Objectif Soins n° 250 du 01/11/2016

 

Recherche Formation

Marie Luginsland  

Indispensable à la rédaction du mémoire, la recherche documentaire s’impose également dans l’exercice professionnel du cadre de santé. Dans un espace de temps contraint, les cadres doivent donc optimiser leurs recherches afin de pouvoir cibler et récolter l’information requise. Le domaine de la santé dispose heureusement de ressources documentaires permettant une navigation adaptée aux besoins des professionnels. Reste à en détenir les clés d’accès et à en maîtriser les outils.

Internet est aujourd’hui un espace incontournable dans la recherche documentaire et représente une richesse incommensurable en sources d’information. L’étendue de ce terrain d’investigation et la multiplicité des sources complexifient cependant la démarche de l’internaute qui n’est pas à l’abri d’informations contradictoires, obsolètes, voire erronées ou tronquées. Comment naviguer de manière sûre et rapide, interroger avec pertinence et récolter avec fiabilité ?

CIRCONSCRIRE SON SUJET

La recherche documentaire sur Internet présente l’intérêt de contraindre l’internaute à délimiter avec rigueur le sujet de sa recherche. Il identifiera pour cela les mots clés principaux et secondaires inhérents au thème étudié. Cette étape est fondamentale et doit être abordée avec réflexion et circonspection. « Il faut en effet veiller à définir les mots clés en évitant le langage naturel, voire le jargon professionnel, qui ne donneront pas les mêmes performances sur les moteurs de recherche des bases de données scientifiques », conseille Elsa Kortchinsky-Loussot, directrice-adjointe de la bibliothèque universitaire santé de l’université de Caen (Calvados), responsable des formations. En effet, on s’imagine souvent à tort qu’un mot employé dans la vie professionnelle quotidienne est automatiquement inclus dans les moteurs de recherche. Or plus un mot clé sera précis et plus il conduira à d’autres termes associés pertinents. Vérifier au préalable l’adéquation et l’occurrence du mot clé facilite ainsi l’accès de l’utilisateur, au sein du thesaurus (lire le lexique p. 45), à des mots auxquels il n’avait pas songé. De même, les opérateurs booléens (cf. lexique) vont permettre d’affiner la recherche et de naviguer de manière plus performante. Enfin le recours à la troncature (cf. lexique) ouvre également des portes supplémentaires sur les bases de données. Ces différents filtres ont l’avantage de diversifier les sources documentaires tout en délimitant le champ d’investigation. Car l’internaute, naviguant de manière “sauvage”, sera victime de l’esprit d’escalier qui règne sur la toile. « Il faut éviter à tout prix de s’égarer sur le Web. Sinon, vous risquez de taper “douleur” et de vous retrouver avec les prévisions météo du lendemain ! », ironise Dominique Carnel, cadre de santé au Centre hospitalier des Alpes du Sud, site de Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence).

Sources et ressources

Dans la dimension 2.0, le cadre ne doit pas perdre de son esprit critique. Car le Web est le lieu où convergent toutes les informations et se prolongent les débats suscités par les médias. En témoigne le récent réveil de la polémique sur le cholestérol et les statines. Afin de “sécuriser” le champ d’investigation, il est utile de choisir un moteur de recherche qui contournera les écueils de l’information grand public. « Il faut absolument éviter la recherche empirique sur les moteurs de recherche classique du Web (Google, Bing), qui ne permettent pas la vérification des sources et l’obtention d’un contenu fiable, contrairement au moteur de recherche des bases de données scientifiques », recommande Elsa Kortchinsky-Loussot. Tandis que Caroline Dugène, responsable du centre de documentation de l’IFCS de l’hôpital Sainte-Anne (Paris), préconise l’utilisation de Google Scholar : « Ce moteur de recherche présente l’intérêt de ne sourcer que les documents et travaux de chercheurs, d’universitaires et d’éditions scientifiques. » Ce moteur a également l’avantage de sélectionner la recherche par date, d’inclure les brevets et de trier par langue.

De manière générale, afin d’optimiser la recherche en temps et en fiabilité des sources, il est recommandé d’interroger des plateformes identifiées comme scientifiques telles que Isidore (CNRS), ainsi que des bases de données spécifiquement réservées au domaine de la santé, ciblées en fonction de leur contenu et validées par les pairs. Les documentalistes du CHU de Rouen (Seine-Maritime) ont ainsi mis en place une base dénommée CISMeF. Ce catalogue – et index – des sites médicaux de langue française est utilisé par de nombreux professionnels de santé, étudiants et formateurs, voire par des patients, comme un “Google santé”. Il présente l’avantage de fournir l’accès à plusieurs types de documents, des cours d’université en ligne, des recommandations d’associations de patients ainsi que des recommandations d’organes institutionnels comme à d’autres types de documents, articles, revues, etc.

Autre catalogue, le Sudoc (Système universitaire de documentation) rassemble tous types de documents sur tous supports, y compris audiovisuels et électroniques. Il a également pour spécificité de donner accès aux thèses.

Croiser pour valider

La BDSP (Base de données en santé publique) est une source documentaire incontournable, d’accès gratuit. Ce réseau documentaire, géré par l’École des hautes études en santé publique, ouvre sur un annuaire de sites répertoriés et classés par thèmes, sur une base documentaire, sur des bibliographies ainsi que sur une collection de périodiques et de monographies.

Caroline Dugène précise que le site Ascodocpsy dispose d’une base documentaire Santepsy initialement dédiée à la santé mentale mais qui élargit ses données à d’autres domaines de santé (textes officiels, sélection de sites, revues spécialisées, bibliographies des écoles paramédicales…). Il propose également une sélection de sites, des textes officiels, des revues spécialisées et des bibliographies d’écoles paramédicales. S’adressant à un public plus large, le site Cairn Info propose également d’accéder en ligne à des publications émanant de revues, de magazines, d’ouvrages ou d’encyclopédies de poche sur différents thèmes, dont la santé publique. S’adressant exclusivement à un public de professionnels de santé, Cochrane Français constitue également une base de données en médecine ainsi qu’en évaluation des soins et des traitements fédérant une équipe de scientifiques interdisciplinaire. Elle publie en version française des revues thématiques publiées par le réseau. L’accès à des données en langue française représente en effet souvent un obstacle pour les cadres en quête de sources documentaires. Du reste, les chercheurs utilisent fréquemment des moteurs de recherche spécialisés dans les ressources scientifiques en accès libre anglophones comme Base (Bielefeld academic search engine), ResearchGate ou Free Full PDF, donnant accès à des publications scientifiques en texte intégral. Des bases de données sont nombreuses : PubMed Central constitue la référence dans le monde des publications scientifiques médicales en langue anglaise. À noter cependant que le CISMeF dispose du module LiSSa permettant d’accéder à son équivalent en français. Nombre de moteurs de recherche, de bases de données et de sites contiennent des thesaurus multilingues, tel Eurovoc, qui permettent de franchir plus aisément les barrières linguistiques. La quête de la fiabilité ne s’impose pas seulement dans les traductions. Dans toute recherche documentaire, il y a lieu de croiser les sources à partir d’une approche descriptive et analytique. Des recherches complémentaires sur l’auteur de l’information et sur la date de parution en garantiront l’objectivité et l’actualité. « Il n’est pas rare que certains liens ne soient plus actifs ou même que certaines pages n’existent plus. En tout état de cause, ces indices doivent alerter sur la fiabilité de l’information », remarque Caroline Dugène.

Assurer la veille

Dans le cas d’une recherche documentaire s’inscrivant dans le moyen ou le long terme, des alertes peuvent être créées sur les moteurs de recherche. À condition toutefois que le sujet ait été bien “paramétré” par des mots clés pertinents. Ces alertes donneront ainsi, à une fréquence définie par l’utilisateur, l’actualité sur le sujet. Elles permettront de gagner du temps en ciblant l’information au fil de l’eau. Attention toutefois à soumettre les résultats obtenus aux mêmes filtres que les résultats de recherche immédiate. Les alertes plus ou moins affinées font parfois remonter à la surface du temps des informations obsolètes ou des sources non fiables. L’abonnement à des flux RSS (cf. lexique ci-contre) lorsqu’on navigue sur des sites proposant cette option permet également d’enrichir la recherche documentaire tout en gagnant du temps. Enfin, les newsletters éditées par différents organismes et de nombreux sites de recherches documentaires constituent aussi de précieuses sources d’information, notamment dans la mise à jour réglementaire.

STOCKER ET PARTAGER

L’ensemble de ces recherches documentaires ne seraient complètes si elles n’étaient elles-mêmes répertoriées, classées et stockées. Aux côtés des méthodes classiques, comme les clés USB, les disques durs externes et autres, s’imposent d’autres solutions de classement et de stockage dématérialisées.

Les laboratoires de recherche, les professionnels de santé et les étudiants sont nombreux à utiliser Zotero. Ce logiciel gratuit permet de gérer les références bibliographiques en les répertoriant et les classant (textes de loi, articles scientifiques, thèses…). Cette petite base de données personnalisée, que l’on peut enregistrer sur une clé USB ou un disque dur externe, présente l’intérêt de fonctionner aussi comme un serveur en ligne. Il permet ainsi de travailler en commun. Un groupe ou un service, voire un pôle, peut donc se partager les données, alimenter le fonds documentaire en abondant dans la base ou encore récupérer les données d’une même “bibliothèque”. De nombreux centres de documentation universitaires veillent aujourd’hui à ce que leurs étudiants utilisent cet outil dans l’approche de la recherche documentaire. « Il est de notre volonté de le proposer à tous les étudiants, cadres de santé comme médecins ou pharmaciens, afin qu’ils disposent du même niveau d’exigence dans leurs recherches », précise Elsa Kortchinsky-Loussot. Ces outils facilitent la quête et la circulation des informations autant qu’ils suscitent les échanges entre les professionnels. Car rien ne remplacera à l’heure du Web 2.0, en complément de la quête documentaire, la discussion entre pairs, comme le souligne Dominique Carnel : « Cette confrontation amène la réflexion. Le questionnement dans notre approche professionnelle n’est pas un concept. C’est une pratique à développer ».

À lire

La recherche documentaire au service des sciences infirmières et autres professions de santé, 2e édition, éd. Lamarre, 2016. Dans cet ouvrage, les auteurs ont cherché à répondre aux écueils fréquemment rencontrés par les étudiants en soins infirmiers lors de leur recherche de documentation scientifique sur Internet. Clair, complet et accessible, ce manuel est complété par un “compagnon Web”.

Lexique

Thesaurus : liste de mots classés par famille les mettant en relation entre eux.

Opérateurs booléens : “et”, “ou”, “sauf” (ainsi que leurs équivalents en anglais) sont trois outils qu’il convient de maîtriser pour optimiserla navigation sur les moteurs de recherche.

Troncature : ce mode de recherche par la suggestion des mots ayant la même racine permet d’éviter l’écueil des pluriels et des singuliers et de lister des mots non évoqués au préalable. Il suffit ainsi de taper la racine du mot suivi de*.

Moteur de recherche : cette application informatique en ligne a pour vocation de rechercher un contenu sur le Web (site, page Web, image, vidéo) à partir d’une adresse Web ou de mots clés.

Base de données : cet ensemble de données est organisé de façon à pouvoir rechercher des documents (articles de revues ou d’ouvrages, références…) à partir de critères prédéfinis. Quand elle est en ligne, la recherche s’opère via un interface. Elle peut être détenue par un centre de documentation, par une ou plusieurs bibliothèques, par des éditions scientifiques, des sociétés savantes, des universités ou des fonds documentaires d’organisme divers.

Flux RSS : un flux RSS, ou fils RSS, est un flux au format XML permettant à ses abonnés de récupérer un article récemment créé. Il permet ainsi aux internautes de suivre les publications d’un site ou d’un blog. À noter que certains sites, pour enrichir leur contenu, reprennent de façon systématique le flux RSS d’autres sites. Il convient donc de bien sourcer l’origine du contenu.