Si les escarres sont la hantise du personnel soignant, elles représentent également un véritable problème de santé publique. Le coût élevé de leur prise en charge nécessite l’implication de tous les acteurs de soins pour les prévenir et, le cas échéant, les guérir le plus rapidement possible. Mais qu’est-ce qu’une escarre ? Et quels moyens sont mis à disposition des soignants pour atteindre ces objectifs de prévention et de guérison ?
« Une escarre est une atteinte cutanée plus ou moins profonde, pouvant aller de l’épiderme jusqu’à l’os, liée à une hyperpression prolongée des parties molles entre un plan dur et les saillies osseuses, définit le Dr Mathilde Noaillon, chef de clinique assistant dans l’unité de gériatrie aiguë du centre hospitalier universitaire du Kremlin Bicêtre (AP-HP). Elles peuvent toucher différents types de patients, comme les personnes âgées avec des troubles cognitifs, ou des patients jeunes hospitalisés en réanimation et qui vont avoir des alitements prolongés. » Différents facteurs, à la fois intrinsèques ou extrinsèques au patient, entrent en ligne de compte dans la constitution d’une escarre. Les principaux facteurs intrinsèques sont la dénutrition, chronique ou aiguë, l’alitement et l’incontinence urinaire et/ou fécale. Les facteurs extrinsèques sont essentiellement des facteurs mécaniques à type de pression, cisaillement ; et aussi la macération, liée à un manque de changes réguliers.
Les zones les plus à risque d’être atteintes par des escarres sont, dans l’ordre de fréquence : le sacrum, les talons, les trochanters, et plus rarement les coudes, le pénis pour les patients porteurs d’une sonde urinaire à demeure, les malléoles, la cloison nasale pour les patients porteurs d’une sonde naso-gastrique et enfin les oreilles pour les patients porteurs de lunettes à oxygène.
Il existe différents stades d’escarres que le Dr Noaillon décrit comme suit : « Le stade 1 est une rougeur persistante, qui ne s’efface pas, et qui n’atteint que l’épiderme. Le stade 2 est soit une phlyctène, soit une désépidermisation, qui restent superficielles. Le stade 3 est une atteinte cutanée profonde jusqu’à l’aponévrose mais qui ne la touche pas ; il s’agit de lésions où il peut potentiellement y avoir des zones nécrosées et fibrineuses. Enfin, le stade 4 atteint l’aponévrose et parfois même les muscles et les os. »
L’apparition et le développement des escarres chez un patient sont responsables de l’augmentation de la durée de séjour en milieu hospitalier, de l’alourdissement de la charge en soin et d’une morbidité accrue. Leur impact financier est ainsi non négligeable. D’après une étude menée en 2005
Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) font partie, avec les unités de gériatrie aiguë, les services de soins palliatifs et les services de réanimation, des établissements accueillant le plus de patients à risque de développer des escarres. En effet, la majorité de leurs résidents possèdent plusieurs des facteurs intrinsèques favorisant le risque d’escarre. Les prévenir efficacement est donc essentiel pour maintenir le confort et la qualité de vie du résident dans l’institution, et également pour ne pas engendrer des coûts et une charge de travail supplémentaires à sa prise en soins.
À la Résidence de L’Orme, Ehpad situé à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), « sur 80 résidents allant de 76 à 104 ans, seulement trois ont des escarres, dont aucun n’a été acquis dans notre établissement », confie Émilie Huet, cadre de soins de la résidence. Et pour cause, la prévention des escarres y étant primordiale, tout est mis en place pour que l’équipe de soins soit la plus efficace possible. « Une réunion pluridisciplinaire avec les différents acteurs de soin a lieu toutes les semaines, explique Émilie Huet. Grâce à différentes échelles (Braden, GIR, Pathos, NPI), et mesures (albuminémie, poids), nous déterminons alors un ensemble de facteurs pouvant influencer la survenue d’une escarre. En fonction de l’évaluation du risque, nous mettons en place des plans de soins individuels. » Ces plans de soins spécifiques sont liés au facteur de risque établi chez le patient. Il existe ainsi un plan de soins individuels lié à l’altération de la mobilité physique, un lié à la dénutrition, un lié à l’incontinence, et un dernier lié à l’altération de l’intégrité des téguments. « Une fois que l’on a défini le plan de soins individuels adapté au résident, celui-ci est signé par tous les participants de la réunion pluridisciplinaire et est intégré au classeur de nursing du patient pour pouvoir être utilisé par ses soignants référents », développe Émilie Huet.
Dans chacun de ces plans de soins, les soignants retrouvent des critères d’évaluation et un plan d’action en rapport. Par exemple, si le risque d’escarre est en lien avec une dénutrition sévère, les aides-soignants et infirmiers devront « faire une fiche de suivi alimentaire systématique pour le patient, surveiller son poids toutes les semaines, fractionner ses repas, lui donner des compléments alimentaires et des collations chaque fois que nécessaire, parfois même la nuit », précise-t-elle. Si le risque d’escarre est en lien avec une perte ou une diminution de la mobilité physique du résident, les soignants devront « lever les points de pression en se référant à des fiches spécifiques de changement de position, associées à des feuilles de transmissions pour tracer les actes de soins effectués avec les horaires, poursuit-elle. Nous mettons également en place des ateliers de psychomotricité pour entretenir ou restaurer les capacités de déplacement des résidents. Pour ceux à risque, ces séances, qui ont lieu tous les jours, permettent d’avoir une observation fine de leur positionnement au fauteuil, afin de pouvoir adapter le matériel et/ou leur installation, pour limiter les phénomènes d’appui prolongé ou les positions vicieuses. De la kinésithérapie est aussi instaurée à raison de deux à cinq fois par semaine. » Si, enfin, le risque d’escarre est lié à la macération, l’équipe soignante revoit la prise en charge de l’incontinence du résident. « Nous faisons un plan de soins global pour chacun afin de déterminer s’il a besoin d’une aide totale ou partielle pour aller aux toilettes, quelle est son horloge mictionnelle. Grâce à cette évaluation, nous pouvons définir quand l’équipe doit l’accompagner aux WC, quelles doivent être les heures de change et quel type de matériel de protection est nécessaire au cours de la journée. Tout est protocolisé pour permettre à l’équipe d’éviter au maximum la macération », indique Émilie Huet. Au-delà de la mise en place de ces plans de soins, la prévention des escarres repose aussi dans cet Ehapd, comme dans la grande majorité des services hospitaliers, sur la mise en place systématique de matelas anti-escarres non dynamiques dans chaque lit et de coussins anti-escarres dans chaque fauteuil. Les soignants bénéficient également de formations courtes plusieurs fois par mois en lien avec des dysfonctionnements observés dans le service. « Par exemple, si nous observions plus de rougeurs persistantes chez nos patients, nous proposerions à l’équipe soignante une mini-formation sur la prise en charge des escarres », explicite Émilie Huet. Toutefois, « si, malgré toutes ces mesures préventives, le résident développe une escarre constituée, les soignants vont alors se référer au plan de soins sur l’altération de l’intégrité des téguments, qui se compose des divers protocoles de pansements d’escarre en fonction du stade ».
De nombreux pansements sont désormais disponibles sur le marché pour prendre en soin les escarres et le choix de tel ou tel pansement peut parfois être cornélien pour le soignant. « Le traitement de l’escarre se fait en fonction de son stade et de son allure », insiste le Dr Noaillon. Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS)
• au stade de la phlyctène, il convient de recouvrir la plaie d’un pansement hydrocolloïde (type Duoderm ou Comfeel) ou d’un pansement gras (type Jelonet) à renouveler tous les trois jours, afin de maintenir un environnement humide favorable aux conditions de cicatrisation ;
• sur une escarre anfractueuse, les pansements recommandés sont des hydrocolloïdes en poudre ou des alginates en mèche (type Algostéril) à renouveler tous les trois jours ;
• sur des escarres peu exsudatives : des pansements hydrocellulaires (type Biatain ou Mepilex) à renouveler tous les trois à cinq jours ;
• sur des escarres très exsudatives : des pansements alginates à renouveler tous les un à trois jours ;
• sur des escarres nécrotiques : des pansements hydrogels (type Purilon) à renouveler tous les un à trois jours, pour ramollir et permettre la détersion mécanique ;
• sur des escarres hémorragiques : des pansements alginates ;
• sur des escarres bourgeonnantes ou en voie d’épidermisation : des pansements à la vaseline (type Jelonet) pendant un à deux jours.
Toutefois, ces pansements ne sont pas des remèdes miracle en soit. Comme le souligne le Dr Noaillon, « ils doivent absolument être associés à une détersion manuelle en cas de fibrine ou de nécrose. Il faut commencer par nettoyer l’escarre à l’eau et au savon, pratiquer la détersion, puis mettre le pansement le mieux adapté pour traiter l’escarre. Cela demande beaucoup de temps avant d’arriver à une cicatrisation complète ».
Ces dernières années, les soignants ont également vu apparaître sur le marché un nouveau type de pansement d’escarre : les pansements à pression négative ou VAC (Vacuum Assisted Closure). « Leur gros avantage est d’accélérer la cicatrisation, déclare le Dr Noaillon. Ils sont exclusivement utilisés sur les escarres avec une grande perte de substance. L’inconvénient est qu’il faut déjà avoir une escarre qui évolue favorablement, sans fibrine ni nécrose. Leur mise en place nécessite donc une très bonne détersion manuelle, parfois une mise à plat chirurgicale. De plus, leur utilisation est parfois compliquée selon la zone de l’escarre. Au sacrum notamment, le pansement VAC est peu efficace car peu étanche étant donné l’abord des selles et des urines. »
Les escarres se constituent dans des zones riches en bactéries, la peau des patients étant à l’air, et sont de fait souvent colonisées sans être réellement infectées. « C’est assez rare qu’une escarre s’infecte, confie le Dr Noaillon. On ne fait donc pas de prélèvements systématiques sur les escarres, et on ne met pas forcément en place d’antibiothérapie. » Néanmoins, il arrive que les soignants puissent observer du pus pendant les soins et que, parallèlement, le bilan sanguin du patient montre l’apparition d’un syndrome inflammatoire. L’alerte est alors donnée. « Si une escarre profonde s’infecte, on craint fortement le risque d’ostéite, déclare le Dr Noaillon. La cicatrisation de l’escarre est alors extrêmement longue et compliquée. Quand on a la certitude d’une infection, on demande une prise en charge chirurgicale immédiate pour avoir un vrai lavage, pour pouvoir bien traiter l’infection. » Selon la HAS, le traitement chirurgical de l’escarre doit permettre « l’excision suffisante de tissus nécrosés qui gênent le bourgeonnement et qui sont source d’infection. L’intervention ne doit laisser que du tissu sain dans le but d’accélérer la cicatrisation et la réadaptation fonctionnelle du patient ».
Un autre facteur primordial dans la prise en soin des escarres est la prise en charge de la douleur. Celle-ci peut être spontanée ou non, limitée aux soins, aux changements de position ou aux mobilisations, ou au contraire être présente en continu. L’équipe soignante doit donc évaluer régulièrement la douleur du patient pour orienter au mieux sa prise en charge. Lors de la réfection des pansements, les infirmiers doivent prévenir la douleur inhérente aux soins. Différentes classes d’antalgiques peuvent être utilisées selon le degré de douleur évalué par le patient, d’anesthésiants transdermiques locaux pour une douleur de faible intensité, à des antalgiques de palier 3 si nécessaire.
La prise en charge des escarres reste, quoiqu’il en soit, longue et coûteuse. L’idée est donc de prévenir au maximum leur survenue. Les principaux acteurs de cette prévention sont les aides-soignants et les infirmiers, qui doivent rester sur le qui-vive et être extrêmement vigilants quant au bon état cutané de leurs patients.
(1) Vernet M.A, 2005, “le coût total estimé de l’escarre en France”. Extrait de Profession Pharmacien.
(2) Haute Autorité de santé, “Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé”, novembre 2001.