Objectif Soins n° 254 du 01/03/2017

 

Promotion de la santé

Gisèle Bendjelloul  

Depuis les récentes épidémies, plus personne n’ignore l’existence du virus Ebola. Il a été la cause de milliers de décès d’Africains jusqu’à atteindre l’Occident. Quelle trace laisse Ebola chez les soignants ? Expérience d’un établissement sanitaire de référence.

L’épidémie de 2014, située en Afrique de l’Ouest, a débuté en décembre 2013 au sud-est de la Guinée, avant d’atteindre le Liberia, la Sierra Leone dans un premier temps, puis le Nigeria, le Sénégal, les États-Unis, l’Espagne, le Mali et le Royaume-Uni. Cette épidémie, la plus meurtrière depuis la découverte du virus, est causée par la souche Zaïre du virus, la plus virulente de la famille de filovirus à laquelle appartient Ebola. La dissémination du virus, créant une épidémie sans précédent(1), est due à des facteurs politiques, culturels et environnementaux, majorée par des flux migratoires importants.

Le dernier point épidémiologique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 7 octobre 2015 déclare 28 639 cas d’infection et 11 316(2) décès affichant un taux de létalité de 40 %.

Le risque pandémique, mesuré à l’échelle mondiale, a été pour l’OMS(3) un point d’attention crucial dans la gestion de cette épidémie. Ainsi, de nombreux pays, dont la France, se sont préparés à l’accueil de patients potentiellement atteints du virus Ebola.

LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ DE RÉFÉRENCE EN FRANCE

Pour faire face à ces situations sanitaires exceptionnelles, le territoire français est découpé en sept « zones de défense et de sécurité » qui sont définies dans le Code de la défense(4). L’arrêté du 30 décembre 2005(6) désigne pour chacune de ces zones un ou plusieurs établissements de santé “référent (s) de zone” avec pour mission de coordonner la gestion de ces situations en collaboration avec les Agences régionales de santé (ARS) de zone et le ministère de la Santé. Ainsi, en France, neuf établissements de santé de référence (ESR) sont ciblés par cet arrêté(6), et pour l’Île-de-France, trois d’entre eux sont habilités à la prise en charge de ces cas Ebola : l’Hôpital d’instruction des armées (HIA), l’hôpital Necker-Enfants malades et l’hôpital Bichat-Claude-Bernard de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

L’EXEMPLE D’UN HÔPITAL DE L’AP-HP

L’hôpital Bichat-Claude-Bernard (AP-HP), situé dans le XVIIIe arrondissement de Paris, proche de l’aéroport international Roissy-Charles-de-Gaulle, a traditionnellement un rapport privilégié avec les populations migrantes en transit ou vivant sur territoire français. Cette caractéristique et l’expérience acquise lors des crises sanitaires telles que l’Anthrax en 2002, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003, la grippe H1N1 en 2009 et récemment le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-coV) en 2012 ont renforcé la culture du risque infectieux chez les professionnels de santé de l’hôpital depuis de nombreuses années. La préparation de l’établissement à l’épidémie du virus Ebola a donc été facilitée par cet état d’esprit.

Accueil des patients

L’accueil de patients atteints de maladie à virus Ebola a concerné les services de première ligne, c’est-à-dire le service d’accueil des urgences (SAU), le service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT), la réanimation médicale, la maternité et les laboratoires. C’est la cellule de crise “risque épidémique et biologique” (ou REB) qui a orchestré cette préparation en réunissant dès mars 2014 les principaux acteurs de ces secteurs, ainsi que les services stratégiques tels que l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH), la direction d’établissement, la direction des soins, le service de la qualité, la médecine du travail et celui de la communication.

La cellule de risque épidémique et biologique

L’objectif de cette cellule “risque épidémique et biologique” est de prendre des décisions collégiales, de coordonner les actions sur le site afin de favoriser une cohésion à l’ensemble et de déterminer les stratégies de communication interne et externe à l’établissement.

Le service des maladies infectieuses et tropicales

Le service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT), dirigé par le Professeur Yazdan Yazdanpanah, dispose depuis 2009 d’une unité “risque épidémique et biologique”, dotée de sept chambres à pression négative, avec, pour chacune, un sas d’entrée et un sas de sortie. Elle prend en charge les patients qui relèvent d’une pathologie à risque épidémique.

Être bien formé

La formation de tous les professionnels pour la prise en charge des patients atteints du virus Ebola, coordonnée par l’équipe opérationnelle d’hygiène, a débuté en août 2014 et a porté sur les principaux aspects de la prise en charge d’un patient : l’habillage et le déshabillage en combinaison étanche, les soins dans la chambre dont la gestion d’un prélèvement biologique (PCR sérique Ébola) et la gestion des déchets. Cinq mois plus tard, plus de 850 professionnels ont été formés avec un pool de treize formateurs cadres et médecins issus des services de première ligne.

Deux exercices (en septembre et en novembre 2014) reproduisant l’arrivée d’un cas possible par SAMU nous ont permis de réajuster nos pratiques et nos procédures, mais ont surtout révélé l’importance de la présence d’un “superviseur” pour guider les équipes à chaque étape de la prise en charge. Une astreinte d’encadrement 24?heures sur 24 et sept jours sur sept a donc été mise en place pendant toute la période de l’alerte sanitaire, avec un pool de quatre superviseurs (cadre supérieur de l’équipe opérationnelle d’hygiène, cadre paramédical du pôle, cadre supérieur de la réanimation et cadre du SMIT).

L’activité jusqu’en 2015

D’avril 2014 à mars 2015, le SMIT a reçu onze patients classés comme “cas possibles”(7) par l’ARS, l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’infectiologue référent. Deux de ces patients ont été déclassés rapidement après un nouvel interrogatoire, les neuf autres sont restés en isolement entre 24 et 72 heures dans l’attente du diagnostic. Aucun des patients n’était porteur du virus Ebola. Les diagnostics étiologiques ont montré : un patient atteint de paludisme à Plasmodium falciparum, un autre de la grippe B, un patient touché par une pneumopathie aiguë communautaire, un érysipèle, une bactériémie à Salmonella mineure et quatre étiologies n’ont pas été retrouvées.

La prise en charge de ces onze cas possibles a été, au final, un formidable exercice pour les équipes soignantes avec un partage d’expérience systématique. Cette situation a également permis à l’encadrement de se rendre compte de difficultés de fonctionnement, notamment en termes de ressources humaines, le travail en double équipe ne permettant pas de tenir dans la durée. Enfin, la fonction du superviseur a été l’élément central de cette expérience, apportant aux professionnels un accompagnement incontournable de chaque instant dans la mise en œuvre des procédures.

CONCLUSION

Aujourd’hui, la crise sanitaire est terminée, l’entrain et la pression sont retombés. Les formations ont été arrêtées au profit de l’activité quotidienne. Les gestes ne sont plus pratiqués et s’oublient. Pour notre établissement référent se pose désormais la question de la pérennisation des connaissances des professionnels. En somme, quelle est l’organisation à avoir en “temps de paix” qui permettrait le maintien des compétences des agents ?

Des pistes

Plusieurs pistes ont été discutées : faut-il prioriser le rôle du superviseur qui a montré toute son importance lors de l’accueil de cas possibles ? Faut-il former les professionnels uniquement lors d’une nouvelle crise grâce à des sessions de formation accélérée ? Faut-il maintenir une formation en continu de tous les professionnels de première ligne ? Faut-il cibler quelques services parmi ceux-là ? Quels investissements (temps, budget) cela représente-t-il ?

Une étude

Une étude des coûts et de l’efficacité de ces divers scenarii a été réalisée. Le dispositif de la formation continue a été retenu comme le moyen le plus efficace, bien que coûteux, de préserver sur du long terme les compétences des soignants. Il se décline en deux parties : pour tous les services de première ligne, une session théorique de sensibilisation aux risques épidémiques et biologiques de trois heures par agent et par an sera dispensée, puis, uniquement pour le SMIT et la réanimation, deux sessions pratiques d’habillage et de déshabillage seront réalisées par agent et par an. Ces sessions pourront s’accompagner de formations accélérées en cas de nouvelle alerte ainsi que de la reprise immédiate de l’astreinte des superviseurs.

Les conséquences

L’expérience de cette épidémie, corroborée par l’étude des coûts, a montré la nécessité de recruter au sein de l’équipe opérationnelle d’hygiène un coordinateur paramédical “risque épidémique et biologique” pour assurer le programme de formation. En effet, celui-ci compte 35 sessions théoriques et 47 sessions pratiques par an, auxquelles il faudrait rajouter 65 sessions en cas de nouvelle alerte.

Une des principales missions d’un établissement de santé de référence est avant tout celle de la formation des professionnels qui prendront en charge des patients à risque épidémique. Le choix du dispositif de formation repose, à ce jour, sur des concertations in situ. Actuellement, un référentiel est en cours d’élaboration pour rendre homogène ce dispositif au sein des établissements de santé de référence de France.

NOTES

(1) “Maladie à virus à Ebola : Pourquoi le virus a-t-il migré en Afrique de l’Ouest ?”, Marc Gozlan, journaliste à Sciences et Avenir (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2lZkRUM).

(2) “Rapport de situation sur la flambée de maladie à virus Ebola”, Organisation mondiale de la santé, 17 février 2016 (via le lien raccourci bit.ly/2mIDUmn).

(3) “Epidemic Pandemic Alert and Response”, World Health Organization, Regional Office for Africa, 2014.

(4) Code de la défense, article R1211-4.

(5) Arrêté relatif à la liste des établissements de santé de référence (bit.ly/2lZkARy).

(6) “Liste des établissements de santé de référence habilités pour la prise en charge des patiens cas possibles ou confirmés de la maladie à virus Ebola”, ministère de la Santé, 2014 (bit.ly/2mhIdHP).

(7) “Surveillance des infections à virus Ebola”, Définition de cas au 20 octobre 2014, à lire via bit.ly/2mkNLRP

Petite chronologie du virus Ebola

Découvert en 1976, c’est en République Démocratique du Congo (RDC), anciennement appelée Zaïre, quele virus Ebola a sévi pour la première fois. Les épidémies se sont succédé de 1976 à 2012 dans cinq pays d’Afrique centrale et orientale :

• la République démocratique du Congo,

• le Soudan,

• le Gabon,

• l’Ouganda,

• le Congo,

avec plus de 2 000 cas d’infection rapportés jusqu’en 2013 et plus de 1 500 décès*.

* “Répartition des épidémies à virus Ebola”, Leroy E, et al. Med Trop 2011 ; 71 : 111-121.