Objectif Soins n° 255 du 01/04/2017

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

La qualité est une notion relativement récente à l’hôpital : elle se trouve pourtant déjà à un tournant de son évolution. Coup d’œil dans le rétro !

Le monde de la santé, bien que tourné vers les patients, n’échappe pas à la logique de gestion de l’entreprise : l’environnement économique et concurrentiel a changé ces vingt-cinq dernières années et c’est dans cette logique que les autorités publiques ont souhaité proposer une offre sanitaire de plus en plus concurrentielle.

DES USAGERS NETTEMENT PLUS PRÉSENTS

Désormais, le patient n’est plus seulement au centre du soin en tant qu’acteur mais également en tant que consommateur, ce qui place les établissements de santé dans une démarche nécessaire de qualité et de recherche de la satisfaction du patient. D’autant que le scandale du sang contaminé au début des années 1990 a posé les premiers jalons de la sécurité liée aux soins et aux produits de santé, une époque qui correspond également à la création de l’Agence du médicament – qui deviendra plus tard l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’Afssaps, puis l’actuelle Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM.

DES RÉFORMES QUI MODIFIENT LA SÉCURITÉ SANITAIRE

Années 1990

Les années 1990 sont également marquées par des réformes hospitalières, celle de 1991 plaçant l’hôpital autour de trois grands axes : l’accroissement des contraintes réglementaires, l’ajustement de l’offre à la demande et la recherche de normalisation des coûts. Une démarche qui introduit les notions de compétitivité et de concurrence et préfigure l’idée de la nécessité de critères d’évaluation des établissements de santé et donc la mise en place d’une démarche qualité.

Années 1996 à début 2000

C’est en 1996 que la qualité en tant que telle est abordée à l’hôpital avec l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 qui introduit la notion d’accréditation de l’établissement de santé.

S’ensuit la mise en place l’année suivante de l’Agence nationale d’accréditation et de l’évaluation de la santé, l’Anaes, émanation de l’Agence pour le développement de l’évaluation médicale, l’Andem, qui est elle-même l’ancêtre de la Haute Autorité de santé, la HAS, qui pilotera cette démarche d’accréditation puis de certification des établissements de santé. Dès lors sont instaurées les vigilances sanitaires (1998) et leurs cortèges d’agences pour les piloter (Afssaps, Institut national de veille sanitaire, Établissement français du sang, Agence de biomédecine, etc.).

DES INDICATEURS POUR JAUGER LA QUALITÉ

L’hôpital ne peut alors plus échapper à la marche en avant de la qualité et de la sécurité des soins : en 2004, les indicateurs font leur entrée à l’hôpital avec le tableau de bord des infections nosocomiales qui instaure la notion d’évaluation et de classement des établissements de santé.

« Ces indicateurs sont devenus aujourd’hui incontournables, rappelle le Dr Arnaud Fouchard, adjoint au chef du service indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins à la HAS. Ces premières mesures ont notamment permis un déploiement de la culture d’évaluation et de sécurité à l’hôpital mais ne reflètent pas avec précision le niveau de qualité des pratiques. » Dernier indicateur en date, e-Satis, qui mesure, avec un questionnaire en ligne, la satisfaction des patients hospitalisés : « C’est une des dimensions incontournables de mesure de la qualité et, après plusieurs années d’expérimentation, il vient compléter les dispositifs de mesure existants », explique le Dr Arnaud Fouchard.

Des appréciations hétérogènes

Les recueil de ces appréciations, présenté en décembre dernier, montre une grande hétérogénéité des résultats avec un bon score sur la qualité de la prise en charge, un score moyen concernant l’accueil dans l’établissement et des améliorations nécessaires au niveau de l’organisation de la sortie ou de la qualité de la chambre et des repas. « La sortie d’hospitalisation est un moment où les risques de rupture de continuité des soins sont importants avec, pour conséquences, des ré-hospitalisations non programmées, une aggravation de l’état de santé du patient, des situations d’anxiété inutiles mais aussi des insatisfactions du patient », indique la HAS.

Des indicateurs obligatoires

Depuis 2016, un arrêté fixe chaque année la liste des indicateurs obligatoires pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et les conditions de mise à disposition du public de certains résultats par l’établissement de santé. Dans l’arrêté du 10 février 2017* figurent les indicateurs du tableau de bord des infections nosocomiales (maintenant infections associées aux soins, IAS), la satisfaction des patients, les indicateurs évaluant la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral, l’hémodialyse ou encore ceux relatifs à l’hémorragie du post-partum. La fiche descriptive de chacun de ces indicateurs est disponible sur le site Internet de la HAS et certains d’entre eux sont pris en compte pour le calcul du montant de la dotation complémentaire pour l’amélioration de la qualité (IFAQ) (en annexe de l’arrêté).

ÉVOLUTION ET TENDANCES

Un référentiel a donc été mis en place par la HAS pour préparer correctement la lettre de liaison qui doit être remise au patient à l’issue de son séjour à l’hôpital. Un indicateur traitant de la qualité de ce document a également été élaboré : « Cela correspond aussi à une obligation réglementaire pour les hospitaliers qui ont le devoir de remettre, le jour de la sortie de l’hôpital, un courrier reprenant le motif de l’hospitalisation, la synthèse médicale du séjour, les résultats des actes et examens complémentaires réalisés, les traitements médicamenteux prescrits et le suivi médical préconisé », explique le Dr Arnaud Fouchard.

« À l’avenir, les indicateurs de moyens seront progressivement abandonnés – les résultats étant très bons dans la plupart des domaines, les poursuivre n’a pas de grand intérêt – mais ceux concernant les processus vont continuer à se développer : c’est le cas par exemple de l’indicateur sur la lettre de liaison ou de la prise en charge en rééducation après un accident vasculaire cérébral. Nous souhaitons surtout nous orienter vers davantage de mesures des résultats comme la satisfaction des patients qui sera étendue, l’amélioration de la qualité de vie après les soins ou encore la mesure de certains événements indésirables dont la mortalité. La compréhension et l’utilisation par les usagers des résultats des mesures de la qualité doit aussi progresser », conclut le Dr Arnaud Fouchard.

* Le texte de l’arrêté à consulter via le lien raccourci bit.ly/2oGkwXn

3 QUESTIONS À… RENÉ AMALBERTI « LE RISQUE VA AUGMENTER »

René Amalberti, conseiller en sécurité des patients à la Haute Autorité de santé et auteur de Safer Healthcare, Strategies for a real world*

1 « Nous assistons à une professionnalisation de la gestion du risque, de la culture de sécurité et de la qualité des soins à l’hôpital : celle-ci parvient-elle à s’imposer et peut-elle encore connaître des évolutions ?

Pr René Amalbert : Cette préoccupation de la sécurité des soins est une notion que l’on peut dater des années 1980, même s’il est vrai qu’elle a vraiment commencé à être marquée dans les années 1990. On a beaucoup progressé et, malgré tout, les chiffres restent constants : trop de patients – environ un sur mille – meurent encore directement des soins qui leur sont prodigués. Mais cela s’explique par le fait que l’on introduit plus de risques, on s’occupe de davantage de patients qui sont plus gravement atteints et on introduit donc un facteur supplémentaire de risque. On observe ainsi un contraste important entre une médecine performante et une augmentation des événements indésirables, mais derrière laquelle se cache une réalité faite d’une population vieillissante et atteinte de pathologies de plus en plus lourdes comme les accidents vasculaires cérébraux et les cancers. Au final, l’amélioration de la sécurité est bien réelle dans ce contexte de risques ajoutés.

2 Comment a évolué la gestion des risques depuis sa prise en compte par les équipes soignantes et quel tournant peut-elle prendre ?

Pr R. A. : Nous sommes passés d’une vision de départ simpliste où l’on pensait qu’il suffisait simplement de voir et de signaler les problèmes pour s’améliorer. Avec le risque d’une déclaration punitive des événements indésirables. Cette démarche a évolué en regardant du côté de l’industrie, notamment en observant ce qui se passait du côté de l’aéronautique et du nucléaire. Il s’en est suivi l’instauration d’une profession de qualiticien et de spécialiste de la qualité et de la gestion des risques : on a importé une compétence scientifique qui a permis d’aborder ces notions sous un nouveau jour. Puis on s’est mis à impliquer les médecins dans la gestion de la sécurité, notamment avec les registres et l’accréditation qui ont été un levier important pour introduire une routine analytique de la gestion des risques. Il faut quelques années de recul pour observer des bénéfices mais la dynamique est en marche et le travail d’équipe est un pilier de cette démarche.

3 Quel avenir donc pour la sécurité des soins ?

Pr R. A. : La population vieillit et les établissements de santé vont être amenés à opérer une transformation globale dans la manière de prendre en charge les patients : 30 % des Français auront 60 ans et plus en 2030. Clairement, le risque va augmenter. Il va falloir opérer un transfert des soins primaires vers une prise en charge longue. Les patients resteront moins longtemps à l’hôpital, seront pris en charge sur des épisodes aigus : on va donc passer d’un système de séjour à un système de flux avec un partenariat essentiel, l’implication du patient dans sa propre prise en charge. Ce qui nécessite donc de revoir la manière d’aborder la qualité : si l’on prend l’exemple des indicateurs, il va falloir en faire évoluer certains sur une vision à trente jours. L’industrie nous apprend beaucoup sur la capacité à gérer les événements indésirables, le monde de la santé doit s’en inspirer. Il va falloir changer et accepter d’avoir une analyse des événements indésirables moins priorisée sur la recherche des causes mais plus centrée sur l’analyse des risques et de l’événement dans l’épisode de soins pour apprendre des autres et pouvoir détecter encore plus rapidement les problèmes ».

* Téléchargeable gratuitement via le lien raccourci bit.ly/1ORdipy

Un vocabulaire issu de l’industrie

Le vocabulaire autour de la notion de qualité à l’hôpital est fortement calqué sur celui de l’industrie : certification, normes ISO, démarche qualité, cellule qualité, référentiel qualité, contrôle qualité sont autant de termes issus du monde de l’entreprise. « La définition de la qualité que fournissent les managers est proche de celle du référentiel de l’Anaes. Elle consiste en un “habillage” – plus qu’une traduction – des concepts du management de la qualité d’origine industrielle pour les établissements de santé. L’accréditation ou l’autoévaluation remplacent la certification, visite et experts-visiteurs sont employés en lieu et place de “certification”, “audit” et “auditeurs”, référentiel ou référence en lieu et place de norme », expliquent Stéphane Fraisse, Magali Robelet et Didier Vinot, auteurs de La qualité à l’hôpital : entre incantations managériales et traductions professionnelles*.

* Dans la Revue française de gestion (2003), chez Lavoisier.