Remplacer un cadre demande de réels efforts d’anticipation. Qui ne sont toutefois pas toujours suffisants… Aléas, accidents, pathologies graves, burn-out peuvent entraver toute anticipation. Difficile dans ce cas de couvrir un besoin instantané si ce n’est en recourant à des contrats à durée déterminée. Mais, attention, les candidats sont rares et les établissements doivent faire preuve d’ingéniosité pour recruter de tels profils. À moins de faire appel à des cabinets spécialisés.
Remplacer un cadre au pied levé, c’est rechercher la perle rare qui, en moins de quinze jours, aura saisi toutes les dimensions de son poste, y compris les données historiques du service et de l’établissement. Le temps est en effet compté sur des postes à durée déterminée de trois à six mois en moyenne. Cette durée définit également le statut du cadre remplaçant et explique que, côté administratif, les cadres sont peu, sinon jamais, embauchés en intérim. La raison en est simple : le recours à des cadres intérimaires s’avère peu rentable pour les établissements. Un coefficient
Les agences comme les établissements en conviennent à l’unanimité, l’intérim n’est pas adapté au statut du cadre de santé. Dans ce métier pour lequel tout “dépannage” est exclu, le remplacement s’improvise d’autant moins que la pénurie sévit. « J’ai quatre offres de postes de cadre en CDI pour une offre de poste en CDD », relève Sébastien Deslandes, directeur de l’antenne Île-de-France de Taga Medical. Cette agence de placement et de travail temporaire spécialisée dans le secteur médical, paramédical et social fournit des cadres de santé CDD “clé en main” aux établissements, du recrutement à la constitution du dossier administratif (contrôle des références en amont, de l’authenticité des diplômes…) à l’accompagnement sur le poste.
Sur un marché plus restreint que celui des soignants, les cadres sont de surcroît moins enclins à effectuer une vacation. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, comme le souligne Alain Peroni : « Sur un total de 16 827 postes de moins de trente jours, je ne compte que 576 postes de cadre et, parmi eux, 457 CDI pour 181 CDD et 85 intérims. »
L’un des facteurs de ce peu d’engouement pour les CDD tient sans aucun doute à la situation familiale du cadre. Il n’est pas rare que le cadre arrivé à cette fonction ait un statut social différent que celui d’un soignant en début de carrière. Installé, en charge de famille, il recherchera davantage la stabilité d’un poste en CDI. Les directeurs d’établissement relèvent d’ailleurs une forte attente de CDI dans la profession de cadres.
Autre facteur qui explique la réticence des cadres face aux CDD : la fonction même au sein d’un établissement requiert un investissement sur la durée et il est souvent difficile de se projeter dans un espace temps limité avec un tel niveau de responsabilité (lire le témoignage page suivante). Enfin, troisième facteur, le marché lui-même laisse peu de place à ces “intermittents”. Les CDD sont ainsi pratiquement absents des offres d’emploi de cadre dans la fonction publique hospitalière. « C’est un métier particulier, nous anticipons les besoins », « il n’est ni de l’intérêt du cadre, ni du nôtre d’engager sur une période restreinte », déclare-t-on aux directions des ressources humaines des centres hospitaliers pour expliquer l’absence de recrutement en CDD. Les établissements affirment faire face à l’urgence en recourant « en interne », en suppléant grâce au cadre supérieur ou encore en faisant appel aux mutations au sein de la fonction publique hospitalière.
La situation est différente dans les établissements privés, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les maisons d’accueil spécialisées ou encore les centres médico-sociaux.
Les directeurs des ressources humaines estiment en effet que, dans ces structures de plus petite taille, l’intégration d’un cadre sur une durée déterminée est plus envisageable. Ces offres d’emploi en CDD rencontrent cependant peu de succès, comme en témoignent les difficultés de certains directeurs. L’éloignement géographique et les difficultés pour trouver un logement sur un délai aussi court sont des freins non négligeables. Michel D’Haene, directeur de l’Ehpad de Quiberon (Morbihan), a pallié cette difficulté – aggravée en période saisonnière – en mettant un studio à disposition du cadre remplaçant. Les volontaires n’affluent pas pour autant. « Je reçois principalement des candidatures de cadres retraitées de la fonction publique hospitalière. Or ce statut ne leur permet pas d’occuper un poste en CDD, au risque, sinon, de perdre leur pension », note le directeur à la recherche d’une remplaçante pour sa cadre en congés maternité. Cette situation freine de facto toute embauche par la majorité des établissements.
C’est également le constat de Thierry Pécheux, responsable des ressources humaines du Centre hospitalier de proximité et Centre d’accueil et de soins de Saint-James dans la Manche. « Les cadres retraités de la fonction publique hospitalière cherchant à reprendre du service doivent être particulièrement vigilants, car leur pension retraite CNRACL risque d’être réduite, sinon gelée, si un seuil annuel de rémunération est atteint dans le cadre de leur CDD », avertit-il, alors que l’Ehpad intégré à l’hôpital de Saint-James propose, à partir du 1er septembre, un poste de cadre en CDD de dix mois pour remplacer son “faisant fonction de” admis en formation à l’école des cadres de santé.
Thierry Pécheux indique ainsi que des candidatures de cadres retraités de la fonction publique lui sont parvenues sans qu’une suite favorable puisse être donnée. « Nous allons probablement nous orienter vers une solution en interne. C’est-à-dire qu’une infirmière expérimentée pourra assurer pendant dix mois les fonctions de cadre ; elle aura ainsi l’occasion de prendre cette posture de cadre et éventuellement d’envisager la formation de cadre de santé pour son déroulement de carrière. Un tel dispositif permet de valider certaines évolutions professionnelles », décrit Thierry Pécheux.
Michel D’Haene envisage lui aussi de se tourner vers une infirmière coordinatrice ou vers des IDE suivant un master en management. Un profil nouveau qui peut ouvrir de nouvelles opportunités car le remplacement d’un cadre par un IDE sans qualification supplémentaire n’est pas sans risque. En effet, à la gestion des plannings, s’ajoutent d’autres types de gestion, celle des conflits dans l’équipe ou encore celle des relations avec les familles de résidents… Autant de tâches nouvelles qui ne s’improvisent pas même si un “tuilage” est souvent prévu. « Nous avons budgétisé une période de quinze jours pendant laquelle la cadre qui part en congés maternité assurera la transition avec sa remplaçante », explique Michel D’Haene. Pourvoir le poste clé de cadre est la priorité de l’établissement, quitte à repousser l’embauche d’autres personnels.
Bien qu’ils rivalisent pour rendre leurs offres attrayantes, il n’est cependant pas rare que les établissements déclarent forfait. À moins de faire appel à des cadres spécialistes de l’intermittence. « J’ai dans mes fichiers des professionnels de la transition », affirme Sébastien Deslandes qui, pour le recrutement de cadres de santé, met à contribution toutes les agences de son groupe. Sur des postes aussi spécifiques que ceux des cadres, on ne peut parler à proprement parler de “vivier”. « Chaque profil recherché est différent, chaque recrutement requiert un process particulier et nous devons trouver la solution immédiate, la mieux adaptée », déclare-t-il.
Les cadres ne sont en effet pas interchangeables. Le recruteur affirme même qu’il existe des cadres pour lesquels chaque remplacement est considéré comme un nouveau challenge. Expérimentés, opérationnels en quelques jours, selon Sébastien Deslandes, ces professionnels du CDD proposent une expertise particulière. Certains ont des compétences en certification, d’autres disposent de notions juridiques pointues dans le domaine des structures associatives, ou encore des connaissances particulières dans les conventions collectives. D’autres souhaitent conserver leurs compétences particulières en soins et les partager à de nouvelles équipes.
Ce sont également des cadres de santé qui, après plus d’une dizaine d’années d’expérience dans deux postes successifs, se remettent en question et veulent redonner un nouveau virage à leur carrière. Aussi, vu sous cet angle, le CDD, loin d’être un marqueur d’instabilité, peut être valorisé comme un vecteur d’expériences, voire de réorientation professionnelle.
(1) De 2,1 à 2,3.
(2) Des offres de diffusion sur 60 jours sont proposées au tarif de 290 euros l’annonce.
Face à l’absence ponctuelle d’un cadre de santé, il reste difficile de concevoir son remplacement en recourant à un CDD de type intérim. Comme le souligne Christelle Rizzolatti, directrice des soins du Centre hospitalier d’Antibes Juans-les-Pins, la raison en est simple : le cadre de proximité détient un rôle clé dans l’unité de soin en tant que garant de la qualité des soins et du parcours patient dans l’hôpital jusqu’à sa sortie. « Cette fonction nécessite une bonne collaboration avec les médecins tout comme avec les autres collègues cadres. Il faut de plus disposer de compétences en management, savoir organiser la charge de soins tout en détenant une certaine connaissance du fonctionnement général de l’hôpital et des services de soins en particulier », rappelle Christelle Rizzolatti, ajoutant que l’appropriation du projet du service demande un délai peu réaliste pour un intérimaire. Autant d’arguments qui incitent la directrice des soins à privilégier la solution des “faisant fonction de cadre” issus de l’hôpital. « Je publie une fiche de poste en interne, je reçois les postulants avec le cadre supérieur et nous retenons celle ou celui qui correspond au profil recherché. La motivation est importante, mais les qualités relationnelles, le sens des responsabilités et l’implication dans les projets de l’établissement sont aussi essentiels. Je dois également déceler les compétences qui permettront à ces soignants d’évoluer, car je considère que ce remplacement peut être le tremplin vers l’école des cadres », décrit la directrice des soins. Cette expérience en vie réelle de la fonction de cadre permet aussi bien à la direction d’évaluer les compétences au poste, qu’au soignant de confirmer ou non son projet. « Mais, attention, ces professionnels ne se retrouvent pas isolés dans leur nouvel exercice, ils bénéficient d’un parcours de professionnalisation. Ils peuvent à chaque instant compter sur l’accompagnement de la direction des soins, des cadres supérieurs et des autres collègues cadres. Par ailleurs, ils sont fortement encouragés à participer à des formations spécifiques en management, pour la réalisation des plannings, et peuvent suivre des congrès et des journées organisées dans les écoles des cadres », précise Christelle Rizzolatti.
Le “tuilage” ou le compagnonnage avec le cadre initialement en poste est possible lorsque le remplacement est prévu (congé maternité, par exemple). Une fois le remplacement effectué, après évaluation de son encadrement et souhait du “faisant fonction de cadre” de poursuivre dans ce projet professionnel, une seconde expérience dans un autre secteur pourra lui être proposée ainsi qu’un accompagnement en année préparatoire au concours d’entrée à l’école des cadres de santé (IFCS). « Les compétences développées et son investissement permettront au faisant fonction d’envisager de poursuivre ce qui sera sa “deuxième” carrière pour laquelle il sera encouragé et accompagné », affirme Christelle Rizzolatti. En charge d’un millier de soignants, de sept cadres supérieurs et de 37 cadres, la directrice des soins choisit aussi de recruter des cadres en mutation : « Dans ce cas, par l’apport d’autres expériences du parcours patient, d’autres pratiques organisationnelles, ils contribuent eux aussi à un enrichissement de notre établissement. »