Dans le cadre du programme de formation initiale en soins infirmiers, l’unité d’enseignement 6.1 “Méthodes de travail” est mise en œuvre au semestre 1. La modalité d’évaluation est axée sur la réalisation d’une fiche de lecture. À la suite d’une étude, il a été possible de mesurer l’impact de la fiche de lecture et d’en tirer une méthodologie optimisée.
Une étude mixte (quantitative/qualitative) monocentrique, menée dans un Ifsi de la région Languedoc-Roussillon et utilisant comme outil de recueil de données du questionnaire, a permis de mesurer localement si cette unité d’enseignement (UE) « permet à l’étudiant de se doter de méthodes personnelles pour organiser son travail au long de sa formation »
Dans le cadre de ses interventions à titre de formateur vacataire et de chercheur, l’auteur s’est intéressé au déroulé de l’UE 6.1, et plus précisément à la réalisation de la fiche de lecture. L’enquête a interrogé 92 étudiants en soins infirmiers (ESI) répertoriés sur un listing fournis par l’Ifsi partenaire. Le profil sociodémographique des ESI répondants correspond à une tranche d’âge inférieure à 30 ans (f : 0,68), de genre féminin (f : 0,79), bachelier sans diplôme universitaire (f : 0,81) et d’origine française (f : 0,92). Au total, 53 réponses ont été enregistrées, soit une fréquence
Une première question portait sur la lecture par elle-même : “Le travail de fiche de lecture a-t-il favorisé chez vous la pratique de la lecture ?” Une majorité des répondants a indiqué que “non” (f : 0,49), en précisant que, pour la plupart, la lecture faisait partie de leur quotidien et que la rédaction d’une fiche de lecture n’apportait pas de plus-value. Pour ceux qui ont répondu “oui” (f : 0,19), la fiche de lecture a permis notamment de catalyser un embryon de veille professionnelle. « On peut dire que le travail de fiche de lecture m’a permis de lire un peu plus car, après chaque livre, j’aime réfléchir sur la pensée de l’auteur et voir ce qui m’a interrogé. Depuis le début de la formation, j’avais du mal à retrouver le plaisir de lire ; grâce à ce travail, j’ai découvert un auteur très intéressant, et je compte bien lire ses autres écrits. »
Justement, la seconde question se recentrait sur la lecture professionnelle : “Pensez-vous que le travail de fiche de lecture ait participé à développer chez vous une lecture critique des documents professionnels ?” Cette fois, la majeure partie des répondants a opté pour le “oui” (f : 0,45). Les arguments appuyant cette réponse ont permis de mettre en exergue que la réalisation d’une fiche de lecture est un exercice difficile. Il comporte en effet une dimension méthodologique qui a amené les ESI à s’investir et à développer de nouvelles compétences : « Apprendre à lire de façon transversale, revenir sur le texte plusieurs fois pour pouvoir en dégager les liens avec la formation infirmière, prendre des notes au fur et à mesure de la lecture pour essayer de dégager l’essence même de l’ouvrage, respecter un cahier des charges précis quant à la présentation de la fiche de lecture. »
De fait, la troisième question était davantage centrée sur le lien entre théorie et pratique clinique : “Ce travail de fiche de lecture a-t-il permis de construire des liens avec la formation en soins infirmiers et la pratique professionnelle ?” Là encore, la part la plus importante des répondants penche pour le “oui” (f : 0,74). Le choix des ouvrages étudiés, tous reliés aux soins, a sans doute implicitement permis ce tissage de liens. La fiche de lecture, bien ciblée, est donc un catalyseur de cette approche réflexive qui permet au futur infirmier de se créer une culture professionnelle s’adossant à la consolidation d’un socle de valeurs qui fonderont son éthique soignante. L’ensemble de ces résultats permet de proposer une modélisation des principaux intérêts de la pratique de la fiche de lecture (voir figure ci-contre).
La question suivante interrogeait la légitimité de la réalisation d’une fiche de lecture en formation de premier cycle infirmier : “Pensez-vous que le travail de fiche de lecture se justifie dans la formation initiale infirmière ?” Pour cette question, les réponses étaient plus contrastées, avec certes plus de “oui” (f : 0,38) que de “non” (f : 0,21), mais surtout une majorité de circonspects répondants avec “je ne sais pas” (f : 0,42) ! Les résultats de la présente étude peuvent être rapprochés des écrits soulignant des freins au développement de la recherche en sciences infirmières(
À en juger par ces résultats, l’UE 6.1 semble actuellement d’une portée limitée. Mais la formation initiale infirmière répond sans doute là à sa définition, puisqu’elle n’a vocation qu’à initier des comportements. En effet, le vocable “initial” « vient du latin initium : qui est au commencement »
Les résultats de cette étude, bien que limités, invitent tout de même à la discussion sur l’ingénierie de la formation initiale en soins infirmiers. Un premier constat saute aux yeux en termes de paradoxe. Alors que le programme de formation initiale est partagé à égalité de temps entre la formation théorique en Ifsi (2 100 heures) et la formation clinique durant les stages (2 100 heures), la réalisation de fiches de lecture est uniquement cantonnée topographiquement au versant théorique en Ifsi. Comment, du fait même que les ESI attendent de leur formation un centrage sur les pratiques de soins, pérenniser dans leur esprit et dans leur apprentissage tout au long de la vie l’utilité et l’usage de la fiche de lecture ? Ne serait-il pas efficient de proposer sur les lieux de stages des lectures en prise directe avec les unités fonctionnelles, leurs situations cliniques emblématiques, leurs références bibliographiques, les travaux de recherches afférents ? L’ESI en stage se situe dans une double dynamique : développer ses compétences techniques ou relationnelles, tout en s’appuyant sur ses connaissances théoriques et en diminuant sa zone de non-savoir théorique
En se plaçant résolument dans une perspective socioconstructiviste, la fiche de lecture constitue à la fois une modalité d’évaluation mais peut tout autant se révéler source d’apprentissages collectifs. Si l’exercice est réalisé en groupe, il est clair qu’un conflit sociocognitif est généré. Le conflit sociocognitif
L’étude menée sur un seul Ifsi ne prétend pas à des résultats généralisables, mais plus humblement se veut contributive au débat sur l’optimisation des organisations en lien avec la formation initiale infirmière. Observer l’existant permet d’avancer la réflexion, de saisir des instantanés qui, sous forme ici d’éléments de discours d’étudiants en soins infirmiers, interrogent nos pratiques de cadres formateurs ou de cadres de proximité. La recherche a cette vertu de porter la focale sur ce qui nous intéresse et de nous maintenir, pour reprendre une formule de Marie-Ange Coudray
(1) Ministère de la santé et des sports (2013). Profession infirmier – Recueil des Principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à l’exercice de la profession. Paris : Berger-Levrault. P.115.
(2) La fréquence, notée f, est comprise entre 0 et 1. Elle correspond au rapport de l’effectif d’une valeur ou d’une modalité sur l’effectif total. Ici le nombre d’ESI ayant répondu à un item sur l’effectif total d’ESI répondants.
(3) Extraits de réponses des ESI interrogés.
(4) www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/critique/
(5) Soyer L. & Tanda N. (2015). “Initiation à la démarche de recherche et traitement des données”. Unités d’enseignement 3.4 et 5.6. Semestres 4 et 6. Paris : Vuibert.
(6) Soyer L & Tanda N. (2014). “Le développement de la recherche en sciences infirmières en question”. Objectif Soins & Management (229), 51-57.
(7) Reuter Y., Cohen-Azria C., Daunay B., Delcambre-Derville I. & Lahanier-Reuter D. (2010). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. 3e édition. Bruxelles : de Boeck Université. P. 191-192.
(8) Chabanne J.C., & Bucheton D. (2000). “Dossier : aider les élèves de ZEP à développer des pratiques d’écriture proprement scolaires”. Repéré via bit.ly/24OcVU8
(9) Lafortune L. (2012). Une démarche réflexive pour la formation en santé. Québec : Presses de l’Université du Québec.
(10) Rey A. (2005). Dictionnaire culturel en langue française Tomes 1-4. Paris : Le Robert-Sejer. P.1991.
(11) Benner P. (2003). De novice à expert. Excellence en soins infirmiers. Paris : Masson.
(12) Vygotski L. (1934). Langage et pensée. Trad. Paris : La Dispute, 1998.
(13) Jonnaert P. (2006). Compétences et socioconstructivisme. Bruxelles : De Boeck Université.
(14) Schön D. (1993). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Montréal : Éditions Logiques.
(15) Catanas M. (2009). “Mise en place de fiches de lecture en sciences humaines et soins en Ifsi : levier pour le nouveau programme 2009”. Repéré via bit.ly/1rnBKcB
(16) Ferry, G. (1983). Le trajet de formation, les enseignants entre la théorie et la pratique. Paris : Dunod.
(17) Robo P. (2013). “Développer le “savoir analyser” pour analyser sa pratique professionnelle. Revue de l’Analyse de Pratiques Professionnelles, (1), 1-10. Repéré à : www.analysedepratique.org/?p=435
(18) Bruner J. (1987). Comment les enfants apprennent à parler. Paris : Retz.
(19) Coudray, M.A. (2004). Le cadre soignant en éveil : la fonction d’encadrement au défi de la quête de sens. Paris : Séli Arslan.
Nous parlons bien ici du cadre de proximité qui, au sein de son service de soins, œuvre lui aussi à l’ingénierie de la formation des futurs professionnels. Sa posture s’inscrit dans une médiation, notamment dans la mise à disposition d’espaces architecturaux et temporels dédiés à la lecture et à la réalisation de fiches de lecture. Cette dynamique tient à la fois du projet de service et d’une collaboration étroite avec l’Ifsi partenaire, pour la mise à disposition de sources documentaires. Nous avons déjà souligné l’importance, en termes de personnes ressources, que sont les documentalistes institutionnels
* Soyer l. & Tanda N. (2016). “La revue de littérature en recherche infirmière”. Objectif Soins et Management, n° 243.