Parce que les cadres ont rarement un parcours professionnel linéaire, leur fin de carrière n’est pas toujours celle qu’ils ont imaginée. Pour éviter quelques surprises, voire certaines désillusions, cette étape décisive doit être abordée au travers d’une grille de lecture.
Rares sont aujourd’hui les salariés à effectuer toute leur carrière auprès d’un seul et même employeur. Les cadres de santé, dont l’évolution de la carrière est intrinsèquement liée au changement n’échappent pas à cette évolution. À noter que les femmes, nombreuses dans la profession, sont, en raison de la naissance et de l’éducation de leurs enfants, plus fragilisées pour faire valoir leurs droits à la retraite à des conditions satisfaisantes.
D’un poste infirmier ou d’un autre poste soignant, leur carrière a progressé vers la fonction de cadres de santé. Cette mobilité se reflète aussi dans leur trajectoire, souvent “mixte”, c’est-à-dire effectuée au sein d’établissements publics et privés, lucratifs ou non lucratifs.
C’est dire si le relevé de carrière d’un cadre de santé peut se révéler complexe. Aussi, il n’est pas rare qu’à l’heure de la retraite, les cadres se retrouvent “polypensionnés”, c’est-à-dire relevant à la fois du régime de retraite de la fonction publique et du régime général. Et de deux caisses, la caisse de retraite obligatoire des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL) pour les uns, et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) pour les autres. « Il s’agit alors de considérer la carrière tous régimes et toutes fonctions confondus », rappelle Pascale Gauthier, associée et responsable de la formation au cabinet de conseils Novelvy retraite. Elle souligne heureusement la perméabilité entre les deux régimes. Pour ajouter à la complexité, la loi du 5 juillet 2010 a introduit une plus grande individualisation de la retraite en offrant, aux personnels hospitaliers du public, le droit d’option entre le statut « actif » et le statut « sédentaire »
L’évolution du régime de retraite a induit une notion implicite d’un départ “à la carte”. « Autrefois, la date de départ était relativement fixe, il était plus facile de calibrer. Aujourd’hui, chaque personne représente un cas particulier et in fine, c’est le salarié qui décide de sa date de départ. À défaut, l’employeur pourra mettre en retraite d’office le salarié à 70 ans », note Jean-Claude Barboul, secrétaire général de la CFDT cadres.
Cette mesure, qui vise à favoriser l’emploi des seniors, n’est pas sans poser des difficultés d’anticipation aux services RH. « La zone d’incertitude est aujourd’hui plus importante. Les cadres dépassent souvent la date fixée par la loi. À l’exception de celles qui ont opté pour le statut actif et qui, souvent, préfèrent partir, de crainte que d’autres mesures n’interviennent », confirme la direction des ressources humaines d’un centre hospitalier.
Cette complexité n’est pas près de se résorber. En raison de l’allongement de la durée de cotisation et d’une entrée plus tardive dans la vie active, les carrières décalées dans le temps se multiplient. « Se pose alors la question de ceux qui ne totaliseront pas assez de trimestres et ne pourront pas partir au taux plein », relève Jean-Claude Barboul. Ces cadres devront-ils alors partir avec une décote ou attendre d’atteindre le taux plein ?
Les carrières “mixtes” des cadres, effectuées entre le public et le privé, nécessitent une approche particulière. Ainsi, si les cadres de la fonction publique hospitalière qui ont opté pour leur intégration dans les nouveaux corps de catégorie A sédentaire peuvent partir à la retraite à 60 ans, ils devront attendre l’âge de 62 ans pour percevoir leur retraite du régime général. Certains cadres préfèrent alors prolonger de deux ans leur carrière à l’hôpital public afin de percevoir d’emblée une retraite à taux plein.
Autre point essentiel, dans la fonction publique, la durée du temps de travail est convertie en trimestre. Ainsi, un mi-temps d’une durée d’un an correspondra à deux trimestres. Il n’en est pas de même dans le privé, où le montant du salaire permet de valider ou non un trimestre. Est ainsi considéré par la Cnav comme trimestre cotisé tout trimestre pendant lequel le salarié a travaillé pour un montant minimum équivalent à 200 fois le smic horaire brut.
S’il est possible de retracer une carrière en termes de trimestres, il est en revanche beaucoup plus difficile d’estimer le montant de la pension, soit le taux de remplacement du revenu du cadre à la retraite. Le cas échéant, les projections devront tenir compte des fonctions occupées successivement par le cadre tout au long de sa carrière. Dans le public, la carrière est souvent prédéfinie, elle évolue en fonction du grade, de l’échelle indiciaire. Pour ces cadres de santé, le salaire de la fin de carrière est déterminant pour le montant de la retraite qui équivaudra à 75 % du dernier salaire au taux plein. Ce mode de calcul n’est pas valable pour les cadres du privé. Sera pris en compte, pour établir le montant de la retraite, un salaire de référence calculé sur les vingt-cinq meilleures années au plafond de la Sécurité sociale (38 616 euros) et un taux de 50 % (taux plein). S’y ajouteront la retraite Arrco (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés)-Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres) calculée en points.
Par ailleurs, Christian Carrega, directeur général de Préfon (retraite complémentaire pour la fonction publique), attire l’attention sur le volet des primes perçues par les cadres dans la fonction publique. « Leur revenu a été augmenté par des primes qui seront cependant très peu prises en compte dans le calcul du montant de la retraite
Ce différentiel n’est pas la seule variable dont doit tenir compte le candidat à la retraite. « La retraite des fonctionnaires semble souvent plus avantageuse que celle des salariés du privé. Cependant, en règle générale, les cadres hospitaliers ne disposent de retraite complémentaire obligatoire. Le montant de leur retraite (75 % du dernier salaire brut) semble plus élevé que le montant de la retraite du privé (50 % de la moyenne des meilleures années) mais, en réalité, les cadres employés dans le privé jouissent d’une retraite complémentaire qui, au final, compense cette différence », constate une responsable RH.
Les cadres comme l’ensemble des salariés sont aujourd’hui plus sensibilisés aux incertitudes qui pèsent sur leur taux de remplacement. Face à un système ne garantissant pas le montant de la retraite, certains salariés préfèrent augmenter leur revenu avec une épargne volontaire. « Globalement, il faut privilégier la sécurité du montant. Il est ainsi possible d’augmenter son revenu à la retraite avec des produits d’épargne facultatifs qui comportent des avantages fiscaux, y compris le rachat d’années. Selon le régime d’imposition, 30 % de l’effort d’épargne peut être ainsi payé par l’impôt », plaide Christian Carrega.
Au regard de la complexité des situations, Pascale Gauthier insiste sur la nécessité d’établir un canevas pour permettre au cadre de se projeter dans le futur. « Les questions sont à poser en priorité à la RH qui a la meilleure information sur le potentiel de l’agent et sa possibilité d’évolution de carrière », affirme-t-elle. Au rang de ce questionnaire, la consultante préconise de retracer la carrière privé/public, s’il y a lieu, de déterminer la provenance de la retraite en conséquence, de calculer le nombre de trimestres tous régimes confondus, d’inclure les trimestres accordés par enfant (quatre dans le public, huit dans le privé), l’employeur à la date de la naissance étant déterminant… Enfin, dernière question à soulever : comment compenser la perte de revenu ? De quelle marge de manœuvre le cadre dispose-t-il en fonction de ses projets ?
Outre un potentiel investissement dans les produits de retraite supplémentaires cités plus haut, l’éventualité du rachat de trimestres et la possibilité de les transférer dans l’un ou l’autre régime doit être soulevée. « Le rachat peut avoir du sens en fin de carrière. On peut certes y penser très tôt, d’autant que le coût sera plus faible si l’on est jeune. Pour autant, nul n’est à l’abri d’une nouvelle réforme et ne peut présager si, au final, ce rachat sera rentable », précise Christian Carrega. Beaucoup de cadres de la santé publique se trouvent en effet confrontés à la validation de périodes antérieures à leur titularisation. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui qu’il faut désormais comptabiliser 170 trimestres au lieu de 156 autrefois. « Certaines questions se posent cependant. Si l’on rachète la durée, quel en est cependant l’impact sur le montant de la retraite ? Comment comparer le montant des retraites tous régimes confondus avant et après validation de ces périodes et transfert des cotisations d’un régime à l’autre ? », interroge Pascale Gauthier.
Privés ou publics, les établissements ont accentué leurs efforts ces derniers temps sur l’information du personnel. Certaines lacunes subsistent toutefois en ce qui concerne le volet financier. S’il n’y a aucun sens à se préoccuper de son dossier retraite dix ans avant le départ envisagé, une simulation chiffrée en termes de pension apparaît pertinente à cinq ans de la retraite. C’est ce que propose, par exemple, le Centre hospitalier de Valenciennes (Nord) à l’issue de réunions annuelles au cours desquelles sont exposées aux cadres et aux autres personnels les modalités de départ à la retraite. Ces réunions sont destinées à préparer la transition dans la sérénité. « Cet accompagnement est très apprécié car le départ à la retraite est souvent vécu comme un moment stressant de par ses aspects réglementaires mais aussi psychologiques », constate Agnès Lyda-Truffier, DRH du CH de Valenciennes.
Anticiper le moment de la retraite n’est pas seulement l’affaire des cadres. Il concerne également les établissements, soucieux de les accompagner. Pour les directions, l’enjeu est double, car il s’agit également d’assurer la relève. Les échanges sont tout d’abord engagés de manière informelle avec les cadres. Une fois leur décision prise, leur remplacement sera progressivement envisagé.
« Depuis plusieurs années, un jury est organisé à l’intention des infirmières et des autres soignants qui ont le projet de devenir cadres. Nous leur proposons de prendre connaissance du poste, accompagnés par un référent qui assure le coaching. Quand ces personnes estiment disposer de la maturité suffisante, elles présentent leur projet à un jury. S’il est approuvé, elles pourront faire fonction de pendant un an, durée d’observation au cours de laquelle elles seront accompagnées dans leur préparation au concours de l’école des cadres », décrit Agnès Lyda-Truffier. Elle précise que, grâce à ce dispositif, son établissement possède en permanence un vivier de cinq à six personnes inscrites à l’école des cadres.
Sous l’aspect organisationnel des structures, un meilleur tuilage, notamment sur les fonctions de cadres extrêmement rares, en médecine nucléaire, oncologie…, peut être rendu possible par la retraite à la carte, l’une des revendications phare de la CFDT cadres
(1) Le droit d’option, prévu par les dispositions de l’article 37 de la loi du 5 juillet 2010 permet aux cadres de santé soit d’opter individuellement pour le maintien dans le service actif permettant un départ anticipé à la retraite, soit d’opter pour l’intégration dans le nouveau corps des cadres de santé “sédentaires” et sa grille indiciaire. Dans ce cas, ils bénéficient d’un âge d’ouverture du droit à pension fixé à 60 ans (sources CNARCL). À titre d’exemple, au sein du Centre hospitalier de Valenciennes, 14 % des 103 cadres soignants ont opté pour le statut actif en restant positionnés sur les anciennes grilles. 86 % ont été positionnés sur de nouvelles grilles à la suite de l’exercice de leur droit d’option ou parce qu’ils ne disposaient pas de ce droit d’option obtenu par ancienneté.
(2) L’assiette du régime porte certes sur les primes et indemnités des fonctionnaires, mais elle est plafonnée à 20 % du traitement de base des agents.
(3) Retrouver la synthèse de l’enquête “Travail et temps” via bit.ly/2gV9VIb
(4) En 2011, la CFDT Cadres a négocié une majoration de la retraite complémentaire pour les personnes ayant encore des enfants à charge alors qu’elles sont en retraite.
Directeur des ressources humaines, directeur référent du pôle Spé. cancer, au centre hospitalier intercommunal de Créteil (Val-de-Marne), vice-président de l’AdRHess (Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux)
→ Objectif Soins & Management : En quoi la retraite des cadres de santé constitue-t-elle une question de ressources humaines à part entière ?
Mathieu Girier : Depuis le début des années 2000, nous avons eu à gérer régulièrement le départ en retraite des cadres, 40 à 45 % des cadres de santé et des cadres supérieurs étant partis à la retraite. C’est dire si le sujet de leur renouvellement a préoccupé les directions des ressources humaines au cours des dernières années.
→ Objectif Soins & Management : Les modifications du système de retraite ont-elles influé sur ce phénomène ?
Mathieu Girier : L’option entre les statuts actif/sédentaire amenée par la loi de 2010 a certes créé un appel d’air assez marqué entre 2010-2013. Cependant, c’est aujourd’hui que nous en remarquons particulièrement les effets. De fait, les cadres qui auraient dû partir à la retraite plus tôt mais qui ont prolongé en raison de leur option pour le statut de sédentaire se retrouvent aujourd’hui aux portes de la retraite. De plus, les modifications apportées par la loi sur la retraite ont rendu possible le départ à la retraite pour des motifs qui n’existaient pas jusqu’alors. Cette nouvelle donne a apporté plus de modulations auxquelles les établissements doivent faire face. Auparavant, il était possible de prévoir le départ à la retraite d’un cadre en fonction de son âge, et donc d’anticiper. Ceci est moins le cas aujourd’hui.
→ Objectif Soins & Management : Quelles en sont les conséquences pour la gestion des ressources humaines ?
Mathieu Girier : Il est à noter que cette nouvelle flexibilité entraîne un manque de visibilité à moyen terme. Il faut par ailleurs rappeler que, parallèlement, les capacités des établissement à renouveler rapidement ses cadres sont limitées. En effet, on ne “fabrique” pas un cadre dans un délai aussi court. Aussi ces deux données requièrent un développement particulier du pôle gestion. Reste ensuite la question des postes à risques, c’est-à-dire ceux sur lesquels on peut perdre des compétences rares. Il est donc indispensable d’anticiper fortement sur ces départs à la retraite et donc sur le remplacement de ces cadres. Un délai de trois ans s’avère nécessaire. Le cadre reste bien entendu libre de ses choix mais plus nous sommes informés en amont et plus nous disposons d’orientation. Pour les fonctions rares, une année de formation est nécessaire à la personne qui assurera le remplacement. Il faut au préalable identifier le profil compatible. Cela suppose ensuite un transfert des connaissances. Dans ces situations, la GPMC (Gestion prévisionnelle des métiers et des compétences) n’est pas une option !
→ Objectif Soins & Management : Quelles sont vos prévisions à moyen terme ?
Mathieu Girier : C’est un fait que la pyramide des âges peu à peu se rééquilibre. Les agents devenus cadres dans les années 1970, lorsque de forts besoins se sont fait ressentir, ont constitué une vague importante de départs à la retraite. Je ne sais pas si dans les années à venir nous gagnerons en visibilité. Toutefois, je pense que les conséquences de la loi de 2010 se lissent peu à peu. Nous allons bientôt être en présence d’une génération se trouvant dans une seule et même catégorie, celle des sédentaires. La situation en sera simplifiée.