« La réforme de 1995 a coupé le lien avec les métiers d’origine » - Objectif Soins & Management n° 255 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 255 du 01/04/2017

 

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Claire Pourprix  

Interview Au cours de ces vingt-cinq dernières années, la profession infirmière et les cadres de santé se sont mobilisés à plusieurs reprises pour faire entendre leur voix et gagner en reconnaissance. Mais, d’après Michel Poisson, infirmier, cadre supérieur de santé honoraire, doctorant en histoire contemporaine à l’université de Nantes, 1995 marque une rupture dans la profession avec le déclin de la place du service infirmier à l’hôpital.

Objectif Soins & Management : Quelle a été la première mobilisation forte de la profession infirmière ?

Michel Poisson : À mon sens, le mouvement de 1988 a été déterminant. Ce n’était pas la première fois qu’il y avait une mobilisation, mais c’était la première d’une telle ampleur. En 1968, les élèves infirmières parisiennes avaient été très actives, même si, pour leurs aînées, la grève était à l’époque assez, voire très mal vue.

OS&M : En quoi le mouvement de 1991 a-t-il été différent ?

Michel Poisson : 1988 a rassemblé au sein d’une coordination l’ensemble d’un métier, les infirmiers comme les cadres, alors qu’en 1991, le mouvement a été moins corporatiste, plus classique. Il s’est néanmoins inscrit dans la continuité de celui de 1988 et les infirmières ont fait la démonstration de leur capacité à affirmer leur solide qualification, puisqu’il a abouti à la création d’une Direction du service de soins infirmiers. En cela, on peut dire que les infirmiers en mouvement ont légitimé la consécration d’une ligne hiérarchique complète et cohésive, initiée en 1975 par les infirmières générales.

OS&M : Selon vous, l’année 1991 marque l’apogée de la place des infirmiers dans l’espace hospitalier. Que s’est-il passé ensuite ?

Michel Poisson : La réforme de 1995 a regroupé quatorze professions en une même formation. Ceci a contribué à couper le lien avec les métiers d’origine par la force des choses, en privilégiant de façon croissante les aspects managériaux et de gestion, transversaux par définition. Le même phénomène est observable chez les infirmières générales devenues directeurs de soins en 2002, jusqu’à la disparition du service infirmier en tant que tel en 2010. Depuis, on assiste à une véritable rupture des filiations entre les cadres et ceux qui sont susceptibles de les soutenir, en amont comme en aval de la ligne hiérarchique. À mon sens, le malaise des cadres de santé vient en partie de là, de cet éloignement des réalités concrètes du travail qui renvoie au service spécifique rendu à la population par chaque profession. Les professionnels ont besoin de cette reconnaissance-là, sur laquelle se fonde en retour la légitimité qu’ils reconnaissent à leurs cadres.

OS&M : Est-ce que la création de l’Ordre national des infirmiers en 2006 aurait pu rassembler la profession ?

Michel Poisson : L’Ordre a été mal accueilli car il a commencé par demander aux infirmiers de payer, parfois sous la menace ! Première prise de contact assez maladroite, même si l’argent garantit en effet l’indépendance nécessaire. On peut penser, néanmoins, qu’il pourrait être un vecteur fort de rassemblement de la profession, à la condition de parvenir à associer les deux sens du terme “discipline” : la surveillance de la conformité des comportements aux règles établies, mais aussi la discipline au sens universitaire du terme, qui renvoie aux savoirs et aux pratiques spécifiques à la profession considérée, c’est-à-dire aussi aux sciences et techniques infirmières. C’est à ce prix, me semble-t-il, que l’intégration de l’ensemble des professionnels est envisageable.

OS&M : Pour vous, la clé de la reconnaissance de la profession est donc dans le développement de la science infirmière ?

Michel Poisson : En effet, et le développement d’un corps d’enseignants-chercheurs à différents niveaux permettrait à la profession de décoller, d’ouvrir les fenêtres sur le monde et de s’inscrire dans un contexte international. La profession en a besoin pour porter cette discipline à l’université mais aussi dans la cité, et avoir une expression véritablement politique. Des initiatives vont dans ce sens. Par exemple, le Réseau des infirmiers docteurs et doctorants en sciences (Résidoc) se penche sur les conditions de possibilité de développement d’une science infirmière en mettant à disposition les compétences de chacun.