Dans une décision rendue le 8 mars 2017 (n° 408146), le Conseil d’État a désavoué une équipe médicale du service d’anesthésie-réanimation pédiatrique de l’hôpital de La Timone à Marseille (Bouches-du-Rhône) qui avait décidé d’arrêter de traitement actif pour une jeune enfant de 18 mois. Analyse détaillée de cette décision de justice.
Il s’agit de la situation d’une enfant, née le 10 novembre 2015 à Nice (Alpes-Maritimes), qui avait été hospitalisée au centre hospitalo- universitaire Lenval à Nice le 23 septembre 2016 en raison d’une forte fièvre.
L’état de la petite fille s’était très vite dégradé, avec, le 25 septembre 2016, la survenance d’un choc cardiogénique en réanimation pédiatrique.
L’enfant avait bénéficié d’une assistance circulatoire et, placée en coma artificiel, elle avait été transférée dans le service de réanimation pédiatrique de l’hôpital de La Timone à Marseille.
À la suite de sa réanimation et de plusieurs examens réalisés notamment à l’aide de scanner et d’IRM au cours du mois d’octobre 2016, le diagnostic avait été posé : l’enfant était atteinte d’une rhombencéphalomyélite à entérovirus ayant entraîné des lésions neurologiques définitives au niveau de la protubérance, du bulbe et de la moelle cervicale haute, entraînant un polyhandicap majeur, avec paralysie motrice des membres, de la face et sa dépendance à une ventilation mécanique et une alimentation par voie entérale.
Le médecin a engagé la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 du Code de la santé publique (CSP).
Une réunion collégiale s’est déroulée le 4 novembre 2016, et il a été décidé l’arrêt de la poursuite des thérapeutiques actives à l’unanimité, au motif du caractère irréversible des lésions neurologiques constatées et d’un état de conscience difficile à évaluer mais probablement fortement altéré. Les parents ont été informés des conclusions de cette réunion et de ses motifs, mais ils ont exprimé leur désaccord, et ce, de manière réitérée.
Il s’agit d’ordonnances, c’est-à-dire de décisions rendues dans le cadre de procédures urgentes, dite “de référé”.
Les parents ont saisi la juridiction le 9 novembre. Par une première ordonnance, le juge a suspendu l’exécution de la décision médicale du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, a enjoint à l’équipe médicale de reprendre les soins appropriés et a ordonné une expertise médicale aux fins de se prononcer sur l’état actuel de l’enfant ainsi que sur les perspectives d’évolution.
Cette expertise a été remise le 23 décembre 2016 et, par une seconde décision du 8 février 2017, le juge a estimé que les conditions prévues par la loi pour que puisse être prise par un médecin une décision d’arrêt de traitements dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable n’étaient pas réunies. Il a enjoint à l’équipe médicale de maintenir les soins appropriés la concernant.
L’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a formé appel. Par ordonnance du 8 mars 2017, le Conseil d’État a confirmé la décision du juge. Donc les soins doivent se poursuivre, contre les analyses et les choix de l’équipe.
C’est la procédure du “référé-libertés”, prévue par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. »
C’est un premier problème, car à l’évidence, la décision médicale n’est pas « manifestement illégale ». Il y a des points de vue opposés, mais on ne peut pas parler d’illégalité manifeste.
Mais, étant donné l’enjeu, le Conseil d’État a mis en place une procédure spécifique, créée dans l’affaire Lambert.
Cette nouvelle procédure s’applique aux décisions médicales conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Dans cette hypothèse, le juge s’autorise à « prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à l’exécution si les critères légaux ne lui paraissent pas remplis ». Sa décision est au carrefour des libertés fondamentales : respect de la vie, consentement et refus des traitements déraisonnables.
Non, il s’agit d’une interprétation très libre des textes par le Conseil d’État, qui est compétent pour les établissements publics. Pour les établissements privés, la Cour de cassation n’admet pas une telle procédure.
Ainsi, s’agissant de cette question essentielle de la fin de vie, il y a deux régimes juridiques distincts, selon que l’on soit dans un établissement public ou privé.
Il s’agit d’abord de la législation sur la fin de vie, et spécialement les articles L. 1110-5 et L. 1110-5-1 du CSP, récemment modifiés par la loi du 2 février 2016. Vient ensuite l’article L. 1111-4 du CSP, qui institue le consentement. Enfin, il est fait référence au Code de déontologie médicale, avec l’article R. 4127-36 qui traite du consentement et l’article R. 4127-37-2, modifié par le décret du 3 août 2016, qui définit la procédure collégiale de fin de vie.
Cette analyse de principe est très précise, il faut la citer intégralement. C’est la base incontournable du droit.
« Toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d’investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie. « Le législateur a ainsi déterminé le cadre dans lequel peut être prise par un médecin, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté à l’issue d’une procédure collégiale après consultation de la personne de confiance, de la famille ou d’un proche, une décision de limiter ou d’arrêter un traitement dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.
« Pour l’application de ces dispositions, la ventilation mécanique et l’alimentation et l’hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination déraisonnable. »
C’est une analyse d’ensemble qui doit être opérée, avec des éléments médicaux et non médicaux, à apprécier au cas par cas. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue. Ils doivent être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté du patient, analysée à partir de tout indice. Il faut prendre aussi en compte les avis de la personne de confiance, des membres de sa famille ou des proches, en s’efforçant de dégager une position consensuelle et, s’il s’agit d’un mineur, de l’avis des parents.
Le Conseil d’État a analysé d’abord les données médicales, en fonction de l’expertise et des avis donnés par les médecins du service. L’enfant souffrait de lésions cérébrales définitives entraînant une paralysie motrice, la dépendance à la ventilation mécanique et à l’alimentation artificielle. Son niveau de communication et de coopération était très limité compte tenu de ce handicap fonctionnel.
Néanmoins, son état de conscience n’était pas déterminé de manière certaine, avec un état de conscience minimal et des réactions à la stimulation cutanée et à la voix. Le niveau de conscience était évalué à 9 sur 20 sur l’échelle de Bicêtre, soit une altération grave. Les mouvements constatés des paupières et des membres étaient qualifiés soit de “réflexes”, soit de “volontaires”, ceux-ci étant par nature difficiles à distinguer. Au cours de l’audience, a été évoquée la possibilité que l’état de l’enfant caractérise, compte tenu de la nature des lésions cérébrales constatées, un état végétatif chronique, un état de conscience pauci-relationnel, voire un locked-in syndrome (littéralement, un syndrome d’enfermement) qui témoignerait alors d’un niveau de conscience élevé malgré la paralysie musculaire et les sévères difficultés de communication et d’apprentissage en résultant, s’agissant d’un très jeune enfant. Un éventuel état de souffrance est également difficile à évaluer.
Aussi, et malgré le pronostic extrêmement péjoratif, les éléments d’amélioration constatés de l’état de conscience de l’enfant et l’incertitude sur l’évolution future, le Conseil d’État a jugé que l’arrêt des traitements avait été décidé trop précocement. Il faut un délai supérieur pour évaluer de manière certaine les conséquences des lésions neurologiques.
L’avis de ses parents, qui s’opposent tous les deux à l’arrêt des traitements, est relevé comme « d’une importance particulière ».
Dans ces conditions, la circonstance que l’enfant soit dans un état irréversible de perte d’autonomie la rendant tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales ne rend pas les traitements qui lui sont prodigués inutiles, disproportionnés ou n’ayant pour d’autre effet que le maintien artificiel de la vie, et la poursuite de ces traitements ne peut caractériser une obstination déraisonnable. Dès lors, les conditions d’application de l’article L. 1110-5-1 du CSP n’étaient pas réunies au jour de la décision.
Législation sur la fin de vie
• CSP, article L. 1110-5
Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaireet le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (…)
• CSP, article L. 1110-5-1
Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.
La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.
Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10.
Consentement
• CSP, article L. 1111-4
Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.
Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables.
Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d’interventions.
Autorité parentale
• Code civil, article 371-1
L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.
Procédure collégiale
• CSP, article R. 4127-37-2
I.- La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et en l’absence de directives anticipées, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.
II.- Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informé, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale.
III.- La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.
Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.
IV.- La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.