Objectif Soins n° 250 du 01/11/2016

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Les Agences régionales de santé (ARS) s’apprêtent à lancer les travaux de révision ou d’élaboration de leur projet régional de santé (PRS). Il devra être arrêté par leur directeur général au plus tard le 1er janvier 2018. Un décret du 26 juillet 2016 est venu préciser le contenu du PRS, profondément modifié par la loi portant modernisation de notre système de santé (article 158).

La planification consiste en une élaboration de normes ou de programmes destinés à orienter, par des mesures incitatives ou impératives, l’action d’opérateurs œuvrant dans un domaine déterminé. Mais également en une définition des objectifs à atteindre au cours d’une période de référence et des moyens nécessaires à leur réalisation.

Depuis 1970, de nombreux instruments de planification ont été définis, puis abandonnés, chaque fois au profit d’un nouvel instrument censé mieux répondre aux besoins de la population. Le PRS intègre désormais un cadre d’orientation stratégique à dix ans. Les Schémas régionaux sectoriels de prévention (SRP), d’organisation des soins (Sros) et d’organisation médico-sociale (Sroms, premier du genre) sont supprimés et fusionnés dans un unique schéma régional de santé (SRS) fixé pour cinq ans. Le PRS définit, en cohérence avec la stratégie nationale de santé et dans le respect des lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS), les objectifs pluriannuels de l’ARS dans ses domaines de compétences, ainsi que les mesures tendant à les atteindre. Le SRS s’établit sur la base d’une évaluation des besoins sociaux et médico-sociaux, des prévisions d’évolution sur l’ensemble de l’offre de soins et de services de santé, incluant la prévention et la promotion de la santé ainsi que l’accompagnement médico-social, et définissant des objectifs opérationnels. Ces objectifs pourront être mis en œuvre par des contrats territoriaux de santé, des contrats territoriaux en santé mentale ou par des contrats locaux de santé. Ainsi, après la carte sanitaire, le Sros (Schéma régional d’organisation sanitaire, à ne pas confondre avec le Sros de 2009 !), puis le PRS première génération, ce PRS deuxième génération sera-t-il un instrument de planification au service du décloisonnement de la santé et de l’amélioration de la prise en charge des parcours des usagers au sein du système de santé ?

DE LA CARTE SANITAIRE AU SROS

1970 marque la naissance du premier instrument de planification en santé : la carte sanitaire. Instrument purement quantitatif, elle avait pour objectif de contenir le développement de l’offre hospitalière sur la base d’un calcul théorique des besoins de la population d’une zone donnée en termes de lits hospitaliers sous la forme d’un indice lit-population ; 34 ans plus tard, elle avait imparfaitement rempli son objectif, vu les excédents de capacités en lits. Par ailleurs, elle était fondée sur le critère de lit devenu obsolète au fil du temps et ayant cédé sa place à celui de plateau technique, caractérisant plus l’activité d’un établissement de santé. Enfin, si la carte sanitaire essayait de définir le volume d’offre de soins nécessaires pour répondre aux besoins de la population, elle n’indiquait en rien la répartition géographique de cette offre, facteur pourtant nécessaire pour apprécier la satisfaction des besoins de la population. Le seul aspect géographique pris en compte résidait dans la définition du secteur sanitaire, découpage lui aussi largement remis en cause car ne reposant sur aucune réalité géographique. Mais il faudra attendre 2004 pour que la carte sanitaire disparaisse au profit du Sros (Schéma régional d’organisation sanitaire), pourtant instauré dès 1991. Créé par la loi portant réforme du système de santé en 1991, le Sros a pour objet de répondre au principal reproche adressé à la carte sanitaire : son manque d’analyse sur la répartition de l’offre de soins sur le territoire en fonction des besoins de la population. Le Sros fixe des objectifs en vue d’améliorer la qualité, l’accessibilité et l’efficience de l’organisation sanitaire. Établi dans chaque région, il vise à susciter les adaptations nécessaires et les complémentarités de l’offre de soins, ainsi que les coopérations entre les établissements de santé. Il détermine l’organisation territoriale des moyens qui permettra de répondre aux objectifs, avec une annexe déterminant par secteur sanitaire (puis par territoire de soins après 2004) les créations, regroupements, transformations ou suppression des installations et unités nécessaires à sa réalisation. À l’instrument quantitatif qu’était la carte sanitaire s’est substitué un instrument qualitatif, le Sros. Trois générations de Sros se sont succédé : les premiers arrêtés par les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) en 1994 étaient une simple répartition géographique des moyens établis par la carte sanitaire, les deuxièmes élaborés par les nouvelles Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) étaient plus stratégiques en matière de coopérations hospitalières, les troisièmes ont tenté l’ouverture sur la médecine de ville. Mais les Sros avaient atteint leur principale limite : celle de ne concerner que le secteur hospitalier.

HPST ET LA CONSÉCRATION DU PRS

En matière de planification, la loi HPST du 21 juillet 2009, en créant des ARS compétentes sur l’ensemble des champs prévention, soins et médico-social, établissent un nouvel outil de planification sanitaire : le PRS. L’ARS doit élaborer un PRS qui définit pour cinq ans les objectifs et les priorités de santé pour la région visant à améliorer la santé de la population en réduisant les inégalités de santé, et l’efficience du système de santé régional dans le respect de l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam). Il définit ses priorités pour cinq ans ; il couvre tous les secteurs de la prévention, de l’organisation des soins hospitaliers et ambulatoires, de l’organisation médico-sociale ; il développe une vision transversale de ces secteurs en cohérence avec le parcours de vie des personnes ; il est articulé avec les autres politiques de santé des autres acteurs. L’ensemble des ARS ont arrêté leur PRS en 2012 ; ceux-ci viennent à échéance en 2017. Le PRS donne les grandes lignes de la politique de l’ARS, ensuite déclinées dans les trois schémas. Il comporte :

• une évaluation des besoins de santé et leur évolution (démographie, état de santé de la population, inégalités sociales et territoriales de santé…) : ORS, Insee ;

• une analyse de l’offre et son évolution prévisible : Sros, études CREAI, Priac et PRSP ;

• des objectifs en matière de prévention, d’accès aux soins, de réduction des inégalités, de respect du droit des usagers ;

• des mesures de coordination avec les autres politiques ;

• un suivi et une évaluation de sa mise en œuvre.

La mise en œuvre du PRS restait cependant un vrai défi. Elle supposait la coordination étroite d’acteurs qui se connaissaient mal et faisaient face à des situations souvent complexes. Ce n’était que le début de “nouvelles façons de faire” qui demandent plusieurs années pour faire évoluer les mentalités, les logiques, les structures et les formations des personnels. Cinq après, la logique des trois schémas n’a pas permis de faciliter le décloisonnement tant attendu des secteurs de santé. D’où la réforme engagée du PRS.

LE FUTUR NOUVEAU PRS

Le système de planification mis en place en 2009 a entraîné lourdeur administrative au détriment de l’efficacité des politiques et des actions conduites par les ARS. Le système actuel de planification de l’offre sanitaire et médico-sociale articule au sein des PRS un Plan stratégique régional de santé (PSRS), trois schémas sectoriaux (SRP, Sros, Sroms) et des programmes de mise en œuvre. « Cette organisation, qui visait à couvrir tous les champs de l’action sociale et médico-sociale entre lesquels il existe une évidente continuité, est devenue, avec le temps, complexe et difficile à coordonner. L’existence de documents cloisonnant les actions dans chacun des domaines diminue bien souvent la dimension stratégique de l’ensemble, c’est-à-dire coordonnée et de long terme, visant des objectifs précis, qui serait pourtant nécessaire. De surcroît, la conception de ces documents, leur adoption, mais également leur suivi, conduisent systématiquement à des charges importantes liées à la multiplication des consultations et travaux d’adaptation. Cette situation est d’autant plus problématique que, bien souvent, ces procédures parallèles mobilisent des acteurs similaires. De surcroît, toute modification suppose un processus relativement contraignant. » Dans son rapport annuel sur l’exécution des LFSS pour 2014, la Cour des comptes a corroboré ce constat plaidant pour une simplification des conditions d’élaboration des PRS ainsi que de leur structure. La Cour a en effet mis en lumière l’existence de procédures d’élaboration trop lourdes et complexes. Les PRS sont des documents trop volumineux comportant généralement plusieurs centaines d’objectifs insuffisamment hiérarchisés et peu ou pas articulés avec l’Ondam. Quelques années seulement après leur adoption, la Cour constate ainsi l’échec relatif des PRS : ils n’ont pas permis de mettre en place une action sanitaire véritablement cohérente au niveau des régions. Ainsi l’article 158 vise à rendre le PRS plus stratégique fixant les grandes orientations à dix ans ; établissant un SRS pour cinq ans mettant fin à la sectorisation. Le PRS de deuxième génération est fixé pour les années 2018 à 2027. Il se compose d’un cadre d’orientation stratégique (COS) à dix ans, d’un SRS à cinq ans, d’un programme régional d’accès à la prévention et aux soins (Praps) à cinq ans et, pour les régions concernées, d’un volet sur la coopération transfrontalière. Il est arrêté par le directeur général (DG) de l’ARS après avis de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA), des conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie, du préfet de région, des collectivités territoriales de la région et du conseil de surveillance de l’ARS. Ces instances disposent de trois mois pour émettre leur avis. Sachant que le COS, le SRS et le Praps peuvent être arrêtés de manière séparée.

Révisé au moins une fois tous les dix ans, le COS définit la politique de l’ARS et les résultats attendus à dix ans en termes d’amélioration de l’état de santé de la population et de lutte contre les inégalités territoriales. Il détermine les objectifs généraux et résultats attendus en termes d’organisation des parcours de santé ; de renforcement de la pertinence, de la qualité, de la sécurité, de la continuité et de l’efficience de la prise en charge et de l’accompagnement médico-social ; d’effets sur les déterminants de santé ; de respect et de promotion des droits des usagers.

À vocation transversale et révisé au moins une fois tous les cinq ans, le SRS comporte des objectifs visant à développer la prévention et la promotion de la santé, améliorer les parcours de santé, la coordination et la coopération des offreurs de santé, favoriser l’accès aux soins, à la prévention et à l’accompagnement des personnes en situation de handicap, des personnes âgées et des personnes les plus démunies, préparer le système de santé à la gestion des situations sanitaires exceptionnelles. Il s’appuie sur un diagnostic prospectif qui tient compte de la situation épidémiologique, des déterminants de santé et des risques sanitaires, des inégalités sociales et territoriales de santé, de la démographie des professionnels de santé et sa projection, des évaluations de projets de santé antérieurs. De manière opposable et par zones de besoins arrêtées par le DG de l’ARS après avis du préfet de région et de la Commission spécialisée de l’organisation des soins (CSOS), le SRS fixe des objectifs quantitatifs et qualitatifs de l’offre de soins par activités de soins et équipements matériels lourds, et de l’offre des établissements et services médico-sociaux. De manière non opposable, il indique les besoins en implantations pour l’exercice des soins de premier et second recours. Il définit l’offre de biologie médicale. Le SRS tient compte des exigences d’accessibilité, de qualité, de sécurité, de permanence et de continuité des prises en charge ; des exigences d’efficience du service rendu et d’optimisation de la ressource publique, des spécificités des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale ; des orientations des plans et programmes nationaux de santé ; des objectifs du programme coordonné élaboré par les conférences départementales des financeurs de la prévention et de l’autonomie. Le SRS mobilise des leviers d’action tels que la surveillance et l’observation de la santé, les démarches d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins, la contractualisation avec les acteurs de santé, la coordination avec les services de l’État et les collectivités territoriales, les mesures d’aide à l’installation des professionnels de santé, les systèmes d’information et la télémédecine, la formation et l’évolution des métiers, la démocratie sanitaire, les investissements immobiliers et les équipements.

CONCLUSION

Ce qui change entre le PRS 1 et le PRS 2 : un COS qui remplace le PSRS ; un seul schéma transversal ; l’ajout d’un volet transfrontalier. La réforme des PRS semble donc aller dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’approche parcours des malades, en supprimant les schémas sectoriels. Toutefois, les futurs SRS seront-ils assez innovants pour fixer des objectifs en matière de prise en charge de population et non plus en termes d’activités de soins ou de prévention ? Passera-t-on enfin d’une logique de l’offre à une logique populationnelle ? Car cette logique de “contrainte” sur l’offre est encore très prégnante, les objectifs d’implantation n’ayant pas disparu (au contraire, on les rend opposable pour le secteur médico-social). Or l’important n’est pas tant de planifier l’offre, mais bien d’anticiper les besoins pour mieux y répondre. Les ARS ont donc maintenant moins d’un an pour faire leurs preuves et élaborer leur nouveau PRS. Bonne chance.