Qu’entend-on par implication ? Qu’est-ce que l’émotion ? Et comment ces deux notions interagissent ? En tant que cadre de santé, il est important de s’interroger sur les outils managériaux favorisant l’implication au travail. À cet égard, nous nous devons d’examiner l’influence de la compétence émotionnelle du cadre de santé sur l’implication au travail des soignants.
Ces dernières années, les réformes structurelles qui s’opèrent à l’hôpital sont quasiment constantes : certification, création de la tarification à l’acte, gouvernance en pôle d’activité… Ces transformations systémiques génèrent parfois des mécanismes de défenses qui compromettent la mobilisation collective et l’épanouissement individuel. Le cadre de santé se doit de se questionner sur la dimension émotionnelle dans un contexte en constante évolution. Un contexte qui laisse peu de place à l’expression congruente des émotions des soignants. Le rôle du cadre de santé semble primordial pour créer les conditions d’appui à l’implication des soignants (motivation, adhésion, satisfaction…). Nous cherchons à identifier les ressources qui permettent au cadre de santé de développer les conditions nécessaires à l’implication de ses collaborateurs. La compétence émotionnelle, encore peu connue à l’hôpital, peut-elle influencer l’implication des soignants dans une unité de soins hospitalière ? Goleman donne un élément de réponse : « Ce qui soude les individus au sein d’une équipe, et qui les implique dans une entreprise, ce sont les émotions qu’ils éprouvent. »
Bien qu’il ne soit pas toujours aisé de comprendre les liens entre un soignant et son travail, il existe un attachement, une relation faite d’interactions entre ces deux entités. Selon Sandra Michel
L’histoire de vie et les origines culturelles d’un soignant sont déterminantes dans son choix de carrière. En effet, le soignant est avant tout un sujet qui n’est pas réductible à une fonction. Cette personne est porteuse d’une histoire de vie influencée par les rencontres humaines. Il est donc difficile de vouloir scinder en deux sphères distinctes la vie professionnelle et la vie personnelle d’une personne. Néanmoins, nous considérons la valeur-travail comme la valorisation du travail en comparaison aux autres sphères de l’existence d’une personne. Pour comprendre la notion d’implication, il paraît essentiel que le cadre de santé s’intéresse à ce que le soignant transfère de lui-même dans son travail. Ainsi, le soignant s’implique dans une unité de soins car il peut s’y reconnaître. L’implication au travail correspond au souhait d’un soignant à adhérer aux valeurs de l’unité.
Le travail est un affrontement à l’environnement et au contexte professionnel avec une dimension de contrainte et une dimension de nécessité qui sont susceptibles de produire de l’effet sur les comportements des soignants. Le travail à l’hôpital est régulièrement décrit comme une succession de difficultés qui ne doivent pas être vécues comme des freins mais comme des opportunités au service du développement des soignants. Cette conception de la dynamique souffrance et plaisir au travail nous permet de faire des liens avec la clinique du travail. Christophe Dejours
Tout ce qui précède met en évidence que l’implication au travail d’un soignant ne se prescrit pas. Néanmoins, la relation managériale demeure au centre du processus d’implication du soignant (cf. graphique ci-dessus). En effet, la qualité des relations avec le cadre de santé est essentielle pour favoriser la cohérence et l’adhésion, conditions nécessaires à l’implication. Pour s’impliquer dans une unité de soins, le soignant a besoin d’une adéquation entre le projet de l’unité de soins et son système de valeurs. D’après Norbert Alter
Il paraît difficile, voire impossible, de donner une définition de l’émotion qui serait dogmatique et unanime. L’approche étymologique met en évidence l’aspect dynamique de cette notion. En effet, “émotion” vient du verbe latin movere qui signifie “mouvoir” et du préfixe “é” qui exprime “vers l’extérieur”. L’émotion désignerait alors ici un mouvement externe à la personne. Forts de cette première définition, nous distinguons deux types d’émotions : les émotions primaires (joie, tristesse, peur, colère, dégoût, surprise) et les émotions secondaires (sympathie, fierté, envie, honte, culpabilité…) qui découlent de la combinaison de plusieurs émotions primaires. Les émotions primaires facilitent l’adaptation du soignant alors que les émotions secondaires signalent les changements dans les relations entre le soignant et son environnement de travail. Les émotions primaires représentent donc un socle sur lequel se construisent les émotions secondaires.
Selon Béatrice Cahour
Ainsi, les émotions secondaires accompagnent l’ensemble des comportements du soignant, et tout changement, même s’il est approuvé, a un impact sur sa sphère émotionnelle. C’est pour cela que deux soignants dans une situation identique ont des attitudes différentes. Nous constatons alors que les expressions émotionnelles du soignant sont motivées par le social plutôt que par le biologique. De ce fait, elles vont s’enrichir au fur et à mesure des expériences vécues par le soignant et communiquer de plus en plus précisément ses sentiments à son entourage professionnel. Par conséquent, nous considérons les émotions secondaires comme un véritable système d’affichage au service des interactions sociales du soignant. Le schéma (ci-dessous) permet d’illustrer la liaison que nous avons observée entre les manifestations qui témoignent de l’implication et les émotions secondaires. En effet, certains mots correspondent à la fois à des expressions émotionnelles et à des manifestations qui attestent du niveau d’implication des soignants. « Les émotions secondaires des soignants sont indissociables de leur contexte d’apparition. »
Depuis quelques années, le monde du travail a développé un grand intérêt pour la régulation émotionnelle. D’après Peter Drucker
C’est le concept d’intelligence émotionnelle qui a popularisé la notion de “compétence émotionnelle” dans les années 1990. Peter Salovey
En explorant la littérature sur ce sujet, nous avons constaté que beaucoup d’auteurs s’accordent sur l’existence de quatre compétences émotionnelles individuelles fondamentales : la conscience de soi, la gestion de soi, la relation aux autres, la gestion des relations. D’après Ilios Kotsou
Afin d’adapter son savoir-être en fonction du contexte, le cadre de santé cherche à comprendre les émotions ressenties par le soignant. C’est le fondement d’un savoir-faire managérial qui est décrit comme fondamental par les cadres de santé : l’empathie. Pour comprendre cette notion complexe, il convient de faire une distinction entre la sympathie et l’empathie. La sympathie se détache de l’empathie par le fait qu’elle ne présuppose pas une émotion équivalente. Pour illustrer ce propos, nous citons Gilles Amado
De nouvelles approches issues de la psychologie ont contribué à la modification du profil de leader. Le leadership est dorénavant considéré comme une posture acquise qui est le résultat d’une interaction entre le contexte et la valeur intrinsèque de la personne. Notre article nous permet de comprendre que la posture de leader est très liée à la capacité que possède un cadre de santé à communiquer et à gérer ses émotions. D’ailleurs, Ilios Kotsou
L’implication au travail des infirmiers et des aides-soignants ne se prescrit pas. Pour s’impliquer dans une unité de soins, le soignant a besoin d’une cohérence entre le projet de l’unité de soins et son système de valeurs. D’après Norbert Alter
(1) Goleman Daniel, Boyatzis Richard, McKee Annie. L’intelligence émotionnelle au travail. Paris : Pearson Education, 2010. 354 pages.
(2) Docteure en droit, licenciée en sciences sociales et docteure en sociologie.
(3) Michel Sandra. “Motivation et implication professionnelles”. In : Traité de sociologie du travail. De Coster Michel, Pichault François. 2e édition mise à jour. Bruxelles : De Boeck, 1998, 579 pages.
(4) Psychiatre et psychanalyste, fondateur de la psychodynamique du travail.
(5) Dejours Christophe, Gernet Isabelle. Psychopathologie du travail. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2012. 155 pages.
(6) Professeur au Cnam et à l’Essec.
(7) Thévenet Maurice. Impliquer les personnes dans l’entreprise. Paris : Liaisons, 1992. 205 pages.
(8) Gautier Arnaud. “La compétence émotionnelle du cadre de santé : une perspective actuelle pour favoriser l’implication des soignants ?” Mémoire IFCS AP-HP, 2015-2016, 79 pages.
(9) Sociologue.
(10) Alter Norbert. Sociologie du monde du travail. 2e édition mise à jour. Paris : PUF, 2012. 362 pages.
(11) Chercheuse.
(12) Professeur émérite en psychologie.
(13) Cahour Béatrice, Lancry Alain. “Émotions et activités professionnelles et quotidiennes”. Le travail humain, février 2011, Vol. 74, p.97-106.
(14) Auteur et théoricien.
(15) Drucker Peter. L’avenir du management. Paris : Lamarre, 2005. 199 pages.
(16) Docteur en psychologie.
(17) Psychologue.
(18) Salovey Peter, Mayer John. “Emotionnal intelligence”. Imagination, cognition and personality, janvier 1990, Vol. 9, p.185-211.
(19) Docteur en psychologie.
(20) Professeure émérite en psychologie du travail
(21) Lhuillier Dominique. “Compétences émotionnelles : de la proscription à la prescription des émotions au travail”. Psychologie du travail et des organisations, décembre 2006, Vol. 12, p.91-103.
(22) Chercheur.
(23) Kotsou Ilios. Intelligence émotionnelle et management : comprendre et utiliser la force des émotions. Bruxelles : De Boeck Université, 2008. 200 pages.
(24) Docteur en psychologie clinique.
(25) Amado Gilles. “Implication”. In : Vocabulaire de psychosociologie. Barus-Michel Jacqueline, Enriquez Eugène, Lévy André. Ramonville Saint-Agne : Erès, 2006. 590 pages.
→ L’implication est une notion individuelle. Elle correspond à une identification du soignant construite sur son adhésion aux objectifs et aux valeurs de l’unité de soins (c’est un contrat psychologique entre le soignant et le projet de l’unité de soins).
→ Le sens au travail se développe lorsque le soignant échange avec les autres professionnels de santé.
→ L’implication ne se prescrit pas mais dépend de conditions d’appui (satisfaction, motivation, adhésion…).
→ Les manifestations qui témoignent de l’implication du soignant sont des émotions secondaires.
→ Les émotions secondaires sont des émotions sociales. Elles renseignent sur le niveau d’implication du soignant et représentent un véritable système d’affichage pour le cadre de santé.
→ La compétence émotionnelle est un outil diagnostic qui renseigne sur le niveau d’implication du soignant. Elle encourage l’adaptabilité du cadre de santé par l’ajustement de ses pensées et de ses comportements à la situation émotionnelle de ses collaborateurs.