement et quotidien des soins.
La mise en place du dossier patient individualisé et informatisé sur l’établissement au centre hospitalier Théophile-Roussel à Montesson (Yvelines) a commencé en janvier 2015. Comme pour d’autres établissements de santé, ce déploiement s’est opéré sur plusieurs mois, en travaillant autour des nombreuses problématiques constatées sur le terrain dans le cadre du passage du support écrit au support informatique. Ces problématiques découlaient de méconnaissances et de réticences. L’établissement avait pourtant anticipé ce changement, au moyen d’une campagne d’information conséquente et d’une collaboration entre les différents services de l’hôpital (département d’information médicale, cellule qualité, direction des soins, service communication).
En pratique, cela a consisté à annoncer l’arrivée au sein de l’établissement du dossier patient informatisé par différentes publications sur les journaux internes de l’hôpital et sur le site Intranet, puis à organiser deux journées d’informations et de réflexions sur la confidentialité, et publier des documents à destination des agents sur les règles d’usages du dossier patient et sur l’utilisation du logiciel. Cette campagne de déploiement a été renforcée par des actions de formation à destination des différents utilisateurs du logiciel informatique, et par des actions de remédiation qualitative. Un groupe de réflexion sur les transmissions ciblées s’est ainsi constitué afin d’enrichir le dossier patient sur la base d’un langage commun. De même, le logiciel DP2I s’est étoffé au fur et à mesure des suggestions des agents et a donné lieu à de nouvelles actions de formation.
Les cadres de santé de l’établissement se sont impliqués pour accompagner le changement et faire émerger de nouvelles postures au sein des équipes dont ils avaient la charge. Cependant, malgré ce dispositif, presqu’un an et demi après le début du déploiement, nous avons pu constater une persistance des problématiques préalablement citées et une recrudescence des résistances au changement. Ceci nous a amenés à penser, pour les structures dont nous avions la charge, à une démarche d’amélioration qualité sous l’angle des écrits professionnels. La venue en stage d’une étudiante cadre de santé a permis d’optimiser la démarche légitimée par les observations et échanges avec les acteurs de soin du terrain, le but étant d’accompagner ce collectif vers un changement des pratiques de travail durable. Cet état des lieux a donné suite à une conduite d’actions passant d’abord par une phase de mise à niveau, puis par une transcription écrite qui doit être reprise ces prochains mois en institutionnel sur Intranet et sur le journal interne de la qualité à l’hôpital. Ces supports ont ainsi pu faire l’objet d’échanges au sein des équipes pour souligner les nécessaires changements des pratiques et inclure la dimension de conformité aux réglementations et recommandations en vigueur.
Après des temps d’informations et de reprises basés sur la pédagogie et le contrôle, et grâce aux soutiens et aux accompagnements pour expliquer l’ergonomie du logiciel, les pratiques professionnelles évoluent progressivement vers un usage plus systématique du logiciel informatique. Les connaissances autour du dossier patient, de la confidentialité des soins ou du secret professionnel s’améliorent et teintent le quotidien des soins d’une attention soutenue vers la qualité et la sécurité. En tant que garant local du projet, cela n’empêche pas d’évaluer sans cesse les actions de transmission des soignants en veillant à la bonne tenue du dossier, ou en envoyant en formation, si nécessaire, les agents pour améliorer leurs transmissions.
Ce travail se veut surtout collaboratif et encourageant les bonnes pratiques pour fédérer une démarche qualité au sein de l’équipe autour du patient afin de valoriser et d’inscrire cette démarche responsable dans une démarche de développement durable.