Objectif Soins n° 250 du 01/11/2016

 

Promotion de la santé

Nina Deslauzes  

Mise en avant à l’occasion d’Octobre rose, la lutte contre le cancer du sein est aujourd’hui encore un combat de longue haleine. Situé au premier rang des cancers incidents chez la femme, avec plus de 50 000 nouveaux cas chaque année en France, le cancer du sein constitue également la première cause de décès par cancer chez la femme. Où en est la recherche ? Et quelles armes ont les praticiens pour combattre ce fléau ?

Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme, avec 54 000 nouveaux cas estimés en France pour 2015. Détecté à un stade précoce (in situ et inférieur à 1 cm), il affiche un taux de survie à cinq ans supérieur à 90 %. L’un des enjeux principaux de lutte contre le cancer du sein est donc de parvenir à diagnostiquer au plus tôt la maladie pour pouvoir la traiter efficacement, tout en étant le moins invasif possible.

DÉPISTER

Mis en place en 1994 par la Direction générale de la santé et généralisé en 2004 dans cette optique, le programme de dépistage de masse constitue à l’heure actuelle l’une des armes les plus efficaces contre le développement de cette maladie.

Ce dépistage s’adresse à toutes les femmes entre 50 et 75 ans. En effet, « le pic d’incidence de la maladie se situe vers 65 ans », explique le Dr Olivier Tredan, oncologue médical à l’institut Léon Bérard de Lyon (Rhône). « Entre 65 et 70 ans, les femmes sont le plus à risque d’avoir un cancer du sein. Cela représente plus de 6 000 femmes par an. » Ce dépistage systématique consiste pour la population cible à réaliser une mammographie et un examen clinique des seins tous les deux ans. D’après l’étude sur le dépistage organisé réalisée par l’Institut national du cancer, « plus de 2 520 000 femmes ont participé au dépistage en 2014, soit un taux de participation de 52,1 % de la population cible ». Ce taux de participation stagne aux alentours de 50 % depuis 2012, bien que l’objectif européen soit fixé à 70 %. « Malheureusement, le dépistage ne permet pas de détecter tous les cancers, constate le Dr Tredan. À peu près 20 % des cancers sont encore décelés à des stades tardifs. » Les professionnels de santé et les associations poursuivent donc leur travail de sensibilisation auprès du plus grand nombre pour que le taux de participation au dépistage systématique puisse à nouveau augmenter.

Outre ce dépistage de masse, le Dr Tredan souligne également l’existence d’un dépistage individuel pour les femmes ayant des antécédents de cancers du sein dans leur famille. « Chez une femme plus à risque, dont la mère a eu un cancer du sein par exemple, on réalise un dépistage adapté, dépendant de l’histoire familiale. On commence dans ce cas dix ans avant l’âge d’apparition du cancer du sein chez la mère. » Ces dépistages ont permis « une prise en charge de cancers du sein désormais majoritairement localisés et de petite taille », déclare le Dr Tredan. « Les formes métastatiques que nous prenons en charge aujourd’hui sont soit des formes agressives particulières chez la femme jeune, soit des cancers négligés », ajoute sa consœur, le Dr Julie Gachet-Masson, oncologue médical à l’hôpital Foch (Hauts-de-Seine), référent en urologie, gynécologie et pathologies mammaires.

QUEL TRAITEMENT POUR QUEL TYPE DE CANCER DU SEIN ?

La stratégie thérapeutique de lutte contre le cancer du sein a recours à quatre types de traitements principaux : la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie. « Pour tous les cancers détectés à un stade précoce, on préconise la chirurgie pour retirer la tumeur, explique le Dr Tredan. Ensuite, il peut y avoir des traitements adjuvants, c’est-à-dire post-opératoires, comme la radiothérapie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie, qui permettent de diminuer le risque de rechute chez la patiente. » Globalement, « ces traitements sont lourds, la prise en charge est longue et peut représenter un véritable parcours du combattant pour la patiente, ajoute le Dr Gachet-Masson. Pour les patientes les plus graves initialement, qui vont avoir une chimiothérapie adjuvante, il faut compter environ un an de traitement, plus une hormonothérapie après pendant cinq ans, et éventuellement une reconstruction mammaire entre-temps qui implique un nouveau geste chirurgical. C’est très long comme prise en charge ».

La chirurgie

Deux types de chirurgie peuvent être envisagés dans le cadre de la prise en charge du cancer du sein, en fonction de la taille de la tumeur et du degré d’agressivité du cancer. Le chirurgien réalisera soit une tumorectomie, c’est-à-dire une ablation de la tumeur localisée ; soit une mastectomie qui consiste dans l’ablation totale du sein atteint. Il y a encore peu de temps, à la mastectomie s’ajoutait le curage systématique des ganglions lymphatiques axillaires associés. Désormais, « on utilise la technique du ganglion sentinelle, explique le Dr Gachet-Masson. On prélève le premier ganglion axillaire et on l’analyse précisément en histologie. S’il est sain, on part du principe que les autres ganglions ne sont pas atteints et on ne fait pas de curage ganglionnaire. Cela permet de limiter les gestes trop invasifs ».

La radiothérapie

Si, initialement, la radiothérapie était pratiquée sur une zone très large, « le sein étant grossièrement représenté par un carré », comme le remarque le Dr Gachet-Masson, il s’agit à l’heure actuelle d’une « radiothérapie conformationnelle, c’est-à-dire beaucoup plus précise, où le sein est détaillé et dessiné au scanner ». Globalement, elle va « agir localement sur la cicatrice pour éradiquer les cellules cancéreuses qui sont encore présentes dans le foyer opératoire », décrit le Dr Tredan. C’est le cas lors d’une tumorectomie où « la radiothérapie est systématique, développe le Dr Gachet-Masson. On réalise un boost, c’est-à-dire un surdosage, dans la zone où la tumeur a été retirée et qu’on appelle le “lit tumoral” ». En revanche, dans le cadre d’une mastectomie, « l’irradiation mammaire n’est pas systématique et n’est indiquée qu’en fonction des critères de gravité de la tumeur, tout comme l’irradiation des aires ganglionnaires », complète-t-elle.

La chimiothérapie

L’indication de la chimiothérapie dans le cadre d’un traitement curatif d’un cancer du sein dépend des critères d’agressivité du cancer : stade avancé, tumeur de grande taille, développement rapide, atteinte de l’aire ganglionnaire. Ce traitement est principalement adjuvant et réalisé entre la chirurgie et la radiothérapie pour « tuer chimiquement les cellules cancéreuses qui circulent encore dans l’organisme de la patiente, explique le Dr Tredan. Si la radiothérapie agit localement sur le résiduel de cellules cancéreuses, la chimiothérapie, administrée par voie intraveineuse, diffuse dans l’ensemble du corps ». Dans certains cas, la chimiothérapie peut avoir lieu avant la chirurgie. « Les deux ont la même efficacité, stipule le Dr Gachet-Masson, mais l’intérêt principal de faire une chimiothérapie néo-adjuvante est si l’on peut réduire la taille tumorale pour ensuite pouvoir pratiquer une tumorectomie plutôt qu’une mastectomie chez la patiente. » La chimiothérapie néo-adjuvante est aussi préconisée dans la prise en charge des tumeurs agressives chez les femmes jeunes avec un risque de développement de métastases plus important : « Elle permet de limiter le risque de métastases, souligne le Dr Gachet-Masson. Son intérêt est aussi d’avoir le calcul précis du pourcentage tumoral viable post-chimiothérapie, ce qui donne un indicateur de l’efficacité du traitement et donc du pronostic de la patiente. »

Qu’elle soit néo-adjuvante ou adjuvante, la chimiothérapie requise est dite “séquentielle” : « On utilise deux protocoles de chimiothérapie l’un après l’autre, explicite le Dr Gachet-Masson. En règle générale, six à huit cycles de chimiothérapie seront réalisés chez les patientes. Il faut donc compter six à huit mois de traitement, avec une première chimiothérapie toutes les trois semaines pendant trois à quatre mois, et une seconde toutes les semaines pendant trois à quatre mois également. C’est une prise en charge très lourde. » À l’heure actuelle, il n’existe malheureusement pas de chimiothérapie par voie orale dans le cadre d’une prise en charge curative du cancer du sein. Les produits utilisés étant de plus très veinotoxiques, leur administration requiert la pose d’une voie veineuse centrale chez les patientes, de type chambre à cathéter implantable ou Picc line, qui nécessite une intervention supplémentaire. Néanmoins, « ces traitements peuvent se réaliser en ambulatoire, confie le Dr Gachet-Masson, ce qui évite aux patientes d’être hospitalisées au long court ».

L’hormonothérapie

L’hormonothérapie est préconisée dans le cas de tumeurs présentant des récepteurs aux hormones : soit des récepteurs à œstrogènes, soit des récepteurs à la progestérone. « C’est le cas dans 80 % des cancers du sein », déclare le Dr Gachet-Masson. À l’inverse de la chimiothérapie, l’hormonothérapie est un traitement en comprimés que les patientes prennent chaque jour à domicile. « La durée du traitement est en général de cinq ans, explicite le Dr Gachet-Masson, mais des études récentes ont démontré que le traitement pouvait être prolongé jusqu’à dix ans s’il s’agit de formes agressives de cancers avec beaucoup de récepteurs. » Pour le Dr Tredan, « l’hormonothérapie est la base de la prise en charge des cancers du sein, qui sont pour la très grande majorité des maladies hormono-dépendantes ».

PERSPECTIVES ET AVANCÉE THÉRAPEUTIQUE

Si le cancer du sein métastatique est de moins en moins fréquent avec la stratégie de dépistage, il représente tout de même environ 20 % des cancers du sein. Comme le soulignent les Drs Gachet-Masson et Tredan, « on ne sait pas guérir aujourd’hui un cancer métastatique ou un cancer en rechute ». Néanmoins, « il existe des traitements de plus en plus efficaces pour augmenter l’espérance de vie des patientes, certaines peuvent avoir jusqu’à 25 lignes de traitement », déclare le Dr Gachet-Masson. Pour le Dr Tredan, « le cancer du sein en rechute s’est chronicisé : la qualité de vie des patientes est bien meilleure avec les nouveaux traitements et elles ont désormais une très longue survie ».

Pour ces deux oncologues cliniques spécialisés dans les pathologies mammaires, les objectifs principaux dans les années à venir sont de guérir de plus en plus avec un dépistage précoce, et de continuer d’augmenter l’espérance de vie des patientes en rechute. Pour le Dr Tredan, « l’avenir repose sur la thérapie ciblée en chimiothérapie, qui cible spécifiquement les anomalies moléculaires. C’est ce qu’on appelle la médecine de précision. Prochainement, les traitements seront ciblés sur les anomalies génétiques spécifiques de la patiente et responsables de son cancer. » La préconisation pour l’avenir en termes de prise en charge du cancer du sein est ainsi la combinaison entre thérapies ciblées et hormonothérapie. L’idée est d’être de plus en plus précis dans le ciblage des cellules cancéreuses pour être à la fois particulièrement efficace contre le cancer, tout en étant le moins toxique possible pour les patientes.

SOURCES

• Institut national du cancer : “Le programme de dépistage organisé” et “Épidémiologie des cancers”.

• Haute Autorité de santé : “Dépistage du cancer du sein en France : identification des femmes à haut risque et modalités de dépistage”.

• Physical Activity and Survival After Breast Cancer Diagnosis, Michelle D. Holmes; Wendy Y. Chen; Diane Feskanich, mai 2005.

Sport et cancer du sein

Dans le cadre de la prise en charge du cancer du sein, on ne sait pas pourquoi, les femmes ont tendance à prendre un peu de poids pendant le traitement. C’est une problématique qui peut sembler anodine, mais il a été prouvé que le contrôle du poids et l’activité physique diminuent le risque de récidive de cancer du sein. Selon une étude publiée en 2005 dans le Journal of the American Medical Association : « Pratiquer au moins trois heures d’activité physique hebdomadaire après un cancer du sein réduit les risques de récidive de 20 %. Un chiffre qui monte à 50 % au-delà de neuf heures d’activité physique par semaine. » Il est donc recommandé aux patientes un suivi diététique et la pratique régulière d’activités physiques adaptées. L’idéal est d’alterner des sports doux – tels que le yoga ou le pilate, qui permettent de travailler la posture, d’assouplir la musculature et d’améliorer la circulation lymphatique – avec des sports d’endurance – comme la natation, la marche ou le cyclisme, qui favorisent l’oxygénation des tissus et l’amélioration du système immunitaire pour aider l’organisme à mieux lutter contre les cellules cancéreuses. La pratique du sport permet aussi d’éviter la survenue de certains effets secondaires liés au traitement comme le lymphœdème. Il n’y a pas de régime alimentaire spécifique à suivre, si ce n’est d’éviter les aliments contenant des hormones, comme le soja.

Propos recueillis par Nina Deslauzes auprès du Dr Julie Gachet-Masson