Objectif Soins n° 256 du 01/05/2017

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Les résultats d’une étude co-réalisée par le Geres et le Raisin montrent que les AES ont diminué de près d’un quart depuis 2008. De très bons résultats qui ne doivent néanmoins pas faire baisser la garde face à ce risque spécifique.

La surveillance des AES (accidents d’exposition au sang) est l’une des priorités du programme national de prévention des infections nosocomiales. Le Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres) et le Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin) viennent de rendre les conclusions de leur étude sur les AES*. Cette étude couvre un ensemble de 825 établissements de santé dans lesquels ont été recensés 14 624 AES en 2015. Des résultats globalement en forte diminution par rapport à la précédente étude de 2008, qui ont pour objectif de connaître l’épidémiologie du phénomène et d’en dresser une cartographie, afin de favoriser la prévention et de réagir, le cas échéant.

L’ÉTUDE

Dans cette étude, les établissements ciblés l’ont été sur la base du volontariat et choisis si un accident d’exposition au sang avait été déclaré dans l’année 2015 à la médecine du travail.

Au global

Les résultats globaux documentent 14 624 accidents d’exposition au sang survenus dans 825 établissements pour un total de 256 657 lits d’hospitalisation (soit 59,4 % des lits d’hospitalisation ou places couverts par la surveillance). L’âge moyen des victimes d’accidents d’exposition au sang se situe à 34,8 ans +/- 13,9 ans avec un sex-ratio de 0,23 avec 2 710 hommes (19 %) et 11 556 femmes (81 %), six accidents d’exposition au sang sur dix sont rapportés par un personnel paramédical, majoritairement féminin, infirmières et aides-soignantes en tête.

Typologie des AES

Parmi ces accidents d’exposition au sang, on recense quasiment 80 % d’accidents percutanés (APC), essentiellement par piqûre et coupures superficielles, majoritairement lors d’actes infirmiers. Un tiers de ces accidents surviennent en médecine, le reste se répartissant à part variable dans les autres services avec respectivement 18 % au bloc, 12 % en chirurgie et 8 % aux urgences.

Parmi ces piqûres involontaires, la majorité l’est par manipulation d’aiguille (retrait ou suture). Un accident d’exposition au sang sur six survient sans contact avec le patient, notamment lors du rangement, de la collecte et de l’élimination des déchets mettant en exergue un contact avec du matériel souillé.

MOYEN DE PRÉVENTION VS ACCIDENTOLOGIE

La prévention de la transmission des agents infectieux véhiculés par le sang ou les liquides biologiques reposent sur la vaccination contre l’hépatite B, la formation et le respect des précautions standard d’hygiène lors des soins exposant le personnel ou les patients à des liquides biologiques. Mais aussi sur la surveillance, l’utilisation rationnelle du bon matériel sécurisé et enfin sur l’évaluation des actions entreprises.

Ce respect des précautions standard représente, selon le rapport du Geres, « le seuil de sécurité minimal », alors que l’utilisation de matériels intégrant la sécurité du soignant participe de la prévention du risque de survenue des accidents d’exposition au sang en établissant une barrière entre le soignant et le matériel qu’il utilise.

Vaccination

Du point de vue de la vaccination, le rapport souligne un statut immunitaire de 97 % d’immunisés par rapport à l’hépatite B, une grande majorité l’étant par la vaccination.

Gants

Les autres moyens de prévention ont également été notés, notamment le port de gants. Sur cet item, il apparaît que, dans 22,6 % des cas, le personnel exposé ne porte pas de gants, montrant ainsi qu’une marge de progrès est encore possible pour dépasser le 90 % d’observance.

Organisation

Autre point, la présence d’un collecteur à portée de main selon la tâche en cours : parmi les 11 476 accidents d’exposition au sang où un collecteur aurait dû, d’après l’enquêteur, être présent, 17,3 % des accidentés n’en disposaient pas à portée de la main.

Ainsi, si la fréquence du port de gants s’améliore entre 2008 et 2015 au sein de la cohorte, en revanche, la mise à disposition du collecteur à proximité ne progresse pas.

LIEN ENTRE ACTE ET ACCIDENT

Le focus sur les accidents percutanés a permis d’identifier, par catégorie professionnelle, les tâches, les mécanismes et les matériels les plus souvent associés à un accident percutané. Ainsi, les gestes les plus souvent en cours lors d’un accident percutané étaient, par ordre de décroissance :

• les gestes infirmiers (44,5 %). Les gestes infirmiers les plus fréquemment à l’origine d’un accident percutané étaient les injections (45,3 %), notamment sous-cutanées (37,3 %), suivies par les prélèvements sanguins (34,2 %) et la pose de voie veineuse périphérique (8,8 %) ;

• les gestes chirurgicaux (22,1 %). La suture (34,5 %) est l’acte le plus fréquemment à l’origine d’un accident percutané ;

• les tâches sans contact avec le patient (18,5 %). Les actes de nursing et d’hygiène peuvent également être à l’origine d’accidents d’exposition au sang, le plus souvent par la manipulation de lame (31,2 %), à la suite de « mécanismes non listés dans le thésaurus », précise l’étude.

Des précisions sont ainsi attendues pour mieux appréhender les points critiques et mettre en place d’éventuelles actions correctives.

ENCORE UNE MARGE DE PROGRÈS

L’analyse de l’enquête montre donc des tendances claires et particulièrement encourageantes avec :

• une diminution significative de la part d’accidents percutanés évitables (39,9 % en 2008 versus 31,9 % en 2015) ;

• une augmentation de la fréquence du port de gants (68,5 % en 2008 versus 76,9 % en 2015) ;

• la mise à disposition croissante des dispositifs médicaux sécurisés, même si, sur ce point, la mise à disposition d’un collecteur à proximité du geste ne s’améliore pas.

Le Geres et le Raisin concluent sur une nécessaire poursuite d’efforts pour améliorer le respect des précautions standard, notamment en rappelant sans cesse, lors de la prise de fonction d’un personnel et en cours d’activité, l’absolue nécessité de les respecter afin de limiter le risque d’accidents d’exposition au sang.

En ce qui concerne les matériels de sécurité, la commande croissante de dispositifs médicaux sécurisés parmi les quatre ciblés dans la surveillance (cathéters, seringues à gaz du sang, aiguilles pour chambre à cathéter implantable, aiguilles à ailette) et la tendance à sécuriser davantage de dispositifs médicaux au fur et à mesure des années se confirment sur le rapport 2015. À ce titre, l’implantation des matériels de sécurité renforcée par la directive européenne 2010/32/UE du Conseil de l’Europe du 10 mai 2010 et transcrite en droit français par l’arrêté du 10 juillet 2013 devrait inciter encore davantage les établissements à un effort de sécurisation des dispositifs au sein de leur structure. Désormais, le travail du Réseau AES se réoriente vers la surveillance de la vaccination et des conditions d’immunisation du personnel hospitalier, sans pour autant baisser la garde sur la prévention globale des accidents d’exposition au sang.

* “Surveillance des accidents avec exposition au sang dans les établissements de santé français”, à lire via bit.ly/2lchgoB

AES, rappel de la chronologie des démarches

→ En urgence, faire des premiers soins : en cas de projection sur les muqueuses, rincer abondamment à l’eau ou au sérum physiologique ; en cas de coupure ou piqûre, voire de contact avec une peau lésée, ne pas faire saigner, laver puis désinfecter pendant au moins 5 minutes avec du Dakin, de l’eau de Javel ou à défaut de la polyvidone iodée ou de l’alcool à 70°.

→ Dans l’heure qui suit : prendre un avis médical sur le risque infectieux et mettre en route, le cas échéant, un traitement post-exposition, idéalement dans les quatre heures.

→ Dans les 24 heures, informer la hiérarchie, faire une déclaration d’accident auprès de la médecine du travail.

AES, quels risques ?

Les AES peuvent être responsables de la transmission de maladies infectieuses chez le personnel soignant : VIH, VHB et VHC sont les séroconversions les plus souvent rapportées dans la littérature. Le risque moyen de transmission après une exposition à risque du sang d’un patient positif au VIH est de 0,3 %, entre 0,5 et 3 % pour le VHC et entre 2 et 40 % pour le VHB.

Orion, Alarm et CREX

Comme tout accident, la survenue d’un AES résulte d’une cascade d’événements cliniques dont l’analyse permet de comprendre les circonstances de survenue. Celle-ci permet de mettre en place des mesures palliatives pour empêcher qu’il ne se reproduise. C’est l’objectif de la méthode Orion, fondée sur l’expérience de l’aéronautique : celle-ci reposesur un ensemble de six étapes qui vont de la collecte des données à la rédaction d’un rapport d’analyse en passant par la reconstitution de la chronologie de l’événement, l’identification des écarts et celle des facteurs contributifs et influents avant la proposition d’actions à mettre en œuvre. De la même manière, Alarm (Association of Litigation And Risk Management) repose sur l’identification de la cause immédiate d’un événement pour en rechercher les causes racines afin de les corriger. Cette méthode a l’avantage de balayer l’ensemble des facteurs et de faire que les professionnels observent l’ensemble des points-clés de leurs pratiques. Enfin, le CREX, Comité de retour d’expérience, part du principe que toute expérience, a fortiori mauvaise, apporte un bénéfice pour maîtriser les actions à venir, l’idée étant de « tirer des enseignements des erreurs, inhérentes à toute activité humaine afin d’empêcher qu’elles ne se reproduisent », comme l’explique James Reason, dans une étude de 2013. La démarche inclut l’analyse des signes précurseurs, car tout incident/accident est précédé d’événements annonciateurs, en quelque sorte, de la suite, eux-mêmes placés sous l’influence de facteurs contributifs (environnement, technique, processus organisationnel, facteur humain).