Droit
Plus de 800 000 personnes sont placées sous un régime de protection juridique ou social. Leur finalité est de protéger les intérêts des personnes qui n’ont plus toutes leurs facultés personnelles et qui sont dans l’impossibilité d’agir seules dans la vie civile.
Le texte de référence est la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs, complétée par le décret n° 2008-1276 du 5 décembre 2008. Voici, présentés de manière pratique, quelques-uns des points fréquemment rencontrés dans la vie de tous les jours de personnes protégées.
Certaines personnes majeures peuvent se trouver privées d’une pleine capacité d’exercice de leurs droits car, en raison d’une altération de leurs facultés personnelles, elles doivent être protégées. Le critère est d’ordre personnel, à savoir un affaiblissement des facultés intellectuelles ou physiques, à un degré tel qu’il ne permet plus le libre arbitre. L’intention est louable et ces mesures sont très utiles, mais la problématique juridique est sensible : il faut que le système soit efficace… et juste. En effet, cette protection, bienfaisante, se traduit par des mesures limitant l’exercice des libertés de la personne, et cette limitation doit être fixée à ce qui est strictement nécessaire.
L’idée est de solliciter les ressources de l’accompagnement social pour se résoudre aux mesures de protection juridique du Code civil que lorsque cela est strictement nécessaire.
La loi a ainsi prévu certains dispositifs en cas de vulnérabilité économique ou sociale. Toute personne majeure recevant des prestations sociales, et dont la santé ou la sécurité est menacée par les difficultés qu’elle éprouve à gérer ses ressources, peut bénéficier d’une mesure d’accompagnement social personnalisé. Cette mesure comporte une aide à la gestion de ses prestations sociales et un accompagnement social individualisé.
Cette aide est conçue dans un esprit de responsabilisation, et prend la forme d’un contrat conclu entre la personne intéressée et le conseil départemental. Ce contrat prévoit les actions d’insertion sociale, et d’autres qui tendent à rétablir les conditions d’une gestion autonome des prestations sociales.
Viennent ensuite les régimes de protection des majeurs en difficulté. La loi prévoit une protection ponctuelle lorsqu’il est apporté la preuve qu’à l’occasion d’un acte, une personne a agi alors que, pour une raison de santé, elle n’était pas en mesure de comprendre la nature et la portée de cet acte, selon les termes de l’article 414-1 du Code civil : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. »
Enfin, la loi a instauré des régimes de protection durable si est fait le constat médical d’une altération des facultés, avec une graduation en trois étapes : sauvegarde de justice, curatelle et tutelle.
• La sauvegarde de justice correspond à la situation d’une personne qui a besoin d’une aide temporaire, ou d’une représentation pour l’accomplissement de certains actes. Il s’agit d’une mesure légère, qui permet de passer un cap difficile, dans le cadre d’une situation de crise.
• La curatelle répond aux besoins d’une personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile. Ceci marque le passage entre la sauvegarde de justice et la curatelle : l’assistance doit être continue s’agissant des actes importants.
• La tutelle permet de répondre aux besoins d’une personne qui doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile. Le schéma ancien reste : la curatelle est une mesure d’assistance, alors que la tutelle est une mesure de représentation.
Le placement sous tutelle ou curatelle nécessite la réunion de deux conditions : l’altération médicalement constatée des facultés mentales résultant d’une maladie, d’une infirmité ou de l’âge, et le besoin d’être conseillé ou représenté (1re Civ., 2 octobre 2001, n° 99-15577).
L’altération de l’état de santé doit être médicalement constatée par un médecin spécialiste choisi sur une liste établie par le procureur de la République. Une hospitalisation pour trouble du comportement ne suffit pas à démontrer une altération des facultés mentales (1re Civ., 8 avril 2009, n° 07-21488).
Pour ordonner une mesure, le juge des tutelles doit constater la persistance de l’altération et du besoin de conseil ou de représentation (1re Civ., 5 novembre 2008, n° 07-17907).
L’altération des facultés corporelles ne peut entraîner le placement sous un régime de protection si elle empêche l’expression de la volonté (article 425 du Code civil ; 1re Civ., 17 octobre 2007, n° 06-14155). La protection des majeurs de leur personne et de leurs biens, que leur état ou leur situation rend nécessaire, a pour finalité l’intérêt de la personne protégée (article 450 du Code civil). Aussi, une insuffisance de l’acuité visuelle, incompatible avec les impératifs de la sécurité routière, justifie l’interdiction d’acquérir un véhicule (1re Civ., 27 février 2013, n° 11-28307).
Pour prononcer une mesure de curatelle, le juge doit constater une altération affectant les facultés mentales de l’intéressé ou ses facultés corporelles l’empêchant d’exprimer sa volonté, et la nécessité pour celui-ci d’être assisté dans les actes de la vie courante de manière continue (1re Civ., 26 juin 2013, n° 12-20473).
La mesure de protection est révisable à tout moment, en fonction d’éléments nouveaux. Elle est prévue pour une durée maximale de cinq ans, ce qui oblige à une révision générale des dossiers. Le juge ne peut, par une décision spécialement motivée, renouveler une mesure de protection pour une durée supérieure à cinq ans que sur avis conforme d’un médecin choisi sur la liste établie par le procureur de la République (article 442, alinéa 2 du Code civil).
Cette dernière mesure est fréquemment prononcée : en nommant le curateur, le juge ordonne qu’il percevra seul les revenus de la personne en curatelle et assurera lui-même le règlement des dépenses. On reste dans un système d’assistance, mais le budget est géré de manière très cadrée. Alors que la personne placée sous curatelle simple n’est assistée de son curateur que pour les actes de disposition et garde dans tous les cas son pouvoir d’initiative, le majeur sous curatelle renforcée ne perçoit plus ses revenus et ne règle plus ses dépenses, le curateur étant doté dans ces domaines d’un pouvoir de représentation. Aussi, le juge doit rechercher « si le majeur protégé est apte à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale » (1re Civ., 25 mars 2009, n° 08-10804 ; 1re Civ., 12 septembre 2012, n° 11-20175). Des troubles des fonctions supérieures en rapport avec une lésion cérébrale séquellaire qui peuvent amener à prendre des décisions inadaptées dans les domaines administratif ou financier, en l’occurrence une situation de surendettement, justifient une mesure de curatelle renforcée (1re Civ., 19 décembre 2012, n° 11-26737).
Le majeur en curatelle peut exercer seul les actions en justice relatives à ses droits patrimoniaux. Toute signification faite au majeur en curatelle doit l’être aussi à son curateur, à peine de nullité.
La tutelle est un régime de représentation. Le majeur sous tutelle ne peut agir seul, et tous les actes passés postérieurement au jugement d’ouverture de la tutelle sont nuls de droit. Le majeur sous tutelle ne peut plus conclure aucun contrat. C’est un dessaisissement total, et la tutelle doit être réservée aux formes les plus profondes de l’altération des facultés.
Le tuteur peut accomplir seul tous les actes d’administration et doit être autorisé par le juge des tutelles pour passer les actes de disposition, c’est-à-dire ceux qui modifient la substance du patrimoine.
Il est admis que le majeur en tutelle peut valablement conclure des actes de la vie quotidienne autorisés par l’usage, comme par exemple l’achat de denrée alimentaires. Mais le niveau des dépenses doit rester modeste.
Le majeur sous tutelle ne peut introduire seul une instance en justice, ni défendre seul à une telle action. Il doit être représenté par son tuteur.
Un tuteur doit veiller au bien-être et à la sécurité de la personne protégée, et il a l’obligation de s’assurer d’avoir supprimé tout risque pour une personne dont les facultés de discernement sont altérées. Sa responsabilité est engagée s’il ne procède pas à des vérifications ne nécessitant pas de connaissances techniques particulières (1re Civ., 27 février 2013, n° 11-17025).
Selon l’article 458 du Code civil, l’accomplissement des actes dont la nature implique un consentement « strictement personnel » ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée. Cela concerne la déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance, les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d’un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant. L’article 460 du Code civil, qui impose, pour le mariage d’une personne placée sous curatelle, une autorisation du curateur, ne viole pas la liberté de mariage, constitutionnellement garantie. L’évolution psychopathologique des troubles présentés et une perte de maîtrise des réalités financières peuvent établir que l’intéressé n’est pas en mesure de donner un consentement éclairé au mariage (1re Civ., 5 décembre 2012, n° 11-25158).
La question du consentement aux soins pour une personne sous tutelle est mal gérée par les textes, avec des dispositions un peu contradictoires. La loi de santé publique de janvier 2016 a autorisé le gouvernement à adopter un texte satisfaisant par voie d’ordonnance. La question reste donc en attente.
Le principe est une préférence familiale dans le choix du protecteur (1re Civ., 22 octobre 2008, n° 07-15277), mais l’intérêt de la personne protégée est le critère décisif et ce qui peut conduire à écarter les membres de la famille, malgré le souhait exprimé par le majeur lui-même (1re Civ., 6 mars 2007, n° 06-13982). Pour ce faire, le juge doit apporter les précisions nécessaires dans sa décision (1re Civ., 5 décembre 2012, n° 11-26611).
En effet, la protection des personnes majeures est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne (article 450 du Code civil), elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée, et elle doit favoriser, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci. Aussi, en considération de l’intérêt à long terme de la personne protégées, le juge peut estimer opportun que le curateur soit choisi en dehors des proches de la personne protégée, malgré les sentiments exprimés par celle-ci (1re Civ., 11 septembre 2013, n° 12-23742).
Lorsque la famille est inapte, le juge des tutelles peut choisir un curateur ou un tuteur institutionnel (1re Civ., 7 novembre 2012, n° 11-21736). L’existence d’un important conflit entre les enfants d’un premier lit et la seconde épouse peut ainsi justifier de nommer un tuteur institutionnel (1re Civ., 10 octobre 2012, n° 11-14441).
Toutes les décisions juridictionnelles du juge des tutelles sont susceptibles de recours, recours formé devant le tribunal de grande instance, qui statue selon les règles de l’appel. Le législateur a voulu préserver une juridiction moins imposante qu’une cour d’appel et plus proche des personnes. Le majeur protégé a évidemment le droit de former ce recours, et de prendre connaissance de toutes les pièces du dossier. Le recours est en outre ouvert à son conjoint, son partenaire, son concubin, ses parents et alliés, la personne qui entretient avec lui des liens étroits et stables et la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique (article 1239 à 1247 du Code de procédure civile).
Le majeur protégé, auteur d’un recours, doit être avisé de la date d’audience suffisamment tôt pour lui permettre d’assister aux débats et de se défendre personnellement, et il doit être informé de la possibilité de consulter le dossier de la mesure de protection au greffe du tribunal de grande instance, jusqu’à la veille de l’audience.
Si le tribunal de grande instance ordonne une expertise médicale, le majeur sous curatelle doit être avisé de la possibilité d’examiner l’expertise et de discuter les conclusions de l’expert.
L’article 1222-1 du Code de procédure civile prévoit qu’« à tout moment de la procédure, le dossier peut être consulté au greffe de la juridiction qui le détient, sur demande écrite et sans autre restriction que les nécessités du service, par le majeur à protéger ou protégé, le cas échéant, par son avocat ainsi que par les personnes chargées de la protection ». Ceci étant, lorsque la demande de consultation du dossier émane du majeur, le juge peut, par ordonnance motivée, notifiée à l’intéressé, exclure tout ou partie des pièces de la consultation si cette communication est susceptible de lui causer un « préjudice psychique grave ».
• Michel Bauer, Thierry Fossier, Emmanuèle Vallas-Lenerz, Accompagnement et protection juridique des majeurs, 6e édition, Éditions Sociales Françaises, Coll. “Actions sociales”, 2014, 427 pages.
• Karine Lefeuvre et Sylvie Moisdon-Chataigner, Protéger les majeurs vulnérables, Quelle place pour les familles ?, Éditions École nationale des hautes études en santé publique, 2015, 254 pages.
Les décisions citées sont des arrêts rendus par la Première Chambre civile de la Cour de cassation, qui a compétence en matière de protection des majeurs. Pour accéder aux décisions de justice citées, il suffit de se rendre sur le site Legifrance, de cliquer sur “jurisprudence judiciaire”, et de mentionner le numéro du pourvoi (exemple : 11-25158) dans la case intitulée “numéro du recours”. L’arrêt a été rendu anonyme pour protéger l’intimité de la vie privée des personnes, mais le texte de la décision est reproduit dans son intégralité.
Deux articles du Code civil posent les bases du régime.
Article 425
« Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique.
« S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions. »
Article 428
« Une mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation,de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l’intéressé. La mesure est proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés personnelles de l’intéressé. »
Article 440
« La personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin, pour l’une des causes prévues à l’article 425, d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants dela vie civile, peut être placée en curatelle.
« La curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.
« La personne qui, pour l’une des causes prévues à l’article 425, doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.
« La tutelle n’est prononcée que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante. »