Marie-Christine Burnier
Sur le terrain
« Le développement durable n’est pas une affaire de bobos », affirme avec justesse Marie-Christine Burnier, directrice d’hôpital à la retraite. Parmi les premières à s’y intéresser dans le secteur de la santé, elle a pu créer à la Fédération hospitalière de France (FHF) une réelle dynamique prenant autant en compte les aspects environnementaux qu’humains.
Marie-Christine Burnier : Le développement durable englobe toutes sortes de valeurs, aussi bien écologiques qu’humaines. Le concept est né lorsque les organismes commerciaux internationaux ont cherché à définir un modèle comparable entre les différents pays. Prenons, par exemple, un pays qui ferait travailler des enfants à très bas prix. Les instances mondiales auraient des difficultés à les considérer comme des partenaires à égalité commerciale. Depuis quelques années, la notion est devenue plus vertueuse pour la plupart des gens alors qu’elle était commerciale à l’origine.
M.-C. B. : J’étais en deuxième partie de carrière lorsque la FHF m’a proposé de prendre en charge la direction de la revue Techniques hospitalières. Il s’agissait d’une revue née à la fin de la dernière guerre, destinée à aider à la reconstruction des hôpitaux détruits à l’époque. Elle existe encore et propose des sujets techniques et technologiques liées au secteur biomédical en majorité. C’était extrêmement intéressant mais, à cette époque, j’ai vu émerger des sujets liés au développement durable çà et là. Ayant la possibilité de m’organiser pour déployer du temps de réflexion sur le sujet, je me suis lancée. D’autant que la question était encore peu évoquée à l’époque.
M.-C. B. : Beaucoup de déchets, d’eau, d’électricité… Mais cela n’est pas tout. On oublie trop souvent que le développement durable n’est pas limité à la préservation de la planète, même s’il en est une face importante. Les impacts sociaux et économiques en sont des éléments essentiels également. Dès le début, j’ai compris que si je voulais faire changer les choses, il me fallait compter avec les forces vives de l’hôpital, quel que soit leur niveau hiérarchique. Chacun peut apporter d’énormes améliorations, à son propre niveau. Si on impose les choses de manière verticale et autoritaire, cela ne peut pas fonctionner. Alors que des gens impliqués à tous les niveaux peuvent bouleverser la situation.
M.-C. B. : C’est un sujet très vaste. Mais si on se limite à la qualité de vie des soignants au travail, c’est déjà énorme. Sont-ils en capacité d’exerce correctement leur profession ? Leurs trajets pour se rendre à l’hôpital sont-ils facilités ? Une crèche est-elle à leur disposition ? L’égalité homme-femme est-elle assurée ? Etc.
M.-C. B. : Mon idée n’était pas d’alerter de prime abord mais de faire un état des lieux. À Hôpital Expo de 2006, mon équipe et moi-même avons donné une conférence sur le sujet afin d’amorcer la réflexion. Nous y avions invité Michèle Pappalardo qui était alors commissaire générale au développement durable au sein du ministère de l’Écologie. Nous y étions entourés d’un certain nombre d’acteurs de terrain qui avaient manifesté leur intérêt, dont des directeurs d’hôpitaux, des ingénieurs et quelques cadres et infirmiers. Cela nous a permis de constituer un petit noyau pour démarrer.
M.-C. B. : Comme je vous le disais précédemment, pour faire changer les choses, il faut comprendre ce qui existe en un temps T. Pour cela, avec le premier noyau de personnes intéressées, nous avons commencé par étudier de près tous les protocoles successifs de développement durable dans notre pays et dans d’autres pays équivalents en matière de développement. Comprendre aussi ce que les différentes nations attendent en la matière. Nous nous sommes ensuite attelés à lister les différentes rubriques correspondant à nos critères nationaux en lien avec le ministère de l’Écologie. Puis il a été temps d’élaborer un questionnaire à destination des établissements hospitaliers afin d’établir un état des lieux.
M.-C. B. : Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. La plupart des gens n’entendent que protection environnementale lorsqu’on évoque le développement durable. Élimination et traitement des déchets, consommation raisonnée de l’eau et de l’électricité, surveillance des substances volatiles… en sont quelques exemples. C’est un bon début. Cela dit, notre questionnaire reprenait les axes essentiels du développement durable qui sont également économiques et sociaux. Il a été envoyé à environ 4 500 établissements.
M.-C. B. : Absolument pas ! Dès le début de notre réflexion, nous avons pensé que les établissements privés seraient probablement intéressés. Du coup, nous avons pris contact avec des structures telles que la FHP (Fédération de l’hospitalisation privée), la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs) et Unicancer qui ont été enthousiastes et nous ont emboîté le pas. C’est un sujet qui fait l’unanimité sans grande difficulté. Cela se complexifie juste un peu lorsqu’on aborde des sujets comme l’égalité hommes-femmes ou l’accessibilité des handicapés ou même leur emploi, mais cela n’a pas empêché les établissements de répondre. Quand une activité économique existe, quelle qu’elle soit, elle emploie des personnes qui doivent être traitées selon des normes internationales équitables et morales.
M.-C. B. : En effet. Elle a été signée en 2007. Ce type de convention existait déjà avec des entreprises comme La Poste ou la métallurgie, par exemple. Cette signature nous a permis de bénéficier d’encore plus de légitimité lorsque nous nous adressions aux établissements hospitaliers.
M.-C. B. : C’est extrêmement vaste. Il y avait environ 500 items correspondant aux trois axes du développement durable. Cela pouvait aller de « quelle consommation d’eau par lit ? » à « avez-vous des minuteurs électriques là où c’est possible ? » en passant par « quelle est la puissance électrique de votre nouveau scanner ? ». Et dans le domaine environnemental : « la cuisine de l’établissement propose-t-elle des repas bio ? », « le personnel bénéficie-t-il d’une crèche ? » … La question du nombre de filières de tri des déchets y tenait également une bonne place. Dans certains établissements, nous avons découvert qu’il n’y en avait que trois, ce qui est le strict minimum, alors que, dans d’autres, on en dénombrait jusqu’à quinze.
M.-C. B. : Il a d’abord fallu les traiter. Pour cela, nous avons fait appel à des étudiants, en majorité des élèves de l’EHESP. Une fois les éléments dépouillés, nous avons donc pu organiser des remises de prix aux établissements les plus performants lors de Hôpital Expo. Il convient de garder en mémoire que, si l’hôpital sauve, il est aussi un énorme consommateur de fournitures et de produits qu’il est important de restituer à la communauté. Tous les ans, nous avons donc organisé des campagnes d’information assorties d’un nouveau questionnaire qui ont permis de diffuser de l’information aux établissements dont parfois des solutions innovantes mises en place dans tel ou tel hôpital.
M.-C. B. : On ne peut rien mettre en place sans s’appuyer sur des ressources internes à tous les niveaux. Nous avons bénéficié de l’énergie de personnes qui se sont investies bénévolement et avec une grande motivation. Ce qui est intéressant pour elles, c’est de participer à faire changer les choses mais aussi de se créer un domaine de compétences particulier qui n’exige pas l’obtention d’un diplôme, pour une fois. Il y a là une vraie possibilité d’ouverture vers une évolution de carrière. Mais, pour en revenir aux aspects pratiques, un binôme constitué d’un cadre de santé et d’un ingénieur constitue une équipe parfaite pour travailler sur le traitement des déchets, par exemple. Cela favorise donc un esprit de pluridisciplinarité dans l’établissement.
M.-C. B. : Au sein des hôpitaux, un bilan social est publié chaque année, ce qui nous permet déjà de bénéficier d’un grand nombre d’informations à propos des agents. Ce que j’ai vu évoluer au fil de nos campagnes, c’est d’abord une meilleure appréhension de l’hôpital dans son environnement. Avant, on voyait traîner des déchets électriques un peu partout. Ce n’est plus le cas. Dans le domaine de la consommation d’électricité et d’eau, les ingénieurs volontaires ont permis de faire d’énormes progrès. Pour ce qui est de l’accessibilité des handicapés, des partenariats ont été créés qui ont permis d’améliorer bien des choses, même s’il subsite de nombreux progrès à faire. Il reste d’ailleurs beaucoup à faire sur tous les axes du développement durable à l’hôpital mais les progrès sont d’ores et déjà importants. Il convient de poursuivre sur cet élan.
M.-C. B. : Difficile question. Après une licence d’anglais et un an passé à enseigner le français au Pays de Galles, je me suis rendu compte que je ne souhaitais pas devenir enseignante. Mon père étant directeur d’hôpital, je connaissais quelques facettes du métier et je me suis donc présentée au concours que j’ai réussi. Une fois directrice, j’ai pas mal bougé entre Angers, Nantes, Longjumeau, Versailles… au gré de mon évolution de carrière. Très vite, j’ai réalisé que je ne m’étais pas trompée de métier et que toutes ses facettes me passionnaient. J’ai découvert une entreprise extrêmement complexe au sein de laquelle il faut faire preuve de beaucoup de souplesse mais aussi de beaucoup de détermination. On est en contact avec un grand nombre d’intervenants internes et externes, ce qui rend l’exercice du métier encore plus intéressant.
M.-C. B. : Ce qui me vient à l’esprit, c’est l’émergence du rôle du patient dans sa propre prise en charge. Dans mes débuts, on évoquait rarement le sujet. Cette évolution est très riche et très intéressante. On est presque parti de zéro sur ce sujet. J’ai également vu se créer le métier de cadre de santé. Dès le début de ma pratique, j’ai eu plaisir à travailler avec eux ; je les ai toujours considérés comme mes partenaires naturels. Depuis, leur métier a bien changé mais ils ont toujours représenté une force de proposition essentielle pour la directrice que j’étais. Ce sont de véritables interfaces décisionnelles. De même pour les directeurs de soins.
M.-C. B. : Il est clair que les directeurs d’hôpitaux ont de plus en plus souvent à rendre des arbitrages douloureux. À tous les niveaux, c’est dur. Nous sommes dans une période de changement qui complique la tâche de chacun. D’autant que les durées de séjours se raccourcissent et que la population vieillit. Les personnes hospitalisées durablement le sont de plus en plus pour des pathologies lourdes. Cela dit, j’ai toujours été optimiste pour l’avenir des systèmes. Il y a un difficile cap à passer, d’autant que les soignants ont obtenu des diplômes augmentés en valeur et plus pointus. En parallèle, l’augmentation du niveau d’instruction générale de la population engendre des revendications qui, si elles sont normales, sont parfois mal vécues par les soignants. Je reste persuadée qui nous nous sortirons de cette ornière qu’à la condition de prendre soin du bien-être au travail des soignants.