Objectif Soins n° 250 du 01/11/2016

 

Management des soins

Sandra Mignot  

La contention demeure une pratique peu évaluée en France. Son usage semble largement banalisé dans les établissements de soins quelles que soient leurs spécialités. Quelles sont les évolutions qui ont mené à cette situation, et quelle place occupe le soignant dans le développement de cette pratique qui est avant tout un soin ?

Considérée comme un soin, la contention se rencontre dans tout type de services, quel que soit l’âge des patients. Le plus souvent, les équipes considèrent qu’elle permet de limiter les conséquences d’un état d’agitation du patient. Dans un service de réanimation, elle peut permettre d’éviter l’arrachage des tubulures et autres sondes. En pédiatrie, elle sera utilisée pour réaliser un soin pendant lequel l’enfant s’agite. Aux urgences, elle permettra de contenir la violence d’un patient, etc.

DÉFINITION

Lexique

Le terme “contention” recouvre tous les moyens mis en œuvre pour limiter les capacités de mobilisation de tout ou une partie du corps ou pour limiter la libre circulation des personnes dans un but sécuritaire pour une personne ayant un comportement jugé dangereux, pour elle ou pour autrui, ou mal adapté. La contention peut être physique passive (mécanique), physique active (intervention du corps), chimique (psychotropes), architecturale (chambre d’isolement, unité fermée, vidéosurveillance…), voire psychologique (par l’usage d’injonctions collectives et répétées à la personne).

Réflexions

Mais les réflexions actuelles sur l’usage de la contention se portent plus volontiers sur les pratiques qui ont cours en gériatrie et en psychiatrie. En gériatrie, les soignants l’utilisent afin de prévenir les chutes et les traumatismes (bien qu’aucune preuve scientifique n’existe sur l’efficacité de cette méthode et que des études en révèlent les effets délétères) ou de lutter contre la déambulation des personnes atteintes de troubles cognitifs. En psychiatrie, il s’agira de protéger le patient contre lui-même ou d’empêcher son agressivité envers autrui, tout en observant son comportement (lors d’une mise à l’isolement par exemple).

DIFFICILE ÉTAT DES LIEUX

Il n’existe aucune donnée chiffrée sur l’usage de la contention ou de l’isolement en France. Même si, en gériatrie comme en psychiatrie, les situations doivent être consignées dans le dossier patient. Jusqu’à présent, ces données sont rarement colligées et publiées. Des études révèlent néanmoins localement la fréquence des pratiques.

Recommandations

Pour ses recommandations, rédigées en 2000 et portant sur les bonnes pratiques de contention envers la personne âgée, l’Anaes estimait la prévalence de la contention entre 19 et 85 % dans les services de soins de longue durée, et entre 18 et 22 % dans les services hospitaliers de courts séjours pour les personnes de plus de 65 ans.

Plus récemment, une étude par questionnaire de la fondation Méderic Alzheimer(1) a montré que 76 % des Ehpad et 90 % des USLD (unités de soins de longue durée) utilisent la contention, mais seulement 2 % de manière fréquente et systématique (5 % dans les USLD). 90 % des Ehpad (95 % dans le secteur privé à but lucratif et 87 % dans le public) et 87 % des USLD mettent également en œuvre des dispositions pour éviter les fugues. 55 % instaurent des restrictions à la circulation à l’intérieur des établissements (digicodes, unités fermées, etc.) et 52 % limitent l’accès à l’utilisation des espaces extérieurs.

Méthodes

Du côté des méthodes, les barrières de lit sont la contention la plus utilisée : en gériatrie, en Ehpad, mais également dans les différents services d’hospitalisation (réanimation, neurologie, etc.). Mais elles sont à l’origine de nombreux accidents. Entre 2006 et 2011, l’Agence a reçu 115 signalements concernant la chute ou le piégeage d’un patient lié aux barrières de son lit médical adulte, dont 27 ont entraîné le décès du patient concerné. Viennent ensuite les différentes sangles (pelvienne, abdominale, membres, etc.), voire la contention médicamenteuse.

Législation

En psychiatrie, un arsenal législatif a été récemment mis en œuvre concernant les soins sans consentement(2). Il permet au juge, depuis 2011, de contrôler les pratiques en fonction du respect des droits de la personne. Et impose (depuis la loi du 26 janvier 2016) aux établissements de santé mentale d’enregistrer très précisément les situations d’isolement et de contention prescrites à leurs patients : médecin prescripteur, motivation de la prescription, nom du patient, dates de début et de fin, effectifs présents dans le service… Les données doivent ensuite être colligées et communiquées au niveau départemental comme national afin de dresser un état des lieux précis de la pratique et d’élaborer des recommandations. Le texte législatif stipule en outre : « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. » Des dispositions à rapprocher des recommandations encadrant les pratiques en gériatrie. Cette nouvelle disposition fait suite au constat d’un développement rapide de ces pratiques thérapeutiques attentatoires au droit fondamental d’aller et venir sur les vingt dernières années et à une demande émise par le contrôleur général des lieux de privation de liberté depuis 2009.

« Ce dispositif ne différencie d’ailleurs pas les types de contention », précise Olivier Sigman, juriste de formation et adjoint au directeur des relations avec les usagers à l’établissement public de santé mentale Barthélemy-Durand d’Étampes (Essonne), qui figure parmi les rares établissements de santé mentale à avoir déjà mis en place un registre des isolements et contentions. « Il pourrait tout aussi bien s’appliquer à la contention médicamenteuse, mais cela serait plus difficile de distinguer dans les prescriptions lesquelles visent à traiter et lesquelles visent à mettre sous contention… »

LE VÉCU DES SOIGNANTS

De multiples travaux évoquent une situation mal vécue – par le patient, certes, mais également par le soignant. Ainsi, dans l’introduction à ses bonnes pratiques, l’Anaes-HAS, évoque la mise sous contention comme une situation qui « concilie difficilement la contention avec le respect de l’autonomie et de la dignité des patients ».

Un sentiment d’échec

Dans son excellent TFE(3) à Caen (Calvados), Christian Couprit cite quant à lui le sentiment d’échec, de déplaisir à réaliser ce geste. « Concernant les autres services, on remarque que, globalement, les principales raisons de la mise sous contention sont le risque de retirer les perfusions, le risque de chute (surtout en Ehpad), mais aussi l’auto- et l’hétéro-agressivité. C’est principalement dans ces dernières situations que les infirmiers ont un sentiment de gêne ou de frustration par rapport à la mise sous contention d’une personne. Elles se sentent plutôt mal à l’aise, elles ont des scrupules et un sentiment d’échec. »

En psychiatrie, l’étude de Guivarch enfonce le clou : « (Le) vécu (des soignants) est riche, intense et majoritairement négatif à type de frustration (35 % des infirmiers ; 66,7 % des médecins), de colère (30 et 33,3 %) et d’absence de ressenti (35 et 44,4 %). Il s’agissait pour eux d’une expérience difficile mais nécessaire (82,75 %), d’un acte de soin et de sécurité (68,9 %). La frustration pouvait concerner le manque de moyens mais aussi être dirigée envers un patient ou un soignant. »(4)

Dans tout type de services et de situations, ce soin semble donc poser question au soignant, parce qu’au-delà de l’entrave au droit fondamental de disposer de soi, empêcher la liberté d’un patient apparaît en contradiction avec la notion de care et l’attention que le soignant doit porter au bien-être de la personne.

Quand la recherche s’en mèle

En gériatrie, la chercheuse japonaise Miwa Yamamoto(5) a mis en évidence quatre facteurs qui décident de l’issue de ces dilemmes éthiques : la priorité donnée à l’exécution d’un traitement et à la sécurité (face au risque d’arrachage d’une sonde par exemple), la compétence (formation) dont dispose le soignant dans le soin aux personnes présentant une démence, la qualité des relations de collaboration avec les autres intervenants dans le soin (supériorité perçue de la décision médicale ou du cadre, absence de discussion en équipe, etc.), et les autres priorités dans le service (présence de plusieurs patients exigeants, manque de personnel, difficulté d’accompagnement, etc.).

La perception de l’acte comme nécessaire au soin ou à la mise en sécurité, qui légitime aux yeux du soignant la réalisation du geste, est cependant difficile à comprendre lorsqu’on sait le peu de preuves scientifiques attestant de l’efficacité de la contention face notamment aux chutes graves, et les preuves nombreuses face à ses effets délétères (lire encadré ci-contre).

UNE MISE EN ŒUVRE PEU ENCADRÉE

Peu de textes régissent la pratique de la contention en France, alors que de nombreux autres proclament la liberté d’aller et venir des patients ou le droit à refuser des soins(6). La référence en la matière demeure les recommandations de l’Anaes/HAS, publiées en 2000 (lire encadré page suivante) en ce qui concerne la gériatrie. En psychiatrie, seul l’isolement fait l’objet de recommandations publiées entre 1998 et 2004. Le Code de la santé publique prévoit, dans la définition des missions infirmières, « la recherche des complications pouvant survenir chez un patient porteur d’un dispositif d’immobilisation ou de contention ».

En France, la contention doit être prescrite par le médecin, quel que soit le service où elle s’applique. Ce qui pourrait donc libérer de leur responsabilité des soignants. Sauf que, leur vécu le montre bien, il n’en est pas ainsi sur le plan moral, en tout cas pas pour tous.

Sur le plan légal, cette prescription protège également les soignants de toute mise en cause sur le plan de la responsabilité professionnelle. Néanmoins, ceux-ci participent à l’évaluation pluridisciplinaire de la situation, à sa surveillance, alertent le médecin dans les services ou établissements où il n’est pas présent quotidiennement (Ehpad notamment) et peuvent être amenés à initier une contention, voire à la supprimer, avant l’avis du médecin.

« Sauf à ce que la pose de la contention soit mal faite et entraîne des lésions, il n’y a pas de responsabilité individuelle du soignant », observe Germain Decroix, juriste MACSF. Le juriste, qui reçoit de nombreux appels d’IDE ou d’aides-soignantes qui se sentent abandonnées à elles-mêmes face aux décisions de contentions, recommande néanmoins une traçabilité maximale des gestes réalisés (notamment des moyens de contentions utilisés) ainsi qu’une validation dès que possible par le médecin des gestes réalisés en urgence. « Après, un projet d’établissement qui privilégie des méthodes d’accompagnement alternatives à la contention pourra également être pris en compte en cas de contentieux », poursuit Germain Decroix. En revanche, de nombreuses décisions de justice confirment qu’un établissement est responsable de la sécurité du patient. Et il est globalement peu admis par les familles et la jurisprudence qu’un patient tombe et se blesse lorsqu’il est dans un établissement de santé ou médico-social. « Il arrive régulièrement que des patients fuguent, se perdent, meurent de froid ou provoquent un accident. Au regard du juge, une équipe doit avoir prévu ces situations, être en mesure au moins de donner l’alerte, etc. » Ainsi, si l’absence de contention est régulièrement reprochée aux équipes, l’inverse n’est pas vrai, en ce qui concerne l’accueil des personnes âgées.

LE RISQUE DE LA LIBERTÉ

Dans la prise en charge des personnes âgées, en effet, un acteur particulièrement influent joue un rôle important : la famille, souvent demandeuse de mesures de sécurité. Comme le soulignait Emmanuel Hirsch lors d’une soirée-débat(7) consacrée à la problématique de la contention, « même quand les soignants sont prêts à prendre le risque de la liberté, les proches, eux, privilégient la sécurité. Mais jusqu’à quel point peut-on protéger l’autre ? ».

Lors du même débat, Hervé Bokobza, psychiatre et membre du collectif des 39(8), s’interrogeait aussi sur cette montée du “protectionnisme”, mais dédouanait les soignants. « Une des réponses réside dans la dimension sécuritaire qui envahit notre pays depuis quelques années, explique-t-il. Aujourd’hui, la crise d’agitation d’un patient, on n’appelle plus ça comme ça, mais comme de la violence. Or ce n’est pas un comportement qu’il faut dompter mais un symptôme dont il s’agit de trouver l’origine. »

Véronique Lefebvre des Noettes, géronto-psychiatre ajoute : « Le zéro contention ou la psycho-gériatrie totalement ouverte, ce n’est probablement pas possible, mais on peut organiser de nombreux aménagements pour tendre vers cet objectif. » Organisation de parcours de déambulation dans les établissements et les espaces extérieurs, planification des activités en fonction des périodes d’agitation des patients, travailler l’environnement des patients et la décoration… De nombreuses mesures peuvent permettre de limiter le recours à tout type de contention.

Avec également un grand besoin de diffuser une culture de l’attention aux personnes âgées qui concerne l’ensemble de la société. « Ailleurs en Europe, savez-vous qu’il existe des villes Alzheimer friendly où de nombreux acteurs du quotidien sont formés à repérer, orienter ou signaler une personnes âgée en difficulté ? », interroge la géronto-psychiatre. En effet, si tout le monde fait attention à la dame désorientée qui traverse au feu rouge et se charge de la ramener dans son Ehpad, les familles et les soignants auront peut-être moins peur de prendre le risque de la liberté…

NOTES

(1) Battista E. “Des dispositifs de prise en charge et d’accompagnement de la maladie d’Alzheimer”, La lettre de l’Observatoire, n° 27, juillet 2013. Disponible en téléchargement via le lien raccourci bit.ly/2fKu044.

(2) Panfili J.-M., “Contention et isolement, des contraintes exceptionnelles ?”, Objectif Soins et Management, n° 213, pp. 18 à 22, février 2013.

(3) “Réaction des soignants vis-à-vis d’un patient porteur de contentions physiques”, Christian Couprit (TFE, juillet 2013), Ifsi de Caen, disponible via le lien raccourci bit.ly/2eNO14Z

(4) Guivarch J., Cano N., “Usage de la contention en psychiatrie : vécu soignant et perspectives éthiques”, Encéphale (2013).

(5) Yamamoto M., “Dilemmas Faced by Nurses Regarding the Physical Restraint of Elderly Patients with Dementia in Japan”, International Journal of Clinical Medicine, 2011, 2, 599-603 1

(6) Panfili J.-M., “Contention et isolement, des contraintes exceptionnelles ?”, Objectif Soins et Management, n° 213, pp. 18 à 22, février 2013.

(7) “Approches éthiques de la contention en psychiatrie et dans les Ehpad”, le 17 octobre 2016, visionnable via le lien raccourci bit.ly/2fKUHpo.

(8) Le collectif des 39 s’est constitué en 2008 pour lutter contre des projets de loi privilégiant la sécurité sur la qualité du soin ou la prévention en santé mentale. Ses membres, soignants en psychiatrie, citaient notamment les projets du gouvernement de l’époque de dépister et enregistrer les enfants “à risque” dès leur plus jeune âge.

Les risques de la contention physique passive chez la personne âgée

• Angoisse, désespoir, sentiment d’humiliation.

• Risque de chute plus fréquent.

• Augmentation du risque de chute grave.

• Perte d’autonomie.

• Majoration du risque d’incontinence.

• Apparition ou aggravation d’une confusion ou d’une agitation.

• Augmentation de la durée d’hospitalisation.

• Perte de la masse osseuse.

• Majoration du risque d’infections nosocomiales et d’escarres.

• Majoration de la mortalité.

Les moyens de contention les plus fréquemment utilisés sont ceux qui maintiennent la personne dans son fauteuil (fauteuil coquille avec harnais, ceinture pelvienne, tablette…). ils sont cités par 57 % des Ehpad et 78 % des USLD qui ont déclaré recourir à la contention. Les barrières de lit sont citées par 41 % de ces Ehpad et 44 % de ces USLD. Les autres modes de contention au lit (Sécuridrap, Pyjadrap…) sont cités par 8 % des Ehpad et 15 % des USLD. La contention chimique est citée par moins de 10 % des structures.

Les dix critères Anaes/HAS pour limiter les risques de la contention physique chez le personnes âgées

1 La contention est réalisée sur prescription médicale et motivée dans le dossier du patient.

2 La prescription est faite après l’appréciation du rapport bénéfice/risque pour le sujet âgé par l’équipe pluridisciplinaire.

3 Une surveillance est programmée et retranscrite dans le dossier du patient. Elle prévient les risques liés à l’immobilisation et prévoit notamment les soins d’hygiène, la nutrition, l’hydratation et l’accompagnement psychologique.

4 La personne âgée et ses proches sont informés des raisons et buts de la contention. Leur consentement et leur participation sont recherchés.

5 Le matériel de contention sélectionné est approprié aux besoins du patient. Il présente des garanties de sécurité et de confort pour la personne âgée. Dans le cas de contention au lit, le matériel est fixé sur les parties fixes, au sommier ou au cadre du lit, jamais au matelas ni aux barrières. Dans le cas d’un lit réglable, les contentions sont fixées aux parties du lit qui bougent avec le patient. En cas de contentionen position allongée, les risques liés aux régurgitations et aux escarres sont prévenus.

6 L’installation de la personne âgée préserve son intimité et sa dignité.

7 Selon son état de santé, la personne âgée est sollicitée pour effectuer des activités de la vie quotidienne et maintenir son état fonctionnel. La contention est levée aussi souvent que possible.

8 Selon son état, des activités sont proposées au patient pour assurer son confort psychologique.

9 Une évaluation de l’état de santé et des conséquences de la contention est réalisée toutes les 24 heures et inscrite dans le dossier du patient.

10 La contention est reconduite, si nécessaire et après réévaluation, par une prescription médicale motivée toutes les 24 heures.

BÉNÉDICTE LOMBART « COMME SI LE PROFESSIONNEL ÉTEIGNAIT SON RADAR ÉMOTIONNEL »

→ Bénédicte Lombart*

Coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, hôpital Saint-Antoine (AP-HP)

Longtemps cadre à l’hôpital Trousseau (AP-HP), Bénédicte a soutenu une thèse en février 2016. Experte dans la prise en charge de la douleur de l’enfant, elle a consacré sa réflexion aux soins pédiatriques sous contrainte.

1 Existe-t-il un encadrement législatif, réglementaire ou sanitaire de la pratique de la contention en pédiatrie ?

Aucun texte ne cadre l’usage de la contrainte physique lors des soins. C’est finalement une situation banale et assez courante, en Ehpad ou en pédiatrie. Retenir les mains ou entraver les mouvements du corps, le temps de poser une sonde par exemple, cela n’existe pas dans la loi. Les textes existants portent sur la contention passive ou encore sur la restriction de liberté en psychiatrie. À ma connaissance, il n’existe pas non plus de protocole particulier dans les services pédiatriques.

2 Qu’est-ce que le concept de “cécité emphatiquetransitoire”, que vous avez forgé ?

C’est l’action volontaire de mettre entre parenthèses l’empathie pour permettre le soin technique. Les soignants sont en effet soumis à plusieurs contraintes. Quand on les fait parler, on s’aperçoit qu’ils font preuve d’une grande empathie envers l’enfant. Ils se centrent sur ses besoins. Mais lorsque les soins deviennent difficiles à réaliser, quand la contention semble devenir nécessaire, l’enfant disparaît complètement du discours soignant. Comme si le professionnel éteignait ce que j’appelle son “radar émotionnel”. L’obligation de réaliser des soins s’inscrit dans un contexte. Il y a le respect de la prescription médicale, mais aussi la reconnaissance des pairs via la compétence technique dont ils doivent faire preuve. Quelque chose vient donc bloquer le libre-arbitre du soignant et l’empêche de suspendre son geste quand celui-ci devient violent. Pour les soignants, la contention forte est légitiméedans l’intérêt de l’enfant, par le regard du groupe et l’idée qu’il se fait dela “règle”.

3 Vos travaux vous ont-ils permis de faire évoluer ces situations ?

J’ai été cadre dans une unité où il y avait une consultation douleur et migraine de l’enfant ainsi qu’une équipe mobile. Nous avons pu mettre en œuvre des études pour mesurer la fréquence de l’usage de la contention forte et créer une échelle de mesure. Lancer une étude sur l’ensemble d’un établissement, demander aux soignants de reporter sur une grille le niveau de contention, c’est déjà les amener à sortir d’un tabou puis à questionner leurs pratiques. C’est de la recherche action. Qui n’est possible que parce que je suis IDE de formation, impliquée de longue date en analgésie pédiatrique et dans les soins, ce qui facilite l’accès à la réalité des soignants. En outre, il existe des alternatives à la contention forte comme l’analgésie ou les méthodes distractives. J’ai fait des propositions de formation en ce sens. Il y a actuellement des projets de recherche multicentriques pour évaluer l’impact de la formation. Mais les résultats ne sont pas encore disponibles.

* Benedicte Lombart, Les soins en pédiatrie. Éditions Seli Arslan. Ressources humaines