Ce qu’apporte le Code de déontologie des infirmiers - Objectif Soins & Management n° 252 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 252 du 01/01/2017

 

Droit

Gilles Devers  

Publié le 27 novembre 2016 par décret au Journal officiel, le code de déontologie des infirmiers comprend l’ensemble des droits et devoirs des infirmiers, quels que soient leurs modes ou lieux d’exercice. Analyse du décret n° 2016-1605.

Au sens strict, la déontologie est « l’étude des devoirs qui incombent aux professionnels dans l’exercice de leur profession ». En ce sens, la déontologie se trouve dans une situation très particulière au sein des règles juridiques : en effet, il s’agit d’un ensemble de règles de droit, mais ces règles ont un contenu moral. Un certain nombre d’articles visent directement des valeurs morales, comme la loyauté et le désintéressement, et si d’autres ont un contenu juridique plus précis, ces règles de droit sont rédigées comme incluant le devoir de les respecter.

TOUTE RÈGLE DE DROIT DOIT ÊTRE RESPECTÉE

Certes, le droit fixe des règles qui s’appliquent à tous, mais, par principe, il ne revient pas à la loi de définir les conduites à adopter. La loi fixe simplement les limites à ne pas dépasser. Or, avec la déontologie, on ne se contente pas de définir ces limites : le texte indique comment il va falloir agir, car la déontologie est une règle juridique et morale. La règle déontologique est globale et contraignante, plus que ne l’est la règle de droit courante. Elle regroupe des règles de nature morale, mais en prévoit la sanction afin d’en assurer le respect. Avec la déontologie, la morale entre dans le champ du droit.

Le droit, d’une manière générale, pose l’interdit du vol et du meurtre. Le Code pénal dit que celui qui commet l’infraction de vol sera poursuivi par le procureur et risque une peine de prison. Dans la logique déontologique, la règle devient plus directe : « Tu ne dois pas voler, tu ne dois pas tuer. » De même, là où la loi sanctionne des actes constituant une discrimination, la déontologie demande de soigner tout le monde avec conscience et humanité. On passe d’une loi qui pose une limite à celle qui commande un comportement moral.

QU’EST-CE QU’UN CODE DE DÉONTOLOGIE ?

Formellement, un Code de déontologie est un décret qui regroupe les principales règles déontologiques. C’est donc un document utile, notamment sur le plan pédagogique, mais il n’est pas indispensable : la déontologie existe avant le Code. Depuis qu’il y a une pratique des soins infirmiers, il y a une déontologie infirmière, et cette déontologie repose sur des principes fondamentaux qui ne sont pas susceptibles d’être modifiés par un décret. D’ailleurs, ce Code est un décret qui est immédiatement inclu dans le Code de la santé publique (CSP). Ainsi, il ne faut pas inverser les choses : la question centrale est la déontologie, et le Code est avant un outil pratique. De ce point de vue, c’est une réussite, car il donne une bonne lecture de la déontologie.

LA LIGNE DIRECTRICE DU NOUVEAU CODE DE DÉONTOLOGIE

Synthèse et continuité

C’est une continuité directe avec le texte antérieur, à savoir le décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières. Ce décret était inclus dans le CSP aux articles R. 4312-1 et suivants, et il est remplacé par le décret du 25 novembre 2016, que l’on retrouve aux mêmes numéros du Code. Le décret de 1993 aurait pu être appelé “Code de déontologie” : c’était le même contenu et la même lecture morale du droit. C’est en outre une continuité avec le Code de déontologie médicale, car les principes sont communs, et plusieurs articles sont repris intégralement. Mais cette continuité est très importante, car le Code est interprété par les juridictions disciplinaires, et il est nécessaire que la jurisprudence dégage des notions solides et durables, et qui ne soient pas liées à telle ou telle profession.

Rôle de la jurisprudence dans la déontologie

Ce rôle est essentiel. Du fait de son caractère global, la déontologie inclut des notions très larges telles que la dignité du patient, la moralité, la conscience professionnelle… Aussi, il revient au juge disciplinaire, à l’occasion des poursuites exercées devant lui, de donner un contenu à ces notions et surtout d’en définir les limites. Dans l’affaire Milhaud, jugée le 2 juillet 1993, le Conseil d’État a souligné que la déontologie ne se limitait pas aux articles du Code, mais qu’elle reposait sur des valeurs supérieures, à savoir les « principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine ». C’est cela, la déontologie : lire les principes fondamentaux du droit au regard des enjeux spécifiques d’une profession. Le Code de déontologie ne doit pas être lu comme un simple décret, mais comme un texte qui amène à une réflexion.

À QUI S’APPLIQUE CE TEXTE ?

Ce texte s’applique à tout le monde ! C’est un décret, et un décret est opposable à tous. En particulier, il est opposable à des praticiens ou un employeur qui méconnaîtraient les règles professionnelles des infirmiers. Dans une affaire civile ou pénale, un tribunal qui aurait besoin de qualifier un comportement infirmier pour dire s’il s’agit ou non d’une faute pourra se fonder sur le Code de déontologie.

Déontologie et inscriptions à l’Ordre infirmier

Mais le texte dit que ces règles « s’imposent à tout infirmier inscrit au tableau de l’Ordre » (CSP, article R. 4312-1). Quid des infirmiers qui ne sont pas inscrits ? Cette ambiguïté n’est que d’apparence. Le texte a ici repris la formule que l’on trouve dans les autres codes de déontologie… et qui ne pose pas de problème dans la mesure où tous les professionnels sont inscrits à l’Ordre. Prenez l’exemple de la profession médicale : on ne va pas distinguer les médecins inscrits au tableau et les autres car tous sont inscrits. Pour ce qui est de la profession infirmière, il reste une large majorité qui n’est pas inscrite à l’Ordre. Pour ces professionnels, le texte s’applique en tant que décret, texte de portée générale, mais ils ne sont pas soumis aux remarques et sanctions de l’Ordre, qui n’a autorité que sur les personnes inscrites au tableau.

Comment interpréter l’article R. 4312-9 ?

Selon l’article R. 4312-9 : « L’infirmier s’abstient, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. » Un texte professionnel peut-il s’appliquer en dehors de l’exercice de la profession ?

Cette disposition fait partie des classiques de la déontologie, et on le retrouve dans toutes les professions organisées. Bien sûr, le cœur des règles déontologiques s’applique à l’occasion de l’exercice professionnel et, dans la vie privée, c’est la liberté qui reprend le dessus, sous le seul respect des lois civiles et pénales. Mais il a toujours été considéré qu’une profession doit être défendue en elle-même, et que, d’une manière générale, un professionnel devait respecter des règles de comportement en dehors de la profession, de manière à ne pas nuire à l’image de la profession et à la confiance qu’elle doit inspirer. Ainsi, un comportement relevant de la vie privée mais qui déconsidère la profession est une faute disciplinaire.

DÉONTOLOGIE ET FAUTE DISCIPLINAIRE

Vie privée et atteinte professionnelle

Le Code de déontologie ne prévoit pas l’interdiction du meurtre ou du trafic de drogue, mais un infirmier qui commettrait ses méfaits, sanctionnés par la loi pénale, heurterait également les règles déontologiques et pourrait être sanctionné par l’Ordre. C’est ainsi que M. Cahuzac a été radié de l’Ordre des médecins du fait de la fraude fiscale dont il était l’auteur.

La liberté de parole

Un point sensible se situe dans le débat public : un infirmier est libre de sa parole, et il est protégé par le statut de la liberté d’expression. Il peut notamment porter des critiques sur l’organisation de la santé ou de la profession, mais il doit faire attention de ne pas passer de la critique à la déconsidération dans les mots qu’il utilise. C’est en tout cas ce que demande l’article R. 4312-9.

UN ARTICLE TRÈS RÉPRESSIF ?

Non, il ne faut pas l’interpréter ainsi, et l’exemple des autres professions montre qu’il en est fait un usage de bon sens. En réalité, il faut en avoir une perception positive. L’idée fondamentale est que, pour une personne malade ou vulnérable, l’infirmier doit représenter un professionnel de confiance. Cette confiance est un bien collectif, et la déontologie appelle donc chacun à la prudence, pour consolider cette confiance en tant que bien commun.

LA RÉFÉRENCE À DES DISPOSITIONS DÉJÀ PRÉVUES PAR LA LOI

Le Code de déontologie est un décret, et il doit donc respecter les normes juridiques de valeur supérieure, à savoir la loi et les principes fondamentaux du droit. Sur le plan formel, certains articles qui se contentent de rappeler l’existence de la loi n’étaient pas indispensables. Mais, en réalité, ce que le texte veut, c’est que les professionnels cherchent à avoir une lecture de la loi liée aux enjeux professionnels. Par exemple, l’article R. 4312-3 pose pour principe que l’infirmier respecte « l’intimité du patient, de sa famille et de ses proches ». L’infirmier est donc promu comme garant de cette intimité, et il doit chercher, dans son comportement général, à appliquer les dispositions législatives dans cet esprit de protection de l’intimité.

LA PROTECTION DE LA DIGNITÉ DU MALADE

Le même article R. 4312-3 appelle à la protection de la dignité du malade. Comment apprécier cette notion ?

Si l’on perçoit bien ce que signifie l’intimité d’une personne, par le respect d’une zone préservée pour l’organisation de sa vie, par le soin pris à protéger sa pudeur, par la capacité de lui laisser vivre ses convictions religieuses et philosophiques, le terrain est effectivement beaucoup plus incertain s’agissant de la dignité, qui est un concept large et peu balisé. Un infirmier doit faire attention de prendre en compte ce concept tel qu’il est perçu par le patient, en évitant de calquer ses propres conceptions.

LE DROIT A-T-IL ÉVOLUÉ AVEC LA PUBLICATION DU CODE DE DÉONTOLOGIE ?

Non, le droit n’a pas évolué, mais il a été précisé. La déontologie s’intéresse aux devoirs des professionnels pour mettre en œuvre la loi et les principes fondamentaux du droit, et un décret ne pourrait pas bouleverser la matière. Par ailleurs, il existe un fond commun déontologique propre à toutes les professions, qui résulte de la jurisprudence. Ainsi, ce décret est utile parce qu’il regroupe et énonce clairement un certain nombre de règles qui étaient connues mais un peu dispersées. L’enjeu, désormais, n’est pas “d’appliquer le Code”, mais de se servir de ce Code pour réfléchir à ce qu’est une vraie déontologie infirmière.

Principes généraux du décret n° 2016-1605

Article R. 4312-3

L’infirmier, au service de la personne et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine. Il respecte la dignité et l’intimité du patient, de sa famille et de ses proches. Le respect dû à la personne continue de s’imposer après la mort.

Article R. 4312-4

L’infirmier respecte en toutes circonstances les principes de moralité, de probité, de loyauté et d’humanité indispensables à l’exercice de la profession.

Article R. 4312-5

Le secret professionnel s’impose à tout infirmier, dans les conditions établies par la loi. L’infirmier instruit les personnes qui l’assistent de leurs obligations en matière de secret professionnel.

Information et consentement

Article R. 4312-13

L’infirmier met en œuvre le droit de toute personne d’être informée sur son état de santé dans le respect de ses compétences professionnelles. Cette information est relative aux soins, moyens et techniques mis en œuvre, à propos desquels l’infirmier donne tous les conseils utiles. Elle incombe à l’infirmier dans le cadre de ses compétences telles que déterminées aux articles L. 4311-1 et R. 4311-1 et suivants. Dans le cas où une demande d’information dépasse son champ de compétences, l’infirmier invite le patient à solliciter l’information auprès du professionnel légalement compétent. L’information donnée par l’infirmier est loyale, adaptée et intelligible. Il tient compte de la personnalité du patient et veille à la compréhension des informations communiquées. Seules l’urgence ou l’impossibilité peuvent dispenser l’infirmier de son devoir d’information. La volonté de la personne de ne pas être informée doit être respectée.

Article R. 4312-14.

Le consentement libre et éclairé de la personne examinée ou soignée est recherché dans tous les cas. Lorsque le patient, en état d’exprimer sa volonté, refuse le traitement proposé, l’infirmier respecte ce refus après l’avoir informé de ses conséquences et, avec son accord, le médecin prescripteur. Si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, l’infirmier ne peut intervenir sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. L’infirmier appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé s’efforce, sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5, de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement. En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, l’infirmier donne les soins nécessaires. Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, l’infirmier en tient compte dans toute la mesure du possible.

Protection de la personne

Article R. 4312-18

Lorsque l’infirmier discerne qu’une personne auprès de laquelle il est amené à intervenir est victime de sévices, de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles, il doit mettre en œuvre, en faisant preuve de prudence et de circonspection, les moyens les plus adéquats pour la protéger. S’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie ou de son état physique ou psychique, l’infirmier doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives.

Fin de vie

Article R. 4312-20

L’infirmier a le devoir de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Il a notamment le devoir d’aider le patient dont l’état le requiert à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Il s’efforce également, dans les circonstances mentionnées aux alinéas précédents, d’accompagner l’entourage du patient.

Article R. 4312-21

L’infirmier doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité de la personne soignée et réconforter son entourage. L’infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort.

Prescription médicale

Article R. 4312-42

L’infirmier applique et respecte la prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, quantitative et qualitative, datée et signée. Il demande au prescripteur un complément d’information chaque fois qu’il le juge utile, notamment s’il estime être insuffisamment éclairé. Si l’infirmier a un doute sur la prescription, il la vérifie auprès de son auteur ou, en cas d’impossibilité, auprès d’un autre membre de la profession concernée. En cas d’impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l’attitude qui permet de préserver au mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié.