Objectif Soins n° 256 du 01/05/2017

 

Droit

Gilles Devers  

Dans cet exemple précis, la décision de justice souligne la différence entre la responsabilité, fondée sur la preuve de la faute, et la recherche de la qualité dans la prise en charge. Une décision qui montre aussi que la notion de droit des patients doit être appréciée de manière contextualisée.

Un après-midi tranquille dans un Ehpad… Un peu de sous-effectif, mais le service est paisible. Soudain, l’équipe découvre le décès d’un patient et panique quelques heures devant la famille en niant la mort. La famille va engager des recours en justice, mais, par un arrêt du 21 février 2017 (n° 15BX01884), la Cour administrative d’appel de Bordeaux (Gironde) va écarter toute responsabilité.

UNE MORT SOUDAINE, UNE ÉQUIPE DÉSARÇONNÉE…

L’affaire a eu lieu dans un Ehpad, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Cet établissement héberge, depuis trois ans, un homme âgé de 55 ans présentant des troubles de comportement de type psychiatrique. Il bénéficiait d’un traitement neuroleptique et sédatif au long cours. Il disposait d’une grande liberté d’aller et venir au sein de l’établissement. La prise en charge et la surveillance n’avaient pas posé de problèmes spécifiques jusque-là.

Les faits ont eu lieu dans l’après-midi du 23 septembre 2011. L’équipe de soins comprenait quatre personnes : une infirmière, une aide-soignante, une aide médico-psychologique et un agent des services hospitaliers.

Un membre de l’équipe a croisé le résident vers 14 heures 30 – ce sera d’ailleurs le dernier contact – et n’avait pas relevé de problème particulier.

Le pensionnaire est resté dans les parties communes et le réfectoire jusque vers 16 heures 15, pour aller rejoindre sa chambre, où il voulait se reposer. Au vu des événements qui vont suivre, on peut penser qu’il se sentait en réalité très mal, mais rien ne le laissait apparaître dans son comportement, et il ne s’est plaint de rien.

Vers 18 heures, deux sœurs du pensionnaire sont arrivées dans l’établissement pour visiter leur frère. Les familles n’ayant pas accès aux chambres, un autre pensionnaire s’est proposé d’aller le chercher dans sa chambre. Or il est revenu quelques minutes plus tard, catastrophé, annonçant qu’il avait trouvé l’homme gisant sur le sol, et dans un tel état qu’il le croyait mort. L’aide médico-psychologique, présente sur place, s’est immédiatement rendue sur les lieux et a alerté l’infirmière.

Celle-ci est arrivée très rapidement. Elle a installé la victime en position latérale de sécurité et a recherché en vain des signes vitaux. La mort était manifeste.

Elle a cherché à joindre le médecin de garde et le cadre de santé, mais aucun des deux n’était présent sur place, n’étant pas de permanence dans l’établissement, et elle a contacté le SAMU vers 18 heures 30. Elle s’est alors adressée aux deux sœurs, les rassurant faussement en leur indiquant que le voisin de chambre s’était trompé en parlant de décès, que leur frère avait eu un « grave malaise » et que le SAMU allait arriver rapidement pour une prise en charge. Dans l’attente, elle s’est opposée à leur entrée dans sa chambre « pour des raisons sanitaires et de dignité du résident ». En réalité, elle avait en tête, d’une part, le protocole prévu en cas de mort suspecte, qui préconisait notamment de fermer la chambre à clé et, d’autre part, les préconisations du règlement de fonctionnement de l’établissement interdisant l’entrée des visiteurs dans les chambres.

Le SAMU est arrivé sur les lieux vers 18 heures 50. Le médecin a confirmé le décès, et il a alors informé les deux sœurs du décès, survenu quelques heures plutôt, alors que le patient était seul dans sa chambre. Il a précisé qu’aucun soin n’avait pu être prodigué.

Cet événement a donné lieu à la rédaction de plusieurs écrits : un rapport de prise en charge établi le jour même, cosigné par les quatre membres de l’équipe médicale présents, un rapport du directeur d’astreinte le jour même, et une note du directeur du centre hospitalier le 23 septembre.

DEUX PROCÉDURES

Procédure pénale

Le procureur de la République a été avisé le 25 septembre par les proches de la famille, qui ont déposé plainte. La famille est tout à fait en droit de déposer plainte, devant cette mort alors inexpliquée. En revanche, un point est discutable : le fait que la direction de l’établissement n’ait pas avisé d’elle-même le procureur de la République. En effet, devant des événements de cette nature, avec la mort d’un homme dans un établissement médico-social, il revenait au directeur d’établissement d’aviser le procureur, démarche qui ne présupposait pas une faute du personnel, mais qui est une application de l’article 40 alinéa 2 du Code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République. » La démarche doit enclencher sans attendre les certitudes, dès lors que les circonstances paraissent pouvoir être celles d’une infraction. Cette démarche du directeur d’établissement est parfois mal appréciée, étant vécue comme une dénonciation du personnel. Il n’en est rien : alors qu’un homme a perdu la vie, alors qu’il était en situation de vulnérabilité, il est normal d’en référer au procureur de la République, chargé de l’application de la loi, et qui appréciera la suite à donner.

Le procureur a décidé d’ouvrir une enquête, et a ordonné une autopsie, dont le compte rendu a été connu le 7 octobre. Cet examen a établi l’origine naturelle du décès, occasionné par un œdème pulmonaire massif avec syndrome d’inhalation bronchique dit “syndrome de Mendelson” ou “fausse route”. La cause exacte du décès n’a pu être déterminée avec précision : selon les conclusions de ce rapport, le patient est décédé des conséquences de l’entrée dans les bronches et les poumons de liquide gastrique imputable à des convulsions, un malaise ou des troubles du rythme cardiaque avec œdème pulmonaire cardiogénique. Sur la base de cette autopsie, ont été pratiqués un examen anatomo-pathologique et une expertise toxicologique, qui n’ont apporté aucun élément particulier.

Le procureur a procédé au classement sans suite de l’affaire le 24 juillet 2012.

La famille, convaincue que le décès aurait pu être évité, a accepté cette décision de classement sans suite, alors qu’elle aurait pu poursuivre l’action pénale en se constituant partie civile devant le doyen des juges d’instruction. A priori, deux raisons ont dû jouer, et qui sont propres au droit pénal.

D’abord, au pénal, les fautes doivent être individualisées. Or nous sommes dans l’hypothèse d’une insuffisance de surveillance partagée au sein de l’équipe, et non pas dans des reproches ciblés à l’encontre d’une ou plusieurs personnes déterminées au sein de cette équipe.

Ensuite, le lien de cause à effet doit être certain, le doute bénéficiant à l’accusé. Or on peut soutenir qu’une meilleure surveillance aurait pu changer le cours de choses, mais, devant le caractère massif de cette attaque et en l’absence de cause exacte du décès, qui peut être certain que le décès aurait été évité ? Nous sommes plutôt dans l’hypothèse d’une perte de chances, notion qui est prise en compte dans les affaires civiles, mais pas au pénal.

Procédure civile

La famille a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à réparer leur préjudice moral, en invoquant, d’une part, un défaut de surveillance et, d’autre part, l’atteinte morale liée aux fausses informations données par l’infirmière. S’agissant d’un recours en indemnisation, il est porté devant le tribunal administratif, et dirigé contre le centre hospitalier. Par jugement du 12 mars 2015, le tribunal administratif a rejeté les deux demandes, et ils ont formé appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, qui s’est prononcée le 21 février 2017.

FAUTE DANS LA PRISE EN CHARGE ?

La faute de surveillance

En droit

Le fondement juridique est l’article L. 1142-1-I du Code de la santé publique. Selon ce texte, la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Un établissement médico-social entre cette catégorie. Pour qualifier la “faute”, il faut prouver un manquement au regard de la qualité des soins attendus, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, et l’exigence est nécessairement moins grande dans un établissement médico-social que dans un établissement de santé. Mais attention : il faut peu de choses pour faire une faute. Cela commence avec des insuffisances du personnel, des inattentions ou des défauts dans l’organisation du service.

Par ailleurs, la preuve d’une faute ne suffit pas à engager la responsabilité de l’établissement. Cette responsabilité n’est engagée que si est démontrée la réalité d’un lien de causalité direct et certain entre ces fautes et le décès du patient. Des fautes apparues à l’occasion de l’examen d’une affaire, mais qui n’ont pas participé à la survenance du décès ne peuvent être retenues dans le cadre d’un recours en responsabilité.

Analyse de la Cour

La famille invoque le défaut de “surveillance médicale”, entendu non comme des fautes lors de la prise en charge ou du traitement du patient mais à des fautes dans l’organisation et le fonctionnement du service, avec une inadaptation de la prise en charge, conduisant à une surveillance insuffisante.

La Cour rappelle d’abord ce qu’a été la cause médicale du décès, avec la convergence du rapport d’autopsie et de l’examen anatomo-pathologique, pour décrire un décès, conséquence de l’entrée dans les bronches et les poumons de liquide gastrique, entrée imputable à des convulsions, un malaise ou des troubles du rythme cardiaque avec œdème pulmonaire cardiogénique. La cause immédiate est déterminée, mais pas la cause profonde. Il est exact que le patient bénéficiait d’un traitement neuroleptique et sédatif, qui a pu contribuer à l’aggravation de sa dépression respiratoire. Toutefois, alors que le pensionnaire résidait au foyer depuis près de trois ans, aucun précédent n’avait été signalé. Son état de santé faisait l’objet d’un suivi attentif, et aucune signe avant-coureur ne justifiait une adaptation du traitement. L’établissement était adapté à l’état de santé et ne justifiait pas d’une prise en charge hospitalière, le traitement était pris très correctement, l’expertise toxicologique n’ayant révélé aucun surdosage médicamenteux.

La Cour relève encore que le membre de l’équipe qui avait croisé le résident avant son décès, vers 14 heures 30, n’avait pas relevé de problème particulier.

Aussi, dans son volet clinique, la prise en charge ne laisse pas apparaître de faute médicale ou infirmière.

Insuffisance de l’effectif

En droit

La famille invoque ensuite un moyen plus général, l’insuffisance de l’effectif, qui a interdit au personnel présent cet après-midi-là de s’apercevoir plus tôt du malaise et de la crise qu’il révélait. Pour cela, elle se fondait sur deux textes issus du Code de l’action sociale et des familles.

L’article D. 344-5-13 de ce code prévoit, dans un établissement de ce type, que l’équipe pluridisciplinaire comprend ou associe : « 1° Au moins un membre de chacune des professions suivantes : a) médecin généraliste ; b) éducateur spécialisé ; c) moniteur éducateur ; d) assistant de service social ; e) psychologue ; f) infirmier ; g) aide-soignant ; h) aide médico-psychologique ; i) auxiliaire de vie sociale », effectif que l’on ne retrouvait pas cet après-midi-là.

Par ailleurs, l’article D. 344-5-14 du même Code ajoute : « Lorsque la taille de l’établissement ou du service ou le nombre de personnes accompagnées ne permettent pas la constitution totale de l’équipe pluridisciplinaire, l’établissement ou le service peut : 1° passer des conventions avec d’autres établissements et services sociaux et médico-sociaux ; 2° être membre d’un groupement de coopération », mais rien de tel n’avait été fait.

Analyse de la Cour

La Cour commence par rectifier la lecture de l’article D. 344-5-13 : « Ni ces dispositions, en aucun autre texte, ne prévoient la présence simultanée de tous les membres de l’équipe pluridisciplinaire susmentionnée au sein de l’établissement. » Le texte prévoit le regroupement de compétences, mais ne statue pas sur un effectif minimal devant se trouver en service. Ceci posé, la Cour admet que l’effectif était insuffisant ce jour-là, et elle note que la convention prévue par l’article D. 344-5-14 n’avait pas été signée. Deux points qui peuvent être qualifiés de faute.

Mais, comme il a été rappelé plus haut, il n’y a de responsabilité que si la faute a participé à la réalisation du dommage. Or, juge la Cour, ni la situation de sous-effectif, ni l’absence de la convention n’entraînent à elles seules, sans être corroborées par aucun autre élément, un lien de causalité avec le décès résultant d’un œdème pulmonaire massif avec syndrome d’inhalation, et qui est qualifié par les experts de “mort naturelle”.

D’abord, étaient présents au moment des faits quatre professionnels : une infirmière, une aide-soignante, une aide médico-psychologique et un agent des services hospitaliers. Pour soutenir que cela caractériserait un manque d’effectif, il aurait fallu prouver, de manière concrète, que la capacité d’accueil, l’état de santé des pensionnaires ou toute autre circonstance nécessitaient le renforcement de ces effectifs.

Ensuite, aucun élément du dossier ne montre que l’insuffisance des effectifs aurait rendu possible le décès du pensionnaire ou aurait privé celui-ci d’une chance de survie. Le pensionnaire a mené une journée normale et, en début d’après-midi, un membre du personnel l’a rencontré sans rien relever de particulier. Il a passé un temps au réfectoire, puis a rejoint sa chambre pour se reposer, sans que rien ne puisse alerter. En quoi un renforcement éventuel de l’équipe aurait-il pu changer effectivement le cours de choses ?

FAUTE DANS L’INFORMATION ?

Droit à l’information

En droit

La famille déplorait la manière dont le décès lui avait été masqué, avec de fausses informations qui avaient créé de faux espoirs, lors d’un moment si particulier. Elle se fondait sur le bien connu article L. 1111-2 du Code de la santé publique, qui pose le régime de l’information : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés (…). Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. »

Analyse

Manquement au devoir d’information ? La situation a été vécue ainsi par la famille, mais ce texte n’est pas valable dans une telle situation. En effet, ces dispositions législatives ne s’appliquent pas à l’information des proches en cas de décès d’un malade, mais aux actes médicaux proposés à ce malade ou à son tuteur. Sans fondement juridique, la demande a donc inévitablement été rejetée.

Information des proches

En droit

La famille évoquait ensuite la non-application de l’article R. 1112-69 du Code de la santé publique, aux termes duquel : « La famille ou les proches sont prévenus dès que possible et par tous moyens appropriés de l’aggravation de l’état du malade et du décès de celui-ci. » Là, le fondement juridique est pertinent, et il faut construire le raisonnement en fonction du régime de la responsabilité, à savoir l’alliance d’une faute et d’un dommage causé par cette faute.

Analyse de la Cour

Pour la Cour, on peut estimer qu’en délivrant aux deux sœurs de la victime, très inquiètes du fait des déclarations du voisin de chambre, des informations erronées sur l’état de leur frère décédé depuis plus de deux heures et en leur laissant supposer qu’il était encore en vie, l’infirmière a manqué, par maladresse et inexpérience, tant à ses obligations déontologiques de bienveillance auprès des proches, qu’aux prescriptions de l’article R. 1112-69 du Code de la santé publique.

Toutefois, ce qui est un manquement aux bonnes pratiques doit être apprécié de manière contextualisée avant de dire, qu’au cas précis, il y a une faute.

D’abord, dans cette situation si particulière, l’infirmière a estimé qu’il appartenait au seul médecin de garde de constater légalement le décès. Ce faisant, elle a confondu l’annonce du décès et la délivrance du certificat médical de décès, car aucun texte ne réserve aux médecins de constater un décès et de l’annoncer à la famille. En l’occurrence, il n’y avait aucun doute sur le décès, par l’absence de tout signe vital, toutes choses que l’infirmière doit affirmer dans le cadre du diagnostic infirmer et des compétences sur la surveillance des fonctions organiques. Il y a donc une méconnaissance de la fonction, mais cette idée que seul le médecin peut annoncer la mort à la famille, idée erronée, est assez présente dans la pratique.

De même, l’infirmière a empêché les deux sœurs, en dépit de leurs protestations, d’entrer dans la chambre de leur frère, en évoquant « des raisons sanitaires et de dignité du résident ». Elle devait certes procéder à des premiers gestes de toilette du mort, mais le motif était exagéré.

Pour l’infirmière, une telle mesure était également justifiée par l’application du protocole prévu en cas de mort suspecte préconisant notamment de fermer la chambre à clé et du règlement de fonctionnement de l’établissement interdisant l’entrée des visiteurs dans les chambres, mais c’est là une lecture trop littérale de ces recommandations.

Toutefois, juge la Cour, ces motifs ont été mal appréciés, mais ils n’étaient pas inexistants. Il n’y avait aucune intention hostile vis-à-vis de la famille, mais un manque de maîtrise de la situation, pour une infirmière qui devait en outre rassurer les autres pensionnaires. Elle a joué de manière trop stricte la “procédure”, en attendant l’arrivée du médecin et de l’infirmière coordinatrice, mais ces manquements ne sont pas suffisants pour être qualifiés de fautes pouvant engager la responsabilité.