L’imagination au cœur du management et la participation des soignants aux décisions qui les concernent : voilà les deux marottes de cette cadre supérieure de pôle du CHU de Lyon (Nord) et présidente de l’Association nationale des cadres infirmiers et médico-techniques (Ancim). Une cadre qui ne se laisse pas démonter face à des situations parfois complexes.
Dominique Combarnous : J’ai justement un exemple tout frais à vous présenter en avant-première. Étant désormais cadre supérieure du pôle d’urgences-réanimation et du pôle chirurgical, dans un contexte qui exige la diminution des temps d’hospitalisation, j’ai eu l’idée de créer un salon d’accueil pour les patients avant chirurgie. En résumé, les patients arrivent le jour même de leur intervention et se rendent au bloc à pied. Ils ont donc passé une meilleure nuit chez eux que s’ils avaient été dans l’établissement la veille. À leur arrivée, ils sont pris en charge immédiatement car il s’agit d’un service dédié. Leur anxiété est évaluée à l’aide d’une échelle pour adapter la prémédication ou même l’éviter, ce qui permet un réveil plus facile et une durée de séjour plus courte. Des soignants sont également formés à la sophrologie afin d’aider à les relaxer.
Dominique Combarnous : Au début, personne n’y croyait, mais on nous a autorisés à faire un essai dans des locaux non encore dédiés. Cela a tellement bien fonctionné qu’on a eu les crédits. C’est un espace qui ne ressemble pas du tout à l’hôpital. Les gens s’y sentent bien. Nous sommes extrêmement fiers de cette réalisation, unique en France.
Dominique Combarnous : ll y aura un consultant “Plaisir au travail”. Je ne connais pas encore la totalité de son intervention mais nous souhaiterions qu’il insiste sur le fait que cela peut s’apprendre. Plus on prend du plaisir dans son travail, plus on a envie d’en prendre. C’est comme une petite drogue (rires). Il est important que les soignants n’attendent pas que les autres changent pour changer eux-mêmes. Un cadre peut très bien faire changer sa propre unité. Les gens du terrain savent ce qui est le meilleur pour les patients. Il ne faut jamais se priver des initiatives “de la base”.
Dominique Combarnous : La coordinatrice paramédicale de la Fédération hospitalière de France vient parler des actualités en santé de l’année. Son discours sera suivi d’une table ronde durant laquelle des cadres auront l’occasion de présenter des modes de management imaginatifs qu’ils ont mis en place au sein de leurs unités. D’ailleurs, le cadre de mon service d’urgences présentera un système de management par couleurs, représentant un trait important de personnalité des soignants de son équipe. Il ne s’agit pas de coller une étiquette sur les personnes mais de les aider à évoluer au mieux, à monter en compétences et à s’épanouir. Plutôt que de travailler sur l’absentéisme, je crois fermement qu’il faut travailler sur ce qui peut faire venir des gens contents au travail. Deux autres cadres supérieurs parleront du management par l’émotion et de l’utilisation de la culture du rugby en lien avec le travail.
Dominique Combarnous : À l’origine, je voulais faire de l’humanitaire. Mais, renseignements pris, je me suis rendu compte que, pour être utile, il fallait être cadre. Du coup, je me suis lancée dans les études d’infirmière en sachant déjà que je serai cadre un jour alors que je ne connaissais pas du tout le milieu du soin. À la sortie, il n’y avait pas beaucoup de postes disponibles, même en intérim, mais j’ai fini par en trouver un en neurochirurgie à l’Hôpital neurologique de Lyon. C’était très diversifié. On naviguait entre des patients très lourds et certains autres qui étaient presque en ambulatoire. L’équipe était chouette, et les patients très attachants. La cadre me confiait déjà des missions comme l’encadrement des étudiants. Il m’arrivait également de la remplacer. L’envie de devenir cadre est revenue mais, après cinq ans, je me suis dit qu’il fallait que je connaisse au moins un autre service pour diversifier mes expériences.
Dominique Combarnous : À l’occasion de l’ouverture d’un nouveau service de soins intensifs post-opératoires en neurochirurgie, on m’a proposé un poste car je faisais partie des rares infirmières qui avaient une expérience de la spécialité. Du coup, j’encadrais les nouvelles arrivées, je participais à l’organisation et à l’aménagement du service. Une expérience très enrichissante qui m’a très tôt encouragée à travailler sur ma créativité. J’y suis restée trois ans, avec une cadre très « cadrante » mais très attachée à la démarche qualité dont on entendait alors très peu parler dans les établissements de soin. Elle savait aussi très bien utiliser nos appétences et nos compétences pour faire avancer le service. C’est un élément essentiel au management, je ne l’ai jamais oublié.
Dominique Combarnous : Un médecin du service qui rejoignait un autre service de réanimation m’a proposé de le suivre à l’hôpital de La Croix-Rousse (Lyon) en 1989. J’avais envie de découvrir un nouvel établissement et j’ai donc accepté. Les débuts ont été un peu compliqués parce que l’équipe se méfiait de moi. On m’a beaucoup mise à l’épreuve. C’était très déstabilisant et frustrant. Il a fallu faire mes preuves et tout s’est stabilisé au bout de deux ou trois mois. Avec une autre infirmière, on s’est trouvé des points communs, notamment dans l’encadrement des étudiants, et j’ai fini par acquérir la confiance des autres. Cette collègue et moi avons, du coup, passé un DU de formateur et nous sommes devenues référentes pour la formation.
Dominique Combarnous : En 1987, au moment des grandes grèves infirmières, je faisais partie de la coordination infirmière à Lyon. Cela m’a permis d’affiner mon idée de l’objectif de la profession et d’en défendre les valeurs. Une vraie formation pour moi qui m’a appris à m’affirmer, à être écoutée et indépendante.
Dominique Combarnous : En effet. Deux ans après mon arrivée, on m’a proposé le poste d’adjointe au cadre du service. J’ai accepté avec plaisir de travailler avec une cadre qui avait déjà compris et intégré le côté manager du cadre. En réanimation, les médecins travaillent beaucoup avec les infirmières. Ils forment de vrais binômes au lit du malade. Il a donc été important qu’ils comprennent que la cadre n’était plus une sorte de “super-infirmière”. Au départ de la cadre, il m’a fallu jouer des coudes. Les vieilles habitudes ont la vie dure. C’est difficile de faire sa place dans une nouvelle représentation du métier, face aux médecins mais aussi aux infirmières.
Dominique Combarnous : C’est simple : j’ai beaucoup travaillé avec les aides-soignantes, sur les transmissions, notamment. En constatant que nos travaux étaient présentés dans des congrès, les infirmières se sont senties un peu à l’écart. Cela a calmé les choses. Avec deux autres cadres du service, nous avons décidé d’organiser un congrès national pour les paramédicaux. La première « Journée lyonnaise paramédicale de réanimation » s’est déroulée en mars 1992 avec cinq cents participants. L’aventure a duré quinze ans, tenue à bout de bras par dix organisateurs et grâce à l’aide d’infirmières et d’aides-soignantes bénévoles.
Dominique Combarnous : Pas du tout ! J’ai passé le concours en février 1993 et je l’ai réussi. J’ai trouvé formidable de rencontrer et d’échanger avec des gens venus d’univers très différents ainsi que de mettre en corrélation les enseignements et ce qu’on a vécu. Mais aussi de formaliser un mode d’action et d’ouvrir d’autres perspectives. Le seul moment difficile a été celui de la remise de mon mémoire. J’avais choisi comme thème “les faisant fonction” pour mettre en lumière les difficultés de cet exercice en lien avec l’inexpérience et le manque de légitimité. À mon sens, les faisant fonction de cadre se mettent en danger et mettent en danger les équipes qui se disent : « Elle n’est là que provisoirement, aucun projet ne sera lancé. » Ces arguments ont été très mal perçus par l’un des membres du jury. Ce qui prouve, s’il était nécessaire, que certaines vérités sont difficiles à entendre. Au sein de mes équipes, j’ai des faisant fonction mais je suis très attentive pour les accompagner et prendre soin d’elles. On peut s’abîmer.
Dominique Combarnous : Oui, peu avant ma sortie de l’école des cadres. La présidente de l’époque était venue nous présenter l’association et cela m’a intéressée. À l’époque, Internet n’existait pas. Or je suis persuadée qu’il est important d’appartenir à un réseau qui vous informe. J’ai donc adhéré.
Dominique Combarnous : C’est mon ancienne cadre de neurochirurgie qui m’a demandé de travailler avec elle. Je savais que j’allais apprendre beaucoup, même si je bénéficiais de peu d’autonomie. Nous avons bien fait avancer ensemble la démarche qualité mais, au bout de deux ans, j’ai voulu voler de mes propres ailes. Entre-temps, j’avais bouclé ma licence de sciences de l’éducation. Je suis donc partie travailler à l’Hôpital Lyon Sud en réanimation polyvalente. Nous étions deux cadres. J’ai vu tout de suite ce qu’il fallait garder et ce qu’il fallait améliorer. Une révélation ! Mais sans bousculer les équipes, évidemment. La mayonnaise a pris immédiatement, même avec les médecins. Une super-équipe, sans failles.
Dominique Combarnous : Pas du tout ! On a pris le temps de former des référents qui, à leur tour, formaient leurs collègues. C’est passé comme une lettre à la poste alors qu’à l’époque, l’informatique n’était pas très intuitive pour tout le monde. Cela a demandé un gros travail au départ, comme la visite de services déjà équipés, mais un vrai succès au bout.
Dominique Combarnous : Je me suis investie en entrant à la commission des infirmières de la Société française d’anesthésie et réanimation. On organisait le programme du congrès annuel et on travaillait sur l’adaptation à l’emploi. J’y suis restée jusqu’en 2015. Une maîtrise de management des services hospitaliers à Lyon 3 m’a permis d’accéder à des apports théoriques nouveaux sur les systèmes de santé. J’ai pu mesurer à quel point les cadres sont isolés dans leurs unités. Si on ne se documente pas par soi-même, on ne vous apporte pas d’informations. C’est alors que j’ai décidé d’intégrer le conseil d’administration de l’Ancim pour faire profiter mes collègues des informations collectées.
Dominique Combarnous : Alors que je travaillais toujours en réanimation, je suis partie faire un remplacement de quatre mois de la cadre supérieure de médecine. J’y ai découvert des cadres qui s’occupaient beaucoup de prendre des rendez-vous, au détriment des sujets comme la gestion qualité et les compétences. Je me suis alors dit que si j’avais un poste, ce serait ma priorité. C’est arrivé en 2004 lorsqu’on m’a offert le poste en question. On a travaillé sur le cœur de métier en limitant les tâches parasites. Il y a eu un peu de résistance des médecins qui ne comprenaient pas bien le métier de cadre. On passait de surveillante à cadre. Ils avaient gardé l’image d’une “super-infirmière” qui doit suppléer à tout. À la création des pôles, je suis devenue cadre supérieure de pôle et, lorsqu’un nouveau pavillon médecine a été sur le point d’être ouvert, je me suis occupée des ressources humaines. Notre directeur nous faisait confiance, du coup, nous avons pu être très créatifs. Il a notamment fallu accompagner certaines équipes qui quittaient ce qu’elles avaient connu pendant des années. On a travaillé sur la nouvelle organisation ensemble en les incluant systématiquement dans notre réflexion et en écoutant leurs éventuelles peurs.
Dominique Combarnous : Très vite, la direction m’a proposé un poste au pôle urgences-réanimation pour créer une unité de soins continus et mutualiser les équipes du service d’accueil urgences avec celles de l’unité d’hospitalisation de courte durée. À l’époque, je commençais un master 2 de management des pôles. Comme souvent, je fais un peu tout en même temps (rires). Grâce à un bon groupe de travail, la formation et la solidarité des cadres, nous avons pu faire disparaître les tensions liées à ces changements. Puis, en 2013, le directeur m’a demandé de m’occuper d’un second pôle : suites chirurgicales. C’est là que se situe le salon d’accueil pour les patients avant chirurgie dont je parlais plus tôt.
Dominique Combarnous : Depuis 2011, j’en suis la présidente. Chaque année, nous organisons un congrès qui réunit environ deux cents personnes. Mais nous sommes également interrogés par des missions gouvernementales comme celle ayant mené à la publication du rapport de Chantal de Singly. Un rapport sur les cadres hospitaliers amenant des recommandations dont celle d’associer les cadres à la stratégie de l’établissement. Recommandation qui n’a malheureusement pas été suivie d’effets. Notre site Internet apporte également des informations aux professionnels.
→ Ancim : www.ancim.fr
→ 25e journée nationale des cadres de santé, vendredi 18 novembre 2016, à Reims.