Objectif Soins n° 251 du 01/12/2016

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Sylvie Palmier ne se contente pas de venir au secours de ses collègues impuissantes face à une plaie complexe, elle a pour objectif de les amener au même niveau d’expertise qu’elle. Pour cette infirmière référente plaies et cicatrisation au CHU de Montpellier (Hérault), derrière chaque plaie, il y a d’abord un humain.

Objectif Soins & Management : Vous exercez dans un domaine extrêmement technique…

Sylvie Palmier : Il y a un humain derrière la plaie. Dans le domaine des plaies et cicatrisation, les jeunes professionnels ont parfois tendance à privilégier la technique qui est, certes, essentielle, et nous questionne très souvent sur le choix du pansement à faire. Or il est extrêmement important de veiller à ne pas passer à côté d’éventuels problèmes psychologiques associés. On ne soigne pas une plaie mais un patient porteur d’une plaie. L’objectif de soins ne peut être posé qu’à partir de là. Il est nécessaire d’aller à la recherche de l’impact de cette lésion sur la vie de tous les jours et de décider avec les patients et les médecins d’un objectif partagé.

OS&M : Comment mettez-vous cela en place ?

Sylvie Palmier : Lors de nos visites d’infirmières consultantes plaies et cicatrisation, ma collègue et moi nous sommes aperçues que les soignants sont à l’écoute de leurs patients, mais ils posent rarement des questions sur le vécu de leur plaie. Du coup, à la fin de la consultation, nous nous appliquons à ouvrir ce dialogue avec le patient à chacune de nos interventions dans les services. Cela commence par interroger le patient sur sa compréhension des échanges entre nous et son infirmière. Puis il suffit de poser des questions toutes simples comme « Qu’est-ce qui vous gêne dans cette plaie ? » ou encore « Qu’est-ce qu’elle vous empêche de faire dans votre vie ? ». Ainsi, nous montrons à nos collègues comment s’y prendre, en insistant sur l’importance de mesurer l’impact sur la qualité de vie qui permet de rendre le patient partie prenante de sa guérison.

OS&M : Comment en êtes-vous arrivée à vous spécialiser dans le domaine des plaies ?

Sylvie Palmier : Peu de temps après mon diplôme, j’ai intégré un service de dermatologie. J’y suis restée dix ans. C’était un service très diversifié dans lequel j’ai eu à prendre en charge des plaies de toutes sortes. Et lorsque le Pr Guilhou a créé un diplôme universitaire plaies et cicatrisation avec le Dr Teot, j’ai sauté sur l’occasion. C’était un diplôme ouvert aux infirmiers et aux médecins, qu’ils exercent en établissement ou en libéral. Cette découverte du monde libéral a été essentielle pour moi. D’ailleurs, dès la fin de la formation, nous avons créé une association avec d’autres étudiants : le Réseau ville-hôpital plaies et cicatrisation du Languedoc-Roussillon. Nous étions alors dix à quinze infirmiers et médecins. L’objectif étant de former d’autres professionnels et de nous entraider.

OS&M : Quand avez-vous commencé à travailler en transversal dans votre établissement ? Quelles sont vos missions ?

Sylvie Palmier : En 2000, la cadre supérieure du groupe Escarres du CHU m’a repérée et m’a proposé ce projet d’unité dédiée sous la hiérarchie de la Direction des soins. J’y ai exercé seule pendant neuf ans. Désormais, nous sommes deux IDE à temps partiel. Dans le domaine clinique, nous sommes amenées à répondre aux appels de nos collègues en difficulté face à la prise en charge d’une plaie. Mais nous nous occupons aussi de formation, qu’il s’agisse des étudiants infirmiers et étudiants aides-soignants ou de la formation continue. Lorsque j’ai démarré, je n’avais pas de connaissances solides en pédagogie. C’est pourquoi j’ai intégré un DU de formateurs adultes en 2003. En trois ans, je m’étais rendu compte que ce que j’enseignais n’était pas toujours appliqué. C’était lié au fait que je n’avais pas assez bien défini mes objectifs pédagogiques. Vouloir enseigner à l’autre sans tenir compte de son niveau de connaissances et sa capacité à s’approprier l’enseignement est peu efficace.

OS&M : Pouvez-vous me donner un exemple de ce que cette formation vous a apporté ?

Sylvie Palmier : J’ai compris, par exemple, qu’il valait mieux leur enseigner à observer correctement une plaie plutôt que de se lancer directement dans la présentation de toutes les pathologies. Avec les cadres enseignants en Ifsi du CHU de Montpellier, nous avons donc monté tout un parcours progressif d’enseignement sur les trois ans. Et, sur le terrain, au lieu de donner la solution au problème pour lequel nous sommes appelées, nous aidons nos collègues à cheminer et à trouver eux-mêmes la solution. Tout expert doit travailler à sa propre disparition. Ce qui est compliqué à admettre par certains a été une véritable révélation pour moi.

OS&M : Puis vous avez pu élargir votre zone d’action…

Sylvie Palmier : Comme dit précédemment, après neuf ans d’exercice en solitaire, une collègue a été recrutée pour travailler avec moi. Entre-temps, l’association ville-hôpital ayant obtenu des financements par l’Agence régionale de santé, la Direction des soins nous a demandé de collaborer avec eux, à hauteur de 10 % de mon temps de travail. Il est essentiel de comprendre que le patient n’est pas seulement à l’hôpital ou seulement en ville : il passe de l’un à l’autre. C’est pourquoi nous continuons de partager avec eux, notamment dans l’organisation des formations continues des experts de la ville. Nous participons également toujours aux formations communes réunissant médecins et infirmières des deux secteurs.

OS&M : En dehors de cela, travailler à deux a-t-il changé autre chose ?

Sylvie Palmier : À deux, nous avons pu faire évoluer notre activité de consultation infirmière “de deuxième ligne”, une expression qui désigne ce que nous faisions déjà avant sans le savoir. Nous étions beaucoup appelées sur le terrain mais la construction des savoirs des agents nous semblait insuffisante. Un grand nombre à l’origine des appels relevait, et relève encore, de problématiques qui devraient être traitées sur place sans difficulté, en somme sans recours à des personnes expertes. L’inflation des appels mettait également en exergue une insuffisance de personnes relais dans les services de l’établissement. Certes, nous formions en formation continue beaucoup d’infirmiers, mais le turn-over des équipes restant important, nous devions revoir notre stratégie interne, et nous réquisitionner sur nos manières de faire… En ville, un maillage efficace s’était bien installé mais pas dans l’établissement.

OS&M : Vous avez donc décidé d’approfondir encore vos connaissances pédagogiques…

Sylvie Palmier : Mes directeurs des soins souhaitaient me voir devenir cadre mais ce n’était pas mon vœu. Je me sentais plus efficace dans une relation de pair à pair. C’est pourquoi je me suis plutôt tournée vers un master de sciences de l’éducation. Acceptée en master 2 par le biais de la validation des acquis professionnels, j’ai opté pour le e-learning. Une expérience difficile mais que je voulais m’imposer avant de proposer des formations par ce biais. Ma collègue ayant un projet de master en sciences cliniques infirmières, nous devenions ainsi encore plus complémentaires.

OS&M : Qu’avez-vous découvert durant cette formation ?

Sylvie Palmier : J’ai été confrontée à de nombreux concepts que je ne connaissais pas, étant entrée directement en master 2. Cela m’a demandé des efforts considérables. Travaillant toujours à 80 %, je me levais très tôt le matin et je me couchais très tard le soir… Mais cela en valait la peine. Dans mon mémoire, j’ai écrit que je remerciais mes proches. Mais le soutien familial dans ces circonstances est essentiel. C’est une réalité. Ce que j’ai découvert de plus important, c’est comment mieux me positionner face aux collègues pour leur apprendre à faire, et non faire à leur place. Il est difficile de mesurer le positionnement qu’on peut avoir, la manière de communiquer et d’évaluer les avancées des autres.

OS&M : Dites m’en plus sur votre sujet de mémoire, “La didactique de la consultation infirmière de 2e ligne en plaies et cicatrisation”…

Sylvie Palmier : Ma collègue a été mon sujet d’étude. Il s’agissait de mettre en évidence les manières de faire et de réfléchir sur les comportements attendus, tout en aidant à faire avancer l’autre dans ses propres comportements. Concrètement, nous avons mené des auto-confrontations simples. Je l’ai filmée durant des consultations puis nous avons regardé les films ensemble. Moi, je la sollicitais pour qu’elle explique ce qu’elle était en train de faire, comment, pourquoi… Du coup, elle analysait sa propre pratique, elle a commenté ce qu’elle avait fait, elle a évoqué ce qu’elle aurait pu mieux faire et ce qu’elle avait été empêchée de faire. Et c’est là toute la découverte de l’exercice dans lequel j’ai pu voir ma collègue transformer sa manière de faire.

OS&M : Par exemple ?

Sylvie Palmier : On est censé former nos collègues et évaluer leur niveau de compréhension. À travers le film, elle s’est aperçue qu’elle n’avait pas été au bout de cette évaluation malgré la sensation de le faire correctement jusqu’alors. Ses questions n’étaient pas assez précises. Nous nous sommes également rendu compte que nous prenions trop facilement la main pour régler les problèmes. Il n’y avait pas vraiment de moment post-consultation formalisé, à distance du soin, pour faire le point avec la personne sur sa manière de voir les choses face à ce même type de situation. Nous pensions plus à l’évaluation de l’état du patient qu’à celle des compétences de nos collègues. À partir de là, notre temps ne nous permettant pas de faire systématiquement ces moments post-consultations, nous avons choisi de modifier notre accompagnement des infirmières relais que nous avons formées, et d’imposer ces moments post-consultations avec elles.

OS&M : Comment formez-vous désormais ces infirmières relais ?

Sylvie Palmier : Elles suivent une formation initiale de trois jours. Ensuite, elles s’engagent à faire appel à nous lors de confrontations à leurs patients porteurs de plaies. Avec l’accord des patients, nous filmons l’entretien et nous refaisons des auto-confrontations simples quelques jours après. Ce principe de réalisation de séquences filmées s’étale sur six mois environ. À la fin, nous passons une journée complète ensemble afin de visionner des séquences filmées comprenant différentes situations, et chacun apporte sa manière de voir. Ce partage a pour but de renforcer leurs connaissances, mais surtout de réfléchir sur leur positionnement en tant qu’infirmières correspondantes plaies auprès de leurs collègues. Nous formons ainsi une douzaine de personnes par an. Elles sont nommées correspondantes plaies, des agents de terrain que nous allons prioriser dans les appels afin de renforcer l’accompagnement. Nous mesurerons l’impact de ce nouveau fonctionnement l’an prochain au travers de la conduite d’une évaluation des pratiques professionnelles en cours.

OS&M : De plus en plus, les patients sont soignés en ambulatoire ou en courts séjours. La charnière hôpital-ville est-elle assez efficace pour absorber ce virage ?

Sylvie Palmier : Ce n’est pas encore l’idéal. L’infirmière hospitalière essaie de faire au mieux mais, lorsque le patient sort, elle a du mal à communiquer avec l’infirmière libérale. Notre réseau a pour objectif d’être un facilitateur de cette étape. Ce qu’on demande au minimum, c’est que l’infirmière exerçant en établissement crée un document de traçabilité fiable et transmis à la bonne personne. Avec le vieillissement de la population, nous avons affaire à des plaies de plus en plus complexes. Du coup, cette étape et le rôle du réseau sont essentiels. Aujourd’hui, plus que jamais, la priorité donnée à l’ambulatoire et aux hospitalisations courtes oblige une réponse adéquate et à une collaboration étroite de tous les acteurs.