Objectif Soins n° 249 du 01/10/2016

 

Droit

Gilles Devers  

Avocat à la Cour de Lyon

Dans chaque affaire, la juridiction doit examiner s’il existe la preuve d’une faute, et l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Voici quatre cas de prise en charge complexe, soumis à la justice dans le cadre de recours en responsabilité.

Laparotomie exploratrice

• Les faits. Une patiente a ressenti des douleurs mictionnelles dans la matinée du 8 juin 2009, puis des douleurs épigastriques le soir. Elle a été orientée par un service de médecine d’urgence vers le service des urgences du CHU du Kremlin-Bicêtre (où elle a été admise à 2 h 31 pour une suspicion de polynéphrite. Un premier examen clinique y a été pratiqué à 2 h 53. Ont ensuite été pratiqués en urgence une hémoculture, un ECBU, une numération de la formule sanguine (à 3 h 51), une radiographie de l’abdomen sans préparation (à 4 h 02), une radiographie thoraco-pulmonaire, un électrocardiogramme (à 8 h 38), un scanner abdomino-pelvien (à 6 h 22) et une échographie pelvienne endo-vaginale (à 12 h 10). Les imageries (scanner abdomino-pelvien et échographie pelvienne endo-vaginale) ont été relues par deux radiologues, puis par un radiologue et un chirurgien viscéral. Ce dernier, après avoir examiné la patiente, craignant une souffrance cæcale à type de torsion susceptible d’entraîner une ischémie, une ulcération de la paroi et une invasion bactérienne intra-péritonéale et/ou une occlusion, a posé l’indication opératoire d’une laparotomie exploratrice avec le chirurgien qui a ensuite pratiqué cette opération, comme il ressort du compte rendu opératoire. La laparotomie n’a rien révélé, hormis une petite bride adhérentielle à la base de la boucle du côlon sigmoïdien qui, en se développant, était susceptible de provoquer un syndrome occlusif à une distance indéterminable dans le temps, et qui a été sectionnée. La patiente soutient que la responsabilité pour faute est engagée en ce qu’elle a fait l’objet d’une laparotomie qui s’est révélée inutile, parce qu’elle a été opérée en hâte, sans que des investigations cliniques qui auraient permis de mettre en évidence l’inutilité de l’opération n’aient été effectuées.

• L’analyse. L’ensemble des examens médicaux utiles ont été pratiqués en urgence préalablement à l’intervention chirurgicale. Aucun élément permettant de déterminer une faute, un manquement ou une négligence commise au service des urgences ne peut être relevé dans le dossier médical. L’interrogatoire, l’examen clinique initial, les examens complémentaires tout à fait appropriés, les examens systématiques et la demande d’avis spécialisés, effectués sans retard, n’appellent aucun commentaire ni critique, et il en est de même pour les soins et la surveillance d’anesthésie per- et post-opératoire, ainsi que pour l’acte opératoire en soi, comme en ce qui concerne les soins, le suivi et la surveillance au retour du bloc opératoire de la patiente jusqu’à sa sortie de l’hôpital le 15 juin 2009. De plus, il ne saurait être inféré de la circonstance que la laparotomie exploratrice réalisée le 9 juin 2009 n’ait rien révélé que cette intervention chirurgicale aurait été inutile. En effet, la patiente, avant cette intervention, présentait des symptômes assez complexes à analyser qui pouvaient témoigner aussi bien d’une infection vésico-urinaire faisant suspecter une pyélonéphrite débutante qu’une pathologie abdominale aiguë, au vu, sur le scanner abdomino-pelvien, de l’aspect de souffrance visible du cæcum qui avait quitté son site anatomique habituel, prolabé dans le petit bassin, évoquant un volvulus, donc susceptible de menacer son étanchéité par ulcération de la paroi et d’entraîner une invasion bactérienne ou un syndrome occlusif. Par suite, il était licite d’envisager un traitement chirurgical, qui constituait un geste de prudence.

Cour administrative d’appel de Paris, 29 juillet 2016, n° 15PA02394.

Diagnostic de méningite bactérienne en période néonatale

• Les faits. Un jeune enfant de six semaines a été adressé par le médecin traitant le 16 décembre 2004 au service des urgences du centre hospitalier (CH) de Narbonne (Aude) qui l’a renvoyé à son domicile avec un traitement. Il a été admis le 19 décembre aux urgences du CH de Lézignan-Corbières, où a été posé le diagnostic d’otite et rhinite avec prescription d’un traitement médicamenteux. Le 21 décembre, un médecin généraliste a adressé l’enfant au service des urgences du CH de Carcassonne après la survenue d’un épisode d’hémi-convulsions fébriles laissant soupçonner une méningite. Les examens, dont une ponction lombaire, ont permis de confirmer le diagnostic de méningite aiguë à pneumocoques tandis qu’une scanographie réalisée le lendemain matin faisait état d’un début d’empyème. L’enfant a alors été transféré le jour même au CHU de Toulouse en service de réanimation pédiatrique. Il a été hospitalisé dans cet établissement jusqu’au 2 février 2005. Il conserve de nombreuses séquelles en lien avec la gravité de la méningite purulente dont il a été victime et notamment une hémiparésie gauche, secondaire à une ischémie de l’hémisphère droit, une épilepsie partielle et des troubles du comportement.

• L’analyse. Eu égard à la difficulté du diagnostic de méningite bactérienne en période néonatale, il convient de faire pratiquer une ponction lombaire au moindre signe clinique suspect. Alors même qu’il constatait le 19 décembre 2004 une fontanelle légèrement bombée, le service des urgences du CH de Lézignan-Corbières n’a pas fait réaliser les examens, notamment une ponction lombaire, propres à établir la présence d’une éventuelle méningite purulente et de la traiter en urgence. Ainsi, et alors que la prise en charge du jeune enfant par les CH de Narbonne, le 16 décembre 2004, et de Carcassonne, les 21 et 22 décembre 2004 et par le CHU de Toulouse à compter du même jour, a été conforme aux données de la science et à l’état actuel de l’art médical, ce manquement du CH de Lézignan-Corbières est à l’origine, d’une manière suffisamment certaine, d’un retard de diagnostic et de prise en charge thérapeutique adaptée, en l’absence de tout commencement de justification par le défendeur d’une probabilité plus importante en l’espèce de survenue d’une méningite foudroyante. Ce manquement a, par suite, privé l’enfant de chances sérieuses de se soustraire à l’évolution qu’a connue son infection et aux conséquences dommageables qui en ont résulté. Cette perte peut être évaluée avec un degré suffisant de certitude au taux de 85 %.

Cour administrative d’appel de Marseille, 18 juillet 2016, n° 16MA00382.

Naissance d’un enfanten état de mort apparente

• Les faits. Le 14 décembre 2002 à 9 heures, des parents se sont rendus au CH d’Orange (Vaucluse) pour la naissance de leur enfant. L’enfant est né à 12 h 05 en état de mort apparente. La réanimation a fini par entraîner la reprise d’une activité cardiaque du nouveau-né. Prise en charge de l’accouchement entre 11 h 35 et 12 h 05. Les conditions de naissance de l’enfant n’auraient pas été modifiées si l’obstétricien de garde s’était rendu, dès l’apparition brutale et imprévisible à 11 h 35 des anomalies du rythme cardiaque fœtal, au chevet de la parturiente dès lors qu’un délai de dix minutes aurait été nécessaire à ce médecin pour savoir si les anomalies du rythme cardiaque fœtal, qui peuvent s’amender naturellement dans certains cas, étaient assez sévères pour justifier de provoquer la naissance de l’enfant en urgence. Si la dilatation du col de la mère était complète et que la naissance de l’enfant devait être rapide à partir de 11 h 50, une extraction instrumentale, qui exige soit une anesthésie locorégionale, soit une analgésie locale, aurait au contraire retardé le délai de naissance alors que l’enfant est né spontanément après quinze minutes d’efforts expulsifs. Ainsi, l’arrivée de l’obstétricien dès 11 h 35 n’aurait permis ni d’extraire plus rapidement l’enfant par forceps ni de réduire la durée d’anoxie fœtale. Ni le retard fautif d’arrivée de l’obstétricien de garde au chevet de la parturiente, ni l’absence d’utilisation des forceps, qui ne sont pas à l’origine des dommages, ne peuvent ouvrir droit à réparation.

• Retard à pratiquer une intubation trachéale. L’enfant est né en état de mort apparente avec un indice d’Apgar chiffré à 1 sur 10. Les manœuvres de réanimation, à savoir la désobstruction, la ventilation au masque et le massage cardiaque externe, ont été immédiatement mises en œuvre par l’obstétricien et la sage-femme, qui n’ont pas réussi à accélérer le rythme cardiaque du nouveau-né. Le médecin anesthésiste, arrivé à deux minutes de vie de l’enfant, a prolongé le massage cardiaque externe et a refusé l’intubation trachéale envisagée. À dix minutes de vie, en l’absence de battements cardiaques, le décès supposé de l’enfant a entraîné l’arrêt des manœuvres de réanimation. La réapparition spontanée des battements cardiaques de l’enfant a entraîné la reprise de la ventilation manuelle. Après l’arrivée du pédiatre d’astreinte, l’intubation oro-trachéale a été pratiquée par l’anesthésiste vingt minutes après la naissance. L’enfant, dont l’activité cardiaque n’était pas restaurée à une minute de vie et dont l’Apgar était inférieur ou égal à 1, aurait dû bénéficier d’une intubation trachéale dès les trois premières minutes de vie, pour permettre la ventilation assistée en oxygène pur du cerveau, et cet acte aurait dû être réalisé, en l’absence du pédiatre d’astreinte, par l’anesthésiste. Ce retard à pratiquer cette intubation n’est pas conforme et a participé à la constitution de l’état de santé de l’enfant. Les conditions de vascularisation et d’oxygénation du cerveau pendant les trente minutes de phase terminale de l’accouchement sont incertaines, même si la naissance en état de mort apparente indique un état anoxique prénatal. Si la prise en charge en fin de travail est conforme aux données acquises de la science, l’assistance néonatale a été inadaptée, entraînant un arrêt cardio-circulatoire et une carence profonde en oxygène du cerveau du nouveau-né pendant vingt minutes. Dans ces conditions, il y a lieu d’évaluer la perte de chance de l’enfant à raison de la faute commise par le CH d’échapper à l’aggravation de son handicap à 50 % et de mettre à la charge du CH d’Orange la réparation de cette fraction du dommage corporel.

Cour administrative d’appel de Marseille, 13 juillet 2016, n° 10MA03054.

Perforations coliques lors d’une coloscopie

• Les faits. Une patiente de 61 ans a été admise le 10 octobre 2011 au CH de Vierzon (Cher) pour la réalisation d’une gastroscopie et d’une coloscopie sous anesthésie générale. En raison d’une difficulté de progression, la coloscopie a dû être stoppée en cours de réalisation. Après son réveil, la patiente s’est plainte de violentes douleurs abdominales : des examens complémentaires ont permis de constater que l’intéressée souffrait de deux perforations coliques sur une boucle sigmoïdienne. Une intervention chirurgicale a été réalisée le même jour pour une reprise chirurgicale avec mise en place provisoire d’une colostomie. La patiente a regagné son domicile le 22 octobre 2011, avant d’être à nouveau hospitalisée du 27 octobre 2011 au 4 novembre 2011 en raison d’une altération de son état de santé. Une dernière intervention chirurgicale a été réalisée le 9 février 2012 afin de rétablir la continuité colique. Depuis, la patiente indique souffrir de douleurs abdominales entraînant une dégradation de son état de santé.

• Absence de faute dans la réalisation de l’acte médical. La perforation du côlon subie lors de l’examen par coloscopie est seulement imputable à la difficulté particulière de l’intervention compte tenu d’une boucle importante du côlon sigmoïdien rendant la progression du coloscope difficile ainsi qu’à une mauvaise préparation de la patiente à l’examen et aucun acte fautif n’est imputable à l’opérateur. Par suite, aucune faute dans la réalisation de l’acte médical ne saurait être imputée.

• Absence de manquement à l’obligation d’information. Quelques jours avant l’examen réalisé le 10 octobre 2011, à l’issue d’un entretien avec le médecin qui a pratiqué la coloscopie, celui-ci lui a présenté les bénéfices et risques de l’examen préconisé, et elle s’est vu remettre un document d’information sur la réalisation d’une coloscopie mentionnant les risques de cet examen, et en particulier les risques de perforation de la paroi intestinale et la nécessité d’une intervention chirurgicale pour y remédier. Ainsi, la patiente, qui a été informée des risques de l’examen pratiqué et a été mise en mesure préalablement à sa réalisation d’interroger le médecin pour obtenir d’éventuelles précisions, n’est pas fondée à soutenir que l’information délivrée était insuffisante pour lui permettre de comprendre les conséquences possibles des risques encourus. En l’absence de toute faute, la responsabilité ne peut être engagée.

• Mise hors de cause de l’Oniam. Les douleurs abdominales épisodiques dont se plaint la patiente sont, à concurrence de 90 %, en lien direct et certain avec les conséquences de la perforation intestinale survenue pendant la coloscopie du 10 octobre 2011, mais ces séquelles ne justifient qu’un taux de déficit fonctionnel permanent évalué à 2 % par l’expert. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que la durée du déficit fonctionnel temporaire imputable aux conséquences de la complication de la coloscopie subie a été inférieure à six mois. Par suite, les séquelles ne remplissent pas les conditions de gravité prévues par les dispositions de l’article D 1142-1 du Code de la santé publique, et ne peuvent donc lui ouvrir droit à réparation par l’Oniam.

Cour administrative d’appel de Nantes, 30 juin 2016, n° 15NT01266.