Les établissements de soins recrutent régulièrement des professionnels non cadres sur des postes de cadre de santé. Cette nomination peut être une véritable opportunité, voire un challenge, pour le salarié. Cette mise en situation permet d’investir le rôle et les missions du cadre de santé. Mais qui est réellement le faisant fonction de cadre de santé ?
Le statut de faisant fonction de cadre de santé (FFCS) n’existe pas dans la fonction publique. Comment peut-il trouver sa place auprès des équipes de soins ? Et quelle légitimité peut-il avoir face à ses pairs, les cadres de santé ? Le FFCS est un professionnel de soin. Il va devoir faire des choix, prendre des décisions et de surcroît construire une nouvelle identité professionnelle. L’accompagnement du FFCS par une personne ressource semble indispensable afin de saisir les codes et les normes du système dans lequel il se situe.
Le chemin des FFCS est difficile à appréhender car il n’existe aucune statistique les concernant, selon la sociologue Sophie Reinhard
• vérifier que le projet professionnel est viable ;
• anticiper les bases managériales indispensables à l’exercice du métier ;
• construire un projet professionnel et personnel pour définir son propre modèle du métier de cadre.
Contrairement à certains statuts, où l’on peut lisser certaines tâches et atténuer certains contrôles, le manager n’arrive que trop rarement à cette étape. Il est sans cesse en veille et doit remettre en cause ses acquis pour réapprendre, de manière plus prononcée.
Le rôle du FFCS n’est pas simple et il semble que “l’apprenti manager” ait de plus en plus de mal à se situer et surtout à se projeter dans des organisations mouvantes et des modes de gouvernance parfois déroutants. Idéalement, le futur FFCS devra être accompagné, sous la forme d’un tutorat, par des pairs expérimentés et volontaires. Ainsi, le sentiment d’appartenance et le partage de pratiques revêtent un aspect sécurisant pour les candidats à la fonction. Mais certains pensent
Le statut du FFCS est dérogatoire. Ni tout à fait infirmier et pas tout à fait cadre : comment peut-il devenir et être légitime aux yeux de ses pairs et de la hiérarchie ? Que faire de son parcours, de son expérience ? Si le statut de FFCS peut se révéler être une opportunité, il suppose néanmoins une mise à l’épreuve. En effet, il est nécessaire de montrer des aptitudes de management. Cette période impose au FFCS de travailler sous le regard de la Direction et de ses pairs. Il doit acquérir un certain savoir-faire pour construire une nouvelle identité professionnelle via de nouvelles compétences.
Le FFCS développera ses capacités managériales. Il devra trouver son groupe d’appartenance, respecter les règles et les normes implicites et explicites des cadres de santé et construire une nouvelle identité. Mais pourra-t-il réellement se sentir légitime sans formation diplômante ? Le collectif cadre pourra également tenter de réguler le travail du FFCS, thèse que Michel Crozier
Pour pouvoir tirer parti d’un minimum d’expérience, d’expertise, il ne suffit plus de détenir une compétence. Encore faut-il, selon Friedberg, « bâtir le rapport à autrui, […] construire des échanges, […] se situer dans des rapports de négociation et de marchandage, […] accepter et […] assumer des situations de dépendance personnelle et […] exploiter les opportunités qu’offre le contexte »
Les établissements publics ont une organisation administrative et médicale complexe. Notamment en raison du fait que « l’hôpital s’est construit au fil de l’histoire, par strates successives qui se sont empilées au gré des réformes et de l’évolution des rapports politiques, économiques et sociaux »
Le FFCS doit développer à la fois ses compétences et gérer les injonctions paradoxales. Les injonctions pourront aller à l’encontre de ses valeurs professionnelles, voire personnelles.
Le comportement d’un individu est intimement lié à son rôle et à sa capacité à se confronter à son statut en fonction des contraintes imposées par la société dans laquelle il vit. Il définit ainsi son intégration sociale. S’il ne s’y conforme pas, il peut être exclu ou en marge de la société. Le statut social est donc générateur d’attentes et d’exigences.
Quel est le véritable statut du FFCS ? Comment peut-il être à la fois légitime et reconnu par ses pairs et par les agents ? La légitimité du FFCS prend une dimension tout autre. Le mot “légitimité” vient du latin lex qui signifie “loi”. La légitimé « est la qualité de ce qui est fondé en justice ou en équité »
Sans ce statut de cadre de santé, le FFCS devra acquérir sa légitimité face aux soignants et face à ses pairs. Il devra peut-être identifier que la légitimité est basée sur la reconnaissance de l’autre, via ses fonctions et son rôle. Mais, pour cela, il faut accepter de changer de groupe d’appartenance pour construire une nouvelle identité. La légitimité du FFCS semble être fondée sur certaines valeurs : l’intégrité, l’équité, l’écoute et la disponibilité. De la même manière, la communication permet de créer du lien, de véhiculer des valeurs et de mettre en lumière la singularité du FFCS. Cependant, avant d’être opérationnel et reconnu, le FFCS devra identifier sa capacité à gérer ses émotions. La réflexivité semble être un outil primordial pour comprendre et ajuster sa manière d’être et d’agir. Si elle devient pérenne, elle permettrait au FFCS de comprendre et d’analyser sa pratique professionnelle. La légitimité du FFCS serait alors basée sur la capacité d’agir en s’adaptant en permanence.
Les échanges au sein d’une organisation sont très riches. En échangeant avec les autres, le FFCS construit des liens. Ces liens permettraient de faire circuler des informations, des connaissances, des formes de reconnaissance et de réputations, des mécanismes de solidarité ou d’exclusion, des rites et des apprentissages. La légitimité du FFCS semble reposer également sur sa capacité à créer des liens sociaux, à y participer, à donner et à rendre. Ces échanges, ces relations sociales donnent le sentiment d’exister, le sentiment de participer à ce construit collectif qui articule le cognitif et l’affectif, le formel et l’émotionnel. La gestion des relations apparaît maintenant évidente. Les relations de travail produisent des sentiments, des émotions, des sympathies et des antipathies, des haines et des fidélités, des déceptions et des désirs. Le FFCS devra donc apprendre à gérer ses émotions. Le FFCS devra probablement acquérir la compétence émotionnelle, voire une intelligence émotionnelle, pour choisir le mode d’expression de ses sentiments le plus approprié aux différentes situations rencontrées. Le statut de FFCS n’est pas simple, il est difficile de faire tout ce travail, de trouver toutes ces clés de compréhension sans formation. Une formation s’avère primordiale.
Pour un établissement de soin, le faisant fonction cadre présente des avantages indéniables. Il permet de pallier le manque de cadres. Il peut être parfois une source substantielle d’économie. En effet, le faisant fonction est rémunéré selon son statut d’origine (infirmier ou autre). Le FFCS n’est pas statutairement reconnu par l’obtention d’un diplôme et d’un concours sur titre.
Sur un plan plus stratégique, le faisant fonction est certainement plus malléable. Ce positionnement “entre deux” permet de maintenir deux options : il est aussi facile de le nommer à un poste que de le réintégrer dans celui d’origine.
Si la position de FFCS présente des avantages pour l’institution, elle n’est pas dénuée d’intérêts pour le postulant FFCS. Cette mise en situation permet au professionnel d’investir des misions qui ne sont, à l’origine, pas les siennes. Mais également d’appréhender la fonction de cadre entre conceptualisation et terrain, de se donner les atouts et de l’expérience pour une réussite aux concours d’entrée en IFCS. La plupart des établissements de santé proposent à leurs FFCS des formations de préparation aux concours
Le FFCS peut être facilement vu comme un “cadre au rabais”
Le cadre de santé ainsi que le FFCS exercent leur activité professionnelle dans un environnement soumis à de nombreuses contraintes : économiques, institutionnelles et réglementaires. Il existe ainsi plusieurs responsabilités juridiques, susceptibles d’être actionnées lors de son exercice : la responsabilité civile ou administrative, la pénale et la disciplinaire. Chacune de ces responsabilités poursuit un objectif spécifique. La responsabilité peut-elle être une forme de confiance et de reconnaissance ?
Le conflit entre les normes, les exigences, les besoins ou les intérêts de tous ces groupes, se traduit parfois par une tension intérieure. Cette tension, qui peut aboutir au “cas de conscience”, voire à des compromis difficiles, peut être la résultante d’un conflit de loyauté. En effet, le FFCS doit parfois choisir entre deux options d’ordinaire liées et non opposées. Le conflit de loyauté peut être considéré comme un conflit intrapsychique, né de l’impossibilité de choisir entre deux situations possibles. Les incidences directes du conflit de loyauté sur le travail sont nombreuses : démotivation profonde, perte de confiance… Parfois, en fonction de la fragilité du salarié, de son environnement et de l’ampleur de l’investissement affectif qu’on peut lui demander de renier, cela peut conduire à la dépression. Le conflit de loyauté se déclenche et a plusieurs circonstances. Très souvent, il s’agit d’une situation porteuse de paradoxes lourds, où prime une déficience de cohérence entre les objectifs donnés et les moyens fixés qui peuvent s’exprimer par une communication qui ne fait pas sens pour le terrain, des carences en pédagogie de la part du manager, un climat social de résistance au changement… À l’échelle collective, ces situations peuvent conduire à des tensions sociales, à un désinvestissement de la vie professionnelle, voire à des troubles psychosociaux. Il semble indispensable d’accompagner le FFCS pour gérer et dépasser ce conflit de loyauté. L’accompagnement des FFCS est, de fait, lié à la politique de l’établissement. Néanmoins, les FFCS ont souvent recours à des personnes ressources.
Accompagner le FFCS permettrait de comprendre ses besoins et de créer des conditions favorables à son exercice. Il suffirait d’être assez proche pour comprendre et assez loin pour le laisser libre. Il ne faudrait pas occulter les difficultés, ni empêcher les changements. Accompagner impliquerait aussi de savoir évoquer avec le FFCS les échecs. L’accompagnement permettrait au FFCS d’aller vers l’autonomie, ce qui reste une condition incontournable au déploiement de la compétence. Le statut de FFCS est une formidable opportunité pour un futur cadre de santé. Mais à deux conditions : la transformation de l’expérience doit induire la compétence, et cette expérience doit amener une transformation du rapport au savoir et au pouvoir. On peut entrevoir l’impact que pourrait avoir l’accompagnement du FFCS dans la construction de sa légitimité et de son identité professionnelle.
(1) Reinhard Sophie, L’Infirmière magazine n° 304, 1er juillet 2012, p.23.
(2) Richard Barthes, Soins Cadres n° 75, août 2010, p.22, Dessine-moi le cadre de demain…
(3) Crozier Michel, Le phénomène bureaucratique, 1963, Éditions Seuil, p.6-7.
(4) Bourret Paule, Les cadres de santé à l’hôpital, un travail de lien invisible, 2006, Éditions Séli Arslan, p.197.
(5) Crozier, M., Friedberg, E. L’acteur et système. Les contraintes de l’action collective, Éditions Seuil, 1977.
(6) Bernoux Philippe, La sociologie des organisations, Éditions du Seuil, octobre 1985, p.166.
(7) Friedberg E, Dynamique de l’action organisée, Éditions Seuil, 1997, p.290.
(8) Bonnici B. « L’hôpital, obligation de soins, contraintes budgétaires », La documentation française, Paris, 2007, p.71.
(9) Le Boterf Guy, Construire les compétences individuelles et collectives, Éditions Eyrolles 2013.
(10) Définition issue du Petit Larousse.
(11) Sur le site carnetsdesante.fr/Faisant-Fonction-de-cadres-de
(12) Chauvancy Marie-Claire, avril 2009, consultable sur carnetsdesante.fr/Faisant-Fonction-de-cadres-de
(13) Consultable sur le site legifrance.gouv.fr. Arrêtédu 18 août 1995 relatif au diplôme de cadre de santé.
La légitimité repose sur une autorité fondée sur des bases juridiques, éthiques ou morales. Elle permet de recevoir le consentement des membres d’un groupe. C’est un accord tacite subjectif et consensuel. Selon le sociologue Max Weber
→ AU REGARD DE LA LOI
« Le concept de légitimité renvoie au procédé utilisé pour rendre collectivement acceptable une décision, une désignation ou tout simplement une opinion. »
→ LA RECONNAISSANCE
Le FFCS peut-il véritablement être reconnu par ses pairs ? Le FFCS faisait partie d’un groupe et d’une équipe avant sa nomination, il connaissait le fonctionnement de ce groupe, il en avait adopté les normes explicites et implicites pour être en interaction. La cohésion des groupes est basée sur la qualité du lien d’appartenance de ses membres. La qualité de l’adhésion de la personne est d’abord la résultante de plusieurs facteurs relatifs au groupe lui-même.
(1) Weber Max, Économie et société, les catégories de la société, Éditions Pocket, 1995.
(2) Télécharger le mémoire de Broussolle Damien, via le lien raccourci bit.ly/2h1YsDT
Si certains FFCS souhaitaient « essayer la fonction de cadre de santé », d’autres y voient « une opportunité, voire un challenge », en mettant « leurs connaissances et leur expertise au service des professionnels ». Cependant, la hiérarchie attend « des capacités dans la gestion des projets, dans des missions transversales ». Les FFCS devront faire face, parfois, à un écart implicite entre leurs attentes et celles de leur hiérarchie. Et pourront se sentir “dominés” par l’expertise des autres cadres.
Les FFCS devront alors apprendre à gérer leurs émotions, leur affect ; cette étape est indispensable. Parallèlement, ils devront se détacher de leur groupe d’appartenance et accepter d’être dans un nouveau groupe, celui des managers. Trouver sa place, son positionnement est parfois compliqué. La place et le positionnement traduisent une forme de pouvoir. Les ressources du pouvoir sont rattachées à « la compétence, la maîtrise des relations à l’environnement, la maîtrise des communications, les connaissances des règles de fonctionnement »
* Bernoux Philippe, La sociologie de l’organisation, Éditions Seuil, 1985, p.164.