Objectif Soins n° 255 du 01/04/2017

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Les ARS (Agences régionales de santé) ont fêté leur septième anniversaire le 1er avril dernier. Elles ont remplacé les anciens services déconcentrés de l’État et de l’Assurance maladie (pour partie) afin de conduire une politique de santé unifiée, ce qui n’était pas forcément pas le cas auparavant. Mais de quelle marge de manœuvre disposent les ARS ? - 2e partie

L’adoption d’un monopole public de financement décentralisé conduit inéluctablement à redéfinir le rôle des instances nationales (État et Assurance maladie) et des instances régionales. Nous l’avons vu dans le cadre de l’examen des systèmes de santé allemand (lire notre magazine d’octobre 2015, numéro 239) ou néerlandais (lire notre magazine d’août/septembre 2016, numéro 248). Le niveau national est appelé à passer d’un rôle de centralisateur et de décideur à un rôle d’encadrement, de conception et d’expertise. Le niveau régional a pour mission de répartir les ressources allouées par le niveau national, déterminées dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens (annuel ou pluriannuel), entre les différents producteurs de soins. Il dispose d’une certaine autonomie pour déterminer les règles de répartition entre les différents secteurs de la santé.

Mais l’ARS créée en France correspond-elle à cette vision ?

DE L’ARS RÊVÉE EN 2002…

Dans le cadre de notre thèse soutenue en 2002, l’ARS constitue le pivot du monopole public de financement régionalisé. L’ARS définit et conduit la politique de santé régionale dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens signé avec le niveau national, et répartit l’enveloppe régionale qui lui est allouée par le Parlement pour financer la mise en œuvre de cette politique. Elle exerce à ce titre une pleine autorité sur l’ensemble des producteurs de soins (établissements de santé, secteur médico-social, médecine ambulatoire), dont elle assure la régulation et la planification. Elle fixe les grands objectifs de la politique régionale de santé dans le cadre de l’adoption d’un schéma régional d’organisation de la santé opposable à tous les producteurs de soins, dont la mise en œuvre s’effectue par le biais de la négociation d’un contrat d’objectifs et de moyens avec chaque pôle hospitalier. Ce contrat détermine les modalités de rééquilibrage des moyens entre les territoires et les modalités de financement et de répartition de l’enveloppe régionale entre les différents secteurs de soins. L’ARS est garante de l’analyse des besoins de santé de la région et délimite les zones de besoins homogènes, nouveau découpage sanitaire sur lequel s’appuient la politique régionale de santé et son financement. L’ARS analyse, en lien avec la Haute Autorité de santé (HAS), l’activité des producteurs de soins et veille au respect des normes édictées par le niveau national.

Cette régionalisation accrue, qui donne aux ARS une quasi-autonomie dans la conduite de la politique régionale de santé, suppose implicitement le regroupement des instances régionales sanitaire existantes, pour passer d’une tutelle classique à une tutelle stratégique. Dès lors, le mode d’une agence de mission semble devoir être privilégié, le modèle des Agences régionales d’hospitalisation (ARH) et des Unions régionales des caisses d’Assurance maladie (Urcam) ayant en 2010 un résultat plutôt positif. La souplesse de fonctionnement et la rapidité de la réponse caractérisent ces administrations de mission, à la différence des administrations de gestion et d’instruction de dossiers.

Un scénario possible en 2010 aurait pu reposer sur l’extension des missions des ARH aux secteurs ambulatoire et médico-social, ce qui supposait implicitement la disparition des Urcam et des services déconcentrés de sanitaires et sociaux de l’État.

→ Telle était notre vision de l’ARS virtuelle en 2002 ; in fine, après sept ans de fonctionnement, les ARS réelles s’en sont-elles rapprochées ou éloignées ?

… À L’ARS VOTÉE : UN CHAMP D’INTERVENTION BEAUCOUP PLUS LARGE QUE LA PRODUCTION DE SOINS

Dans un souci de pragmatisme mais également et surtout d’efficacité, il nous semblait important que l’ARS, administration de mission, soit avant tout chargée de réguler l’offre de soins hospitaliers, ambulatoires et médico-sociaux, compte tenu des enjeux importants liés à ces trois secteurs en matière de réponse aux besoins et de maîtrise des dépenses de santé.

→ Or, si la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) a bien octroyé cette mission de régulation de l’offre de soins à l’ARS (la plupart ont constitué des directions de l’offre de soins et/ou de l’autonomie), elle lui a également confié d’autres domaines d’intervention, notamment la mise en œuvre au niveau régional de la politique de santé publique. À ce titre, l’ARS organise la veille sanitaire, l’observation de la santé, le recueil et le traitement des signalements d’événements sanitaires. Elle doit contribuer à l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire. Elle doit établir un programme annuel de contrôle du respect des règles d’hygiène ; elle doit réaliser les prélèvements, analyses et vérifications prévus dans ce programme et procéder aux inspections nécessaires. Elle est chargée de la politique de santé environnementale (qualité de l’eau, de l’air). Elle doit définir et financer des actions visant à promouvoir la santé, à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies, les handicaps et la perte d’autonomie, et veiller à leur évaluation.

→ Ceci dans une vision globale de la santé de l’homme. Mais on peut toutefois s’interroger sur l’opportunité d’un champ d’intervention si vaste. Les résultats sont d’autant plus difficiles à atteindre que les objectifs sont nombreux et, surtout, parfois antinomiques. Ne citons qu’un exemple : les lits de réanimation. Du point de vue du régulateur de l’offre de soins, les services de réanimation, très techniques, doivent être concentrés sur les sites importants et ne pas être multipliés compte tenu de leur coût. Du point de vue de la santé publique, les lits de réanimation, en nombre toujours insuffisant, doivent être nombreux pour le cas où, même s’ils restent vides. Or quid des recettes dans un mode de tarification à l’activité ?

→ Sept ans plus tard, et encore plus avec la réforme territoriale intervenue en janvier 2016, force est de constater que les ARS sont bien loin du modèle d’administration de mission. Bien au contraire, elles sont devenues de véritables administrations bureaucratiques, ayant à gérer l’ensemble des sujets relevant de la santé, quelle qu’en soit la nature. Et du coup, elles se cherchent encore dans leur organisation. Comment expliquer qu’une institution, sept ans plus tard, se demande encore à quoi sert ses filiales (ses fameuses délégations départementales), ou plus exactement quel doit être leur rôle ?

→ Car, hélas, si une seule institution a bien été créée au niveau régional, les missions auparavant exercées par les anciennes administrations n’ont pas été revues. Et les agences ont été obligées de reprendre ces activités de gestion au détriment de la politique stratégique. Sept ans plus tard, si certains outils finissent enfin par évoluer (un seul schéma régional de santé par exemple), c’est finalement exceptionnel. Et que dire du niveau national qui lui n’a pratiquement pas évolué… La réforme institutionnelle ne s’est pas accompagnée comme souhaité d’une simplification administrative qui était pourtant nécessaire. Ainsi, par exemple, la réforme du régime des autorisations sanitaires, aujourd’hui devenu complètement archaïque et bureaucratisé, pourtant prévue dans la loi de modernisation du système de santé, n’est toujours pas annoncée. Suite et fin au prochain numéro.

DEUX AUTRES SYSTÈMES

LE SYSTÈME NÉERLANDAIS : LA MISE EN CONCURRENCE DES ASSUREURS ET DES OFFREURS DE SANTÉ

→ L’État est garant du respect de la couverture universelle et des conditions de prise en charge. À ce titre, il s’assure que chaque citoyen est affilié à une assurance (de base) couvrant les frais médicaux tout en lui laissant la liberté de choisir son assureur ; que les assureurs assurent bien de manière obligatoire ces personnes au titre de l’Assurance maladie, et ce, quel que soit leur état de santé ; que le montant des primes de l’assurance de soins de santé proposée est identique pour chaque assuré, indépendamment de son état de santé, de son âge ou de son passé médical ; que les assureurs de soins de santé proposent bien une offre de soins disponible pour l’ensemble de leurs assurés ; enfin, l’État fixe le contenu de la couverture de base.

→ En revanche, la mise en œuvre relève des prestataires de soins de santé, des assureurs maladie et des assurés eux-mêmes, qui, du coup, ont une grande liberté, partant du postulat que le fonctionnement du marché et la concurrence sont à l’origine de stimuli participant à une meilleure qualité des soins proposés et permettant de travailler de façon efficace.

→ Après conseil auprès de l’Institut national des soins de santé aux Pays-Bas (indépendant), l’État détermine la couverture de base qui est très étendue et inclut la majeure partie des soins médicaux, des médicaments et des matériels médicaux essentiels. Les soins de kinésithérapie et les soins dentaires sont partiellement remboursés. Sur cette base, les assureurs de soins de santé déterminent les offreurs de soins et leur localisation, avec lesquels ils négocient de manière sélective sur la base des informations disponibles en matière de qualité, d’efficacité et du retour des clients. Les assureurs ont l’obligation de proposer une offre de soins dans la couverture de base qui soit disponible pour l’ensemble de leurs assurés. Par ailleurs, les assureurs de soins de santé proposent des mutuelles complémentaires permettant d’obtenir le remboursement d’autres soins et auxquelles souscrivent environ 90 % des Néerlandais. Chaque assuré décide lui-même de souscrire ou non à une mutuelle complémentaire et, le cas échéant, s’il souhaite le faire, auprès du même assureur que celui auprès duquel il a déjà souscrit la couverture de base.

La mutuelle est entièrement régie par le droit privé et l’État ne les soumet à aucune règle restrictive (contrairement donc à la France où la mutuelle a été rendue obligatoire). Dans le cadre du contrôle des soins remboursés au titre de la loi sur l’Assurance maladie, diverses parties sont chargées d’un certain nombre de missions formelles. L’État a à charge le contrôle de l’intégralité du système de santé et fixe les conditions de qualité auxquelles les soins doivent répondre. Diverses instances publiques ont pour tâche de contrôler ces exigences de qualité :

→ l’autorité néerlandaise en matière de soins de santé veille à ce que la loi sur l’Assurance maladie soit appliquée correctement et est l’autorité de surveillance sur les marchés des soins de santé ;

→ l’autorité des consommateurs et du marché est chargée de s’assurer du respect des règles de concurrence sur le marché des soins de santé dans l’intérêt des patients et des assurés ;

→ l’inspection des soins de santé est chargée de contrôler la qualité et la sécurité des soins de santé et mettre en œuvre les pouvoirs dont elle dispose en la matière.

LE SYSTÈME ALLEMAND : LA RÉGIONALISATION ACCRUE DE LA SANTÉ

Contrairement à la France, un seul régime d’Assurance maladie couvre l’ensemble des salariés en Allemagne, quels que soient leur secteur d’activité et leur statut : l’Assurance maladie légale. C’est un régime paritaire, géré par les partenaires sociaux au niveau de chaque Länder (région) qui disposent d’une très grande marge de manœuvre pour négocier chaque année avec les offreurs de soins. Un comité fédéral commun regroupant les professionnels de santé et l’Assurance maladie existe, le rôle de l’État fédéral se limitant à la “surveillance” du système (à l’instar de nos conseils de surveillance de nos hôpitaux français) en fixant uniquement le cadre.

→ Le régime d’Assurance maladie allemand ne saurait être en déséquilibre : c’est un principe constitutionnel. Dès lors, la recherche de l’équilibre par des actions centrées avant tout sur les recettes s’impose aux différentes caisses. Si un fonds santé a été instauré pour mutualiser les ressources et le redistribuer, les mécanismes d’équilibre reposent avant tout sur une augmentation des cotisations, sur des mécanismes de subvention de l’État fédéral en dernier ressort, l’utilisation des réserves. Il existe des mécanismes de maîtrise des dépenses mais ils sont à la marge, dans la mesure où l’Assurance maladie négocie les moyens des offreurs de soins en fonction des ressources dont ils disposent.

Concernant l’hôpital, le système allemand repose sur :

→ la régionalisation des dépenses hospitalières en Allemagne et un pilotage au niveau des Länder par les caisses d’assurance maladie qui négocient les budgets des hôpitaux ;

→ un mécanisme de financement basé sur l’activité, étendu à la psychiatrie en Allemagne, mais avec des tarifs identiques quel que soit le secteur en Allemagne, ne prenant pas en compte l’amortissement, les investissements étant financés directement par les Länder. Et une négociation et donc une fixation des tarifs entièrement régionalisée, dégressifs en fonction des volumes.

À l’instar des établissements de santé, les négociations entre les professionnels de santé et l’Assurance maladie sont décentralisées au niveau des Länder, qui fixent des volumes d’activités encadrés par des enveloppes définies en fonction de la population et de la morbidité. Il en découle une rémunération des professionnels libéraux bien supérieure en Allemagne, dans un système de tiers payant entièrement généralisé et avec l’absence de dépassements d’honoraires. Autrement dit, l’inverse de la France.