Objectif Soins n° 254 du 01/03/2017

 

Ressources humaines

Cécile Kanitzer  

Qu’est-t-il possible de proposer pour agir en faveur des directeurs des soins et particulièrement pour contribuer immédiatement à l’augmentation du nombre de candidats au concours ? La Fédération hospitalière de France (FHF), l’Association française des directeurs des soins (AFDS) et l’École des hautes études en santé publique (EHESP) se sont associées en 2016 pour porter une réflexion sur la fonction de directeur des soins.

La démarche a été de partager, entre la FHF, l’AFDS et l’EHESP, une vision de la fonction de directeur des soins (DS) pour que chacune en décline des actions emblématiques de leurs rôles et missions.

Pour la FHF, il en reste la satisfaction d’avoir servi un intérêt collectif en livrant l’idée d’une prospective qui peut devenir stratégique ou politique par ceux qui se l’approprieront.

Un an après, le constat est porté d’une lenteur opérationnelle du plan d’actions proposé mais davantage liée à d’autres éléments contextuels.

CONSTAT

Force est de constater que le nombre de DS diminue en France depuis quelques années.

Les arguments ont notamment été développés à partir d’une comparaison européenne des fonctions équivalentes aux DS en se limitant à un échantillon de pays outre la France : l’Angleterre, la Belgique et la Suisse. L’étude s’est également appuyée sur les résultats de l’enquête européenne HOPE (2010) qui portait sur le rôle des infirmiers et des sages-femmes dans le leadership et le management en Europe*. Ces derniers travaux clarifient la situation globale en Europe : 17 pays sont inclus dans cette recherche, et plus particulièrement la Suède, l’Allemagne, la Slovénie, la Belgique, Malte et le Portugal.

Les spécificités françaises sont :

• le concours d’entrée dans un grade ;

– la formation non universitaire et dans une seule école (l’EHESP) ;

• le processus de recrutement (à savoir un pouvoir de décision d’un chef d’établissement à partir de candidats postulant suivant une liste de postes publiée par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ou CNG) ;

• l’obligation légale d’un nombre d’années minimum d’exercice comme cadre de santé.

La place des soignants dans les équipes de directions varie d’un pays à un autre et parfois au sein d’un même pays, d’une structure hospitalière à l’autre.

Les infirmiers peuvent aussi accéder à des postes d’executive director, l’équivalent en France d’un directeur d’hôpital. Par ailleurs, dans beaucoup de pays, les lois n’empêchaient pas qu’un infirmier soit nommé directeur général d’hôpital. Toutefois, on retrouve souvent des professions médicales ou non soignantes à ces postes de direction. En effet, de nombreux pays ont pour objectif dans leur politique de santé d’accroître la participation des infirmiers et des sages-femmes dans le management et le leadership, comme la Belgique ou l’Espagne. La France semble être à contre-courant de cette observation. Et parallèlement, au moment de la réflexion portée par la FHF, le nombre de DS en France est en baisse.

PERTE D’ATTRACTIVITÉ DU MÉTIER ?

Trois phénomènes concomitants ont été observés sur cinq ans :

• une baisse du nombre de postes de DS en France ;

• une augmentation du nombre de places ouvertes au concours d’accès à la formation ;

• un nombre d’élèves DS en formation, inférieur au nombre de postes ouverts au concours.

Et, au final, un nombre insuffisant de DS pour répondre au nombre de postes vacants en France malgré une augmentation de places ouvertes à la formation : progression de cinq chaque année depuis cinq ans (passage de 35 places en 2012 à 55 en 2016).

Les données recueillies ont permis l’hypothèse selon laquelle le métier de DS connaît une perte d’attractivité. Mais ce constat est à mettre en perspective avec l’actualité et notamment certains regroupements hospitaliers : le nombre de postes de DS diminue en France et pourrait encore davantage diminuer suivant l’avis de la Direction générale de l’offre de soins. Les DS évoluent de plus en plus vers des activités de coordination de plusieurs établissements ou activités, assistés de cadres supérieurs de santé qui leur sont rattachés.

Des chiffres en baisse

Le nombre moyen de DS par établissement est de 1,9 en France, c’est-à-dire qu’il y a moins de deux DS en moyenne pour couvrir l’ensemble des activités de coordination de soins et d’institut de formation d’un établissement. La diminution du nombre de DS est aussi à corréler avec une évolution du profil et du nombre de postes tant ouverts que réellement vacants.

Cependant, le nombre de postes vacants chaque année est aujourd’hui difficilement quantifiable. En effet, un même poste vacant peut être publié plusieurs fois par le CNG, ce qui fait que l’addition stricte du nombre de postes publiés sur une année ne donne pas le nombre de postes réellement vacants.

L’EHESP précise en outre que de 2010 à 2015, le nombre moyen de candidats au concours d’entrée en formation d’élèves DS à l’EHESP est de 96 pour en moyenne 41 places. Le nombre moyen d’élèves accueillis en formation est de 35,6 pour 41 places ouvertes au concours. Enfin, de 2011 à 2014, il n’y a que 141 postes qui ont pu être pourvus sur les 268 proposés aux élèves en formation, soit 52,6 %.

Un corps vieillissant ?

Par ailleurs, le vieillissement du corps se poursuit d’année en année. La moitié des DS a plus de 55,7 ans, contre 55,4 ans en 2013. L’âge moyen d’entrée dans le corps se fait aussi de plus en plus tardivement passant de 48,4 ans en 2011 à 50,3 ans en 2013. L’exigence d’une expérience professionnelle minimale pour entrer dans le corps est une raison probable de cet âge médian.

Un DS ne peut débuter avant 32 ans. En réalité, les DS commencent rarement à cet âge. En effet, 56,5 % des candidats inscrits au concours en 2013 et plus de 71 % des lauréats sont des cadres supérieurs de santé (CSS). Pour accéder au grade de CSS, trois années d’expérience en tant que cadres de santé sont nécessaires, et dix ans dont cinq ans d’expérience en tant que cadre de santé pour accéder au grade de DS.

Pourquoi attendre bien plus d’années d’exercice ?

La problématique majeure repose sur le manque d’attractivité à l’entrée dans le corps de DS, que ce soit à partir du grade de CSS ou du grade de cadre de santé.

Et, par défaut, dans certaines situations, les chefs d’établissements désignent des “faisant fonction” : ils confient provisoirement à des agents d’une catégorie des emplois correspondant à la catégorie supérieure.

S’agissant de CSS exerçant comme DS, les coûts pour l’employeur sont moins importants. La diminution du nombre de DS dans le corps pourrait expliquer une difficulté à recruter, d’autant que des DS ne sont pas intéressés par certains postes.

L’accès au grade de CSS se fait sur concours, aucune formation n’est obligatoire même si la plupart sont aujourd’hui titulaires d’un master 2.

Un nombre important de faisant fonction occupe donc aujourd’hui les postes de DS. Si ces postes s’inscrivent sur le long terme et que les faisant fonction de DS ne sont pas accompagnés pour passer le concours de DS, ils participent alors inévitablement à la diminution du corps des DS.

L’idée qu’un délai puisse être créé pour un exercice limité de faisant fonction de DS serait certainement une solution. Il s’agirait de créer un véritable contrat d’objectifs et de moyens pour l’accompagnement de candidats vers le concours DS. Cette contractualisation entre l’établissement et le candidat, sur la base d’indicateurs transparents, contribuerait sans conteste tant à la préparation d’un candidat à la réussite au concours DS qu’à la reconnaissance de son positionnement sur une fonction transitoire dans l’établissement.

ATTIRER LES PLUS JEUNES

Pour attirer de plus jeunes candidats et augmenter le nombre de DS, il faut oser bousculer nos repères et apprendre à se faire confiance. On entretiendrait aujourd’hui l’image que, pour être DS, il faut être un “super cadre supérieur”. En ceci, la France se différencie de ses voisins européens où l’accès à une direction soignante n’est pas autant en escalier de responsabilités, du niveau de proximité, au niveau intermédiaire puis stratégique.

Les freins

L’exigence d’une expérience minimale avant les concours dans les différents grades freine l’évolution de carrière dans le management, des soignants, vers le sommet de la pyramide. Les paramédicaux limitent eux-mêmes l’évolution de leur propre carrière en imposant des durées d’expérience plus importantes que celle requiss par le cadre réglementaire pour l’avancement au grade de cadre de santé, de CSS, voire de DS.

Le dispositif d’avancement de grade est d’autant plus complexe qu’en plus du cadre réglementaire, les paramédicaux imposent la notion de “preuve par l’expérience”. Dans certains pays européens, la preuve de la compétence semble davantage dépendante de la qualification par la formation : possibilité d’accès plus rapide au poste avec un master, voire un doctorat.

Des actions pour l’avenir

Pour la FHF et l’AFDS, contributives d’une vision partagée sur le métier de DS, deux points clefs doivent orienter les actions futures qui seraient mises en œuvre :

• une seule catégorie de cadres de direction ;

• une même rémunération, quelle que soit l’origine.

POUR LA FHF

La FHF n’a pas vocation à défendre ou porter des revendications catégorielles. Cependant, elle peut s’exprimer pour exposer une intention qui lui paraîtrait cohérente dans un contexte prospectif. Un frein important pour les éventuels candidats à la fonction de DS est la rémunération. Dans l’esprit de certains professionnels, le DS “n’est pas encore tout à fait un directeur”. Son positionnement est parfois mal défini dans certains établissements. Pourtant, les DS sont les seuls à disposer d’un décret précisant leurs missions, d’un référentiel de compétences, d’un référentiel de positionnement.

L’ambition exprimée par la FHF pourrait être de simplifier la direction des établissements de santé en la confiant à une équipe de directeurs formés suivant un socle commun mais ayant dans un deuxième temps réalisé une spécialisation. La fonction de DS doit rester uniquement accessible à des professionnels ayant déjà eu une expérience de management des soins et titulaires d’une qualification soignante.

QUEL AVENIR POUR LES DS ?

Le DS des années 2020 est un professionnel de santé qui a choisi à un moment donné de s’orienter vers la fonction de DS sans investir nécessairement avant cela la fonction de CSS.

C’est un cadre de santé (au sens actuel de la définition) qui, disposant de compétences managériales dans le domaine stratégique et politique, a choisi de changer de métier concrétisé par son entrée dans le corps des DS.

À ce jour, il existe déjà la possibilité d’un accès direct à la fonction de DS par le grade de cadre de santé. Le changement préconisé est un véritable choix de carrière entre la fonction de CSS et celle de DS :

• les deux métiers seraient accessibles après la même durée d’ancienneté. À ce jour : cinq ans au 1er janvier dans le grade de cadre de santé pour être DS et trois ans pour être CSS. La durée commune à mettre en place pourrait être, selon la FHF, de trois ans au 1er janvier de l’année du concours d’accès au grade de CSS ou de DS ;

• l’exercice des deux métiers serait effectif après une formation d’adaptation à l’emploi. Actuellement, cette formation existe seulement pour les DS ;

• les deux formations pour DS et CSS seraient qualifiantes. Une formation professionnelle et universitaire : master pour les CSS. Il s’agirait d’un “parcours court” qui n’est à ce jour privilégié ni par les DS, ni par les directeurs hospitaliers.

Dans ce schéma, les deux grades sont considérés comme des métiers très différents, l’un (CSS) ne donnant pas nécessairement une priorité d’accès à l’autre (DS). Il conviendrait pour autant de ne pas supprimer l’accès au grade de DS par le grade de CSS.

Trois grades, un seul concours

En complément, il faudrait ajuster une incohérence réglementaire : des accès au grade par concours sur titre pour les cadres de santé et les CSS, un concours sur épreuves d’accès à la formation pour les cadres de santé et les DS. Les CSS n’ont pas de formation avant ou après un accès au grade ou à la fonction par concours sur titre. Pour la FHF, les trois grades (cadre de santé + CSS + DS) devraient être accessibles suivant un même schéma, soit un concours unique d’accès au grade et à la formation. Dans cette perspective, il est nécessaire de créer une formation pour les CSS.

Mieux identifier la fonction de DS

La fonction de DS ne doit pas être l’aboutissement d’un parcours long ayant pour étape, presque incontournable, le grade de CSS. C’est un cadre de santé ayant des potentialités de manager. C’est un professionnel qui a des “talents de manager”, confortés par une formation d’adaptation à l’emploi d’un an, similaires à un directeur administratif. A contrario, le CSS est un professionnel “technicien des organisations” de dimension intermédiaire. Au final, la réflexion doit tenir compte des différents moyens de valoriser le métier de CSS afin de mieux identifier le métier de DS.

Un profil soignant

Le DS ne doit pas être qu’un administratif chargé du soin. Il doit être un directeur avec un profil de soignant à part entière. Il ne doit pas craindre de s’occuper du soin en privilégiant des tâches administratives. Concrètement, le DS doit être un véritable directeur responsable de la stratégie et de la politique de soins, fort de son expertise soignante (qualification et expérience) mobilisable à tous les niveaux de décisions.

Il a un rôle essentiel en collaboration étroite avec le président de la commission médicale d’établissement (PCME), mais aussi les chefs de pôles et les responsables d’unités pour transformer l’organisation verticale actuelle des établissements de santé en organisation centrée sur le parcours du patient.

L’expérience professionnelle est essentielle dans une fonction d’encadrement, mais des potentiels sont peut-être perdus, faute de confiance et de connaissance par rapport au projet de postuler à un poste de DS.

CONCLUSION

Les établissements ont besoin de talents managériaux, experts du soin. Les directeurs d’établissements doivent croire en une évolution managériale de la ligne hiérarchique paramédicale et construire une dynamique commune pour les DS.

Actions prioritaires

Quelques actions emblématiques semblent d’emblée prioritaires pour agir :

• établir des contrats d’objectifs pour les cadres de santé en fonction de leurs points forts et ne pas demander à tous les cadres de savoir tout faire avec performance. Les établissements ont déjà et ont besoin de compétences variées et complémentaires. Dès à présent, il faut contractualiser des projets de parcours professionnalisant avec des cadres (cadres de santé ou CSS) pressentis pour être rapidement des DS. Seule la signature d’un contrat d’objectifs et de moyens vers le concours DS devrait permettre l’accès à un exercice de faisant fonction de DS ;

• créer un référentiel de formation des CSS, en cohérence avec le référentiel de formation des DS. L’un doit permettre de différencier et valoriser l’autre. Il conviendra au préalable de rédiger des référentiels d’activité et de compétences pour les CSS ;

• renforcer le plaisir au travail et l’engagement pour les cadres de santé, CSS et DS.

Agir pour tous

Agir pour les DS, c’est aussi agir pour les cadres de santé et les CSS et donc favorablement pour le management des organisations de soins et in fine pour le bénéfice des patients et résidents.

• Les conditions d’accès à un métier ne peuvent être rénovées de manière isolée des autres métiers paramédicaux.

• Les décisions réglementaires prises pour les DS devront être cohérentes avec des décisions réglementaires pour les cadres de santé et les CSS.

Maintenant, Il ne manque que deux choses :

• une volonté d’agir rapidement, prenant le risque de faire de la ligne hiérarchique paramédicale un enjeu de performance pour les établissements publics de santé dont les instituts de formation ;

• une évolution des mentalités tant des chefferies d’établissement que des DS eux-mêmes qui ensemble oseront construire des dispositifs d’accompagnement y compris tutoriels pour permettre aux cadres de santé de réussir tant l’accès aux fonctions de DS qu’à celles de CSS.

NOTES

* HOPE (2010), “An overview of the role of nurses and midwives in leadership and management in Europe”, HOPE-NHS institute for Innovation and Improvement (à lire en anglais via le lien raccourci bit.ly/2me1Pvq).