Objectif Soins n° 256 du 01/05/2017

 

Promotion de la santé

Françoise Vlaemÿnck  

Près de deux ans après la fin de l’épidémie Ebola, l’étude internationale PostEbogui, conduite par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en partenariat avec l’Institut de recherche et du développement (IRD) et le CHU de Donka à Conakry en Guinée, met en lumière les conséquences cliniques et psychosociales rencontrées par nombre de survivants(1).

Ils sont quelque 17 000. On les appelle les “survivants”.

Infectés par le virus Ébola durant l’épidémie qui a sévi en Afrique de l’Ouest de mars 2014 à fin 2015(2), ils s’en sont sortis alors que jusqu’alors très peu avaient réchappé à la fièvre hémorragique depuis 1976, année de la première manifestation du virus chez l’homme.

Au total, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 28 571 cas ont été signalés pour les trois pays les plus affectés jusqu’à octobre 2015 : la Guinée (3 810 cas), le Liberia (10 672 cas) et la République de Sierra Leone (14 089 cas)(3). Parmi eux, 11 314 décès ont été dénombrés : 2 536 en Guinée, 4 808 au Liberia et 3 955 en Sierra Leone. Ce qui représente une létalité de près de 40 %.

En première ligne durant des mois, les soignants n’ont pas été épargnés. Dans les trois pays de la zone épidémique, 513 ont en effet succombé à Ebola parmi les 881 contaminés par le virus. Jusqu’à présent, « peu de données [existaient] concernant les personnes ayant survécu aux épidémies d’Ebola par le passé. En cause : le nombre trop faible de survivants et des structures de recherche en état d’urgences inadaptées », relève ainsi l’étude PostEbogui. « En 2014, lorsque je me suis rendu en zone épidémique, lorsque les patients sortaient d’hospitalisation après la phase aiguë, on leur donnait un kit compassionnel (un peu d’argent et de riz) et ils devaient ensuite se débrouiller ! Bien sûr, il y avait l’urgence de la situation mais, pour ces personnes qui avaient subi un stress et qui, en entrant dans ces camps de soins, pensaient qu’ils n’allaient sans doute pas en sortir vivants, le traumatisme était évident. Or, à l’époque, la phase aiguë passée, les patients étaient déclarés guéris sur un critère purement biologique : absence du virus dans le sang par PCR », explique le Pr Éric Delaporte, du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Montpellier (Hérault) et investigateur de l’étude PostEbogui (lire l’interview p.40).

DES COMPLICATIONS MÉDICALES QUI PERDURENT

Dès novembre 2014, soit moins d’un an après le début de l’épidémie d’Ebola dans la région, l’Inserm a organisé, en partenariat avec l’Institut de recherche et du développement et le département des maladies infectieuses du CHU de Donka à Conakry en Guinée, un suivi médical des personnes qui ont survécu à l’infection par le virus. Ce suivi intervient dans le cadre d’une large cohorte de recherche.

Suivi

Quelque 802 personnes (adultes et enfants), sur les 1 270 survivants de l’épidémie déclarés en Guiné, ont été incluses dans la cohorte PostEbogui à partir de mars 2015.

L’âge médian des participants est de 28 ans (de 1 à 79 ans), 45 % des hommes et un patient sur cinq, un enfant de moins de 18 ans. Le suivi biologique, psychologique, sociologique ainsi que la mesure de leur charge virale ont été réalisés un, trois, six, neuf et douze mois après leur inclusion dans l’étude.

Résultats

« Les résultats de leur suivi montrent qu’un an après leur hospitalisation initiale, trois survivants sur quatre déclarent encore des problèmes de santé », indique Éric Delaporte.

• Ainsi, 40 % souffrent de fatigue ou de fièvre mais également pour 38 % de douleurs musculo-squelettiques et abdominales (22 %), tandis que 18 % souffrent de problèmes visuels, telle une conjonctivite, mais aussi d’infections graves avec des déficiences visuelles pouvant conduire à la cécité, et 35 % se plaignent de maux de tête et de dépression (17 %).

• Plus d’un survivant sur quatre déclare aussi être victime de stigmatisation.

• L’étude PostEbogui montre que la fréquence de ces symptômes tend à s’atténuer dans le temps et, à mesure que l’on s’éloigne de la phase aiguë de l’infection, deviennent alors moins prégnants.

• Comparés aux adultes, les enfants ont eu davantage d’épisodes de fièvre sur le long terme mais moins de douleurs musculo-squelettiques et de problèmes oculaires.

• Quant à la persistance du virus dans le sperme, elle est avérée : il a pu être retrouvé jusqu’à dix-huit mois après la phase aiguë chez 5 % des patients. « Aucun cas de contamination de transmission sexuelle n’a été rapporté », précise cependant le Dr Hilde de Clerck, de Médecins sans frontière, qui s’est rendue une quarantaine de fois sur site durant l’épidémie.

Le syndrome post-Ebola

« Les résultats de cette première grande cohorte nous permettent de mieux caractériser ce que nous appelons désormais le “syndrome post-Ebola”. Des complications médicales perdurent ou apparaissent après la phase aiguë de l’infection et ne sont pas négligeables. Elles justifient qu’un suivi médical des patients atteints d’Ebola soit effectué au moins pendant les dix-huit mois qui suivent l’infection », explique ainsi le Pr Éric Delaporte.

VERS UN VACCIN EXPÉRIMENTAL CONTRE EBOLA ?

Piloté par l’OMS en collaboration avec la Guinée et des partenaires internationaux, un essai clinique vaccinal contre le virus Ebola, dont les résultats ont été publiés en décembre 2016(1), marque une avancée majeure dans la lutte contre cette maladie identifiée il y a quarante ans.

Une réelle efficacité

“VSV-EBOV”, c’est le nom de code du probable futur vaccin contre le virus Ebola. Mis au point par des chercheurs du Laboratoire national de microbiologie du Canada et inoculé à quelque 6 000 personnes en 2015 en Guinée, dans le cadre d’un essai clinique en double aveugle, l’essai conduit par l’OMS a montré une réelle efficacité vaccinale puisqu’aucun des volontaires n’a été infecté par le virus alors que 23 personnes non vaccinées du groupe témoin l’ont été.

La conclusion de cette étude suggère que le vaccin pourrait être efficace à 100 %. Selon l’OMS, « les chercheurs estiment ainsi qu’il y a 90 % de chances que le vaccin soit à plus de 80 % efficace ». Un taux qui grimperait même à 100 % pour la période de dix jours suivant l’inoculation à une personne saine mais en contact avec des malades d’Ebola.

Mais si la protection intervient très tôt après la vaccination, les chercheurs ignorent si elle dure dans le temps et au moins dans les six premiers mois après la vaccination.

Des réserves

Le VSV-EBOV a été conçu à partir du virus de la stomatite vésiculaire (VSV), choisi par les chercheurs pour sa capacité à stimuler le système immunitaire sans pour autant mettre en danger la personne vaccinée. Reste à étudier la survenue d’effets indésirables graves relevés chez trois personnes (une réaction fébrile, une réaction allergique et un syndrome grippal) – des effets secondaires néanmoins temporaires et sans séquelles chez les trois personnes.

Par ailleurs, l’innocuité du vaccin chez les jeunes enfants et les femmes enceintes n’a pas encore été déterminée. Toutefois, comme le rappelle la sous-directrice générale de l’OMS, le processus complet d’approbation peut prendre dix ans ou plus. Entre-temps, en cas de grave crise sanitaire liée à Ebola, un accord entre Merck et l’Alliance mondiale pour les vaccins (GAVI) devrait permettre la délivrance en urgence de 300 000 doses puis d’un million de vaccins.

MAINTENIR LA PRÉVENTION

En visite, le 3 mai dernier, à Conakry dans le cadre d’une réunion consacrée aux vaccins anti-Ebola, Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, a déclaré que « les scientifiques ne savent pas encore avec exactitude où, dans la nature, le virus Ebola se cache entre deux flambées, mais presque tous les experts conviennent qu’une nouvelle épidémie est inévitables ». Pour Hilde de Clerck, le risque d’une reprise de la transmission n’est pas nul, puisque le virus circule dans la population des chauves-souris, son réservoir naturel. « Il y a donc toujours la possibilité de l’introduction du virus chez l’homme par l’animal. D’autant que, dans certains groupes de population qui vivent en région forestière, il nous a été rapporté qu’il est de tradition de chasser différents animaux, dont les chauves-souris. On a travaillé avec les centres de santé afin d’augmenter l’hygiène de base et ainsi contrôler l’infection, mais il est difficile de maintenir cette vigilance et un training continu. C’est vrai là-bas, comme c’est vrai partout dans le monde. Après, c’est un défi que doivent mener les pouvoirs publics, et notamment les organismes sanitaires locaux. »

En de cas de reprise de l’épidémie, plusieurs mesures ont été annoncées par l’OMS : mise en quarantaine ou en isolement, ainsi que la vaccination en “anneaux”. Une technique vaccinale qui consiste à immuniser des cercles ou groupes de gens en contact – de près ou de loin – avec un malade. « Cette stratégie peut avoir un impact significatif, même si les stocks de vaccins sont dans un premier temps limités », a confié la directrice générale de l’OMS, qui estime cependant « que le monde sera mieux armé pour contrôler la prochaine épidémie, notamment grâce aux dispositifs de prévention mis en place au cours de la précédente crise ». Et grâce aussi aux travaux des chercheurs…

NOTES

(1) The Lancet Infectious Diseases, www.thelancet.com, janvier 2017.

(2) Période officielle de l’épidémie.

(3) Cas confirmés, probables ou suspectés, et 36 autres cas, dont quinze mortels, ont été répertoriés en Espagne, États-Unis, Italie, Mali, Nigeria, Royaume-Uni et au Sénégal.

TROIS QUESTIONS AU PR ÉRIC DELAPORTE

ÉRIC DELAPORTE Service des maladies infectieuses et tropicales, CHU Montpellier et investigateur PostEbogui

1 Quel est l’intérêt d’une étude comme PostEbogui ?

Elle correspond à deux besoins. D’une part, prendre en charge les patients et, d’autre part, comprendre ce qui se passe après la phase aiguë de la maladie. Jusqu’alors, il existait quelques informations sur des patients qui avaient survécus : douleurs, pathologies oculaires, présence du virus dans le sperme quelques semaines après leur guérison…, mais nous ne possédions pas de données complètes sur une grande cohorte. L’objectif de cette recherche était donc de mettre en place un suivi patient, comme cela se fait dans les pays du Nord, à la fois pour répondre à un besoin humanitaire mais également pour mieux cerner ce qu’on appelle le “syndrome post-Ebola”. Le suivi de l’évolution des symptômes va encore se poursuivre durant dix-huit mois encore puisque nous avons obtenu les financements pour cela.

2 Qui assure et finance le suivi des patients aujourd’hui ?

Les services de santé guinéens sont très faibles et si, au moment de la phase aigue de l’épidémie, beaucoup d’argent et de moyens humains ont été déployés, une fois jugulée, tout s’est arrêté. Aujourd’hui, seule PostEbogui, financée par l’Inserm, assure de façon continue le suivi et la prise en charge des survivants. Concrètement, on cherche dans tous les liquides corporels la présence du virus, et on a eu la surprise de découvrir qu’il était présent dans le sperme jusqu’à dix-huit mois après la phase aiguë – cela ne signifie pas qu’il existe un risque de contamination puisqu’avec le temps la charge virale diminue – mais cette découverte nécessite un management particulier après du patient et du counseling pour prévenir la transmission sexuelle. C’est vraiment de la recherche appliquée sur le terrain. On travaille étroitement avec les associations locales, par exemple, nous avons fourni quelque 70 paires de lunettes à des adultes et enfants.

3 PostEbogui peut-elle permettre de prévenir la résurgence du virus ?

Pas directement puisqu’on se situe dans la prise en charge des patients ; en revanche, si l’on devait connaître une nouvelle flambée épidémique, PostEbogui contribuera à la mise en place de standards de prise en charge au long cours qui vont être dégagés et formatés : quel fluide il faut tester et jusqu’à quand ? La coordination nationale s’est d’ailleurs basée sur les résultats de notre cohorte pour définir durant combien de temps il fallait surveiller la présence du virus dans le sperme et ce qu’il fallait proposer en termes de prise en charge et de suivi. Parallèlement, nous développons également un projet sur les réservoirs du virus pour savoir où et comment il circule.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Lire également l’article intitulé “Ebola, que reste-t-il des compétences des soignants ?”, publié dans notre numéro 254 de mars 2017.