Proposer et apprivoiser - Objectif Soins & Management n° 252 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 252 du 01/01/2017

 

Mélanie Pessel

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Mélanie Pessel est cadre de santé au sein de l’unité de soins du service endocrinologie et diabétologie en hospitalisation et éducation thérapeutique du CH Sud-Francilien (Corbeil-Essonnes). Pour passer des rêves d’enfant qui se voyait au bloc opératoire à une cadre qui se préoccupe des personnes en précarité, il lui a fallu tout un parcours constitué de choix et de hasards. Un circuit centré sur la personne et le cœur du métier infirmier.

Objectif Soins et Management : Vous rêviez du bloc opératoire depuis votre enfance mais vous avez finalement fait la majeure partie de votre carrière en aidant des personnes défavorisées. Comment expliquer cela ?

Mélanie Pessel : Les hasards de la vie et les rencontres aussi. Quand j’étais petite, je rêvais de devenir Ibode. Dans la mesure où j’étais bonne à l’école, on m’a poussée à faire médecine alors que j’avais l’intuition que le soin infirmier était ce qui me convenait. J’ai donc suivi une première année de médecine, puis une seconde première année. Dès le mois de novembre, je me suis rendu à l’évidence : c’était très scolaire, trop axé sur des petites parties du corps ou des pathologies. Je ne m’y retrouvais pas. Du coup, j’ai tout arrêté. J’ai suivi mon compagnon en Corse et nous avons eu un bébé ensemble. Il travaillait dans le milieu de la restauration que je connaissais bien pour y avoir fait des petits boulots dès l’âge de seize ans. Mais l’envie de devenir soignante ne m’avait pas quittée. Le fait de devenir mère m’a également apporté de la maturité, j’imagine.

OS&M : Y avait-il des possibilités de vous former en Corse ?

Mélanie Pessel : Justement, non. C’est la raison pour laquelle nous sommes revenus en Bretagne, ma région natale. J’ai alors pu trouver un travail d’agent de service hospitalier, tout en préparant le concours d’entrée à l’Institut de formation en soins infirmiers. En 1996, j’ai donc commencé mes études d’infirmière grâce à une bourse et à l’argent que j’avais accumulé durant mes mois de travail. Il a tout de même fallu que je continue les vacations d’aide-soignante en dehors de mes cours et de mes heures de stage.

OS&M : Vous qui rêviez de blocs opératoires, vous avez été rapidement séduite par les services de longs séjours…

Mélanie Pessel : Dès mon premier stage en établissement d’hospitalisation pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), j’ai adoré le suivi des personnes dépendantes, la prise en charge globale, le lien avec les familles… En fait, tous mes stages m’ont plu, quel que soit le secteur, du moment que la démarche soignante, le cœur de notre métier, y était présente.

OS&M : L’accompagnement des personnes en situation précaire, comment y êtes-vous venue ?

Mélanie Pessel : Après quelques années d’exercice, je souhaitais devenir cadre et j’avais réussi le concours d’entrée. Mais l’établissement privé pour lequel je travaillais considérait mon succès au concours comme une porte d’entrée vers un poste de “faisant fonction” alors que je voulais justement bénéficier de la formation pour me sentir légitime. Lorsque j’ai refusé le poste, on m’a annoncé que ma formation de cadre ne serait pas financée par l’institution alors que j’avais déjà pris mon billet de train pour la pré-rentrée. C’est alors que le directeur de l’Institut de formation des cadres de santé de Montsouris m’a expliqué que je pourrais bénéficier d’un financement par le Fongécif en région parisienne à condition d’y travailler.

OS&M : Vous avez donc trouvé, presque par hasard, le secteur professionnel qui vous a marqué pour toujours…

Mélanie Pessel : En effet ! Un poste était vacant au Samu social de Paris, et je l’ai accepté. J’y ai découvert l’univers extrahospitalier et la philosophie du Samu social qui est d’aller vers les gens pour leur proposer des soins ainsi que toute la complexité liée à la grande exclusion. En septembre 2008, je suis donc entrée à l’école des cadres, riche de cette expérience mais habitée d’une certaine appréhension à l’idée de m’éloigner de l’humain. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai continué à faire des vacations au Samu social durant cette année. Je voulais garder les pieds sur terre. D’ailleurs, j’avais affiché un post-it dans ma cuisine sur lequel j’avais écrit : « Le patient reste au centre de mes préoccupations. »

OS&M : Aviez-vous raison de penser que devenir cadre éloignait du patient ?

Mélanie Pessel : C’était une crainte légitime mais j’avais tort. Et pourtant, j’ai vécu le “syndrome de l’imposteur” comme de nombreux étudiants : il s’agit de la crainte qu’on vous demande trop d’efficacité dès votre retour de la formation sans avoir assez d’expérience en amont, voire également sans avoir les compétences. Finalement, j’ai réussi à dépasser tout cela et à mettre en résonnance mes acquis avec ce que j’apprenais. Mon sujet de mémoire, “Prendre soin de la grande exclusion : caractéristiques et spécificités”, tendait à décrire une manière d’accompagner les équipes. J’y ai été aidée par les cadres et le directeur du Samu social. Ils m’ont donc proposé un poste à la sortie.

OS&M : Entre-temps, vous avez passé un peu de temps en Guyane. Les problématiques liées à la pauvreté y sont-elles différentes ?

Mélanie Pessel : Extrêmement différentes ! Il s’agissait de mon stage optionnel d’étudiant cadre. Là-bas, la grande exclusion est très différente. Déjà, la météo est différente. De plus, la pauvreté touche des gens très jeunes. Ensuite, les drogues dures et la prostitution y sont omniprésentes. Je me souviens en particulier d’une jeune fille mineure, native du Surinam et prostituée, qui avait été enlevée quelques jours par des clients. Nous nous sommes trouvés face à des complications administratives sans fin pour essayer de lui trouver un foyer. Du coup, elle a disparu avant que nous puissions faire quoi que ce soit pour elle. Cela dit, je me souviens aussi d’une équipe extraordinaire qui se décarcassait pour chacun.

OS&M : À votre retour, le poste de cadre au Samu social n’était pas encore créé. Qu’avez-vous fait ?

Mélanie Pessel : Le Cash (Centre hospitalier d’accueil des services hospitaliers) de Nanterre (Hauts-de-Seine) m’a contactée pour un poste au Chapsa (Centre d’hébergement et d’accueil pour les personnes sans abri). Il faut se souvenir que, jusqu’en 1993-1994, les sans-abri étaient “ramassés” chaque soir à Paris et déversés en bus à Nanterre avec ou sans leur assentiment puisque le délit de vagabondage était encore inscrit dans le Code pénal. Parmi les médecins responsables de la consultation médicale de l’endroit, dont Xavier Emmanuelli, une réflexion est née autour de l’inadéquation entre le système de soins mis en place et les réels besoins de ces personnes qui n’étaient pas respectées ni écoutées. C’est ainsi qu’est créé le Samu social en 1994 dont la philosophie est de proposer plutôt que d’imposer, d’apprivoiser, de créer un lien. Le soin devient alors un médiateur pour ramener les gens vers les relations humaines et la société. Depuis, un long chemin a été parcouru mais je me suis tout de même trouvée en poste au sein d’une structure de 250 lits où les gens arrivaient par groupes de cinquante. Difficile de prévoir une prise en charge individuelle…

OS&M : Vous n’y êtes restée que deux mois. Avez-vous pu faire avancer les choses en si peu de temps ?

Mélanie Pessel : Oui ! Et cela a donné du sens à mon passage bref dans cette structure. J’ai participé à deux avancées notables. D’abord, que les dortoirs réunissant huit à dix personnes soient transformés en chambres de quatre à six. Ensuite, que dans la procédure d’accueil, on supprime l’expression “personnes ramassées” pour la transformer en “personnes amenées par le bus”. Cela n’a l’air de rien, mais les mots ont leur poids.

OS&M : Puis le poste de cadre au Samu social a enfin été disponible pour vous…

Mélanie Pessel : Là, je me suis trouvée dans une structure à taille humaine en septembre 2009. Trente lits. Il s’agissait d’un “centre de lits infirmiers”, LHSS (lits halte soins sante) qui permet à des personnes sans domicile de bénéficier de soins qui sont généralement prodigués par des infirmiers libéraux quand on a un toit. Notre centre était ouvert jour et nuit, tous les jours, avec une équipe dont une infirmière présente. J’y ai vécu des moments intenses. La dynamique d’équipe y était extrêmement intéressante et porteuse de projets. Certaines personnes restaient chez nous 24 heures et d’autres deux à trois ans. Personne n’était mis dehors au petit matin, contrairement à nombre de centres.

OS&M : On vous sent passionnée. Pourtant, vous avez quitté cette structure. Pourquoi ?

Mélanie Pessel : Je suis un enfant de l’hôpital (rires). En 2012, j’attendais un nouvel enfant et, lors de mes consultations prénatales, j’ai eu envie d’y retourner. Mais je souhaitais également continuer à poursuivre ce que j’avais découvert en gérant ces lits du Samu social, la prise en charge en pointillés de la personne dans sa pathologie chronique et la gestion de réseaux ville/hôpital. C’est alors que j’ai trouvé une offre d’emploi liée au suivi du diabète à Corbeil-Essonnes, dans un établissement qui allait passer la certification V2010, un défi supplémentaire. Dès la fin de mon congé maternité, j’ai démarré. Je me suis immédiatement appliquée à définir ce qui était lié à la fonction de cadre et ce qui était lié aux problématiques institutionnelles pures pour définir mon projet. Je me suis rendu compte que la diversité de mes expériences représentait un atout. J’ai beaucoup de chance d’avoir une équipe et des collègues cadres avec lesquels nous pouvons élaborer des projets constructifs.

OS&M : Vous insistez sur la nécessité du travail en transversal…

Mélanie Pessel : Oui ! Il faut absolument huiler cette phase de transition en allers et retours entre la ville et l’hôpital que vit le patient. Ce n’est pas encore bien construit. Je travaille beaucoup avec les étudiants infirmiers. Avec les cadres formateurs, nous avons défini des parcours de stages dans le service selon leur niveau d’études, en lien avec des tuteurs. Je leur demande de détailler une “cible prévalente”, c’est à dire l’étude d’un symptome, d’une complication ou d’une réaction à la fois liée à la pathologie et au rôle infirmier. Ils doivent rédiger un court texte explicatif sur lequel nous travaillerons ensemble afin de développer le raisonnement clinique.

OS&M : Vous vous trouvez face à des gens souvent démunis et un peu perdus. Comment travaillez-vous sur l’éducation thérapeutique ?

Mélanie Pessel : Je préfère parler de posture soignante. Il est essentiel de tenir compte de l’environnement du patient et de sa singularité. Je vous donne un exemple : quand un infirmier ou un médecin demande à un patient diabétique de lui montrer son carnet de suivi et qu’il y trouve des glycémies très différentes de celles qui sont dans la mémoire du lecteur, il est possible de conclure que le patient “ment” ; il serait cependant plus intéressant de se demander s’il veut faire plaisir au soignant en lui montrant de “bonnes glycémies”. Il vaudrait mieux poser la question autrement : « Comment calculez-vous vos doses d’insuline ? » Ce qui ne met personne en défaut. On peut alors lui demander quel lien il fait habituellement entre sa glycémie et le calcul de ses doses. De même, lorsque le soignant lui demande comment il vit au quotidien avec son diabète, cela permet de relier les phases aiguës en lien avec son parcours de vie.

OS&M : Revenons sur ce lien entre la ville et l’hôpital qui a besoin d’être renforcé à l’heure actuelle…

Mélanie Pessel : Le problème, c’est que les différents acteurs ville/hôpital ont peur les uns des autres. Ils craignent de perdre leurs fonctions propres. Mon rôle est d’expliquer que cette évolution doit se faire et qu’il faut l’accompagner au mieux en collant au plus près des besoins des patients chroniques. En tant que cadre, j’estime indispensable d’accompagner les soignants autant que les patients. Si on reste dans le « c’était mieux avant », on ne s’en sortira pas. Il faut se saisir voire créer des outils permettant une fluidité dans ce lien.

OS&M : Les cadres aussi ont besoin d’aménagements pour continuer à se sentir efficaces et utiles…

Mélanie Pessel : J’élabore une vraie réflexion sur la gestion du temps de travail des cadres. D’abord, je m’autorise à dire “non” quand c’est nécessaire. Je n’accepte plus de réunions démarrant à 9 ou à 14 heures, plages horaires des transmissions des équipes infirmières auxquelles j’estime devoir assister afin de rester en contact avec le terrain. Si je dois arriver en retard à une réunion, tant pis ! Au niveau du pôle, nous avons également mis en place un dossier commun de manière à mutualiser les informations ou les outils qui ont été efficaces dans tel ou tel service. Cela évite que chacun cherche une solution alors que d’autres l’ont déjà trouvée. Nous mutualisons donc les outils les plus efficaces. Cela nous permet aussi de gagner en proximité humaine dans la mesure où la communication permanente entre les cadres permet de réaliser assez vite l’éventuel manque de réaction de l’un d’entre nous qui pourrait être en période de découragement. Dans ce cas, on va trouver un prétexte pour passer dans son service et échanger avec lui. Eh puis, nous nous entraidons en cas de difficulté.

OS&M : Du coup, vous sentez-vous à l’aise au milieu de ces fluctuations du monde médical actuel ?

Mélanie Pessel : Je fonctionne avec des projets. Face à cette mutation, soit on lâche tout, soit on accompagne les patients et les équipes soignantes pour faire au mieux. La routine et la tête dans le guidon sont souvent des freins à des changements porteurs d’espoir.