Promotion de la santé
En quelques années, l’innovation thérapeutique dans le traitement des cancers a bouleversé la prise en charge des patients. Dans ce nouvel environnement sans cesse en mouvement, la capacité des cadres d’oncologie à adapter l’organisation du travail et les pratiques de leur équipe est essentielle pour assurer la qualité et la sécurité des soins.
D’ici à 2020, on estime que 50 % de patients atteints d’un cancer seront traités par thérapie orale. Une révolution amorcée il y a une dizaine d’années et qui déjà a entraîné des profonds changements dans la prise en charge : désormais, nombre de patients suivent leur traitement à la maison. Pour accompagner cette nouvelle donne, les cadres ont eux aussi dû innover en adaptant l’organisation des soins et en faisant de la formation de leur équipe un enjeu stratégique. « Le travail et l’objectif du cadre doivent être de donner les bons outils à son équipe qui va prendre en charge les patients. Il faut qu’elle apprenne à utiliser ces nouveaux traitements, qu’elle connaisse leurs modalités d’administration, qu’elle sache ce qui doit être fait avant, pendant et après le traitement. Mais également qu’elle maîtrise leur toxicité et les effets secondaires à surveiller et que le patient devra aussi savoir repérer et signaler le plus vite possible », explique Pascale Dielenseger, présidente de l’Association française des infirmières en oncologie (Afic)
Dans ce contexte, le CLCC de Dijon a d’ailleurs mis en place depuis 2013 une prise en charge infirmière dans le cadre d’une consultation renforcée qui associe également en amont médecin et pharmacien. Objectif : évaluer avec le patient tout ce qu’il pourrait rencontrer comme difficultés lors de son retour à la maison. « Au regard de cet entretien, l’infirmière peut mettre en place des soins de supports, organiser l’intervention d’autres professionnels de santé ou encore proposer des ateliers d’éducation thérapeutique. Toute cette analyse se fonde sur la réflexion clinique de l’infirmière. Son but est vraiment de mesurer ce que le patient connaît de sa maladie, s’il est capable de gérer la prise de son traitement seul et la façon dont on peut l’aider pour y parvenir au mieux », insiste Christine Dorléan. Le management du cadre doit consister à favoriser le rôle de l’infirmière qui, grâce à ses compétences et son expérience clinique, va optimiser la prise en charge. « L’infirmière a vraiment un rôle d’interface entre le médecin et le patient dans ce type d’organisation des soins. La prise en charge s’est complexifiée et spécialisée au cours des années, c’est vrai pour les traitements oraux mais aussi pour l’ensemble des thérapies ciblées de plus en plus nombreuses. Or, au cours de la formation initiale des infirmières, l’enseignement de biochimie et des molécules n’existe pas. Il est donc nécessaire d’adapter leurs connaissances et de former les infirmières. Par exemple, qu’est-ce qu’un récepteur de cellule ou un inhibiteur de tyrosine kinase, à quoi ça sert et comment ça marche ? C’est d’ailleurs ce type de formation que dispense l’Afic tout au long de l’année ou par le biais de son congrès annuel et ses rencontres régionales », souligne Pascale Dielenseger. « Lorsqu’une nouvelle molécule est disponible, les cadres travaillent beaucoup avec les informations délivrées par les laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers ont quand même structuré des documents d’informations utiles qui sont facilitant pour former et informer les professionnels, même si, en interne, médecins et pharmaciens sont des personnes ressources indispensables », explique Frédéric Despiau, cadre de santé du département d’oncologie médicale de l’Institut Claudius-Regaud
« Il est désormais impératif que les patients entendent la même chose quel que soit l’interlocuteur à qui ils ont affaire durant le traitement. Si c’est blanc, tout le monde doit parler blanc ; idem si c’est noir. Les patients ont besoin des mêmes repères. C’est fondamental », déclare Christine Dorléan. Et ce qui vaut dans les murs de l’établissement vaut aussi à l’extérieur avec le réseau des professionnels libéraux (médecins, infirmières libérales…) et des pharmaciens mobilisés pour la prise en charge. Certains établissements mettent d’ailleurs sur pied des cessions de formation dédiées aux médecins libéraux et pharmaciens afin qu’ils se familiarisent avec les nouveaux traitements et nouvelles molécules car ils ont généralement très peu de patients qui suivent ce type de traitement dans leur patientèle. À l’Institut Claudius-Régaud à Toulouse où l’immunothérapie fait peu à peu son entrée, « nous sommes en train de mettre sur pied des réunions d’information et d’échange en direction des infirmières libérales afin qu’elles possèdent les données de base sur ces nouveaux traitements. L’idée étant de fluidifier la prise en charge commune et que les informations sur les patients circulent rapidement entre nous et elles », indique Frédéric Despiau. « Lorsqu’en 2013, nous avons débuté la prise en charge hors les murs, le dispositif ne concernait que les patients atteints d’une tumeur cérébrale mais, au regard des résultats très positifs enregistrés, nous avons décidé d’élargir ce protocole afin de mettre en place un véritable un parcours patient ville/hôpital sous thérapie orale. Depuis début 2016, tous les patients bénéficiant de ce type de traitement sont accompagnés ainsi. Par ailleurs, chaque jour, une infirmière et un pharmacien sont d’astreinte pour recevoir des patients à la suite des consultations non programmées », souligne Christine Dorléan.
À l’Institut Paoli-Calmettes
Au CLCC dijonnais, qui réfléchit également à la création de postes d’infirmières de pratique avancée, l’approche du suivi patient est assez similaire, avec un contrôle à distance du suivi de l’observance et des effets secondaires. En fonction des symptômes décrits par le patient, l’infirmière peut se référer à une grille d’aide à la décision et, le cas échéant, mettre en place une action ou, en première intention, organiser une consultation avec le médecin traitant. « Il est fréquent que nos patients habitent loin et, par conséquent, il est difficile, sauf urgence, de les faire revenir en dehors des rendez-vous programmés », explique Christine Dorléan. Une certitude : la directrice des soins ne souhaiterait plus jamais travailler autrement. « Tout le monde se concentre sur son métier, et on optimise vraiment le temps médical. Je suis convaincue que la prise en charge en oncologie ne cessera de progresser car elle est intrinsèquement liée à l’évolution des thérapies. Et heureusement, car si on travaillait comme il y a quelques années, ce serait une catastrophe ! Et puis s’adapter, c’est également l’intérêt du métier de cadre. »
Actuellement, plusieurs centaines de thérapies contre les cancers sont en cours de développement et si, à terme, peu se verront délivrer une autorisation de mise sur le marché (AMM), les essais cliniques sont un passage obligé – qu’ils soient précoces, comme les essais de phase 1, ou plus avancés, comme les phases 2 ou 3.
« La découverte d’un protocole est un travail d’équipe qui associe médecin investigateur, assistant de recherche clinique, cadre et parfois une infirmière, explique Pascale Dielenseger, présidente de l’Association française des infirmières en oncologie (Afic) et cadre du département des innovations thérapeutiques et essais précoces à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne). À ce stade, il s’agit d’évaluer la faisabilité de l’essai. La base est de suivre le guide du protocole à la lettre. Ainsi, tout ce qui n’est pas marqué n’existe pas, tout ce qui est indiqué doit être fait. »
→ DANS LES RÈGLES DE L’ART
Pour autant, la réalité se heurte parfois à l’idéal imaginé par les chercheurs. « À mon niveau, les questions que je dois poser sont de savoir si j’ai les moyens humains et matériels pour que l’essai soit conduit dans les règles du protocole et est-ce que la demande est également réalisable en termes de soins et de respect des bonnes pratiques. Par exemple, est-il possible de faire un prélèvement sanguin toutes les minutes ou de conserver au frigo des recueils urinaires ? Si tel n’est pas le cas, il sera nécessaire de revoir les modalités du protocole avec le promoteur de la recherche », poursuit la cadre. Dans le cas contraire, le guide est “disséqué” afin de rédiger le cahier infirmier. « Là encore, c’est une construction collective avec les cadres et les infirmières qui va détailler les modalités d’administration et de surveillance de l’essai mais aussi les conduites à tenir en cas de problème. Ce cahier doit être ensuite validé par l’investigateur car, en quelque sorte, il devient une prescription pour le temps de l’essai », conclut Pascale Dielenseger.